Chapitre 1
Point de vue d'Alice
Le 24 avril 2009…
Dans une salle de classe…
La chaleur de l'été m'étouffe dans la salle de français. Je n'ai aucune idée de la température qu'il fait dans ce collège mais même avec les fenêtres ouvertes, j'ai du mal à rester sur ma chaise.
En général, les premières chaleurs arrivent tôt puis la météo se dégrade mais à Paris non, la météo n'a pas décidé ce choix-là pour cette année.
Ce collège retient un peu trop bien la chaleur je trouve et mon avis est partagé par l'ensemble de la classe. Nous ne sommes qu'au mois d'avril, qu'est-ce que ce sera en juin ou juillet.
Je suis en cours de français avec une prof absolument géniale. La troisième est la seule année du collège que j'ai apprécié, pas parce que c'est la dernière année mais ma classe est super. Les gens sont gentils, solidaires et l'ambiance est super, quant aux profs, ils sont vraiment bien. Celui que je préfère c'est ma prof de français, elle est habillée différemment des autres. Les tailleurs ne sont pas du tout son truc du tout mais les vêtements amples et colorés oui. En plus, elle n'habite qu'à quelques rues de chez moi. D'ailleurs, elle n'hésite pas à nous « afficher » de temps en temps, elle a beaucoup d'humour. Une fois en plein cours, on travaillait sur la pièce « Roméo et Juliette » mais sans que je sache ni ne comprenne pourquoi, elle s'arrête et me regarde pour me dire quelque chose : « Mais je t'ai vu hier soir avec ta maman, je faisais mon jogging »
« Oui » dis-je un peu surprise, effectivement c'est vrai.
« Je courais et puis j'ai vu Alice avec sa maman » explique t-elle à la classe.
« Elle n'arrivait pas à suivre votre rythme madame » lance Clément.
Cette semaine, nous choisissons notre stage de troisième pour finir l'année. La prof a choisi de nous faire faire ce stage soit dans des studios télé, radio ou au théâtre. Évidemment, Paris regorge de ce genre de chose, avantages de la ville. La prof a fait des demandes dans tous les studios télé, radio et les théâtres de Paris et les trois quarts ont accepté.
Je crois que le seul stage de théâtre va être pour moi. C'est la seule prof du collège à m'encourager dans ce que je veux faire, c'est-à-dire l'humour. Je ne fais pas spécialement rire la classe, ça je laisse deux garçons de ma classe le faire. Ils adorent rire et, en cours de français, ils nous font partager leurs délires personnels. L'ensemble de la classe se soutien à ce niveau-là et étant donné qu'ils savent tous que je veux faire rire les gens, ils m'encouragent aussi. Parfois, ces deux-là m'entraînent dans leurs fous rires, résultat garanti à la fin de l'heure de cours.
La prof termine de distribuer les feuilles avec le stage que l'on doit effectuer et nos noms dessus. C'est elle qui a choisi les lieux. Elle a aussi choisi des musées, des associations en plus du reste. Cette prof adore le théâtre. Elle nous a avoué qu'elle faisait partie d'une petite troupe de théâtre locale et que la troupe jouait une pièce en ce moment mais qu'il leur manque un lieu où jouer. Elle nous fait apprendre des textes classiques ou plus modernes. Elle dit que ça nous fait travailler la mémoire, notre timidité et notre culture. Cela tombe très bien pour moi, ça m'aidera pour plus tard.
Ma voisine me fait signe de son mal être à cause de la chaleur avec son éventail fait avec une feuille de papier. Elle est apparemment tombée sur un studio télé à l'autre bout de Paris mais vu son sourire, je pense qu'elle est satisfaite du choix de la prof.
« Votre stage dure trois jours et commence demain » nous rappel, la prof passe en passant dans les rangs et en donnant nos feuilles.
Où vais-je aller durant trois jours ? J'espère être prise pour aller dans des studios télé.
L'envers du décor des plateaux de télévision m'intéresse beaucoup. Je n'ai jamais eu l'occasion de les découvrir alors avec ce stage, ce sera une chance. Le théâtre sera plus bénéfique pour moi étant donné que j'aimerai travailler dans ce milieu.
