Chapitre 1: Le Départ

Je venais d'avoir 17 ans, au village de Sanoria c'est l'âge de la majorité. Si je les avais eus seulement deux jours plus tard j'aurais eu une année de répit, mais le destin en avait décidé autrement, car je suis née la veille des Épreuves. Tous les ans, parmi les jeunes entre 17 et 25 ans, 8 représentants sont choisis, les meilleurs, pour aller chercher la Myrrhe et sauver le village. Bien évidemment, c'est indispensable à la survie du village, on entend parfois des récits affreux à propos des villages envahis par le Misame par ce que leur cristal s'était terni, tuant ainsi les habitants qui attendaient, plein d'espoir, le retour de leur caravane décimée au fond d'une grotte lugubre. C'était d'ailleurs pour cela que seuls les meilleurs étaient choisis, par ce qu'il fallait ramener la Myrrhe pour pouvoir continuer à survivre, par ce que c'était le cristal qui tenait à distance le Miasme et les monstres, mais c'était aussi tellement dangereux, chaque année au moins un membre de la caravane ne revenait pas, et on ne comptait plus vraiment les estropiés. Heureusement le village de Sanoria est prospère, grâce à son énorme cristal, les terres protégées du Miasme sont vastes et l'agriculture tout comme la métallurgie sont développés. C'était aussi l'un des rares villages où les quatre races vivaient en harmonie.

Je m'appelle Loah Sie, et je suis une Selkie, nous autres Selkies sommes généralement nomades, et rares sont les villes qui nous acceptent car nous avons une réputation de voleurs. Nous sommes agiles et rapides, et il est malheureusement vrai que de nombreuses guildes de voleurs sont Selkies. Mais jamais personne ne volerait quoi-que ce soit ici, tout est trop paisible pour que l'avidité vienne troubler la paix...

_Loah ! Loah, ma chérie, laisse-tomber ce journal et viens manger, tu auras tout le temps de le remplir plus tard !

_J'arrive maman, j'arrive.

Loah referma le grimoire où une écriture runique fine et élégante était tracée à la plume. La couverture de cuir usée était rapiécée de partout, et on semblait avoir ajouté plusieurs fois des pages. La jeune Selkie se leva de sa chaise, laissa sa plume et son encrier sur le bureau de bois terni. Elle jeta un regard dans la plaque de métal poli qui lui servait de miroir pour y voir une jeune fille aux grands yeux bleu marine la regarder. Elle resserra le foulard de sa longue queue de cheval et descendit l'échelle qui séparait le grenier, où se trouvait sa chambre, du premier étage. Elle descendit ensuite l'escalier en frêne qui grinçait sous ses pas pour se retrouver dans la pièce principale où sa famille l'attendait pour passer à table. Son père, Zeh Gatt, avait l'air encore jeune, mais se laissait pousser une barbe fine pour se donner l'air d'un patriarche. Sa mère, Sin Thul avait l'air d'avoir le même âge que sa fille. Les Selkies ne vieillissaient pas comme les autres, mais par à-coups, ce qui avait contribué à leur étrange réputation. Ses quatre frères et soeurs se chamaillaient sur un banc, Mir Vhal, son plus jeune frère sauta hors de table et vint la prendre dans ses bras en la voyant.

_Je veux pas que tu partes...

Les larmes aux yeux, Loah le serra fort contre elle, essayant de ne pas s'écrouler à ce moment. Elle se devait d'être forte, elle ne devait pas se laisser aller, sinon elle ne pourrait pas partir. Sin fit se rasseoir le petit garçon, et le reste du dîner se passa dans un silence pesant. Loah ne pouvait penser à autre chose qu'à son sac qui l'attendait là-haut, déjà bouclé, et à ses affaires qui l'accompagneraient durant un bout de chemin: une armure Selkie, de cuir et de tissu, faite pour ne pas entraver les mouvements et protéger les parties vitales. Son père l'avait faite l'année dernière au cas où. Les Selkies n'avaient généralement pas d'armures familiales comme chez les représentants de la plupart des autres races, pour la simple et bonne raison que les leurs finissaient rapidement en lambeaux.

Loah n'arrivait pas vraiment à manger malgré les incitations de sa mère, même si elle savait qu'elle aurait rapidement faim ensuite. Son estomac noué ne voulait rien laisser passer. Elle se contenta donc de quelques feuilles de salade, de pain et de raisin. De toute façon la nourriture pour elle n'avait aucun goût.

