Samedi 4 Avril 2009.
Bellevue Hospital Center.
Adam arpentait les couloirs du Bellevue Hospital. Il détestait ces endroits aux murs blancs et aux pièces stériles. Il n'y avait que dans le service pédiatrique qu'un peu de couleurs égayaient les murs mais il ne supportait pas d'y rester bien longtemps. Il n'avait jamais aimé voir les gens souffrir mais la vue d'un enfant blessé physiquement ou moralement lui était insupportable. Il connaissait bien ces couloirs pour y avoir séjourné à de nombreuses reprises. Tous les jours, il voyait les réminiscences de ses souffrances gravées sur son dos et ses bras.
Il n'avait pas cessé d'y penser depuis le jour de l'arrestation de Jake. Au fur et à mesure que l'enquête progressait et incriminait l'enfant, il ne pouvait se résoudre à le déclarer coupable, quand bien même les preuves étaient contre lui. Il n'avait pas voulu se confier à Stella et Mac, ne faisant confiance qu'en Adam. C'était lui qui avait eu la lourde tâche d'écouter son récit et de lui dire où il allait passer les deux prochaines années de sa vie.
Le jury avait été clément envers lui et Adam leur en était reconnaissant. Une institution psychiatrique n'était pas un endroit pour un enfant comme Jake. Cela ne l'était pour aucun autre enfant d'ailleurs. Mac avait intercédé en faveur du jeune garçon afin qu'il puisse séjourner dans de meilleures conditions. Mais pour Adam, ce n'était pas suffisant. Il se sentait redevable envers cet enfant et surtout, il se sentait coupable de ce qui lui était arrivé. Même s'il n'y était pour rien, il comprenait ce que le jeune garçon ressentait et ce par quoi il était passé. Il le comprenait dans les moindres détails, comme aucun membre de sa famille n'aurait pu le comprendre, même avec la meilleure des volontés. Il se revoyait dans la salle d'interrogatoire quelques mois plus tôt et lorsqu'il avait porté son regard sur Jake, il avait cru se revoir à l'âge de 13 ans.
Il passait le couloir central et se retrouvait devant le bureau d'accueil de la cellule psychologique. La pièce avait changé depuis la dernière fois qu'il y avait mis les pieds, ce qui devait se résumer à 16 ans maintenant. Il avait exactement le même âge lorsqu'il y avait été admis. Tentative de suicide aux barbituriques. Son père portait une dernière fois la main sur lui ce jour-là. La fois de trop. Malgré la douleur, il était sorti avec un but précis pendant que son géniteur croupissait ivre mort sur le canapé du salon. Il s'était introduit dans une pharmacie sous un faux prétexte, détournant l'attention de la vendeuse et volé autant de flacons qu'il pouvait. Il ne les avait même pas comptés mais il était certain qu'il en avait assez pour tuer un cheval. Il les avait avalés dans la rue voisine, sans liquide, comme il avait l'habitude de le faire avec les rares antidouleur qu'il pouvait trouver pour se soulager. La vendeuse, terminant son service, l'avait trouvé en pleine crise de convulsion. Il s'en était fallu de peu pour qu'il ne passe l'arme à gauche, ce jour-là. A son réveil à l'hôpital, il s'en voulait terriblement. Il s'était raté. Son père avait raison : il n'arriverait jamais à rien réussir. Il avait même raté sa propre mise à mort.
Aujourd'hui, 16 ans plus tard, il était heureux et reconnaissant d'être encore en vie. L'équipe, qui était devenu la seule famille qui lui restait, ne manquait pas de lui prouver qu'il était utile et ce, chaque jour. Il n'oublierait jamais les mots de Mac lorsqu'il avait failli perdre son travail et à quel point celui-ci se battait pour le garder parmi eux. L'ironie du sort était qu'il avait dû survivre à une tentative de suicide, 5 ans de consultations psychiatriques et la mort de son père pour enfin avancer et tirer un trait sur son passé... jusqu'au moment où une affaire comme celle de Jake rouvrait les anciennes blessures.
-'Bonjour... Hum, je viens voir Jake Kaplan.' Disait-il à l'hôtesse d'accueil. Il dut se retenir de sourire... c'était la même femme qu'à l'époque où il avait séjourné à l'hôpital.
Il se souvenait d'elle comme d'une personne gentille et souriante, ce qui était rassurant quand on était un enfant rejeté par la société.
-'Jake n'a pas reçu de visite depuis son placement.' Répondit-elle suspicieuse. 'Vous êtes de la famille... Monsieur ?'
-'Ross... Adam Ross. Je suis euh... c'est marrant... je... enfin, bref. Non, je suis... un ami.' Répondait-il, un peu nerveux.
L'hôtesse eut un petit sourire navré. Adam se souvenait à présent d'elle dans les situations qu'il avait côtoyé, comme le jour où elle l'avait bordé après un cauchemar et une crise de troubles obsessionnels compulsifs.
-'Je suis désolée Monsieur Ross, mais Jake étant sous contrôle judiciaire et sous la tutelle de son oncle, il est interdit à tout visiteur ne faisant pas partie de sa famille de lui rendre visite'.
Adam poussait un soupir triste et décontenancé. Mais il était surtout révolté que le jeune garçon ait du faire face seul à ce monde hostile. Même son oncle n'avait pas pris la peine de venir lui rendre visite. Quel genre d'homme était-il pour oublier son propre neveu parce qu'il était malade ?
-'Est-ce que... vous pouvez lui donner ça ? S'il vous plait...' demandait Adam sur un ton presque suppliant. S'il ne pouvait pas voir Jake, il voulait au moins qu'il sache qu'il n'était pas seul et qu'il pouvait compter sur lui. Ce n'était pas grand-chose, mais il lui avait rapporté quelques chocolats et surtout, le dernier jeu vidéo à la mode car il savait qu'il avait une console à disposition.
L'hôtesse d'accueil prenait le paquet entre ses mains, acceptant ainsi la requête d'Adam.
-'Puis vous lui direz de pas tout manger en une fois et de bien se brosser les dents... Et aussi qu'il ne doit pas trop jouer à la console, c'est mauvais pour ses yeux...' disait-il en regardant ses chaussures avec un intérêt démesuré, la voix se brisant à la moitié de la phrase. Il avait les larmes aux yeux. Il voulait en faire tellement plus pour ce gamin mais cela lui était impossible.
-'Ne vous en faites pas, jeune homme. Nous nous occupons bien de Jake...' répondait-elle en plaçant sa main sur l'épaule d'Adam pour le rassurer. Mais même s'il avait conscience qu'ils faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour traiter décemment Jake, il savait ce que le jeune garçon traversait. Et même s'il savait qu'il était mieux traité que dans son propre foyer, il savait également qu'un environnement familial manquait cruellement à l'épanouissement de l'enfant. Il espérait qu'il s'était fait quelques amis afin de ne pas traverser les semaines et les mois seul.
Adam offrit un pauvre sourire à l'hôtesse qui semblait comprendre le poids qu'il avait sur le cœur. Mais la loi était ce qu'elle était, c'est-à-dire toujours cruelle. Le jeune scientifique tournait les talons, laissant une des larmes qu'il s'était refusé à laisser passer la barrière de ses yeux rouler sur sa joue brûlante. En passant la porte d'entrée de l'hôpital, il se jurait qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir un droit de visite. Peu importe le temps et l'énergie que cela lui coûterait, il ne laisserait jamais tomber Jake.