Dans la classe, je vois des visages heureux, d'autres plus calmes car le stage ne correspond peut-être pas à leur envie mais c'est justement l'occasion d'essayer autre chose comme dirait la prof.
La prof passe près de moi et me donne ma feuille en même temps qu'une autre élève.
« N'oubliez pas, votre rapport de stage que je veux sur mon bureau la semaine prochaine. Il sera noté avec l'oral que vous passerez » dit la prof sérieusement.
En découvrant la feuille, je découvre que mon stage va se dérouler dans un petit théâtre que je ne connais pas.
La sonnerie annonce la fin des cours et je vais voir la prof. En regardant ma feuille, c'est un humoriste que je vais voir. Celui-ci fait de l'humour noir. Je dis à la prof que je ne le connais pas et je lui demande de m'indiquer le théâtre. La prof me sourit puis m'assure que ce stage va me plaire. Même en lui faisant par de mes inquiétudes, elle me rassure et affirme que ça va m'apporter quelque chose d'important. Je fais confiance à ma prof, si elle dit que tout se passera bien alors, je quitte le collège plutôt confiante.
Puis un peu plus tard dans les rues de Paris.
Étant donné qu'aujourd'hui, il fait très beau, j'en profite pour flâner dans les rues de Paris.
Je dois repérer les lieux de mon stage. La prof a dessiné un petit plan sur un papier, en plus de ma feuille de stage avec l'adresse du théâtre dessus.
C'est avec la musique, dans les oreilles que je marche dans les rues du 11ème arrondissement sans vraiment me soucier des minutes qui s'écoulent. De temps en temps, je me repère avec le papier que m'a donné ma prof et je suis sur le bon chemin.
Sauf qu'en passant devant un tout petit théâtre, une affiche attire mon attention ainsi que le nom de l'humoriste que je dois rencontrer. Je suis une fan d'humour et mon projet d'entrer dans ce milieu commence à se concrétiser dans ma tête. Je me dis qu'à ma majorité ou un peu avant si j'ai de la chance, mon souhait sera sûrement exaucé. Je pourrais jouer dans une petite salle.
L'entrée du théâtre est vide, même le guichet est fermé à clef, à croire qu'il n'y a personne. Pourtant d'après ma montre, il est 17h, il me semble qu'il y a un peu de vie dans les théâtres à cette heure-ci. Quelques affiches sont collées aux murs et je reconnais celle que j'ai vue de l'extérieur. Le tampon « Cet homme va trop loin » m'avait échappé et c'est écrit en plus petit : « Attention humour noir ». Un jeune humoriste y est représenté sur le côté et son visage est très mignon. Un coup d'œil à ma feuille de stage et effectivement, c'est bien lui, Jérémy Ferrari.
Je suis étonnée qu'il n'y ait personne dans la salle. Il doit jouer dans deux heures d'après ma montre et l'heure indiquée sur un coin de l'affiche. Pourtant, il n'y a personne.
Pour mon stage, j'ai eu l'idée de faire une interview puis durant l'oral devant les profs j'expliquerai l'entretien et l'expérience que ce stage m'aura apporté.
Les sièges sont vides. Sur l'un d'entre eux, un pull bleu marine en coton est resté là, sans que personne ne vienne le récupérer, c'est sûrement celui de l'humoriste. Sur la scène, il n'y a qu'une petite table avec trois livres et une bouteille d'eau, une chaise et une autre table blanche.
La première remarque qui me vient à l'esprit, c'est comment Jérémy, c'est son prénom, fait pour gérer cette pression et l'angoisse constante de jouer devant quelques personnes. Je ne veux pas être pessimiste, mais euh il n'y absolument personne ici et le théâtre est ancien. Pourtant il y a beaucoup de théâtres dans le 11ème arrondissement. Ma prof m'a quand même expliqué que Jérémy avait beaucoup de mal à démarrer dans le métier, j'ai au moins quelques informations sur lui. Je n'ose pas lui dire lors de l'interview que je ne le connais pas du tout et que ce stage dans ce théâtre n'est pas un choix personnel mais celui de ma prof. Si je lui dis ça, ce n'est pas poli.
