Chapitre I – Adrian

Dean était énervé. Il était même terriblement énervé. Il avait hurlé des insultes qu'il avait rarement eu le cran d'utiliser auparavant, gesticulé comme un diable et avait même fini par lancer ses clés de voiture au visage de son frère qui les avait ramassées au sol avant de quitter la pièce, la joue en sang. Alors, les doutes l'assaillirent ; et si c'était Sam qui avait raison, comme d'habitude ? Puis ce fut au tour des regrets de s'insinuer petit à petit dans sa tête. Il y était allé drôlement fort sur ce coup… Merde, c'était quand même son frère après tout ! Et puis depuis quand se mettait-il autant en rogne pour des broutilles pareilles ?

-Tout ça pour une fille que j'ai rencontrée hier soir… marmonna-t-il dans sa barbe de trois jours.

Il décida de ne pas appeler son frère tout de suite ; au mieux Sam ne décrocherait pas au téléphone, au pire il lui hurlerait des insanités. Pour s'occuper, il alluma la télévision mais les programmes étaient inintéressants et il n'arrivait pas à chasser la dispute de sa tête. Il essaya alors de se détendre en sirotant une bière ou deux tout en surfant sur l'Internet. A peine fut-il en ligne qu'une petite voix à la sonorité électronique lui annonça qu'il avait reçu des e-mails. Il cliqua sans réfléchir sur la fenêtre qui était apparue en bas à droite de l'écran et fut redirigé vers la boîte de réception de Sam. Un vague soupçon de culpabilité le traversa mais la curiosité fut plus forte. Il y avait quatre nouveaux e-mails ; les trois premiers étaient sans aucun intérêt (de la publicité et des spasmes, lui avait un jour expliqué Sam) mais le dernier retint son attention.

-Tu ne peux pas m'ignorer éternellement…

Dean venait de lire l'objet de l'e-mail à voix haute. De plus en plus intrigué, il cliqua après avoir jeté un coup d'œil vers la fenêtre pour s'assurer que Sam ne revenait pas et le message s'afficha.

'Sam, qu'est-ce qu'il faut que je fasse pour que tu daignes enfin me répondre ? Que je te supplie, que j'implore ? Je suis tellement désespéré que je pourrais le faire, tu sais. Cela fait des mois que tu m'ignores alors que j'ai besoin de toi. Aujourd'hui plus que jamais.

Je sais que la dernière fois que nous nous sommes vus, cela a été aussi difficile pour toi que pour moi, voire même plus. Mais il est temps d'avancer, tu ne crois pas ?

J'espère que tu reviendras à la raison… Tu as mon adresse e-mail et mon numéro de téléphone.

Tu me manques,

Adrian.'

Dean sut immédiatement qu'il n'aurait jamais du lire ce message. Il ne savait pas du tout qui était cet Adrian et ce qu'il représentait pour son frère mais une chose était sûre : il brûlait d'en découvrir d'avantage, désormais. Cependant, il savait qu'il ne pourrait pas en parler à Sam sans lui avouer qu'il avait fouiné dans ses e-mails. Quelques heures auparavant, cela ne l'aurait pas dérangé outre mesure mais après leur altercation, il savait qu'il lui fallait filer droit.

Dans un soupir, il regarda sa montre. Cela faisait plus de quatre heures que Sam était parti et Dean commençait tout doucement à s'inquiéter. D'autant plus qu'il conduit l'Impala… ne put-il s'empêcher de penser avant d'éprouver un énorme sentiment de honte. Il sortit son téléphone de sa poche et composa le numéro de Sam. Il raccrocha quelques secondes plus tard en entendant le ronronnement particulier du moteur de sa voiture adorée.

Il rabaissa la façade de l'ordinateur et s'installa sur son lit, tâchant d'adopter la pose la plus nonchalante et décontractée possible. Il s'ébouriffa même les cheveux pour faire comme s'il s'était endormi tout en étant persuadé que son frère ne serait pas dupe.

La seconde d'après, Sam tournait la poignée de porte et apparut sur le seuil de la chambre. Il posa les clés de la voiture sur le petit bureau qui tenait debout par pur miracle tout en prenant bien soin de ne pas regarder son frère. Il lui adressa néanmoins la parole et Dean sentit les efforts qu'il devait faire pour se contenir.

-J'aimerais qu'on parte de cet endroit.

Dean s'apprêtait à objecter. Ils ne pouvaient décemment pas partir de cette ville sans avoir réglé le problème de l'esprit qui s'attaquait à tous les malheureux qui s'aventuraient près de la rivière les vendredi soirs. Au dernier moment, il se reprit. Si son frère voulait s'en aller, ils s'en iraient. Ils pourraient toujours s'arranger avec Bobby pour qu'une de ses connaissances vienne finir le travail à leur place.

-T'as raison, mec ! Cette chambre me file la trouille, à moi aussi ! lança-t-il dans une vaine tentative d'humour en montrant la chambre d'un vaste geste de la main.

Sam resta silencieux. Il ouvrit son portable et fut surpris de le trouver sous tension.

-Si tu l'as encore bloqué sur un site porno…

-J'ai rien détraqué, c'est promis !

Sam haussa les épaules puis alla jeter un œil à sa boite de réception, comme il le faisait systématiquement à chaque fois qu'il allumait son ordinateur. Un seul coup d'œil lui suffit à voir que son frère était passé par là.

-T'as lu mes e-mails, j'y crois pas…

-Je te jure que non ! répondit Dean en essayant de prendre une voix outrée.

-Je ne l'ai pas lu et il n'est plus affiché en gras, ne me prends pas pour un con ! répliqua Sam

Dean comprit que s'obstiner à mentir ne lui servirait à rien et ne pouvait qu'empirer la situation.

-Oui, j'en ai lu un… J'ai pas pu m'en empêcher, quand la petite voix a parlé et…

-Tais-toi ! lui ordonna Sam.

Il n'avait déjà pas bonne mine en revenant dans la chambre mais au fur et à mesure qu'il lisait le message, son visage prit une teinte livide effrayante. Le message en lui-même aurait suffi à le mettre mal à l'aise en temps normal mais le fait que son frère l'ait lu rendait la chose tout simplement insupportable. Il se leva brusquement et envoya l'ordinateur bouler contre le mur de l'autre côté de la pièce. L'appareil se décomposa en une multitude de petits morceaux sous la violence du choc.

Dean se leva et esquissa un geste vers son frère afin d'essayer de le calmer mais le regard noir que lui jeta Sam le dissuada d'avancer plus. Sans un mot, Sam se dirigea vers la salle de bain et claqua la porte dont l'encadrement se fissura sur toute sa longueur. Dean fut soudainement très soulagé que son frère n'ait pas passé sa colère sur lui. Et pourtant, dans un sens, il aurait préféré ; la douleur physique lui aurait peut-être permis de se sentir moins minable, moins fautif, moins monstrueux…

Il posa la main sur la porte, envisageant un instant d'entrer le rejoindre. Il décida finalement de laisser à son frère le temps de se défaire de son trop-plein d'émotions tout en espérant vivement que cette décision ne reflétait pas une quelconque lâcheté de sa part. Il resta planté là pendant un temps incroyablement long, sursautant à chaque fois que Sam frappait, lançait ou brisait quelque chose.