Chapitre 1 :
Allongé sur la banquette arrière, il regarde le paysage défiler depuis presque deux heures. D'abord la ville, puis le soleil qui s'efface doucement pour laisser place à la pâleur des plaines… Puis le gris. De la montagne. Le gris et le blanc. Le granit et la neige.
Puis les voitures près d'eux qui défilent, ceux qui partent au ski, les familles sans enfant. Et eux. Le bruit en plus.
La radio débite les mêmes choses tous les quarts d'heure. Il connaît les infos quasiment par cœur entre quelques chansons anciennes, infos du 13 mars 1987, un nouveau parc d'attraction Eurodisney va ouvrir en région parisienne, une nouvelle chaîne télé va être lancée dans quelques jours. C'est l'événement on dirait.
La météo encore plus, il sait qu'il va neiger, qu'il va faire froid. Plus ils vont monter, plus il va faire froid. Logique… Déjà que le gris du ciel le déprime.
Encore une fois il déplie la carte de la Savoie et regarde le coin. Le village de Bonneval sur Arc, en plein dans le parc de la Vanoise. Il parait que c'est beau. Mais paumé. Complètement.
Tellement que son lycée est à Chambéry. À 1 heure 30 de là… Il attend quand même de voir à quoi ça ressemble.
« Papa.. on est bientôt arrivé ?
- Encore une heure Cas'... En plus il y a les gens qui partent en vacances et s'il faut chaîner... Je sais pas s'il neige chez Mary...
Castiel soupire et laisse la carte tomber sur sa tête.
- Mary.., marmonne-t-il.
- Hein ?
- Non rien… »
Le petit brun soupire à nouveau et replie vaguement la carte qu'il repose par terre avec le reste des affaires. Toutes ses affaires.
Il pense à Lyon. Il pense à Daphné qu'il a laissée là-bas.
Il ne la reverra qu'aux vacances quand il ira chez sa mère. Il n'a pas pu rester avec elle. Elle est ingénieure et quitte souvent la France pour des périodes de deux ou trois semaines, direction Chine, Inde ou États-Unis. Alors même si là Castiel va être pensionnaire à Chambéry, sa mère a jugé que c'était mieux pour lui de vivre avec son ex-mari.
Ils commencent à attaquer la montée sinueuse. Les longs virages répétitifs qui donnent mal au cœur. Les arbres croulent sous le poids de la neige tombée la veille. Il fait tellement gris, le ciel est lourd, comme gorgé de neige prête à tomber. De son côté, il aurait préféré voir le soleil faire briller la neige… Un peu trop carte postale sûrement.
Finalement, il va aider son père à chaîner la voiture. Puis il monte à l'avant du break plein à craquer. Ce déménagement le déprime. Changer autant de paysage, ça ne lui plaît que moyennement. Bien sûr il y a l'envie de voir la nouveauté, et puis la montagne il aime bien. Il a toujours bien aimé quand il est partait en vacances avec son père et sa mère. Avant le divorce.
Tout y ramène. Toujours. Mais de là à vivre vraiment à la montagne. C'est différent, là bas, tout est fermé, replié, ça risque de le rendre un peu claustro. Toutes ces montagnes imposantes, ces forêts pleines de neige. Et le froid. Lui qui est frileux comme c'est pas permis…
« On est presque arrivé, regarde bien autour de toi Cas' ! C'est ton nouveau chez toi ! » s'exclame Luc Novak.
Castiel relève la tête alors et regarde. Ouais en effet c'est pas mal. Immense. Recouvert de neige, c'est hyper grisant en fait. On dirait une carte postale. Il a même des maisons ou des granges dont on ne voit plus que le toit ! Les stalactites bordent les gouttières comme des baguettes magiques de glace. Enchanteront-elles le quotidien de Castiel ?
Mary sort de sa maison-chalet qui est en haut d'une légère pente. Sans chaîne ou pneus neige, il est impossible d'accéder à la maison. Elle domine encore car avant d'arriver à la porte d'entrée en bois, il faut monter quelques marches. Cette fois elle les descend pour accueillir ses nouveaux habitants.
Le petit brun reste assez distant quand il fait la bise à la jeune femme. Elle doit avoir quoi… Six ou sept ans de moins que sa mère ? Il ne peut s'empêcher de faire la comparaison pour une bonne raison. Malgré lui, il a appris que c'était elle la cause du divorce. Mary était la maîtresse de son père. Celle avec qui son père a trompé sa mère. C'est dégueulasse et franchement il risque d'y avoir de la friction dans l'air. Mais bon, il pour l'ambiance il ne s'en fait pas vu que toute la semaine il sera à l'internat.