Je serais gênée donc le minimum est de me renseigner sur la personne. C'est la déception de jouer devant quatre ou cinq personnes qui m'intrigue le plus. J'imagine que ça doit être terrible à vivre et à faire. Jamais je ne pourrais le faire. Même avec toute ma volonté, cela serait vraiment impossible. Quant ma prof m'a dit ça, j'ai été très surprise, voire un peu « choquée ». Jérémy n'a pas l'air accablé. J'en conclus que ce métier doit vraiment lui tenir à cœur.
D'un côté, personne ne peut éprouver ce que lui peut éprouver. Ses émotions doivent être spéciales. J'avoue avoir de la peine d'un coup, sans le connaître, je me sens « mal ».
Si j'étais à sa place, quelle serait ma réaction ? Aucune réponse de concrète ne me vient à l'esprit. Je n'ai que 14 ans, mais quand même je peux essayer de comprendre. Et quand je pense à Jérémy, qui doit regarder la salle derrière le rideau tous les soirs, je n'ose imaginer son angoisse.
Chaque minute qui passe avant sa représentation à espérer que quelqu'un franchisse le pas de ce petit théâtre et se renseigne auprès de lui doit être difficile. Dans ces moments-là, mon côté « pas sûr de moi » a le dessus. À mon avis, celui de Jérémy aussi.
Rien que d'y penser j'en ai des frissons et j'éprouve de la peine pour lui.
Toutefois, je me dirige vers la scène et je ne peux m'empêcher de jeter un coup d'œil aux livres posés sur la table. Comme il n'y a personne, j'en profite pour tourner les pages. Ce sont des textes sacrés : la Bible, le Coran et la Thora. Le spectacle de Jérémy parle de la religion. Je suis assez surprise de son audacieuse idée à traiter ce thème si délicat et si tabou de nos jours.
Un mélange d'intrigue et de curiosité m'envahit. Tout ou presque est surligné, pleins de phrases que je survole à travers les pages et qui sont, je dois dire incroyable. Je n'ai pas le temps de tout lire, c'est dommage, j'y passerai des heures ici. Après tout, pourquoi ne pas traiter du sujet de la religion sur scène. Ah le fameux débat de « Peut-on rire de tout ? » toute une histoire. Ma prof de français nous en parle de temps en temps.
D'après son affiche, il fait de l'humour noir et avec un sujet pareil, il doit y mettre des messages forts. Je suis curieuse de voir ce que ça donne sur scène, peut-être aurais-je l'occasion de le découvrir pendant mon stage ou sûrement plus tard.
Jamais je n'aurais pensé que de jeunes humoristes galéraient autant. Il doit avoir 24 ans à peine, d'après l'affiche. Enfin, j'espère que le théâtre est vide pour une « raison » valable, sinon je ne comprends plus rien. Les gens ont du second degré, non ?
Je ne connais pas bien l'humour noir donc je ne peux pas tellement donner mon avis. Je ne connais que les blagues noires sur les allemands, ce genre là n'est pas très fin je suis d'accord. Mais une amie me les raconte bien alors j'accroche.
Jamais je n'ai eu l'occasion de voir un sketch ou quoi que ce soit sur des sujets délicats. Ou alors brièvement, en tout cas, pas un sketch qui m'ait marqué sinon je m'en serais souvenu.
Peut-être que je serais déjà venue voir Jérémy dans cette petite salle, c'est une possibilité.
J'aurais pu lui donner un avis positif sur son spectacle et ça lui aurait fait plaisir. Un peu de soutien ne fait pas de mal. D'ailleurs, je me demande qu'elle aurait été sa réaction. Je repose les livres religieux sur la petite table.
Des bruits de pas me font sursauter et me donne une raison de plus pour partir du théâtre. Je me dirige en courant vers la sortie en espérant que cette personne ne m'est pas vue. Un rapide coup d'œil, discret bien sûr, me donne une vision du jeune humoriste que j'ai vu sur l'affiche.
Cachée dans le hall, derrière la porte de la salle, je n'ose pas me montrer, j'avoue je suis très timide mais je ne veux pas que Jérémy pense que je suis entrée là comme ça.
Je n'ose pas bouger de ma « cachette » de peur que Jérémy prenne mal le fait que je sois là.
Cette situation paraît ridicule.
