Fic écrite il y a, me semble-t-il, une éternité... Ce fut ma première en RPS sur Robert Downey Jr et Jude Law. Bien sur, le blabla habituel, je n'en tire aucun argent et leurs vies ne m'appartiennent pas. D'ailleurs, j'avais à l'époque complètement inventé l'enfance et l'adolescence de RDJ, cela va sans dire. Il n'est ici qu'un personnage. Bonne lecture


- Bon, salut, Rob' …

Jude resserra sa prise autour de la valise qu'il tenait à la main, changea de position, mal à l'aise.

Robert se tenait devant lui, tendu, les mains dans les poches, fixant ses pieds qui jouaient sur le carrelage.

Il ne répondit pas et Jude jeta un regard anxieux aux panneaux indiquant l'heure de départ.

Son avion ne tarderait pas à décoller.

- Rob', le pressa-t-il.

Mais Robert se contenta de marmonner un « au revoir » dans sa barbe et, lui serrant la main maladroitement, presque de force, il lui tourna le dos et s'éloigna lentement. Sa silhouette fut bientôt engloutit par la foule.

Jude, indigné, voulut le rappeler, crier quelque chose, mais il ne put que bredouiller quelques mots incohérents. Il n'y avait rien à dire.

Rien d'assez fort, d'assez vrai, pour que Robert décide de faire demi tour et de courir vers lui le prendre dans ses bras et …

Non, il n'y avait rien à dire.

Après tout, ce n'était pas comme s'il venait de larguer pitoyablement sa petite amie avant de s'enfuir comme un voleur, d'abord c'était lui qui venait de partir et …

Et puis non, bien sur que non, il allait rejoindre sa copine, Lily Cole, qui l'attendait en Angleterre, il se faisait une joie de la retrouver et ils s'enlaceraient à l'aéroport, sous la pluie, comme dans les films romantiques. Oui, ça allait être parfait.

Alors dans un sourire entendu Jude Fit volte face à son tour, se dirigeant vers le couloir vitré.

Au même instant, Robert s'arrête net au milieu de la foule. Il ne croyait qu'entendre le bruit des roulettes de sa valise sur le carrelage, la claquement sourd et décidé de ses pas qui s'éloignaient.

Et lorsque tout cela se tut à son tour, tout ne fut plus que silence autour de lui.

Il crut vaciller, bien qu'il parvienne à se contrôler. Tout le désordre était intérieur.

Essoufflé par les sanglots qui montaient et qu'il essayait de contenir, il s'engouffra dans un bar et prit place au comptoir.

Les souvenirs du tournage des Sherlock Holmes lui revenaient en mémoire, en flashs intenses et douloureux.

Se noyer dans les peurs et les blessures d'Holmes, dans l'amour torturé, inassouvi, que ce dernier éprouvait à l'égard de Watson, lui était non seulement facile mais jouissif.

- qu'est ce que je vous sert, monsieur ?

Robert releva la tête, étudia d'un air absent la demande du serveur. Il y a quelques temps, il aurait prit une bière - une seule - et aurait quitté le bar sitôt après. mais alors, Jude aurait été avec lui et tout aurait été différent. Il commanda donc une vodka.

Il y a très longtemps, sa mère aussi buvait. Dans ces moments là, elle commençait à le frapper et l'enfermait dans le placard. le garçon partait alors dans des délires cauchemardesques qui prenaient formes dans le noir. cependant, les coups les plus douloureux furent les mots qu'elle cracha, des mots qu'aucun enfant ne devrait jamais entendre et encore moins de la bouche de sa propre mère, et qui se gravèrent profondément en lui, dans sa chair, dans chaque trait de son visage qui faisait la une des journaux de cinéma. Sur la papier glacé, c'est cela qu'il voyait, à chaque fois, sa mère le traitant d'incapable qui ne valait rien et qui ne vaudrait jamais rien, jamais plus, ou moins, que ce simple mot néant : Rien.