« Castiel…, se présente-t-il, la voix sans un peu trainante.
- Je suis contente de te revoir, comme on ne s'est aperçu que quelques fois... Enfin, je vais appeler Dean, il est enfermé dans sa chambre... Deeeaaan ! crie sa mère depuis l'entrée. Viens aider !
- Laisse Marie, on va s'en sortir., tente de dire Luc Novak.
- Non, non...
- J'arriiiive ! »
Ça c'est Dean, qui éteint la cigarette qu'il fumait dans sa chambre. Pfff ça le gave de devoir se bouger le cul pour aller aider le "petit ami" de sa mère. Et son fils. En plus. Comme s'il n'avait pas autre chose à faire, comme planifier les pistes à faire avec les copains le week-end prochain.
Bref, il enfile ses chaussures de neige et descend l'escalier en colimaçon qui mène au rez-de-chaussée. Le bois grince un peu mais il a tellement l'habitude qu'il ne fait plus attention.
Mary attend que son fils enfile son blouson et les rejoigne dans l'entrée pour faire les présentations.
« Castiel, je te présente Dean, mon fils... Luc, tu l'as déjà vu, hein Dean ?
- Ouais, ouais... »
L'adolescent serre la main à Luc puis avise le petit brun qui se tient à ses côtés. Alors c'est lui qui va lui servir de frère et briser sa vie de fils unique ? Avec ses grand yeux bleus et ses cheveux indomptables ?
Castiel est en train de se dire passablement la même chose. Finie la vie tranquille tout seul, à être chouchouté par papamaman. Enfin là il n'a même plus sa mère, vu qu'il ne la verra que quelques week-ends quand elle sera en France et chez elle. Il y a maintenant un demi-frère, plus grand que lui, les yeux verts, des taches de rousseur sur le nez et les joues.
Il serre la main gantée de Dean. Pas très convaincu par tout ça. Il se rassure en se disant que Dean est dans la même situation. Tous deux n'ont rien demandé à personne, en même temps, ils n'ont pas leur mot à dire.
« Bon on sort les sacs les enfants ?, fait Luc, tout content.
- Ouais allez… »
Même pas le temps de faire une visite, c'est directement le déchargement des valises. Les pieds dans la neige avec ses baskets, au bout de trois pas, Castiel glisse et se vautre sur les fesses en râlant. Ça commence bien…
« Putain..
- Castiel langage., le reprend directement son père.
- Pardon… »
En entendant ça, Dean ne peut s'empêcher de retenir un petit rictus. Et bien, vu que sa mère lui a dit qu'ils allaient former une vraie famille, partageant les mêmes valeurs, Dean se doute qu'il sera d'accord avec ce genre de commentaires.
Alors qu'il passe son chemin sans aider le pauvre-petit-Castiel-pas-doué-de-la-ville, sa mère le reprend et lui demande de l'aider à se relever pfff...
Il se retourne alors, enlève un gant et tend la main à son nouveau demi-frère. Si c'est pas beau la vie de famille... Castiel n'a pas le temps de dire ouf qu'il se retrouve debout sur ses deux pieds. Sauf que même si ça n'a duré que quelques petites secondes il a retiré tout aussi vite sa main de celle du jeune garçon. C'est étrange parce qu'un frisson vient de le secouer tout entier. De la racine des cheveux aux pieds. Il tente de maintenir le regard de Dean mais celui-ci le détourne rapidement, gêné par le même frisson. Il est vraiment bizarre ce Castiel. Moui. De lui faire ressentir ça. Dean s'en va vite, termine de vider le break et s'en va immédiatement dans sa chambre.
Castiel a tout déposé dans la salle à manger, là où arrive l'escalier du chalet, pour aller à l'étage. La décoration est moitié montagnarde, moitié normale. C'est pas plus mal. De l'autre côté il voit un salon hyper cosy avec une grande cheminée qui flamboie et crépite.
« Alors mmh... Luc tu fais visiter à ton fils ? fait Mary.
- Oui, je vais lui montrer un peu, déjà l'étage. »
Castiel les voit se regarder avec un air amoureux, comme s'ils se retenaient de se sauter dessus. Pfff... Ça lui donne envie de vomir.
Deux ans qu'il est avec cette femme. Deux ans qu'il trompait sa mère.
Pas plus le temps de réfléchir que son père le pousse à monter les escaliers. Il lui montre à droite une salle de bain, à gauche un bureau, encore en avançant à droite, la chambre de Dean, close. Au fond la chambre de Mary, enfin la sienne aussi. Son père est vraiment à moitié gêné et excité d'être là.