Seulement, une personne entre dans le hall, juste devant moi se présente une jeune femme blonde. Elle me regarde avec une bienveillance en ce demandant ce que je fais là. Moi aussi pour le coup. Je ne sais même pas quoi lui dire pour justifier ma présence ici. Ma timidité m'empêche de dire le moindre mot et je me sens ridicule. Elle a l'air gentille et moi je n'ose pas bouger.
Je lui tends mon papier pour qu'elle ait une explication de ma présence dans ce théâtre dans un coin de Paris. Elle me sourit, me dit d'attendre et entre dans la salle. Je n'ose pas la regarder tellement j'ai peur de sa réaction et de celle de Jérémy.
C'est sans doute ma faute, je n'aurais pas dû entrer dans ce théâtre vide sans attendre quelqu'un dehors. À présent j'hésite à partir, mais ce n'est pas poli et puis cela ne se fait pas. J'ai peur mais je reste là comme on me l'a demandé. Après tout, je suis juste venue repérer les lieux.
Après cinq minutes, elle revient avec Jérémy. Mon visage devient rouge, comme si la chaleur de ce mois d'avril ne suffisait pas il faut que je sois gênée devant lui. Je n'ose pas le regarder non plus hé bien, ma prof de français avait raison, ce stage va me plaire. Qu'est-ce que je vais lui dire ? Alors, comme avec la jeune femme, je tends le papier de mon stage à Jérémy afin qu'il sache pourquoi une fille de 14 ans est là. Comme il y a cinq minutes, je me sens toute aussi ridicule.
Jérémy ne s'attendait pas à cette réaction, en même temps il est étonné de voir une collégienne.
Il regarde le papier et me sourit. De mémoire, j'ai écrit quelques questions sur le papier au crayon gris. Il doit sourire à cause de ça. Mes questions sont « banales ». Je les ai écrites rapidement ce midi, si jamais mon stage devait se passer dans un théâtre. Je pense lui dire la vérité, sur le pourquoi, je suis là pendant l'interview car je me vois très mal lui dire autre chose. Dire à Jérémy que je suis là pour le plaisir serait une erreur car je ne le connais pas. Quoique lui mentir aussi. Donc ma seule solution est d'être sincère.
Jérémy me fait signe d'entrer mais en regardant derrière moi, la jeune femme n'est plus là. J'entre donc timidement dans le théâtre. Les lieux me sont familiers vu que j'y suis entrée dix minutes auparavant. Jérémy est près de la scène, moi au milieu de la salle. Décidément, ma timidité est grande et je me sens gênée.
Finalement c'est lui qui prend la parole et non moi, pourtant j'aurai dû le faire.
« Tu t'intéresses au théâtre ? » me demande t-il avec un mince sourire.
« Oui, c'est ma prof de français qui m'a proposé ce stage. Elle sait que le théâtre m'intéresse beaucoup » dis-je timidement.
« C'est gentil à toi de venir ici »
« J'aimerais faire du théâtre plus tard alors l'occasion était donnée. Et puis en lisant ton nom, je me suis souvenue que ma prof me parlait de toi »
« Oh, c'est vrai ? »
« Ouais, elle apprécie ton humour et comme elle m'a parlé de toi, je connais un peu ton parcours. Seulement, je n'y connais pas grand-chose en humour noir, voire rien » dis-je un peu gênée.
« Tu t'es renseignée pour quelqu'un qui ne me connaît pas. Ce n'est pas grave, je vais t'expliquer pendant ton stage de trois jours ».
« Il faut bien, sinon ça craint. Je ne me serais pas permis de venir sans te connaître un minimum » dis-je avec un mince sourire avant de rajouter plus sérieusement « Oh et bien j'ai trois jours pour apprendre ce qu'est l'humour noir »
Jérémy me regarde un peu surprit car apparemment pas grand monde n'a pris la peine de creuser un peu son univers et son parcours différent des autres. J'ai l'impression d'être l'une des seules. Pourtant, il joue depuis de nombreuses années et devant des gens donc la conclusion est déjà faite. Il a l'habitude d'avoir des avis. D'un côté, il me semble logique de me renseigner sur l'artiste avant d'aller voir un concert ou une pièce ou un humoriste. Mon stage me permet de le faire, de façon plus « professionnelle », on va dire ça de cette manière. Vu que je connais très peu Jérémy, j'en apprends aussi.
