A/N: Le °F est l'unité de mesure anglo-saxonne pour la température. Je vous donne la référence : 89°F = 31,7°C et 86°F = 30°C. Dans cette fiction, comme dans Fébrile, je suppose que les tortues doivent avoir une température normale de 37°C, de part leur nature humanoïde.

Inspirations: L'épisode 4, saison 3, série de 2012, ainsi que le film de 2014 et ses musiques.

Contexte: Même si je me suis inspirée de la saison 3 de la série de 2012, ceci n'est en aucun cas la continuité de l'épisode 4. C'est plutôt une toute autre histoire imaginée, sans contexte particulier. Les tortues ne sont pas à New York, mais dans la nature.


Tiens bon, frangin


La neige tombait en rafale sur la forêt, et l'habillait peu à peu d'un magnifique manteau blanc. Les derniers rayons du soleil perçaient entre les arbres, et dessinaient des ombres mouvantes sur la neige qui recouvrait les racines. Les branches ressemblaient à de longues griffes, cherchant à agripper les bras de Michelangelo comme pour le retenir, néanmoins, le jeune mutant ne se souciait de rien : tout ce qu'il désirait, c'était fuir. Ses pieds vulgairement chaussés et verdâtres s'enfonçaient dans la neige, les branches des arbres déchiraient sa peau reptilienne, et le froid hivernal ne soufflait que pour le transformer en statue de glace. Aveuglé par ce brouillard neigeux, le mutant creusait ses pas, sans vraiment savoir où il allait. Le vent était polaire ; il séchait ses larmes et brûlait sa peau écailleuse sans aucun scrupule.

T'es vraiment un enfant, j'te jure Mikey. Je ne veux plus que tu t'approches de mon labo, et surtout pas avec tes pizzas gorgées d'huile !

Les bras enroulés autour de son corps tremblant, Michelangelo peinait à avancer sur ce tapis mouvant de neige, lequel lui arrivait jusqu'aux genoux. Chaque pas était un obstacle, mais sa volonté était incorruptible. Ses lèvres violacées chevrotaient, révélant ses dents meurtries par le froid.

Tu peux être sérieux et arrêter de faire le pitre deux secondes, Mikey ? Lors d'un combat, il faut se concentrer ! J'en ai marre de te ramasser à la petite cuillère.

Entre ses paupières mi-closes, ses larmes coulaient comme un ruisseau salé, rougissant ses joues sèches et fragilisées. Ces billes cristallines que le vent lui soutirait bien malgré lui étaient gorgées de chagrin, mais également d'amertume.

Tout ce que tu touches tu l'abîmes, Mikey. Tu parles d'un ninja, t'es vraiment qu'un bon à rien.

Les mots brûlaient son cœur. D'un revers de son bras droit, le benjamin essuya grossièrement ses larmes dans un reniflement amer, quoique déterminé. « De toute façon, je ne suis qu'un poids mort pour eux », pensa-t-il tristement. Michelangelo ne supportait plus ces dérisions et ces reproches ; plus le temps passait, plus il avait l'impression d'être un boulet traîné par ses frères. Ouvrant un œil, il osa un regard coulant de larmes autour de lui. Les rayons du soleil disparaissaient derrière la tempête de neige, et les arbres se faisaient rares. Les flocons s'écrasaient en rafale tout autour de lui, et brouillaient sa vue déjà amoindrie. Exténué, le mutant mélancolique referma ses paupières et continua d'avancer, se frayant difficilement un chemin dans la neige, dont le niveau ne cessait d'augmenter. À ses oreilles, le vent ressemblait à un cri strident, lui donnant l'impression de devenir sourd. Resserrant ses bras autour de lui-même, Michelangelo enfonça un nouveau pas dans la neige. Il sentait déjà son sang se glacer dans ses veines, ralentissant toujours plus ses mouvements. Malgré le froid qui brunissait ses pommettes saillantes, Michelangelo ne cessait d'avancer à travers cette tempête polaire.


-« Merde. J'vous jure que quand on le retrouve, il va m'entendre », grogna Raphael entre ses dents claquantes.

Tenant fermement le haut de sa carapace, Leonardo ne répondit rien, se contentant de chercher son benjamin du regard, de manière désespérée. La tempête rageait, et rien n'était apte à la faire taire. Les trois mutants la bravaient néanmoins, accrochés les uns aux autres, et aveuglés par la neige qui les cristallisait.

