La chocogrenouille de Severus
Chapitre 1
Son poing dextre, qui serrait vigoureusement ces petits objets, s'ouvrit doucement pour permettre à son autre main de rejoindre sa jumelle et offrir ainsi un écrin de chair plus ample. Le jeune garçon tendit ses petits bras devant lui, bien en hauteur, et insuffla de petites secousses, faisant vibrer les petits éléments dans sa main qui s'entrechoquèrent dans une musicalité métallique.
Pendant quelques secondes, il apprécia cette douce cacophonie qui préludait ce doux instant où il pourrait avoir le contrôle. D'un mouvement brusque, il balança ses mains en hauteur et ouvrit les paumes de ses mains.
Cinq petits osselets de plomb s'élevèrent vers le plafond de sa chambre sous le regard attentif de Severus qui suivait leur chute gravitationnelle. Il concentra son regard sur cet osselet rouge et le maintient dans l'éther tandis que les autres pièces achevaient leur descente ouatée sur le sol molletonné.
Severus souriait devant cette danse esseulée et désordonnée. Il avait enfin réussi à contrôler, à distinguer, à valoriser cet objet différent, difforme.
Un éclat de voix lui fit perdre sa concentration et ce dernier osselet rejoint ses comparses.
« Severus descends tout de suite, j'ai une surprise pour toi » clama sa mère d'une voix fluette et exaltée.
Eileen Prince tourna son visage ingrat, dont la rougeur témoignait de sa surprise vers la visiteuse et tenta d'esquisser un sourire qui n'aboutit qu'à une simple déformation de ses lèvres en un rictus guignolesque accentuant encore plus sa laideur. Eileen savait qu'elle n'était pas belle. Aucun garçon à Poudlard n'avait daigné la regarder. Elle était trop grande, trop malingre, trop insignifiante. Elle appartenait à cette petite noblesse désargentée de sang-purs dont la qualité du pedigree ne remontait qu'à quelques générations. Elle n'était pas réellement laide mais elle n'avait ni ce petit éclat dans le regard ni ces minuscules ridules au coin des lèvres et des yeux, creusées par des nombreux éclats de rire. Elle ne portait pas les sillons gravées d'une vie heureuse qui éclairent même le plus ingrat des visages.
La vieille dame, elle, regardait dans l'embrasure de la porte ce petit garçon émacié qui s'était figé devant elle. Elle focalisa son attention sur ces prunelles d'encre qui répondaient à son introspection par un mélange de curiosité, de détermination et un soupçon d'arrogance.
Oui, ce regard ne pouvait tromper l'apparence misérable de ces habits rapiécés, dont les extrémités tombaient et engloutissaient dans un fatras de tissus les terminaisons tactiles de ce corps. Ses vêtements étaient ceux d'un Rogue, un misérable sans le sou moldu, mais son visage, lui, avait les traits caractéristiques de son noble sang et il avait dans son regard juvénile cette étincelle d'insoumission qui avait déserté depuis longtemps les onyx de sa mère.
Eileen s'approcha de son jeune enfant et d'un mouvement trop brusque pour ne pas révéler son embarras, le poussa d'une bourrade maladroite devant cette dame.
« Severus, voici Tante Elladora, elle est venue te rendre visite pour ton anniversaire. C'est ma tante maternelle, la sœur ainée de ta grand-mère »
Severus ne bougeait pas, ne prononçait aucune parole. Son esprit vagabondait vers des scènes du passé que ces quelques mots avaient fait ressurgir.
« Anniversaire », une date calendaire du mois de janvier indiquant qu'il avait pris un an de plus et atteint l'âge raisonnable de faire les activités subalternes que son père lui déléguait avec joie. A cinq ans, il avait eu ainsi l'insigne honneur de nettoyer l'antre de la cheminée avec un hérisson métallique dont il pouvait aisément manipuler les rayons en se positionnant au centre même du conduit. A six ans, sa taille lui permis d'atteindre l'évier et convenir à la corvée récurrente de vaisselle. Et maintenant à sept ans, devant lui se tenait un autre adulte qui lui signifierait sûrement une quelconque tâche ingrate pour fêter son anniversaire.
