Note de l'auteure M : Bonjour à tous. Le printemps approche et il est temps pour une nouvelle fic – pas très longue, on promet. Et on essaye de garder un rythme régulier pour la poster, cette fois...
W : Cette fic suit le scénario du premier anime et du film Conquerors of Shambala (ainsi que sa fin). Attention donc aux spoilers pour ceux qui n'en veulent pas. À part ça, on espère que ça vous plaira et on vous souhaite une bonne lecture !
Chemins qui se croisent et s'entrecroisent, longeant et délimitant les parcelles avec leurs haies de cyprès et leurs murets de pierre blanche, carrelant la campagne du sud d'une myriade de petits champs déclinant tout un ensemble de coloris entre le jaune paille et le vert soutenu, avec parfois une exception où jaillissent des feuilles aux bordures rouges qu'on ne devrait trouver qu'au nord, où la betterave assoit sa suprématie sur les terres.
Chemins vicinaux hérités du Second Empire, courant entre les herbes, serpentant entre les reliefs, sautant par dessus les rivières et torrents, s'enfonçant dans les bois pour en rejaillir plus loin, sans jamais s'arrêter, semblant prêt à vous faire parcourir le monde si vous vous contentez de les suivre.
Chemins de terre et de poussière que rien ne soulève plus à cette heure, sauf parfois un souffle de vent, la queue d'un rongeur se risquant à traverser ce désert, ou bien le pas d'un voyageur isolé ayant décidé de s'attarder sur les routes qui ont déjà usé et recouvert ses chaussures.
Les deux jeunes hommes marchent le long de ces chemins, côte à côte, ils n'ont pas la même taille, pas le même regard, pas la même chevelure, mais le même sourire, le sourire libre et heureux de celui qui avance avec tout ce dont il a besoin : des vêtements familiers, une valise contenant le nécessaire, un compagnon sans lequel il serait comme coupé en deux et ne saurait plus comment continuer. Ensemble, ils peuvent dévorer des kilomètres, attendant de tomber sur ce qui les arrêtera, sans autre attache qu'eux-mêmes, ils peuvent affronter la fatigue et la menace du ciel se chargeant de nuages obscurs.
L'un semble particulièrement enthousiaste, faisant voleter ses longs cheveux blonds et agitant sa valise dont la poignée cliquette, lancé dans son élan, il écarte les bras et inspire longuement, fermant les yeux.
« Le sud ! s'exclame-t-il. Finis les hivers trop froids qui me coupent la jambe, l'humidité morose des ports où la mer mange la terre, la grisaille des villes industrielles. Maintenant, c'est le soleil, la chaleur, les fruits et la lumière ! Plus rien ne peut nous arrêter. Tu vas voir, nous allons conquérir le monde. D'abord le sud de la France, puis l'Italie, les îles, la Grèce ! Non, rien ne pourra nous arrêter, plus rien, nous sommes libres comme l'air, prêts à tout affronter. »
Il bondit soudain, se perchant sur un des murets, ce qui lui permet, enfin, de dominer et dépasser son compagnon, qu'il regarde de haut, s'adressant à lui comme s'il était une foule qu'il haranguait.
« Imagine un peu ce que les gens du coin vont penser en nous voyant ! Deux jeunes hommes, magnifiques, dorés de lumière, sans attache et sans passé, entourés de mystère. Et comme je suis l'aîné, je deviendrai le Dieu d'une religion nouvelle, reprenant les rênes du char d'Apollon. »
L'autre proteste, revendiquant son droit au titre de divinité malgré son statut de cadet.
« Ne t'en fais pas, sous-fifre, réplique le premier avec un petit mouvement indulgent de la main. Je te permettrai d'être le premier adorateur de ce nouveau culte, je te ferai prêtre du temple du soleil. »
Il écarte de nouveau les bras en un geste magistral, manquant de lâcher sa valise et de l'envoyer voler au loin.