-« Mon thermo-scanner indique qu'il n'est plus très loin. Il a très froid, mais je vois toujours sa chaleur droit devant », les rassura Donatello en serrant la carapace de Leonardo.

Cependant, le jeune mutant ingénieur n'osa pas admettre à ses frères que son thermo-scanner indiquait également la température corporelle de leur benjamin : 89°F. Aussi, il avait préféré passer ces chiffres sous silence, jugeant que ses aînés étaient déjà suffisamment inquiets. Leonardo plissa les yeux. Son cœur accumulait les remords, et la culpabilité noua amèrement sa gorge. Il était censé veiller sur ses frères, pourtant, il avait longtemps négligé Michelangelo sans même s'en rendre compte. Ce n'était qu'en son absence qu'il le réalisa. Secouant la tête, il se laissa guider par Raphael qui les menait au travers de cette tempête électrique. Pourtant, aussi vite qu'il avait soufflé, le vent s'atténua et la neige plana alors comme des plumes au vent. Voyant désormais plus clair, les trois frères se lâchèrent, et pressèrent le pas quand, au loin, une ombre mouvante attira leur attention.

-« C'est lui. Mikey ! » hurla Donatello.

Oubliant leurs inquiétudes et leurs craintes qui nouaient leurs estomacs, les trois frères plantèrent plus rapidement leurs pieds dans la neige, vers l'ombre qui prit insensiblement les traits de leur benjamin. Interloqué, Michelangelo se retourna dans un mouvement de recul, les lèvres profondément gercées. Chaque pas que ses frères entamaient, il l'effaçait en reculant, les bras enroulés autour de lui-même comme pour se réchauffer. Un souffle chaud échappa ses lèvres meurtries, lequel s'évanouit tel du brouillard dans le froid de l'hiver. Surpris par son apparence et son air réticent, ses frères ralentirent jusqu'à s'arrêter à seulement quelques mètres de lui, les yeux brillants d'incompréhension ; Raphael fut le seul à arborer une expression sérieuse et réprobatrice. Les mots n'étaient pas nécessaires à Michelangelo pour voir la haine qui brûlait dans leurs pupilles colorées, et pour comprendre qu'une fois encore, il les avait déçus. Les yeux larmoyants et plissés, il recula tandis que la tempête hurla à nouveau. Lorsque le jeune mutant aux tâches de rousseurs frôla le rebord, le vent l'emporta, tel un torrent. Un cri l'étouffa ; ce précipice, il ne l'avait pas vu, et il avait été incapable de le prévoir. Une fraction de seconde avait suffit. Passant de l'énervement à l'hébétement, un hurlement étranglé perça la gorge de Raphael, mais aussi de ses frères.

-« Non, Mikey ! »

Sans réellement réfléchir, Raphael réagit au quart de tour. Son instinct le guida, et il s'élança dans la neige pâteuse et profonde, pour plonger la tête la première dans le gouffre qui venait d'avaler son petit frère. Effaré, Donatello s'élança à sa suite, suivi de près par Leonardo, lequel eut à peine le temps de dégainer un de ses précieux ninjatōs. Rien ne pouvait expliquer la force qui les avait animés, mais elle les revigora pleinement. Une confiance rare et précieuse en ses frères avait aveuglé Raphael, mais aussi Donnie. Ils avaient tout simplement su que leur aîné les rattraperait coûte que coûte. Entraîné par la puissance de la gravité, Michelangelo s'étonna lorsque trois doigts âpres, froids et immenses s'enroulèrent autour de son poignet. Sa chute se stoppa net, lui arrachant un hoquet mêlé de douleur et d'effarement. Ses membres étaient gelés et il pouvait presque entendre les muscles de son bras tendu se déchirer.

-« J'te tiens », lui murmura une voix rauque quoiqu'étranglée.

Son oreille s'émoustilla lorsqu'il sentit un souffle chaud chatouiller sa peau écailleuse. Ébaubi, le benjamin releva difficilement la tête, assez pour croiser les yeux vert ambré et ténébreux de son grand frère fougueux. Le soleil s'éteignait peu à peu, cependant, bien malgré la neige qui s'abattait et fondait sur son visage blafard, Michelangelo réussi à discerner la silhouette de Leonardo qui, au plus haut, avait planté sa lame dans une fente de la paroi de la falaise. Entre lui et Raphael, Donatello les tenait fermement par les chevilles, les bras écartés et une large grimace collée aux lèvres. Si Michelangelo se tordait de douleur sous son propre poids, alors il osait à peine imaginer ce que devait ressentir Leonardo, lequel les supportait tous d'un seul bras. Le benjamin voyait leurs grimaces et il entendait leurs gémissements plaintifs, témoins de leurs souffrances. Aussi, une vague de culpabilité le submergea. Les yeux clos, il enroula ses doigts démesurés autour du poignet de Raphael.