N'allez pas croire que les parents du jeune Severus maltraitaient leur enfant et étaient une réplique des Thenardiers, ces personnages méprisables de papier. Non, s'ils n'avaient jamais offert de cadeaux, ni un gâteau d'anniversaire ce n'était pas par malice ou pingrerie, c'était simplement qu'ils ne voyaient aucune utilité ou aucun besoin.
Tobias aimait son garçon, mais jamais il n'aurait avoué ou montré par des paroles ou des gestes son affection. Ce garçon né de son union charnelle avec une sorcière, ce garçon qui avait quelquefois le regard si froid qu'il faisait frissonner son épiderme. Une crainte maladive devant ces pouvoirs qu'il pressentait plus importants, plus sombre et destructeurs que ceux de sa propre femme. Alors, instinctivement il cherchait à le faire grandir, à lui donner ce qu'il appelait des responsabilités, des tâches ingrates à accomplir pour l'inciter à s'éloigner au plus vite du cocon familial. Il masquait sa peur sous un amoncellement de brimades, de mots son époux, Eileen aimait son fils, mais elle était incapable de lui exprimer son amour. Bien sûr, elle lui faisait brièvement une caresse sur ses cheveux, comme on le ferait pour un animal familier et c'était à lui qu'elle réservait ses petites ébauches de sourire quand elle l'observait utilisant sa magie instinctive. Mais ces gestes était épars, retenus par cette petite voix insidieuse qui lui disait que son enfant était le symbole vivant de sa disgrâce familiale, du reniement paternel.
« Grand-mère ». la première fois qu'il avait entendu ces mots, c'était entrecoupés des sanglots de sa mère qu'il observait, caché derrière une commode massive, se faire maladroitement consoler par son père.
« Elle ne veut pas voir son bâtard de petit-fils. Elle ne veut pas connaître cette progéniture impie qui souille notre lignée » hoqueta Eileen tenant dans ces doigts une lettre manuscrite dont l'encre se déliait en de nombreux endroits sous l'effet des ruisselantes lacrymales.
A trois ans et demi, pour la première et unique fois, Severus avait vu sa mère pleurer, exprimer un sentiment.
« Bonjour Severus, je suis votre grande tante Elladora Shieldest. Avances-toi que je puisse mieux te regarder.
- Pourquoi t'es là ? Je ne te connais pas.
- Quand tu t'adresses à moi tu me vouvoieras. Je suis une adulte et mérite le plus grand respect »
Severus la regardait avec circonspection, cet argument ne semblait pas être des plus persuasif. Les adultes étaient des personnes stupides, qui ordonnaient, jacassaient et ne méritaient pas plus de crédit qu'un chat de gouttière. Mais un simple regard sur sa maman lui fit comprendre qu'elle espérait beaucoup de cette visite et il décida d'imiter le comportement de ces insipides enfants moldus qui par leur conduite, arrivaient à charmer la plus acariâtre des vieilles femmes.
Il adopta une pose de soumission feinte et marmonna ces quelques mots.
« Excusez-moi Tante évapora ...
-Tu peux m'appeler Ella, et je n'ai pas l'intention de m'éclipser avant que tu ne m'aies montré de quoi un sorcier tel que toi es capable, dit elle en esquissant un petit sourire ».
Severus leva son visage vers elle et lui rendit un vrai sourire. C'était une sorcière et elle voulait qu'il lui montre sa magie.
Il tendit sa main vers elle, s'accrocha à un pan de sa robe et avec un petit mouvement joyeux l'incita à l'accompagner dans l'ascension du vieil escalier en bois de chêne. Arborant un sourire malicieux, tante Elladora l'accompagna jusque dans son antre.
Un faisceau lumineux éclairait la portion haute du lit de fer forgé et mettait en valeur un oreiller blanc, d'où on distinguait un fin liseré vert sur la bordure entourant un fin monogramme brodé aux initiales E.P. La lumière provenait d'une large fissure dans le volet vétuste. Comme chaque jour, la fenêtre et son écrin de boiserie était irrémédiablement clos.
Aucun membre de cette famille ne daignait faire entrer un peu de la vie extérieure dans ce repaire. Severus avait l'excuse de sa petite taille qui rendait difficile l'accès à cette poignée et il aimait aussi se trouver dans cette éternelle pénombre qui lui convenait parfaitement. Lorsque le soleil se levait, l'éclat lumineux réchauffait sa joue en une chaleureuse caresse et, pendant ces quelques brefs instants, il était heureux.