Une fois le repas terminé, Loah alla chercher son sac à l'étage et s'habilla pour le départ. Elle laissa là sa légère et élégante tunique bariolée qu'elle s'était confectionnée quelques temps plus tôt pour revêtir la tenue de voyage fourrée qu'avait porté sa tante avant elle. Les caravaniers passaient toujours leur dernière nuit au village ensemble, sur la falaise surplombant la mer, au bout du cap de Sanoria. Elle redescendit, embrassa chaque membre de sa famille en essayant de na pas fondre en larme, mit son baluchon sur l'épaule et partit rejoindre les autres. Elle essaya d'effacer de son esprit les larmes qu'avaient versé les membres de sa famille. Dans le crépuscule de cette soirée d'été, le village était en deuil, alors qu'il y a six mois, il était en fête pour accueillir les caravaniers. Six mois de repos, c'était tout ce qui leur était accordé, et c'est tout ce qui sera accordé à Loah, si elle revenait.

Le soleil achevait de distribuer ses derniers rayons, faisant se découper dans le crépuscule la grande cheminée de la forge, et les toits plus petits des maisons environnantes. Le moulin de l'autre côté du village était déjà plongé dans les ténèbres, et une ombre fantomatique était tout ce qu'on pouvait en distinguer. Les seules lumières provenaient à présent des fenêtres des chaumières, mais aucun bruit ne perçait au dehors, personne n'aurait songé à rire le soir où huit jeunes gens du village allaient partir sur les routes, affronter milles dangers pour leur survie à tous. Loah accéléra le pas et malgré la chaleur de la nuit d'été, elle frissonna. Elle n'accorda pas un regard à la maison du chef du village où le conseil devait être réuni en silence, levant leur verre à la réussite de la mission indispensable qui leur était confiée. Les maisons se raréfiaient alors que Loah grimpait une pente raide. Elle voyait une lueur plus haut qui lui indiquait le feu de camp où ils se réuniraient pour leur première nuit ensemble. Elle connaissait déjà chacun des jeunes appelés, soit de vue par ce qu'ils appartenaient à une caravane précédente, soit pour les avoir côtoyés tous les jours. Lorsqu'elle arriva à leur niveau, cinq personnes assises autour du feu, enroulées dans leur couverture détournèrent le regard vers elle un instant avant de le retourner vers le feu l'ambiance était pesante. La selkie décida alors de les imiter, sortant de ses bagages la couverture de laine doublée que sa mère lui avait faite. À la tenir entre ses doigts, la douceur du tissu et son épaisseur lui rappelait les nombreuses soirées où elle assistait sa mère dans sa tâche. Elle la voyait inlassablement filer, coudre ou tricoter à la lueur du feu de cheminée. En effet, sa famille abritait les plus grands tailleurs du village depuis des générations, et cette couverture était plus encore qu'un des chef d'œuvre de sa mère. Elle y avait mis toute son âme en prévision des nuits glaciales qu'un de ses enfants aurait peut-être à devoir affronter plus tard. Enroulée dans cette couverture, Loah comprenait à présent le silence qui tenaillait l'endroit, c'était la dernière fois qu'ils pourraient se laisser aller à la nostalgie durant leur voyage, chacun rassemblait en ce moment les souvenirs de ceux qui leur étaient chers, durant cette dernière nuit encore en sécurité, mais déjà si loin du village.

Tout à ses pensées, Loah n'avait pas vu deux nouvelles personnes arriver, se positionnant eux aussi autour du feu. Ils étaient à présent tous arrivés. Un clavat nommé Elmoah prit alors la parole, se levant avec grâce, tout le monde le connaissait au village puis-ce qu'il participait aux caravanes depuis ses dix-sept ans et qu'il en aurait vingt-cinq cette année. Habituellement après avoir participé à trois ou quatres caravanes, les survivants se retiraient pour apprendre et exercer un métier quelconque, mais lui avait inlassablement continué les sélections, finissant toujours premier, c'était le doyen de leur expédition, il allait sans doute leur faire un discours sur l'importance de leur mission, ou quelque chose comme ça.