-« Je suis désolé, trembla-t-il, désemparé.

-Tu peux l'être ! ragea Raphael, les dents serrées par la terrible douleur qui tiraillait ses muscles. Si on s'en sort vivants, j'te promets que tu vas passer un sale quart d'heure. »

Baissant maladroitement ses yeux bleutés, Michelangelo ravala ses larmes et son chagrin. Raphael plissa sévèrement les yeux tout en resserrant sa poigne autour de son poignet, nettement plus fin que le sien.

-« Regarde-moi. T'as plutôt intérêt à remballer cet air de dépressif et t'accrocher à moi avec tes deux mains, avant que je n'arrache ton bras. »

Alors que son benjamin obéit silencieusement en agrippant son deuxième poignet, le mutant hargneux mordilla sa lèvre inférieure, soulagé par cette nouvelle répartition du poids. La tête vers le fond du gouffre, Raphael eut un haut le cœur en sentant son sang lui monter à la tête.

-« Léo ! hurla-t-il aveuglément. Qu'est-ce que je dois faire ? »

Les dents serrées comme pour retenir ses plaintes, Leonardo n'entendit cet appel que comme un cri lointain, dont il avait à peine comprit le sens. Craignant que son ninjatō ne lâche, il n'osa pas esquisser le moindre geste. Sa respiration accélérait frénétiquement, alors que son regard myosotis se perdait dans le brouillard de la tempête. Autour de sa cheville, il sentait son petit frère ingénieur s'accrocher désespérément à lui, ainsi que les poids de leurs deux autres frères. Lentement, il leva les yeux, comprenant avec soulagement qu'il n'était suspendu qu'à quelques centimètres du rebord. Cinquante, tout au plus. Les yeux plissés, il entrouvrit finalement ses lèvres gercées et chevrotantes.

-« Dis à Mikey d'escalader, le rebord n'est pas loin de moi ! » répondit-il d'une voix affirmée bien qu'étranglée.

Plongeant ses yeux électrisants dans ceux de son benjamin, Raphael intensifia son regard.

-« T'as entendu ce qu'il a dit ? »

Pourtant, Michelangelo secoua fermement la tête, ses larmes coulant le long de ses joues asséchées.

-« Non, je ne veux –

-Nos frères ne tiendront plus très longtemps ! Alors ferme-la et grimpe », s'imposa Raphael, la rage aux lèvres.

Secrètement et de manière inconsciente, Raphael se délectait de pouvoir donner des ordres. Michelangelo hésita, puis, dans un soupir désemparé, sa main palpa le bras de Raphael jusqu'à son biceps. Un grognement plaintif racla la gorge de son frère hargneux, alors que ses ongles creusèrent un peu plus dans sa peau écailleuse. Un profond « merde » échappa les lèvres de Raphael qui, gémissant, mordit abruptement l'intérieur de sa joue.

-« Pardon…, murmura Michelangelo.

-Accroche-toi à ma carapace, ce sera plus simple », rétorqua Raphael entre ses dents serrées.

Acquiesçant silencieusement, le mutant aux tâches de rousseurs se concentra sur les endroits où il pouvait s'agripper. Tandis qu'il grimpait le long des bras de son frère, il s'accrocha brusquement au rebord du bas de sa carapace. Rapidement, Raphael joignit ses mains désormais libres et il indiqua à Michelangelo d'y poser son pied. Fermement agrippé à la carapace de son grand frère fougueux, le benjamin tremblait convulsivement, la joue collée contre un morceau de scotch qui décorait cette carapace profondément craquelée. Il s'excusa d'avance, puis il posa son second pied sur sa nuque, pour pouvoir se hisser et saisir son mollet. Une fois encore, Raphael ne put retenir un gémissement. Désormais agrippé à sa jambe musclée et les pieds positionnés sur son imposante carapace, Michelangelo progressa jusqu'au bras svelte de Donatello, lequel était la maille qui reliait les chevilles de leurs aînés. Une grimace aux lèvres, le jeune mutant ingénieur trouva la force de lui adresser un sincère sourire. En réponse, Michelangelo palpa sa peau reptilienne jusqu'au rebord de sa carapace, pour pouvoir s'y accrocher. Au passage, il chuchota un doux et authentique je suis désolé à son oreille.