Rien n'est pas méchant, ni même gentil. Rien n'a aucun autre caractère que celui que l'on veut bien lui accorder, si jamais on a le temps de désintéresser vaguement à lui, dans les moments d'ennui profond ou l'on a rien autre à faire. Et rien attend, effacé, ces moments d'ennui bénis, ou il pourra prendre un peu d'une identité dans le regard de quelqu'un, qui le regardera lui et pas la couleur du mur dans lequel il se fond. Rien peut être bien des choses, mais Rien ne sera jamais, tout simplement, tel qu'il est.

A l'adolescence, Robert avait commencé à éprouvé le besoin impérieux d'être regardé, admiré, adulé. Il avait forgé autour de lui une aura de beauté mystérieuse et sombre et s'était mis à danser en boite de nuit, de plus en plus souvent, comme simple client puis bientôt, comme gogo-danseur.

Et cela lui procurait pourtant une délicieuse jouissance. La scène. Le seul endroit ou il existait, dans le peau d'un autre pourtant. A 15 ans il rejoignit son père, lui même acteur et qui ignorait tout de son enfance catastrophique et des blessures profondes dont il était la victime. Il le poussa dans le monde du cinéma, sublimant le besoin maladif du jeune homme d'être regardé. mais sa rencontre avec Jude constitua un tournant irrémédiable de sa vie.

Dès leur première rencontre dans le bar de Guy, il se sentit exister à part entière, comme celui qu'il était vraiment. C'est Jude qui le fit naitre à lui même du néant, de ce rien-caméléon qu'il était jusque là. On ne peut qualifier l'alchimie qui naquit entre eux, la compréhension évidente, limpide, l'un de l'autre qui s'installa, la ranger quelque part, dans le tiroir coup de foudre ou le tiroir amitié. ce n'était ni l'un ni l'autre, c'était peut être l'Amour dans toute sa simplicité, sa pureté, son universalité, sans aller dans d'humain et pervers questionnements.

Il comprit enfin en le rencontrant, après s'être marié à une femme charmante et fait sa vie avec elle, non seulement ce qu'il était vraiment mais que Jude était son âme sœur et que rien ne serait plus jamais comme avant, maintenant qu'il y avait sur terre quelqu'un qui s'appelait Jude et pour lequel il serait prêt à tout sacrifier.

Ce qui partait aujourd'hui dans cet avion au côtés de cet homme qu'il commençait à aimer comme il devrait aimer sa femme, allait bien au delà d'un simple amour, c'était toute son identité. Lui parti, tous les fantômes que le sourire angélique de Jude avait réussi à évanouir resurgissaient, d'autant plus intenses et douloureux maintenant qu'il avait goutté au bonheur.

Il commanda une autre vodka, puis encore une autre.

Sa vision devenait trouble et les ombres de l'imaginaire se mêlaient aux vivants, un sifflement aigu envahissait son crâne, le faisant gémir de douleur et anéantissant ses derniers sursauts de raison. une fièvre moite, délirante, se répandait en lui. Il essaya de se lever de son tabouret haut, bascula, s'étale tremblant sur le carrelage alors que tous les regards se rivaient dans sa direction et qu'il se rendait compte que la nuit était tombée. le serveur laissa tomber torchon et verre et fit précipitamment le tour du bar pour le rejoindre.

- Monsieur ? Monsieur ?

les paumes appuyées sur le sol, bras tendus, les yeux révulsés, robert tremblait violemment.

- Monsieur ?

inquiet, le barman l'examinait.

- Vous voulez que j'appelle une ambulance ?

- Non, souffla robert entre ses dents tout en s'agrippant au bras qu'il lui tendait pour se relever. Non, je vais rentrer.

L'homme paraissait dubitatif mais son travail l'appelant, il ne chercha pas à retenir Robert tandis que celui ci passait les portes du bar.

Il tituba jusqu'à sa voiture, chercha les clés dans ses poches. Le parking était vide, froid, sombre. Un sanglot monta. Il s'écroula sur l'habitacle, se reprit instantanément comme si celui ci l'eut brulé où qu'il était particulièrement honteux, pour un homme de sa condition, de se laisser aller aux pleurs sur le toit d'une voiture, pour un autre homme qui venait de le quitter. Il s'engouffra à l'intérieur, se retenant presque de respirer pour ne pas sangloter. Il ne devrait pas conduire, pas après avoir bu ...

