Chapitre I: Présentation, le début d'une amitié
In life as in tales ou : De la vie plus ou moins palpitante d'un jeune comptable nordien au Duché de Toussaint, par Jean-Baptiste de la Planche.
"D'innombrables travaux, dissertations et autres traités font mention d'un cataclysme magique survenu i 500 ans. Cette tragédie entraîna l'arrivée dans notre monde de créatures jusqu'alors inconnues et qui n'ont pas encore trouvé leur place ici-bas. Graveirs et goules, entre autres, sont des vestiges de la Conjonction des Sphères. Selon la tradition elfique, les humains aussi apparurent à cette époque. Les mages affirment que l'humanité reçut un présent merveilleux et maudit à la fois : la magie."
Extrait de « La Conjonction des Sphères » d'Adam Nivelle
Pendant mes années d'études à l'académie d'Oxenfurt, cet ouvrage n'a jamais quitté ma table de chevet. J'en conserve d'ailleurs toujours un exemplaire dans ma bibliothèque. Il faut dire que le labeur monotone d'expert-comptable, en dépit du salaire important que lui confère sa relative rareté, n'a toujours représenté que peu d'intérêt à mes yeux. La compréhension de notre monde et des créatures qui l'arpentent m'a toujours paru plus séduisante que l'agencement de colonnes de chiffres mais que voulez-vous faire face à l'ambition démesurée d'un père pour son aîné ?
Mais je divague, cet histoire n'est point celle de mes caprices d'adolescence, loin de là. Elle relate plutôt ma rencontre inopinée avec bon nombre de figures de légendes et, beaucoup plus important, avec des amis.
Le fait étant tout d'abord de comprendre comment un jeune diplômé de l'académie a pu se retrouvé à tenir les comptes des livraisons en vins du palais ducal. La réponse est simple : le besoin de changer d'air. Il était hors de question pour moi de retourner gérer l'entreprise familiale, le climat de guerre encore trop présent dans les esprits et la chute progressive de Novigrad dans une véritable purge des non-humains orchestrée par les chasseurs de sorcière me convinrent de quitter le Nord. Quant à l'Empire du Nilfgaard, ma maîtrise de leur langue étant plus que limitée l'option n'était même pas envisageable. Mon intérêt c'est donc logiquement tourné vers Toussaint et son climat que l'on disait des plus agréables. Mieux encore, une horrible tragédie avait frappé le duché. En effet, une armée de vampires avait eu raison d'une bonne partie du personnel du palais quelques années plus tôt, l'occasion était trop belle. Je trouvais donc un convoi prêt à faire le voyage, rassemblais tout ce qui me serait nécessaire une fois arrivé, sois un petit pécule de couronnes accumulées au cours de différents boulots, ma garde-robe avec mon splendide chapeau à plume porte bonheur et quelques livres (pas plus d'une dizaine) pour ne pas succomber à l'ennui durant le voyage, et je fis route vers une nouvelle vie.
Que dire de mon arrivée si ce n'est que je fus immédiatement conquis par la beauté de Toussaint. Un ciel azuré traversé par un soleil éclatant, une nature bigarrée d'où se dégageait la senteur enivrante des coquelicots et le palais ducal aux murs scintillants d'un blanc nacré entouré d'un lac aux eaux turquoises. Autant vous dire que je me suis instantanément sentit chez moi. À peine installé dans une auberge non loin de la grand place, je marchais droit vers le palais où je comptais bien jouer de mon charme et mes compétences pour me faire embaucher, l'approche direct étant, en matière d'emploi, souvent la meilleure.
Les rayons du soleil inondaient la ville en ce début d'après-midi, aussi avançais-je à l'ombre des ruelles. À l'époque, je me demandais encore comment les gens du cru faisaient pour se promener tête nue en pourpoint de soie par cette chaleur, il faut dire que les nordiens n'ont pas pour habitude de voir le soleil au-dessus de leur têtes... Je profitai donc de mon trajet jusqu'au palais pour repérer divers échoppes et magasins, notamment les épiciers (il se trouve en effet que j'éprouve une passion particulière pour la cuisine). Je posais ensuite quelques questions banales à divers passants histoire d'en apprendre un peu plus sur le duché. Les beauclairois sont véritablement des gens charmants, naturellement joyeux. C'est dire ! Même les troufions du guet de la ville sont d'une avenance déconcertante. Un changement des plus plaisant après avoir connu la soldatesque de Radovid et ce ramassis de brigands qu'étaient ses chasseurs de sorcière.
J'arrivai enfin au palais, encore plus impressionnant de près. Au bout d'un large pont bordé de statues, posé sur un ilot garni d'arbres, les hautes tours d'ivoire du palais ducal semblaient tout droit sorties d'un conte de fée. Les gardes en faction croisèrent leurs lourdes hallebardes à mon approche.
— Holà l'ami ! Navré mais le palais ne fait point partie du circuit touristique, me lança l'un des plantons.
Me découvrant, j'effectuai une rapide révérence en me présentant.
— Il se trouve messire, que je ne suis point venu sur ces terres pour le tourisme. Aussi j'en appelle à votre bonté d'âme pour aller quérir le chambellan ducal et lui transmettre ce message : Jean-Baptiste de la Planche (c'est moi), expert-comptable diplômé de la prestigieuse académie d'Oxenfurt, désire mettre son expertise au service de sa majesté la duchesse.