-« Fais attention, Mikey », murmura-t-il en retour, considérant le fait qu'il serait incapable de le rattraper s'il dérapait.

La tempête s'était évanouie et la neige tombait désormais calmement, révélant un paysage des plus somptueux. Ainsi, Michelangelo se concentra sur les quelques derniers rayons du soleil, ignorant le froid ou même la douleur pour ramper le long de Donatello, redoutant de lui faire mal. Entre ses lèvres meurtries, son souffle se mélangeait au vent qui raflait son visage. Un pied posé sur l'épaule de son frère ingénieur et l'autre sur sa carapace battante, il faisait particulièrement attention à ne pas abîmer son arsenal scientifique. De cette manière, Michelangelo prit une profonde inspiration avant de s'agripper aux côtés de la carapace de Leonardo, usant de ses muscles bien sculptés pour remonter jusqu'au rebord du haut de sa carapace. Brusquement, la lame que tenait fermement l'aîné glissa dans la paroi sur cinq ou six centimètres, obligeant Donatello à resserrer son emprise autour des chevilles de Leonardo et de Raphael, ce qui arracha à chacun des plaintes de souffrance.

-« Tenez bon », grogna l'aîné entre ses dents serrées.

Fermement accroché à la carapace de son grand frère, Michelangelo se crispa.

-« Léo …, bafouilla-t-il entre deux sanglots.

-T'y es presque Michelangelo. Dépêche-toi. »

Le benjamin n'avait jamais soupçonné cette force qui l'avait hissé jusqu'à Leonardo ; une force tant mentale que physique qu'il avait travaillée pendant dix-neuf années grâce à l'art du ninjutsu. Ainsi, il répondit à son frère en attrapant une pierre de la falaise, laquelle l'aida à se hisser sur les épaules de Leonardo. Dans un dernier effort, il posa un genou sur le rebord de la falaise, et il prit appui sur ses bras pour finalement rouler sur la poudreuse ; il s'y enfonça comme dans un lit. Sans prendre le temps de respirer, il se pencha immédiatement pour enrouler la chaîne de son nunchaku autour de la lame de son grand frère. Les yeux débordants de larmes brûlantes, il ne songea plus à s'enfuir. Leonardo soupira, rassuré de le savoir en sécurité. Soutenu par Michelangelo, il trouva le courage de dégainer son deuxième ninjatō, et il le planta rageusement dans une autre fissure. Un gémissement de soulagement perça ses lèvres alors qu'il répartissait également le poids de ses deux frères entre ses bras tendus. Il était presque capable d'entendre ses muscles se déchirer.

-« Raph … à ton tour, gémit-il. »

Le feu vert de son frère sonna à ses oreilles comme une libération. Les yeux clos et toujours la tête à l'envers, Raphael inspira profondément puis il usa de sa musculature pour se redresser en un battement de cœur. Ainsi, il saisit vigoureusement le poignet de Donatello, lequel lâcha aussitôt sa cheville. Enroulant ses doigts autour de son poignet, le mutant ingénieur plongea ses yeux plaintifs dans les siens. Par ce regard furtif, Raphael fut capable de comprendre sa douleur, mais aussi sa peur. Secouant vivement la tête, il plissa les yeux et, comme Michelangelo avant lui, il posa un pied sur la nuque de Donatello, et l'autre sur sa carapace. Après avoir trouvé son équilibre, il lâcha confusément la main de son petit frère pour pouvoir s'agripper à la carapace de Leonardo. De sa main désormais libre, Donatello attrapa la seconde cheville de son frère aux yeux lapis-lazuli, permettant à Raphael de poser ses pieds vulgairement bandés sur ses épaules. Interloqué par ces poignes autour de sa carapace et de ses chevilles, Leonardo mordit âprement sa lèvre inférieure, et ne resserra que davantage son emprise autour ses lames argentées. Son front collé contre la carapace de son aîné, Raphael cherchait désespérément son souffle. Dans un gémissement, il leva son genou gauche pour le poser sur l'épaule de Leonardo, lequel, face à la paroi de la falaise, ne se concentrait que sur sa respiration, cherchant à oublier l'effroyable douleur qui tiraillait ses muscles. Ses frères pesaient leurs poids, il ne pouvait le nier. Finalement, Raphael fut en mesure d'attraper le rebord de la falaise et de se hisser sur ses avant-bras, au plus grand soulagement de Leonardo. Dans une roulade mal-évaluée, le cadet s'étala sur le tapis de neige, à bout de souffle. Lorsque Michelangelo tenta une approche, il le repoussa grossièrement, davantage préoccupé à aider Donatello et Leonardo.