Et là juste à gauche, sa chambre à lui. Une chambre d'amis sans décoration.
« Tu feras ce que tu veux, c'est ta chambre maintenant... »
Sa chambre... Il avance et regarde par la fenêtre. De la neige à perte de vue. Le calme de la montagne, des dunes de poudreuse qui régalent tant de skieurs. Castiel soupire alors son père lui demande :
« Ça va aller Castiel ?
- Ouais je suis juste un peu dépaysé…, fait-il en posant son sac à dos par terre, près du lit.
- Oui je comprends... On ira acheter des meubles et de la déco si tu veux. Tu sais Mary est décoratrice d'intérieure..., tente Luc Novak.
- Non c'est bon, je me débrouillerais tout seul. Mais pour les meubles. Ouais, là j'ai pas de quoi ranger. Enfin… Tant que j'ai un lit. »
Il se laisse tomber dessus et trouve le matelas bien mou. Ça le perturbe cette histoire, Mary et son fils. Dean. Est-ce qu'ils vont aller à l'internat ensemble ?
Là on est samedi. Il va à peine avoir le temps de vider ses valises qu'il va déjà devoir en remplir une nouvelle pour entamer son troisième trimestre à l 'internat du lycée de Chambéry. C'est trop de nouveautés d'un coup presque.
C'est difficile à encaisser et quand il se retrouve quelques minutes seul dans sa chambre alors que son père est parti chercher deux valises de fringues et un carton avec ses affaires. Il se retrouve tout seul et là d'un coup il sent le mal du pays le prendre. Vraiment l'impression d'être un exilé, de pas être chez lui. Ça risque de mettre du temps. Pour le moment il est juste chez la copine de son père. Pas vraiment chez lui.
« Castiel tu descends déjeuner ?, fait son père en posant le tout dans la chambre.
- Ouais j'arrive… Pas très faim mais bon…
- Allez mon grand. »
Son père lui passe la main dans les cheveux, avec affection. Au moins il le comprend. Heureusement.
Mary les appelle d'en bas pour manger. Elle a dressé la table dans sa jolie salle à manger qui donne sur la terrasse extérieure avec vue sur la vallée. Le champagne est même sorti pour l'occasion. Celle de vivre enfin avec celui qu'elle aime et former à nouveau une famille.
En parlant de famille, elle voit Luc et Castiel descendre mais pas son fils Dean. Fronçant les sourcils, elle demande :
« Dean va descendre ? Vous l'avez vu ?
- Euh… Non sa porte était fermée…
Il reste debout, perplexe devant la tablée. C'est trop bizarre, et Mary est 'trop' gentille..
- Tu... Tu veux bien aller le chercher ? demande Luc à son fils.
- D'accord.. »
Castiel fait demi-tour et monte frapper à la porte de Dean. Avoir un demi-frère, franchement ça l'enchante qu'à moitié, sauf si celui-ci reste dans sa chambre comme ça ! Au moins il ne l'embêtera pas. Et puis quand il lui a pris la main tout à l'heure, c'était trop bizarre…
Ledit demi-frère daigne sortir de sa chambre. Il le regarde à peine, passe son chemin comme s'il ne s'était rien passé tout à l'heure. Castiel reste ahuri devant un comportement aussi... Bourru. Abasourdi, il suit quand même Dean qui, ayant l'habitude de dévaler l'escalier en colimaçon, est déjà attablé. Toujours sans dire un mot.
Mary lui dit de se mettre près de Dean, comme ça il aura sa place pour après. Et leur souhaite un bon appétit.
Super.
Entrée des carottes au jus d'orange et des concombres à la crème fraîche.
Castiel n'a franchement pas trop faim, mais il se force malgré tout. Il écoute son père et sa copine papoter comme si de rien était. Si seulement sa mère avait pu être là plus souvent… Il aurait pu rester à Lyon, avec Daphné. Mais non, elle avait décidé qu'il était trop jeune pour rester un mois entier tout seul (17 ans quand même !). Il pouvait la comprendre, mais avoir sa bénédiction pour aller vivre chez l'ancienne maîtresse de son père. Pffff… Sa mère devait être une sainte après tout.