_Caravaniers, je ne sais pas combien d'entre-nous reviendront chez eux, mais faites tout votre possible pour rester en vie. Demain notre voyage commencera, mais pour l'instant reposons-nous, demain nous nous lèverons avant l'aube.

Il se rassit ensuite, puis s'allongea confortablement dans sa couverture. Comme si tout le monde n'attendait que ce signal, la plupart sortirent diverses fourrures ou oreillers de leurs sacs pour s'installer pour la nuit. Loah se demanda comment ils pourraient dormir durant une nuit pareille, mais à peine fût-elle allongée qu'elle s'endormit, comme si une main bienveillante avait voulu lui épargner une nuit difficile.

Elle fut réveillée quelques heures plus tard par une secousse. Elle se mit debout en un instant en poussant un petit cri, reversant au passage la clavat qui l'avait secouée pour la réveiller. Se sentant stupide elle l'aida à se relever, s'excusant, mais la jeune fille ne semblait pas d'humeur à lui reprocher quoi-que ce soit. Même si Loah était la dernière à s'être levée et que déjà Elmoah était prêt et les regardait tous comme pour les presser. Elle rassembla ses affaires à toute vitesse. Le soleil semblait essayer de transpercer la nuit de ses rayons puis-ce qu'une lueur rosée faisait grisonner le ciel. Au bout de quelques minutes, chacun fut prêt, tous mirent leurs affaires dans la caravane. Elmoah arnachait le papaopamus qui allait les tirer.C'était une grosse bestiole souvent utilisée pour les travaux de la ferme. Elle était bleue avec de la fourrure blanche. Il se saisit ensuite des rennes et tira dessus pour le faire avancer. La tradition voulait qu'ils traversent le village à pied. Ils suivirent tous la caravane en silence, Elmoah les guidant. La brume qui montait de la mer avait envahi le village, et avant que le soleil ne vienne la chasser, déversait ses volutes dans les rues et sur les places de Sanoria. L'ambiance était on-ne-peut plus déprimante, aucune lumière n'était visible, même si tout le monde était sans doute derrière leurs fenêtres à regarder la caravane quitter en silence le village. Au milieu du pont marquant la sortie se trouvait le chef du village, Daniel, tenant entre ses mains le calice qu'ils devraient remplir, le petit cristal le surmontant brillant d'une lueur bleutée dans les ténèbres environnantes, comme un phare miniature.

_Courageux caravaniers, vous partez pour de longs mois afin de nous permettre de survivre sur ces terres. Puissiez-vous remplir ce calice, et puisse-t-il vous protéger en retour.

Daniel tendit le calice à Elmoah qui s'inclina en le recevant, sans dire un mot. Daniel s'écarta alors et la caravane se remit à avancer sans un bruit, comme si la brume amortissait les sons, suivant la lueur magnifique portée par leur chef. Le début du voyage se fit dans le silence le plus complet, durant des heures, tous attendaient un quelconque signal pour pouvoir monter dans le chariot, mais personne n'osait rompre la chape de plomb qui s'était étendue sur la caravane. Lorsque le soleil perça enfin la brume de ses rayons rosés, le village était déjà hors de vue derrière eux. Loah se retourna une dernière fois, ne distinguant rien de plus que le sommet d'une colline se découpant à l'horizon. Elmoah prit alors la parole, caressant le papaopamus pour le stopper.

_Arrêtons-nous ici pour que je vous explique comment se déroulera le voyage.

Il posa le calice au milieu de la route et comme répondant à un ordre, tous s'assirent en cercle autour, la grosse bête derrière eux, détachée, broutant paisiblement les brins d'herbe poussant au bord de la route.

_J'imagine que vous savez tous comment se déroule le voyage, mais il nous faut à présent nous occuper des détails techniques. À part moi, vous participez tous à une caravane pour la première fois, je vais donc vous expliquer comment nous procédions l'année dernière. Nous sommes huit, chacun devra s'occuper d'une tâche particulière, et chacun aura ensuite un tour de garde à effectuer par roulement. Kieren !

_O-oui ? La jeune clavat qui avait réveillé Loah quelques heures plus tôt répondit d'une voix un peu anxieuse.

_Tes parents sont bien paysans ? Je propose que tu sois de corvée de repas un jour sur deux. Gul Toop ? Le seul autre Selkie de la caravane, un membre de la tribu des loups, le regarda. Tu t'occuperas de la cuisine l'autre jour.