Une goutte, sur sa paume, une autre, sur son nez, puis un rideau de pluie s'abattant sur eux deux, signe que les lourds nuages au-dessus ont crevé. Le futur dieu est déconfit, l'adorateur hilare. Le soleil n'a pas l'air de vouloir accepter la concurrence et, vexé, a préféré se cacher définitivement derrière un voile grondant.
Le dieu se fait soldat, partant en courant sur son muret, se protégeant comme il peut la tête de son bras levé, bien inefficace.
« À couvert, soldat ! L'ennemi attaque en trombe, nous ne pouvons riposter ! »
L'autre le suit, galopade le long du sentier se faisant déjà boueux, riant aux éclats, cherchant des yeux un abri. Mais les cyprès ne sont pas vraiment aptes à en offrir un, pas plus que les murets dans cette campagne de bocages découverte. Au loin, une croix dressée indique un carrefour, mais toujours pas de couverture, prête à se dissoudre dans la fin du jour et l'eau qui la recouvre.
Le dieu déchu continue ses alarmes tout en courant, sa voix presque couverte par le clapotement de ses pas dans les flaques, son souffle entrecoupé, les cliquettements de sa valise, le bruissement sonore de la pluie, les grondements au loin.
« La situation est grave, soldat ! L'obscurité nous entoure, espérant vaincre notre splendide éclat ! »
Le nous est-il un nous royal ? Il bifurque à un croisement de chemins, semblant préférer éviter la route empruntant le versant d'une colline.
« C'est la tempête, le Jugement dernier ! »
Punition divine face à l'hybris des mortels... La pluie redouble.
Et l'autre prend soudain la tête de la course, pointant sur leur droite.
« Le salut, matelot ! s'exclame-t-il. Un phare au milieu des flots déchaînés ! Changement de cap ! »
Ne se souciant pas de son autorité et de sa toute puissance bafouées, l'ancien aspirant dieu s'engage à la suite de l'autre, se fiant à sa silhouette.
Et ils rient malgré la situation, ils rient aux éclats, jeunes et heureux dans leur duo complémentaire et complice, empruntant le premier sentier qui se dévoile pour monter vers le phare, le phare, lumière vacillante à peine visible au milieu de l'obscurité, derrière les trombes d'eau qui s'abattent sur leurs épaules, invitation de chaleur pour les marins égarés, signal nocturne pour les enfants en retard dans un passé lointain...
Tu restes figée sur ton fauteuil, effrayée. Dans le silence de ton repas solitaire, seulement entrecoupé par le tintement de tes couverts sur ton assiette et soutenu par le bruissement continu de la pluie au dehors, tu as brusquement entendu autre chose.
Des voix, et surtout de lourds bruits de pas, au rythme d'une course, qui se sont rapprochés, se sont arrêtés, ont cogné contre ton mur, puis ont fini par reprendre, faisant le tour de ta maison, vers l'arrière...
Immobile, tu attends, tes mains crispées sur ton couteau et ta fourchette, ayant complètement oublié les quelques morceaux qui restent dans ton assiette. Tu écoutes, mais tu ne les entends pas s'éloigner suffisamment.
Tu avales ta dernière bouchée que tu n'as pas assez mâchée, tu te lèves en hésitant, ne sachant pas trop quoi faire. Tu as peur. Mais tu as besoin de savoir. Tu gardes ton couteau avec toi. C'est complètement irréaliste, tu n'auras sans doute pas à l'utiliser, et tu n'y parviendras pas même si tu en as besoin. Pourtant, cela te rassure.
Tu n'as pas entendu de bruits indiquant leur entrée par effraction non plus.
Doucement, silencieusement, tu quittes la cuisine, tu passes dans le salon, à l'arrière duquel se trouve la porte fenêtre. Tu profites de l'obscurité pour t'approcher sans être vue.
Ils sont là, sur la terrasse, deux jeunes hommes trempés jusqu'aux os, dégouttant sur les pierres encore sèches, riant cependant comme des gosses, l'un allongé sur le dos comme s'il s'était écroulé, l'autre reprenant son souffle, penché vers l'avant, les mains appuyées sur ses genoux.