Sa chambre étant son domaine réservé, ses parents y rentraient rarement et seulement pour accomplir une tâche domestique ou punir une certaine insolence qui pointait son nez dans les rares propos du jeune garçon taciturne. La fenêtre donnait sur une petite cour grisâtre aux murs en pierres rouges avec des touches plus foncé de moisissures. Derrière ce mur, on apercevait la haute cheminée d'une usine qui crachotait une fumée grise dont la trajectoire guidée par le Roger portait les effluves nauséabonds des textiles calcinés dans leur direction.
Avec un claquement sec, la fenêtre et le volet s'ouvrirent, baignant la petite chambre dans un océan de clarté. Elladora baissa sa baguette et se tourna vers son petit-neveu.
« Même si tu sembles aimer particulièrement les ténèbres, tu devras apprendre à vivre dans la lumière. Une vie de reclus ne sera jamais une vie. Maintenant, montres-moi que tu es un sorcier»
Severus plongea sa main dans la poche de son pantalon et attrapa ses osselets et recommença le même petit rituel. Sa tante l'observait. Le visage concentré de Severus, l'éclat d'excitation de ses prunelles d'onyx, le petit sourire qui spontanément éclairait son visage ; tout le révélait quand il accomplissait sa magie.
Elladora posa sa main noueuse sur son épaule, surprenant le jeune Severus qui laissa choir cet osselet rouge : « Pourquoi as tu choisi de le faire léviter ?
- Parce qu'il est différent. Il n'est pas comme les autres. On le remarque toujours mais personne ne l'aime. »
Un court silence suivi cette déclaration. Les yeux bleus d'Elladora plongèrent dans cette vaste étendue d'encre noire et par un sortilège informulé, extirpa ces petites bribes de vie qui pourraient apporter un éclairage sur le court parchemin de vie de Severus.
Nul ne sait ce qu'elle avait vu. Mais elle prononça ces quelques mots qui bouleverseront la vie du futur maître de potion.
« Je vais t'apprendre à utiliser ta magie. Je vais t'enseigner l'art des potions, à canaliser ton esprit, à connaître les sortilèges. Je vais t'apprendre le goût de la découverte, à repousser les limites »
Et c'est ainsi que Tante Elladora est entré dans sa vie et l'accompagna de sa douce et revêche présence.
Après cette déclaration, Elladora descendit pour converser au sujet de l'avenir du garçon avec sa mère qui accepta avec joie de confier l'éducation magique de son fils à sa tante. Trop heureuse de voir un membre de sa famille accepter cet enfant et renouer des liens avec elle, elle n'imaginait pas encore les conséquences que cette décision aurait sur le destin du couple.
Elladora emmena son neveu, près de l'âtre de la cheminée de pierre, s'installa sur le vieux fauteuil de rotin et entama une conversation sur leurs ancêtres. Severus, devant le flot saccadé des souvenirs et remous du passé de sa tante, s'abreuva à cette fontaine de connaissance du monde magique. Un univers que sa mère évoquait rarement, ne répondant que brièvement à ses suppliques.
Un macrocosme des utopies réalisables, défiant toutes lois naturelles n'ayant pour seule limitation les restrictions sociales et éthiques que cette société voulait bien poser.
Un univers où il ne serait plus ce petit garçon émacié aux longs cheveux de couleur ébène,dont des mèches éparses retombaient sur son front et ses joues et formaient une cascade qui ne parvenaient pas à engloutir sa protubérance nasale. Un monde où il pourrait côtoyer la jolie petite fille aux yeux d'émeraude, qui le regardait sans avoir ce petit mouvement de recul dans son regard qu'avaient habituellement les autres personnes.
Elladora voyait bien que l'esprit de son jeune neveu, bercé par son flot de paroles s'évaporait vers des destinations oniriques mais elle continuait à parler, à apaiser ce cœur tourmenté.
Elle arrêta quelques minutes son babillage et adressant un sourire à Severus, elle plongea sa main gauche dans la doublure de son long manteau noir et attrapa une minuscule boîte, qu'elle fit grandir d'un coup de baguette magique.
Posant le paquet au sol, elle prononça ses quelques mots :
« Severus, voilà mon cadeau pour ton anniversaire ».