Il grommela un peu, mais devant l'air terrible du Clavat, sa cicatrice sur la joue bien visible dans le soleil matinal, il retint ses mots.

_ Erin ! Une autre clavat, avec un bonnet assorti à ses vêtements sur la tête réagit. Toi et Miya Arl vous occuperez de la chasse et de la cueillette, apparemment vous rapportiez de jolies prises au village. Une Lilty enarmurée, mais avec un ruban dans les cheveux, avait l'air enchantée d'être désignée pour ce poste.

_Loah Sie ! Loah regarda droit dans les yeux le clavat qui sourit, ce qui la fit légèrement rougir. Tu t'occuperas de l'équipement avec Lyle Dot. Un Lilty qui faisait tout autant boîte de conserve que l'autre, et qui avait même gardé sa hache attachée dans le dos, regarda avec curiosité Loah, comme si il se demandait comment elle pouvait entretenir une épée.

_Quand à moi et Torbigeta, le seul yuke de l'assemblée tourna son casque dans la direction du clavat, nous nous chargerons de l'installation du campement et du feu. Aucune complainte ? Personne n'osa contredire le clavat, la plupart d'entre eux ayant été assigné à un poste qu'ils maîtrisaient de par leurs parents. Même Gul ne dit rien, se disant sans doute qu'il serait plus tranquille à la cuisine un jour sur deux qu'à devoir aller chercher du gibier tous les jours.

_Pour ce qui est des tours de garde, je veux d'abord vous dire une chose, même si le cristal de la caravane repousse le miasme, n'oubliez pas que des monstres peuvent nous attaquer à tout moment, ne prenez donc pas ce rôle à la légère. Chacun d'entre-nous à tour de rôle veillera durant une demi-nuit. Il y a deux banquettes dans la caravane pour qu'ils puissent finir leur nuit durant la journée. Je prendrait le premier tour, pour le reste je propose que le hasard décide de l'ordre.

Il sortit ensuite deux dés d'une bourse en cuir qu'il avait à la ceinture, et chacun les fit rouler pour désigner le roulement. Il y aurait donc Elmoah, Lyle, Erin, Torbigeta, Gul, Loah, Kieren et Miya. Une fois tous ces détails remplis, il leur donna des conseils généraux; ne pas s'éloigner du porteur de calice, ne pas hésiter à laisser le calice par terre pour se battre, ne jamais baisser sa garde près d'un arbre à Myrrhe, ne jamais se mettre à dos une autre caravane...

Lorsqu'ils repartirent, le soleil était déjà haut dans le ciel. Loah sentit la faim monter alors qu'ils marchaient. Ce matin tout le monde avait l'estomac trop noué pour déjeuner, et ils avaient sauté un repas, mais à présent elle le regrettait. Elle lança un regard vers Elmoah qui marchait à côté du papaopamus, se demandant si ils mangeraient toujours à leur faim sur le chemin. Ils avaient pris de nombreuses provisions séchées, mais ils devraient trouver les produits frais eux-même, et même les raisins secs n'étaient pas infinis. Inconsciemment, elle se rapprochait petit à petit du clavat, lorsqu'elle arriva à son niveau il lui adressa la parole.

_Alors, Loah, inquiète ?

Le son grave de la voix du jeune homme la tira de ses pensées, et elle le regarda un instant avant de pouvoir répondre

_Euuh.. je ne sais pas, je ne crois pas

_On dirait pourtant, tu fais la même tête que moi il y a sept ans. Et au final je sais que m'en faire n'a servi à rien. Répondant à son air rassurant, Loah lui sourit un peu

_Il n'y avait pas de quoi s'en faire autant ?

_Non, je n'aurais jamais pu imaginer à quel point c'était affreux avant de l'avoir vécu, tout simplement. Ça ne sert à rien de s'en faire par ce que même tes pires cauchemars ne te préparent pas à voir tes camarades brûlés vifs par un magicien gobelin, ou tranchés en deux par un ékarissor. Le sourire de Loah fondit comme neige au soleil, laissant plutôt place à un air ébahi par le ton léger qu'il avait emprunté.

_Tu sais lire et écrire non ? Tu devrais en profiter pour lire le Livre, je crois que tu l'as déjà dans tes bagages non ? Si tu pouvais en lire des passages le soir auprès du feu, ça aiderait peut-être les autres à se préparer mentalement, même si aucune préparation ne peut valoir l'expérience.