« Euh, je suis Alice » dis-je « J'ai oublié de me présenter » ajoutais-je en lui serrant la main.
« Jérémy Ferrari »
« Je sais » dis-je avec un mince sourire
« Ah, oui tu me connais un peu »
« Oh, le minimum »
« Je n'ai jamais eu de stagiaire alors n'hésite pas à me reprendre si jamais ce n'est pas assez clair »
« Oh, j'ai pensé à une interview pour présenter mon stage. C'est une bonne idée ? Vu que je ne te connais pas beaucoup, ça m'aiderait sûrement »
« Pourquoi pas, je serai ravie de répondre à tes questions »
« Super » dis-je enthousiaste. « Je te promets de réfléchir à une liste de questions d'ici demain »
« Ne t'inquiète pas pour ça. C'est déjà gentil de venir dans le théâtre où je joue »
« Personne ne vient ? » demandais-je surprise.
« C'est rare que mes salles soient remplies »
« C'est comme ça souvent ? » dis-je en regardant chaque coin de la salle depuis la scène.
« Oui » dit-il tristement « J'en ai l'habitude maintenant »
« Mais j'ai une meilleure idée pour ce soir, après le spectacle tu vas venir me rejoindre dans le café juste en face du théâtre, on discutera tranquillement »
Les mots concernant la période difficile de Jérémy que m'a racontée ma prof de français me reviennent en mémoire. Elle m'avait raconté une partie de son histoire. Peut-être qu'il ne souhaite pas discuter de cette période dans mon entretien ? Je ne veux pas le forcer à en parler s'il ne le souhaite pas. Quelques questions me viennent en tête, hormis les classiques : pourquoi avoir choisit ce métier ? Pourquoi l'humour noir ? Pourquoi la religion ? et d'autres.
Mais surtout, quel a été le déclic de tout plaquer pour faire ce que tu aimes le plus ?
« Il y a une discussion souvent après la représentation, tu vas venir et écouter »
« On t'a déjà tendu la main ? »
« Comment ça ? »
« Je sais pas, aller dans des cafés théâtres, faire en sorte que tu sois un peu plus connu ou apprendre à te connaître »
Jérémy me sourit. « C'est compliqué »
« Je suis un peu trop curieuse » dis-je timidement « Désolée ».
« Tu n'as pas à l'être » dit-il en rangeant ses livres. « Tu comprendras mon univers pendant ce stage » me dit-il avec un clin d'œil.
« C'est mon objectif » dis-je en le regardant déplacer sa chaise.
« J'espère que tu ne seras pas déçue »
« Pourquoi veux-tu que je le sois ? »
À présent, je vois dans les yeux de Jérémy une marque de confiance. J'espère en apprendre plus sur lui grâce à ce stage dans ce petit théâtre. Ma prof de français ne m'en a parlé que vaguement mais je veux me rendre compte de ce qu'il va me raconter de son parcours afin de le comprendre.
Si ma prof m'a envoyé ici, c'est pour une raison bien précise. Elle veut que je comprenne que le milieu de l'humour est difficile ? Que les rêves sont réalisables et pas seulement imaginaires ? Que même avec toute la volonté et la bienveillance du monde, un rêve peut être très difficile à atteindre ? Je dis toujours que le hasard ne fait jamais les choses à moitié car s'il doit arriver quelque chose, cet événement a une signification. On dit qu'il faut apprendre de nos échecs, j'ai des difficultés à le faire.
« Pose moi tes questions maintenant » me dit-il avec un clin d'oeil.
1) La première fois qu'on t'as demandé un autographe, qu'est-ce que ça t'as fait ?
« Je ne peux pas te le dire car ça ne m'est pas encore arrivé » dit-il en riant. « J'aimerais bien si le succès arrive un jour, c'est une belle marque de reconnaissance »
2) Le jour où tu signeras un autographe tu penses régir comment ?