Pour la première fois de sa vie, Severus reçut un cadeau. Il ouvrit la boîte qui renfermait deux ouvrages de magie et un petit paquet où il pouvait déchiffrer des lettres en mordoré sur fond bleu qui formait un nom étrange « chocogrenouille ».
« Severus, si ces livres t'ouvriront la voie d'un champ de connaissance de notre monde, tu ne pourras réellement le saisir qu'en déchirant le papier d'emballage » Severus obéit. Ses yeux s'écarquillèrent devant cette grenouille chocolatée qui sembla le fixer un instant avant de commencer son envolée.
La grenouille virevoltait dans la pièce tandis que Severus, amusé, tentait sans succès de toucher cette friandise magique. Mais le batracien continuait sa course, fuyant l'estomac du jeune garçon dépité qui rejoignit sa tante devant le foyer de la cheminée. Par on ne sait quel aléa, la chocogrenouille s'approcha des flammes. La chaleur eut raison de ses forces, ses pattes antérieures commencèrent à fondre et elle s'immobilisa sur l'accoudoir du fauteuil. Severus tendit ses doigts et avec un geste délicat, déposa la grenouille agonisante au creux de sa main. Des tâches brunâtres clairsemaient la peau diaphane de sa main. Poussé par la curiosité il la lapa et poussa un soupir de contentement devant l'esquisse l'exquise saveur du chocolat et d'un bref mouvement de sa mâchoire décapita l'animal.
Il engloutit ensuite avec fébrilité son corps et tourna son visage qui témoignait, par les fines ridules chocolatées autour de ses lèvres, de sa gourmandise. Sa tante Elladora lui sourit : « Tu n'as pas encore regardé le carton d'emballage »
Severus vit alors une carte, ayant la forme d'un cristal en deux dimensions, sur laquelle un sorcier tenait dans le creux de sa main un lingot de fer dont une extrémité était plongée dans un chaudron. Le sorcier par un mouvement de balancier émergeait et plongeait l'objet dans la solution jusqu'à ce qu'il prenne une couleur dorée. Au pied de la carte, on pouvait lire Paracelse.
La tâche accomplie, l'alchimiste sortit , laissant le jeune Severus devant une carte avec seulement des objets inanimés.
« Tu viens de découvrir ton premier objet magique. Dans chaque paquet de chocogrenouilles, tu y trouveras une carte à l'effigie d'un sorcier ou d'une sorcière célèbre qui a marqué l'histoire de notre civilisation. ».
Devant le regard défait de son neveu, elle ajouta « Ne t'inquiète pas, Paracelse reviendra, les ersatz de vie aiment se déplacer, mais reviennent toujours dans leur cadre »
Ce fut la première d'une longue série de rencontres entre cette tante âgée et Severus. Elle lui enseignât les arts ésotériques adaptés à son âge et ce fut elle qui l'accompagna en cette journée d'aout 1971 pour choisir sa baguette : bouleau et crin de licorne.1
Tenant avec fierté sa baguette, il sortit du magasin d'Ollivander et croisa au détour du chemin de Traverse son amie Lily, accompagnée de ses parents qui semblaient un peu perdus devant cette agitation fourmillante qui précédait les jours avant la rentrée scolaire.
Lily, sa première amie. Celle à qui il avait révélé sa condition de sorcier et sa condition de sorcière. Cette fillette qui ne le jugeait pas, se moquait de ses sautes d'humeur, riait avec lui et pas de lui. Elle qui criait d'excitation quand Severus avec ses maigres bras tentait de donner une impulsion à la nacelle de la balançoire pour amener leur vaisseau vers une mer de nuages.
Lily, celle avec qui il partageait les connaissances de ce monde qui n'était encore que rêveries à leurs yeux.
Les jours se consumèrent rapidement dans la moiteur de la chaleur de ce mois estival jusqu'à ce premier jour de septembre. Accompagnés de leurs parents respectifs, les jeunes adolescents s'avancèrent vers le quai 9 ¾ et franchirent le passage magique.
À suivre....
1Pour la composition de la baguette, j'ai respecté le calendrier celte de J.K Rowling, pour la matière de la baguette.
Avec tous mes remerciements pour le travail laborieux de mon amie et formidable bêta Jukava