_Je, euh, je dois aussi écrire dans le livre non ?

_Si tu veux, mais ça fait longtemps qu'il n'y a pas eu de nouvelles notes, généralement personne n'a envie d'y relater des choses. Et puis tout ce dont on peut avoir besoin y est déjà relaté

_J'ai déjà commencé en fait... Daniel me l'a donné hier, j'ai déjà écrit une page, je n'aurais pas dû ?

Loah finit sa phrase en baissant les yeux, mais la réaction du clavat n'était pas celle qu'elle s'imaginait. Pour la première fois Loah vit une lueur de surprise dans le regard du clavat qui lui sourit ensuite, c'était la première fois qu'elle était certaine qu'il souriait sincèrement.

_Peut-être a-t-on retrouvé un scribe des chroniques du Cristal cette année. Si tu te charges de tenir le livre, je m'arrangerais pour que tu puisses esquiver tes corvées de temps à autre.

_Ho, non, je veux participer aussi, je n'aurais sans doute pas quelque chose à raconter tous les jours, et puis je préfère me sentir utile.

Le clavat eut ensuite une drôle d'expression.

_Relater nos souvenirs n'est jamais inutile, c'est peut-être même le rôle le plus important d'une caravane. Les souvenirs qui ne sont pas conservés se ternissent et s'envolent pour finir dévorés.

Il regarda ensuite dans le vague. Ne sachant pas trop quoi dire, et ayant pour l'instant oublié sa faim, Loah le laissa passer un peu devant pour repenser à leur discussion. Elle n'aimait pas tellement le clavat, on aurait dit qu'il lui manquait quelque chose, mais elle ne saurait dire quoi.

Elle se souvenait, sept ans auparavant, le clavat était revenu seul au village, sans caravane, à pied, le calice plein de myrrhe et les vêtements couverts de sang séché. Cette année personne n'avait réellement fêté le retour du Cristal, et personne ne s'attendait à ce que le jeune clavat demande à retourner dans la caravane l'année suivante. Personne ne lui en aurait voulu de se retirer, même si traditionnellement les caravaniers le restaient pour trois ou quatre années. Mais il avait participé aux sélections, et était arrivé premier dans toutes les épreuves. Il ne semblait plus se souvenir de ce qui s'était passé durant l'année écoulée, et tout le monde avait mis cela sur le compte du choc. Depuis les pertes avaient été minimes, trois personnes en sept ans, et le clavat était devenu un héros. Sept ans plus tard Loah discutait avec lui et lui trouvait un air inhumain. Elle s'en voulait de penser cela, si ils survivaient à cette aventure, ce serait sans doute grâce à lui. Elle chassa donc ses mauvaises pensées et se concentra sur l'avenir. La journée passait lentement, le soleil ne tapait pas aussi fort qu'il y a quelques semaines et la température n'était pas étouffante. La faim recommença à assaillir Loah et la soif se fit elle aussi sentir. Elle sortit sa gourde de son sac pour prendre quelques gorgées et la remis au frais, dans sa couverture, puis elle vit Gul se diriger vers Elmoah.

_Hé, quand est-ce qu'on s'arrête ? On meurt tous de faim.

Elmoah regarda alors le Selkie comme si il s'étonnait qu'il pose la question.

_On s'arrêtera dans quatre heures, quand le soleil sera assez bas. Si vous n'êtes pas capable de tenir une journée sans vous arrêter vous pouvez aussi bien retourner au village, par ce que vous ne tiendrez jamais le coup.

Gul semblait avoir du mal à avaler la réponse du clavat, comme si il s'étouffait avec, mais le ton cinglant du clavat ne laissait place à aucune répartie, et le selkie ne lui lança qu'un regard rageur avant de retourner marcher à l'exact opposé dans la caravane. Loah eut un peu pitié de lui, le pauvre était certes énervant, mais elle-même était affamée et commençait à sentir ses jambes lui peser, et même si elle n'avait jamais pu supporter l'autre selkie, se sentit compatissante. L'intervention de Gul avait laissé place à un nouveau silence pesant dans la caravane, on n'entendait que le son des roues sur le chemin de terre et le chant des oiseaux dans les arbres qui parsemaient les prairies de la presqu'île de Sanoria. Le temps passait lentement, mais le soleil petit à petit descendait, et lorsqu'il fut assez bas dans le ciel, Elmoah brisa le silence.