« Le jour où un fan m'en demande un, ça me ferait très plaisir, c'est touchant. Parfois des gens viennent me dire que le spectacle leur a plu mais ça en reste là. J'aime bien discuter après le spectacle pour ceux qui veulent dans un café pas loin du théâtre. Ils peuvent soit me poser des questions ou simplement me donner leur avis sur le spectacle »
3) Si une émission pouvait t'aider à avoir un public plus large tu y participerais ?
« Tout dépend du concept. Du moment que j'ai une totale liberté d'expression et carte blanche oui j'accepte, sinon non. Je n'ai aucune proposition à la télé ou à la radio si c'est ce que tu me demande. Toute la communication, je l'a fait sur Internet mais ça reste minime par rapport aux affiches que tu peux voir dans la rue. Je ne déformerai pas mes propos pour me donner une image. Soit on me prend comme je suis ou l'on ne me prend pas. Dans tout ce que je raconte sur scène, je suis honnête et ce métier est vraiment un rêve pour moi. Tout ce que j'espère c'est qu'il dure » me dit-il avec un sourire timide sur ses derniers mots.
4) Raconte- moi quel a été le déclic pour monter sur scène ?
« Déjà, je ne me voyais pas faire autre chose que du théâtre. J'ai arrêté l'école à 16 ans parce que ça ne me plaisait pas du tout et il n'y avait que sur scène où je me sentais moi-même.
J'aime vraiment ce que je fais. Ce métier est très difficile et je le fais du mieux que je peux et avec du cœur. Ensuite, les gens m'aiment ou non, mais je ne regrette absolument rien de ce que je dis. »
5) Pourquoi avoir choisit le thème de la religion ?
« La religion est un sujet très sensible, c'est en partie pour cette raison que j'ai décidé d'écrire sur ce thème. Je m'intéresse à tout. Même ayant arrêté l'école à 16 ans, j'ai forgé ma propre culture personnelle, grâce à la philosophie. Beaucoup de choses ramenaient à la religion lors de mes lectures alors j'ai eu l'idée d'apporter les textes sacrés sur scène. En tout cas, on ne peut pas me reprocher de ne pas m'investir dans mon spectacle. J'ai lu le Coran, la Bible et la Thora il faut oser apporter les textes sur scène et j'ai fait beaucoup de recherches en parallèle. »
6) Pourquoi le titre « Allelujah bordel » ?
Si on analyse, « Allelujia » c'est pour le côté sacré du spectacle et « bordel » parce que je mets du bazar dedans. Mais pour l'anecdote, c'est un journaliste qui a trouvé ce titre. Il est venu me voir à la fin du spectacle pour me dire qu'il avait beaucoup aimé et j'ai lu l'article deux jours plus tard, ça m'a touché. Ça correspondait à un sketch de mon ancien spectacle sur la religion, que j'ai gardé pour Allelujah bordel qui avait marqué ce journaliste. Le titre correspondait très bien.
Quelques heures plus tard dans un café à côté du théâtre…
« Durant mon stage, j'ai appris beaucoup de choses sur le métier de la scène. Jérémy m'a montré et expliqué sa détermination, sa volonté et son envie de faire rire les gens chaque soir. J'ai ainsi vu l'envers du décor de ce métier difficile mais tellement enrichissant. On peut avoir un avis, favorable ou non sur un artiste car on ne voit que l'image publique qu'il représente.
Chez Jérémy, il y a une vraie sincérité et c'est ce qui m'a marqué durant ce stage, il ose dire les choses sur scène, peut être ce que des gens pensent tout bas il le dit. C'est une forme de courage pour moi. Ce n'est pas facile et pourtant il remplie très bien ce rôle-là. Je ne connaissais pas beaucoup d'humoriste comme lui, je dirais même aucun. Jérémy m'a prouvé le contraire, qu'avec un visage de poupin il était possible de faire passer des messages important à ses yeux et c'est très agréable. ».
Voilà la première trace écrite de mon rapport de stage que j'ai rédigé. Je suis dans le café dont Jérémy m'a parlé depuis une heure, situé à quelques mètres seulement du théâtre où il joue.
Non que je sois trop jeune pour rester dans la salle mais le stage stipule que je ne dois pas rester trop longtemps sur le lieu du stage. Jérémy doit terminer d'ici quinze minutes, je profite d'avoir un peu d'avance pour boire une boisson fraîche.