-« Continue de tenir son ninjatō avec ton nunchaku, je vais les aider à remonter. »

Une fois ses directives données, il se pencha en avant, juste assez pour voir qu'une des lames de son frère – celle que Mikey ne retenait pas – avait glissé hors de la paroi. À bout de forces, Leonardo n'osa plus le moindre mouvement. Ses muscles tiraillaient et devenaient de plus en plus douloureux.

-« Léo, j'ai besoin que tu fasses balancer Donnie pour que je puisse attraper sa main. »

Comprenant la demande de son cadet, le jeune leader baissa la tête vers sont petit frère ingénieur, qui s'agrippait toujours désespérément à lui.

-« Lâche ma cheville droite, Donnie, je vais te faire balancer vers Raph. »

Une grimace décora le visage stupéfiait et peu rassuré de Donatello, qui désapprouvait visiblement l'idée.

-« Fais-moi confiance », ajouta Leonardo comme pour le sécuriser, un sincère sourire aux lèvres.

La confiance, c'était ce qui l'avait conduit à suivre Raphael dans ce gouffre, certain que son aîné se jetterait à leur suite. Aussi, pleinement confiant, il ferma les yeux et, sans vraiment réfléchir – chose qu'il ne réussissait d'habitude pas à faire – il lâcha la cheville de Leonardo, resserrant fermement sa poigne autour de son autre cheville écailleuse. Encore une fois, il était prêt à lui témoigner une confiance aveugle. Lentement, Leonardo balança ses jambes horizontalement, de manière à offrir son petit frère entre les larges doigts de Raphael, lequel, toujours penché, attrapa sauvagement sa main à la volée. Donatello gémit lorsque sa carapace atterrit lourdement sur la poudreuse gelée. le jeune mutant impétueux destina un regard soulagé à ses deux petits frères, et, à sa demande, Michelangelo dénoua précautionneusement son nunchaku du ninjatō de Leonardo. Avant que la lame ne glisse dans la fissure qu'elle creusait toujours plus, le cadet saisit fermement le poignet de son aîné. La douleur aux lèvres, Leonardo retint un cri guttural ; ses muscles se déchiraient à une lenteur insupportable, et il était condamné à se laisser faire.

-« Accroche-toi, Léo. Je te tiens », lui murmura Raphael de sa voix éraillée.

Le mutant acerbe était fort, et usant de cette force, il fut capable de tirer Leonardo d'une main, éraflant sa carapace contre la paroi au passage. Les yeux rigoureusement clos et les dents serrées, cette tension arracha au jeune leader un profond grognement de douleur. De cette manière, Raphael l'amena jusque sur la poudreuse, où il l'y allongea pesamment. Essoufflé, le cadet se laissa tomber en avant, ne manquant pas d'écraser sa tête dans la fraîcheur de la neige. Le froid n'importait plus, et les minutes qui suivirent furent d'or, durant lesquelles les quatre mutants respiraient bruyamment et au rythme des battements de leur cœur, étendus les uns auprès de autres. Secrètement, chacun savourait la présence de ses frères autour de lui, mais Michelangelo ne pensait qu'à la peur qu'il avait éprouvé de les perdre. Tout ça à cause de son imprudence. Encore pantelant, Raphael tourna paresseusement la tête vers son benjamin, lequel baissa aussitôt les yeux, honteux de regarder pleinement son frère.

-« Bon sang Mikey… la prochaine fois que je veux faire une crise cardiaque je t'appelle dans la seconde », ironisa Raphael, le visage blanchi par la neige et le froid.

Surpris par ce ton bien trop agréable à son goût, Michelangelo plongea timidement son regard bleuté dans le sien. Un hoquet étranglé échappa sa gorge alors que Raphael, après lui avoir administré une claque derrière la tête, l'apaisa en collant sa joue contre la sienne.

-« Si tu refais ça, j'te promets que je t'étrangle. J'pourrais crever pour vous trois, mais y'a des limites », marmonna le mutant hargneux d'une voix rocailleuse.