« Eh bien, n'avais-je pas raison, Sergent ? » demande-t-il en se redressant, passant une main dans ses cheveux courts qui s'élèvent en pics désordonnés sur son passage.
L'autre, en train d'essorer les siens, longs et remontés en queue de cheval, après s'être redressé, réplique d'un ton ironique :
« En effet, qui aurait pu prévoir en voyant ces nuages chargés de pluie qu'il allait pleuvoir ? J'admire. »
Le premier met ses mains sur ses hanches, ne semblant pas se rendre compte qu'une flaque est en train de se former autour de lui. Il a l'air d'être le plus jeune, mais il est sans contestation possible le plus grand.
« Le phare, Sergent, je vous parlais du phare... Vous frôlez l'insubordination, Sergent. Votre nom, histoire que je sache qui châtier ? »
Entendant cela, le second, qui s'essuie le visage et se rend compte qu'il n'améliore rien, puisqu'il le fait avec la manche de sa veste imbibée d'eau, secoue les bras, faisant claquer le tissu mouillé, puis exécute une courbette, inclinant son torse vers l'avant avec un geste de la main.
« Sergent Loque-Ambulante, pour vous servir. »
Le premier a un grognement soi-disant dédaigneux, mais qui dissimule un rire.
« Eh bien, elle est belle, l'armée. »
Il se regarde à son tour, tout aussi couvert d'eau, a une légère grimace en voyant comment les pans de son pantalon se collent à ses jambes quand bien même il les secoue. Puis il se redresse, prenant un air fier en joignant les mains derrière son dos.
« Quant à moi, je suis le Colonel Serpillère. Vous me devez respect et obéissance. »
Le second semble s'étouffer.
« Colonel ? Si jeune ? »
Puis son expression change, comme s'il comprenait quelque chose et s'en amusait.
« Oh, je vois, vous suivez les traces du Colonel Bon-à-Rien. En effet, elle est belle, l'armée. »
Son commentaire est cependant détruit par le reniflement qui suit. Il passe de nouveau une manche sur son visage, et tous deux, calmés, tournent leur attention vers l'extérieur, la campagne noyée de pluie qui commence à perdre sa lumière, signe que la nuit tombe. Cela ne va pas s'arrêter de sitôt, tu le sais. Ils semblent avoir l'intention d'attendre là la fin de l'averse.
Ça ne va pas être possible.
Tu ouvres la porte fenêtre – bien huilée, le battant pivote sans bruit – puis prends une inspiration, craintive. Tu es seule, isolée, personne ne t'apprécie vraiment dans la région, de toute façon, tu le sais. Personne ne s'inquiétera s'ils ne te voient plus, si cela se passe mal face à ces deux jeunes hommes à l'air insouciant, mais tellement plus forts que toi. Pourtant, tu ne veux pas les laisser faire. C'est ta propriété ici, toi seule a le droit de t'y arrêter sans rien demander à personne.
Tu essayes de te redresser, de prendre un air ferme, irrité, d'avoir un ton tranchant dans la voix. Cela suffira peut-être.
« Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ? »
Questions inutiles, aux réponses évidentes : ce sont deux jeunes hommes qui cherchent à s'abriter de la pluie. Il n'y a rien d'autre à savoir.
Les deux tressaillent, sursautent presque, se tournent brusquement vers toi, se figent. Celui aux cheveux longs entrouvre les lèvres, ses yeux écarquillés semblant s'emplir de nuages, il donne presque l'impression, tout d'un coup, qu'il va se mettre à pleurer, son visage songeur devenant celui, détruit, d'un enfant brisé. L'autre, de son côté, pâle, a plutôt l'air nauséeux, laissant échapper un léger hoquet, prêt à défaillir, tremblant.
Tu es saisie toi-même par la force de l'effet que tu provoques.
C'est celui aux cheveux courts qui se ressaisit en premier. L'autre t'a brusquement quittée des yeux, se dissimulant derrière les mèches se plaquant sur son visage, ses joues, comme s'il ne voulait pas qu'on le voie.
