J'étais assise…
J'étais assise contre la balustrade du bar…
J'étais assise, contre la balustrade du bar, mes cheveux broussailleux détachés, dispersés en une cascade désordonnée sur mes épaules frêles qui tremblaient s'en que je ne me rende compte des soubresauts qui me parcouraient le corps à cause des courants qui provenaient de la porte entrouverte.
Je me rappelle que j'étais exceptionnellement sobre ce jour-là… Sans doute pour mieux ressentir la douleur intense qui déchirait mon corps et lacérait mon âme… Mes yeux étaient mi-clos et ma tête semblant lourde, pendait lamentablement sur le côté en une position curieuse. Mes lèvres rêches, étaient elles aussi entrouvertes, laissant couler un mince filet de bave qui humidifia ma lèvre inférieure m'incitant ainsi à y joindre ma lèvre supérieure afin de l'humidifier.
Je ne pus m'empêcher de ricaner amèrement et aigrement face à la déchéance momentanée dans laquelle j'étais tombée sans vraiment avoir conscience du chemin tortueux et sinueux qui m'avait mené à ce point pitoyable de ma vie… ou de mon absence de vie…
Et ce bar, aussi miteux soit-il, pouvait bien attester de cela.
Je savais bien que je n'étais qu'un cas négligeable, et que d'autres que moi ayant des histoires et un passé encore plus sordide que le mien avaient échoués dans ce bar qui étaient évidemment le point de rencontre de tous les rejetés de la société.
Mais ce bar était surtout témoin de ma faiblesse légendaire quant aux difficultés qui m'assaillaient, m'assiégeaient à chaque détours hasardeux du cours de ma vie et qui ne m'offraient que deux choix: Combattre avec hargne et férocité afin de tenter de les battre ou reculer en trépignant lâchement, préférant s'abstenir de faire face à ces échecs.
Apparemment, j'avais choisi la deuxième option, l'option qu'on prétendait être facile…
Car il n'y a pas plus facile que d'abandonner, de jeter les armes, de lever les bras en signe de découragement profond en annonçant au monde sa défaite cuisante puisque dans ce cas, le monde ne vous en voudra pas de tenter de noyer votre chagrin au fond d'une bouteille de vodka, de se perdre dans les méandre de l'ivresse salvatrice. Non le monde ne vous en voudra sûrement pas…
Il vous classera parmi ses pauvres déchus qui ont perdu leurs ailes en cours de route et qui ne peuvent ainsi plus voler en direction de la lumière ténue qui les attend à l'autre bout du tunnel… Il ne vous jugera pas pour vouloir tout oublier jusqu'à votre propre vie, jusqu'à votre propre nom car vous êtes un déchu… Et un déchu a vécu assez de malheurs pour se permettre une petite pause de temps à autre, un petit soulagement qui n'arrangera certes rien mais qui lui donnera l'impression d'être léger, de s'évader… Mais un combattant, lui, ne pourra certainement pas s'autoriser ne serait-ce que la moindre délivrance… Non on le calomniera pour avoir tenter ne serait-ce qu'un laps de temps de songer à cela… On le blâmera, on l'invectivera de grossièretés, on l'abreuvera d'injures, car un combattant devait ne songer qu'à dépasser ses problèmes…
Dans mon cas, je n'étais ni combattante, ni enfant obéissante, ni mère de famille, ni vieille femme se devant donner l'exemple à la société.
Je m'autorisais donc cette petite escapade nocturne, je m'autorisais tout simplement à être lâche… Car être lâche signifiait se permettre de ne pas devoir à tout prix conserver les apparences et le silence quant à mon état d'esprit défaillant, de se laisser aller sans craindre les conséquences sans doute néfastes de son comportement, de proclamer:" Je suis un être humain! J'ai moi aussi mes limites et je viens de les définir en cet instant. Je ne veux plus me battre contre ses démons invincibles que j'abhorre pourtant. Je veux juste laisser le courant de la vie m'emporter sans avoir à craindre les regards, les dits et les non-dits."
Sans doute que me perdre dans un bar quelconque n'était pas la meilleure solution mais c'était j'imagine la plus commode, la plus facile…
Alors, je me laissais aller contre cette balustrade à rêver à un monde où je ne serai plus Ginny Weasley, à une dimension quelconque où un chevalier servant viendrait me repêcher de cette mer d'alcool dans laquelle je sombrais et m'emmènerai loin sur son fier et blanc destrier…. Je me perdais en mille et une conjectures bien que je savais très bien que la réalité était toute autre, que la vie était cruelle, qu'elle ne pardonnait pas et qu'elle n'accordait de seconde chance qu'à ceux qui le méritent…
Mais moi, j'étais une épave, une "sale garce" d'après les mots de mon cher et tendre mari et je ne la méritais certainement pas.