Donatello et Leonardo échangèrent un regard confus, alors que Raphael serrait davantage leur petit frère, les paupières closes. Haussant les épaules, Donatello les rejoignit dans leur étreinte. Leonardo, quant à lui, secoua lentement la tête, un sourire au coin des lèvres, et il leva les yeux pour contempler le ciel cendreux qui pleurait les flocons de neige sur lui. « Moi aussi, je mourrais pour vous », pensa-t-il secrètement, tout en fermant ses yeux fatigués. Ainsi, plusieurs longues minutes s'écoulèrent quand soudain, une main palpa affectueusement son bras, l'obligeant à rouvrir ses yeux rougis par le froid. Le jeune leader tourna lentement la tête sur sa gauche, juste assez pour croiser le regard électrique de son cadet, mi-dissimulé derrière la tête ronde et globuleuse de Michelangelo. Entre ses bras, leur benjamin semblait consolé et endormi.

-« Ça va toi ? » chuchota Raphael.

Leonardo soupira, le regard évasif.

-« Je ne sais pas trop, admit-il dans un chuchotement semblable. Si Maître Splinter nous a envoyé en pèlerinage, ce n'est pas pour se disputer mais au contraire pour s'unifier. Et nous, on a complètement failli à cet objectif. On est négligents les uns envers les autres, mais surtout envers Mikey. Notre petit frère … et regarde où ça nous a conduits. »

Acquiesçant par un simple hochement de tête, Raphael demeura silencieux, si bien que Leonardo désespérait de recevoir une réponse. Aussi, pendant un moment qui paraissait interminable, le silence n'était brisé que par les hurlements du vent qui fouettait leurs visages balafrés et céladon. Néanmoins, après de longues minutes, le cadet entrouvrit finalement ses lèvres profondément gercées.

-« J'ai trouvé qu'on était plutôt unis tout à l'heure, pour le coup », rétorqua-t-il simplement, le regard perdu dans le ciel grisâtre.

-Peut-être, mais ça n'excuse rien, rétorqua Leonardo en murmurant. Ce qu'il s'est passé ne doit pas se reproduire, alors t'as intérêt à y mettre du tien.

-J'peux rien te promettre », s'amusa Raphael, un rictus au coin de ses lèvres violacées.

Curieusement amusé par ce comportement, Leonardo ne fit que secouer la tête, dépourvu de toute répartie. Aussi, il se contenta de jeter un œil sur sa droite : Donatello semblait lui aussi profondément endormi, bien malgré le froid abominable qui faisait rage. Refusant de mettre ses frères en réel danger d'hypothermie, le jeune leader se redressa sans lâcher son bras endolori, lequel lui arracha un gémissement mêlé de fatigue et de souffrance.

-« Je suis désolé pour ton bras, grommela Raphael. Je suis le plus fort, donc c'est moi qui aurais dû vous soutenir, pas toi. Je n'ai pas réfléchi. »

Posant une douce main sur la joue dévorée par le froid de Michelangelo, l'aîné plongea son regard rempli de tendresse et de quiétude dans celui de son cadet.

-« Si tu avais réfléchi, Mikey serait peut-être mort à l'heure qu'il est. Tu l'as sauvé, et tu n'as pas à t'excuser pour ça. »

Pour compléter ses paroles réconfortantes, Leonardo dériva sa main glacée sur une des pommettes meurtries de Raphael.

-« Et puis, tu t'es plutôt bien débrouillé pour donner les ordres. »

Raphael esquissa un faible sourire, bien que fuyant les yeux envoûtants et myosotis de son frère. Brusquement, Donatello décolla spasmodiquement ses paupières, puis il rabattit ses lunettes thermo-scanner sur ses yeux vert-ambré. La température corporelle de ses frères était affreusement basse, n'excédant pas les 86°F.

-« L'hypothermie approche les frangins, et comme je n'ai pas encore envie d'hiberner, je suggère qu'on rentre à la cabane pour se réchauffer », chuchota-t-il entre une dizaine de claquements de dents.

Dans un rire accordé, les aînés se mirent d'accord pour réveiller leur benjamin, de la manière la plus tendre possible. S'ils voulaient éviter une nouvelle fugue de ce genre, il ne suffisait pas de dire à Michelangelo qu'ils ne le négligeraient plus, il fallait le lui prouver. Les rayons du soleil avait complètement fondus derrière le brouillard neigeux, pourtant, ensemble, ils n'eurent aucun mal à retrouver leur abri. Ensemble, rien n'était impossible.