Mais forcer un peu le destin, jeter une fois encore les dés de cette partie malsaine qu'il jouait avec la mort, lui procurait un plaisir intense, en cet instant ou son monde s'écroulait et que les souvenirs douloureux de son enfance envahissaient tout son présent. Tous ces fantômes qui ricanaient autour de lui, à l'intérieur même de son être, à travers son propre esprit, valaient bien qu'il se rit d'eux à son tour en défiant une nouvelle fois la mort. le moteur gronda. Il appuya sur l'accélérateur et pneus crissèrent violemment alors qu'il s'engageait sur la route déserte. Il roulait beaucoup trop vite, vers une destination inconnue, entre les plaines immenses et les montagnes d'Amérique.

Toutes ces voix, dans sa tête ...

Toutes enchevêtrées dans un désordre immonde. Et ces mots, qui revenaient inlassablement en une mesquine litanie :

Tu ne vaux rien. Tu n'es rien qu'un imposteur, tu te crois beau et tout le monde t'admire, mais chaque victoire te montre à quel point du es hideux. Moi, je sais que tout cela te répugne. Ton propre corps, cette beauté imméritée sur ta peau salie te répugne, quand tu songes à ces odieuses pensées dont tu es le maitre, dont tu ne peux parler, que tu voudrais faire taire et qui sont là pourtant, car avoue toi le ... tu les aimes, ces voix hideuses, qui font de toi le monstre que tu es, dans ce corps si beau que tout le monde adule ... Tu ne vaux rien. même ton nom est celui d'un autre, robert ... Tu ne vaut rien. Tu ne le mérite pas.

Sa vue se brouilla dans un nuage de larmes et les sanglots éclatèrent pour de bon.

"salut, Rob"

Il croyait entendre la voix de Jude dans sa tête. Salut, rob. salut. Rob !

Lui aussi était parti.

C'est à cet instant ...

Lorsqu'il ne vit plus rien d'autre que les larmes qui déformaient tout ce qu'il voyait, lorsque l'alcool et sa détresse mêlés défiguraient le monde, SON monde, lorsque la voiture allait si vite sur la route que le paysage n'était plus que succession de tâches sombres étourdissantes et qu'elle zigzaguait d'un côté et de l'autre, qu'il tremblait si fort qu'il ne pouvait plus rien saisir, plus rien contrôler ...

Lorsqu'il se rendit compte qu'il n'en avait rien à faire ...

Que sa vie entière se résumait à cet inutile instant, comme si tout depuis le début tendait vers cette route perdue au milieu de nulle part, qu'il avait toujours su, au fond, que ça se terminerait ici, de cette façon là, et qu'il n'en avait strictement rien à faire.

Ils avaient gagnés, en fin de compte.

La voix de Jude s'était tue, vaincue par ses démons, et tout en lui n'était plus que vide. C'est à cet instant là, avec un calme effrayant, regardant droit devant lui en déglutissant, qu'il lâcha le volant.

Ca ne se passa pas comme dans les films ou les livres. Il ne s'évanouit pas au premier choc. Ne sombra pas au premier cri.

Il resta conscient jusqu'au dernier instant, à chaque tonneaux de la voiture, à chaque coup qu'il prenait, à chaque fois qu'il sentait son corps se briser, se déchirer dans l'effroyable tourbillon de ferraille et de sang.

Il resta conscient tout le temps infini que furent ces quelques secondes, jusqu'à ce que tout s'immobilise et qu'il n'y eut plus, en lui, que de place pour la douleur. Douleur insurmontable à chaque battement de cœur dans chaque parcelle de corps.

Douleur.

Il ne comprit la signification de ce mot qu'à cet instant précis où sa vie s'évanouissait lentement dans le noir, solitaire comme celle d'Holmes le serait certainement, après une dose de cocaïne de trop, pensant à Watson qui n'était pas là et qui avait pourtant toujours eu l'envie refoulée de l'être ... tragique coïncidence ... Il lui sembla que les lettres de ce mot se gravaient sur sa peau.

Rien ne serait plus jamais comme avant. Quand enfin il comprit cela dans toute son infinité, alors seulement, il put sombrer dans la nuit, comme une chouette qui s'envole en silence et que personne ne reverra plus.

Une larme roula le long de sa joue et rejoignit la terre.