Je gardai la pose, espérant que mon bagou fasse effet. Les gardes s'entre-regardèrent, perplexes.
— Un expert-comptable ? Ils en ont besoin au palais ?
— Pas au palais mon ami ! À la cave ducal.
Celui qui avait l'air le plus informé se pencha pour chuchoter :
— Depuis l'incident avec le Sangreal sa majesté tient à tout prix qu'aucun autre vol ne se produise.
J'haussai un sourcil, même si je venais d'obtenir mon billet d'entrée, cette information me serait utile. Comme prévu les gardes levèrent leur hallebardes et m'indiquèrent une alcôves en haut d'un escalier, vraisemblablement le bureau du chambellan.
Une heure plus tard, je sortais d'un entretien mené d'une main de maître, le sourire aux lèvres. Ma carrière en tant que comptable des dépenses et ventes en vin du duché commençait le lendemain de bonne heure, cela ne m'empêchait cependant pas de prendre du bon temps une fois rentré à la taverne.
J'avais donc trouvé un emploi des plus gratifiants dans l'une des plus charmantes contrées du monde. En plus de la coquette somme que je gagnais pour mon labeur, je me voyais parfois offrir une bouteille de vin parmi les arrivage du palais (dire que le vin est une denrée plus consommée que l'eau à Toussaint serait un euphémisme). Mais ma véritable récompense arriva au bout d'un mois, quand un membre de la garde ducal, accompagné d'un notaire, vint me trouver à l'auberge. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j'appris que l'on m'informa qu'une maison non loin du palais venait de se libérer.
J'emménageais le jour même. En chemin, le notaire m'expliqua que la maison appartenait à un érudit, un mage à en croire les rumeurs, qui aurait disparu du jour au lendemain sans laisser de traces. Son absence dépassé un an, la demeure était donc légalement devenu la propriété du duché qui comptait me l'offrir comme logement de fonction. Une merveille cette maison ! Un étage, une cuisine, un séjour, une chambre spacieuse munie d'un large lit et surtout, d'une gigantesque bibliothèque. Toutes les affaires de l'ancien propriétaire en dehors du mobilier avaient été débarrassé pour être revendu. Cela m'attrista quelque peu, j'aurais aimé voir à quoi pouvait ressembler les lectures d'un mage... Mais je n'étais pas au bout de mes surprise car, en montant mes affaires dans ma nouvelle chambre, je m'aperçut qu'un gros chat gris dormais en boule sur le lit. Moi qui les affectionne particulièrement, je m'empressait de demander si lui aussi appartenait à l'ancien propriétaire.
— Probablement, me répondit le notaire. En tout cas, il quitte rarement l'endroit. Si vous désirez l'adopter en même temps que la maison...
— Évidemment ! répondis-je. Le pauvre, je ne vais pas le chasser.
Le notaire haussa les épaule, me fit remplir différents papiers pour certifier de ma nouvelle résidence et je pus enfin profiter de mon nouveau chez moi. Je voulu immédiatement nouer une amitié avec mon colocataire à moustache, mais il me gratifia d'un grognement frustré et de ce fameux regard accusateur dont seul les chats ont le secret.
De nouvelles semaines passèrent, j'étais maintenant parfaitement adapté au train de vie du duché et le voisinage, hormis une vieille dame exécrable habitant la maison d'en face, me gratifiaient d'un joyeux « Bonjour ! » en me croisant. La routine de mon travail me gagna peu à peu, mais je ne m'en plaignait jamais. Après le climat enfiévré du Nord, Beauclair était un véritable paradis, à croire que cette histoire de vampire avait été bien vite oubliée par la population, la duchesse gardant cependant une rancœur à l'égard de l'un des acteurs principaux de cette évènement tragique : Geralt de Riv, propriétaire d'un vignoble non loin du palais et sorceleur à la retraite. Mais nous y reviendrons plus tard.
Ma routine changea, comme c'est souvent le cas, par une rencontre inattendue. Par une matinée chaude, pendant mon service. Je m'occupais ce jour-là d'un arrivage habituel du début de mois, j'avais quelque peu veillé durant la nuit et le décompte des tonneaux était plus ardu qu'à l'accoutumé. Pestant contre la fatigue je fus apostrophé par le livreur. Un nordien, tout comme moi, sans doute arrivé depuis peu. Des cheveux courts, un visage fin et des yeux noisettes pétillant de malice entourés de khôl contre le soleil. Il portait une redingote de cuire usé et des vêtements modestes. Je crus tout d'abord que le bougre se moquait de mes jurons mais notre conversation fut tout autre :
— Toutes mes excuses messire ! m'exclamais-je en rougissant. Ça m'a échappé.
— Hmm, un sourire naquit au coin de ses lèvres. Quel est votre nom ?
— Jean-Baptiste messire.
— Pas de messire. Je ne suis points un noble. Je me nomme Soni et je suis ravi de voir un lettré qui n'ai pas un balais enfoncé dans le cul.
Nous manquâmes de pouffer à cette dernière remarque, et c'est ainsi que commença mon amitié avec Soni.