_Bon, maintenant il faut trouver un endroit où s'arrêter.

L'intervention du clavat eut pour réponse sept soupirs de soulagement. Ils voyaient à présent beaucoup plus d'arbres, et ne voyaient plus la mer. Elmoah s'adressa alors à Loah.

_Loah, tu peux me passer le livre s'il te plaît ?

_Euh.. oui, bien sûr !

Loah se dépêcha ensuite de grimper dans la caravane, fouilla dans son sac puis en sortit le vieux grimoire avant de retourner le donner au clavat qui le feuilleta et s'arrêta sur l'une des premières pages, écornée, donc le papier devenu complètement jauni par le temps, était orné par une carte détaillée de la presqu'île. Il se tourna alors vers Loah.

_Les pages écornées sont celles où on trouve des cartes, il y en a un peu partout dans le livre selon que les scribes ont eu ou non le temps de les dessiner pour les différentes régions. C'est grâce à elles si on peut voyager sans trop se soucier des points d'eau. Lorsque quelque chose change, on retouche les cartes ou on les redessine en arrachant celle d'avant pour que la caravane suivante ne se trompe pas. Tu vois, à travers le livre ce sont les centaines de caravaniers qui nous ont précédés qui veillent sur nous. Bon, on va quitter la route, il y a un ruisseau qui passe à un ou deux tessarians vers l'est.

Il redonna le livre à Loah puis prit les rênes de la créature tirant le chariot pour la diriger hors du sentier. Les autres caravaniers se plaignaient un peu de la distance restante, mais la proximité de leur repos les motivait suffisamment pour avancer. Une bonne demi-heure plus tard, les caravaniers sentirent la fraîcheur de l'eau sur leurs pieds endoloris. La plupart enlevèrent immédiatement leurs chaussures pour soulager leurs pieds fatigués. Jusqu'à ce qu'Elmoah ne les rappelle à l'ordre.

_Bon sang, on est pas en colonie de vacances, vous vous reposerez quand vous aurez tous fait vos corvées. Torbigeta viens m'aider à trouver du bois. Le Yuke qui faisait partie des rares qui n'avaient pas sauté à l'eau lança un oui métallique avant de courir derrière le clavat. Durant ce temps Kieren avait sorti la marmite du chariot et Gul était parti chercher des grosses pierres en gromellant des injections contre un "fils de lamia de clavat". Erin et Miya étaient parties essayer de trouver quelque chose à grignoter en papotant. L'atmosphère semblait s'être libérée d'un coup. Loah et Lyle étaient les seuls qui n'avaient pour l'instant rien à faire, ils décidèrent donc d'aller aider les autres. Alors que Lyle avait sorti sa hallebarde du chariot et était parti en courant derrière les filles en disant qu'il allait massacrer un tomberri, Loah décida d'aller aider Kieren pour la cuisine. Elle trouva la jeune clavat assise sur une pierre, devant la marmite posée par terre.

_Salut Kieren !

_Salut Loah...

Loah alla s'asseoir à côté de la clavat, mais un silence de malaise plana très vite.

_Heu.. je peux t'aider pour la cuisine ?

_Bah.. pour l'instant il n'y a rien à faire, les garçons sont partis chercher du bois et les filles de quoi manger.

_Oui, c'est vrai...

Puis le silence revint, jusqu'à ce que Loah se rendit compte que la clavat tremblait un peu. Elle lui passa un bras autour des épaules, la faisant sursauter, puis la clavat se laissa complètement aller contre la selkie, sanglotant doucement. Loah lui frotta gentiment le dos comme pour lui remonterle moral, mais elle savait que ça ne servirait à rien. Elle avait simplement besoin de relâcher toute la pression, la journée avait été dure pour les nerfs. Au bout de plusieurs minutes, la clavat se calma et essuya ses larmes d'un revers de manche, puis se cala contre la selkie. À présent le silence n'était plus bizarre, mais serein, Loah sentait la chaleur de la clavat contre elle, et elle comprit que c'est ce dont ils auraient le plus besoin, de la chaleur humaine. Puis elle se mit à plaindre le petit Elmoah qui était rentré seul au village sept ans plus tôt.