Je continue mon rapport de stage: « Jérémy a un parcours atypique, ses galères l'ont malmenées mais tout de même aidé dans un sens à poursuivre son désir de faire ce qu'il aime le plus. Il a choisi un sujet sensible et pas évident à traiter sur scène : la religion. Ce sujet est délicat dans notre Société mais important.
Lorsque je suis arrivée dans le théâtre, les sièges étaient vides et il n'y avait personne. Au début, j'avais peur car je venais juste repérer les lieux pour le stage. Finalement, j'ai décidé de commencer le stage un jour en avance et je ne le regrette pas.
À la fin de ce stage, je me suis rendu compte qu'il ne faut pas se fier aux apparences et que Jérémy est une belle personne. Une belle découverte qui va devenir connue d'ici, je l'espère, quelque temps. Il m'a appris à ne jamais abandonner un rêve, même si l'on est sujet à de nombreuses critiques. »
Je pense que c'est un bon début pour ma présentation. Je regarde ma feuille, plutôt satisfaite de mon travail. Mes impressions me seront utiles pour la suite. A présent, je jette un coup d'œil à ma liste de questions que je vais poser à Jérémy en fin de la soirée.
La pression monte un peu, même si je l'ai vu durant trois jours, mes questions sont un peu personnelles en quelque sorte elles portent sur son parcours. Ma prof de français m'avait raconté certaines choses, mais j'ai envie d'en savoir un peu plus sur Jérémy en lui demandant directement. J'avoue, ma curiosité joue un peu. Maintenant que je le connais un peu, j'ai envie de m'intéresser à son travail en allant le voir sur scène plus tard.
Jérémy arrive enfin, suivit de quinze personnes, venues sans doute participer au débat qu'il organise de temps en temps. Il me sourit en me voyant au fond du café.
Je me sens toute petite avec toutes mes affaires éparpillées sur la table. Je me dépêche de les ranger quand quelques personnes viennent s'installer à côté de moi.
Au fur et à mesure des questions et des impressions, j'ai envie de me cacher sous la table car je me demande ce que je fais là.
Mais les questions des gens m'intéresse. Pourquoi un sujet si délicat ? Tu n'as pas peur quand tu sors du théâtre le soir ? Tu as déjà eu des menaces par des gens qui prenaient mal tes propos ?
Tu as lu la Bible en combien de temps ? Et d'autres questions un peu farfelues.
Je regarde Jérémy de temps en temps. Il semble vraiment s'intéressé au sujet de la religion et cela se voit sur son visage.
Le débat m'a appris des choses que j'ignorais des textes sacrés et je pense que je n'ai pas finit d'en apprendre sur Jérémy.
Vient la fin de la soirée, Jérémy me raccompagne dehors et me souhaite bonne chance pour la suite. C'est difficile d'imaginer que sans ce stage, je n'aurais sans doute jamais connu Jérémy.
Que je serais passé à côté d'un talent, une découverte et pourquoi pas un coup de coeur d'ici quelques temps ? Sans ce stage, je ne l'aurais pas cru et sans les informations de ma prof non plus. Soit j'aurais découverts Jérémy seule et par hasard dans quelques années sur Internet ou à la télé.
N'y connaissant presque rien en humour noir, était-ce une idée de ma prof de me donner u stage dans un théâtre avec Jérémy ? D'un côté oui car il a de vrais messages à faire passer, l'opportunité de changer les mentalités. Ce n'est pas négligeable. Le parcours de Jérémy est atypique et très intéressant. Ses paroles me captivent, il sait très bien expliquer ses galères et il croit dure comme fer qu'on va entendre parler de lui bientôt. Je le le suis souhaite. Il mérité tant ce succès et Jérémy est quelqu'un qui ose dire des choses qui lui tiennent à coeur. Presque rien que pour ces raisons-là, il devrait être entendu par les médias.
En tout cas, ce stage m'aura ouvert les yeux sur pas mal de choses: apprendre à connaître quelqu'un, ne pas hésiter à aller dans les petits théâtres et ne pas se fier aux apparences cae derrière le joli visage de Jérémy il y a un petit diable qui ne demande qu'à être reconnu à sa juste valeur.