Il jette un coup d'œil vers Dean qui semble faire comme si de rien était. En fait c'est sûrement plutôt de lui qu'il a peur…
Il ne l'entend jamais prononcer plus de trois mots à la suite, souvent monosyllabiques, et son regard est... Glacial ? Non, terriblement franc plutôt. Qui laisse transparaitre ses émotions, comme son mécontentement visiblement. Enfin Castiel n'a pas beaucoup plus le temps de l'observer étant donné qu'à peine le repas fini, Dean retourne illico presto dans sa chambre.
Ce qui l'inquiète Castiel surtout… C'est que ça ne semble pas étonner Mary. Il semblerait que son fils soit un associable fini. Ou alors en pleine crise d'ado. Ou juste pas content de ce déménagement comme lui.. sauf que lui il essaye d'être aimable. Même si c'est pas franchement honnête.
« Je suis désolée Castiel..., soupire Mary. Ça va lui passer. Enfin avec moi il est... Pas comme ça..., murmure-t-elle.
- Ha… C'est ma faute alors ? Je peux comprendre… C'est pas drôle…
- Non, non c'est pas ta faute ! s'empresse de dire la mère de Dean. Ça passera...
- Et puis l'internat, ça créé des liens ! fait Luc.
- D'ailleurs ça se passe comment l'internat… ? Papa m'a pas trop dit…
- Tu devrais essayer d'en parler avec Dean peut-être, au moins il t'aidera, enfin s'il veut bien…
- Faut... Faut vous laisser le temps à tous les deux aussi., tente de modérer Luc.
- Oui enfin... Tu sais je veux qu'on forme une vraie famille., ajoute Mary, sure d'elle.
- Moi aussi. »
Luc ponctue sa phrase d'un petit baiser à sa douce.
Castiel soupire et se lève de table, décidé à aller parler à Dean, enfin… S'il veut bien. Il monte alors le voir et frappe à la porte.
« Ouais attends deux minutes... »
Dean s'attend à ce que ça soit sa mère alors il éteint en vitesse la clope qu'il se fumait au balcon de sa chambre, rentre, prend un chewing-gum et va ouvrir la porte. Il découvre le petit brun sur le palier.
« Ha c'est toi...
- Heu pardon… Désolé de te déranger… Je voulais juste… Des infos sur le lycée et l'internat… Comme j'ai jamais été là-bas…, rougit-il, follement mal à l'aise.
- Ha ouais... Ma mère m'avait prévenu pfff..., Dean se tient à la chambranle de la porte. On part lundi à 6 heures et demi d'ici. On sera à Chambéry une heure plus tard. Et après on rentre que vendredi. Comme un internat normal quoi.
- Ha. Okay… Et les chambres ?
- C'est des boxs..., explique Dean.
- Okay... L'ambiance ? fait Castiel presque ironiquement.
Dean fait un petit sourire en coin, connaissant le sort qu'on réserve aux nouveaux.
- Tu verras lundi.
- Bon... Merci... Et désolé encore de t'avoir dérangé...
- Pas grave. »
Dean rentre à nouveau dans sa chambre, sans un mot de plus, plantant Castiel là.
Castiel fait une grimace d'agacement. Il n'est pas vraiment plus avancé avec ça... Bon.
Il retourne dans chambre et décide de commencer à ranger ses affaires... Il y a du travail. Faut qu'il appelle Daphné. Vraiment. Alors il descend au salon ou sont enlacés son père et... Bref.
« Papa, je peux utiliser le téléphone ? demande-t-il.
- C'est pas à moi qu'il faut demander ! » sourit Luc en regardant Mary.
Castiel se retient comme il peut de soupirer d'agacement à nouveau et finalement ne demande rien du tout avant de remonter dans sa chambre. Franchement il en a déjà assez de cette famille. Entre la mère qui fait du zèle (et son père aussi par ailleurs) et le fils qui le regarde comme s'il était contagieux de la peste noire…
En bas il entend son père s'excuser auprès de sa compagne, rien à foutre. Il va s'enfermer dans sa chambre et commence à tout défaire, remplir l'armoire de fringues, sortir ses affaires à lui. Des photos, sa mère, Daphné, des anciens copains… Ses affaires de dessin.
Il va aussi faire son lit histoire de ne pas rester sur juste le matelas et la couette. Son père doit faire venir quelques petits meubles aussi depuis chez eux, et aussi le piano. Trop bien, il ne sait pas où ils vont le mettre mais bon.
Dans le bureau peut-être, qui est en bas, à l'entrée de la maison. Il n'a pas eu le temps de voir la pièce mais bon ça ne l'enchante pas d'avoir des affaires à lui à la fois en bas et en haut. Il doit prendre ses marques dans d'avantages d'endroits encore.
Non, rien n'était gagné d'avance.