Celui aux cheveux courts s'excuse pour le dérangement, le bruit qu'ils ont fait. Ils te demandent juste de les laisser s'abriter ici en attendant la fin de l'averse, ils promettent de rester calmes, tu ne sauras même pas qu'ils sont là. Sa voix est tout aussi vacillante que le reste de son corps, hébétée, comme si le froid le rattrapait, l'enveloppant avec ses vêtements trempés.
L'autre s'est assis au bord de la terrasse, dos à toi, légèrement prostré, massant la jonction entre son épaule et son cou comme si elle le faisait souffrir.
Tu connais ce genre de pluie. Il y en a pour des heures, jusque tard dans la nuit, jusqu'à une matinée humide et fraîche parcourue de brise froide se faufilant entre les gouttes qu'on ne distingue plus des perles de rosée. Tu les vois tous les deux, dans un état tout de même bien misérable, leurs vêtements imbibés d'eau, leur seul bagage deux valises, l'un recroquevillé tout au bord de la terrasse, comme s'il essayait de prendre le moins de place possible, le plus loin de toi possible, par crainte de te déranger, l'autre te regardant comme s'il n'y croyait pas tout à fait, comme si tu étais un mirage, comme s'il avait peur de te voir disparaître tout d'un coup s'il te quittait des yeux, incapable pour cela de les détourner.
Et face à cette image, quelque chose en toi... remue.
Une idée germe, te faisant froncer les sourcils, questionner ta raison pour ne serait-ce qu'y penser. Tu es seule. Ils sont deux. Il est déconseillé de faire entrer les loups dans la bergerie.
Mais ils ont froid. Ils sont seuls, ils n'ont même pas d'endroit où dormir. Et ta maison est si grande, si vide...
Tu ne sais pas ce qu'ils risquent de faire une fois à l'intérieur. De te faire, de faire avec tes possessions, même si elles ne sont pas bien grandes, ni précieuses.
Ils ne pourront pas emmener grand chose. Et ils ont l'air si jeunes, si insouciants, si innocents. Qui d'autre se retrouverait ainsi pris sous une pluie pareille ?
C'était peut-être une mise en scène, une façon de te persuader de les faire entrer, car qui laisserait ainsi deux personnes trempées sous la pluie, pendant toute la nuit ? Ils pouvaient avoir élaboré ce plan.
Mais un tel plan semble tellement alambiqué. Rien ne les empêche d'entrer, déjà, il n'y a que toi, ta maigre silhouette solitaire, toi qui n'oseras pas t'échapper sous les trombes d'eau pour aller chercher de l'aide que l'on ne t'apportera qu'à contre-cœur. Pourtant, ils ne l'ont pas fait. Ils attendent, craintifs, tristes, comme si c'était de toi qu'ils avaient peur, comme si un mot allait suffire pour les faire disparaître malgré le mauvais temps, sans abri, sans repas, sans chaleur.
Et tu ne sais pas du tout ce qu'il faut faire. Tu n'as jamais eu d'hôte, tu n'as assurément pas de quoi les nourrir, tu ne sais pas si tu as assez d'eau pour leur permettre de se baigner, il est hors de question que tu leur prêtes des serviettes de toilette, ou quoi que ce soit d'autre.
Mais ils ont leurs bagages. Et sans doute de quoi s'occuper d'eux-mêmes à l'intérieur, de quoi se changer, de quoi se réchauffer.
De la place pour cacher ce qu'ils t'auront volé.
Même si toutes deux paraissent déjà bien remplies, comme si on ne pouvait rien y caler...
En fin de compte, tu ne sais pas quel argument gagne, tu n'as même pas l'impression de penser, lorsque tu ouvres plus largement la fenêtre et te décales pour les laisser passer, les invitant à entrer rapidement, avec un ton bourru, maladroit. Et lorsqu'ils te fixent tous deux, clignant des yeux, incrédules, enfantins, tu le sens de nouveau, ce mouvement, ce nœud inexplicable, quelque part au fond de tes entrailles.
A suivre...
N'hésitez pas à laisser une review :)
