Au bout de la ligne noire de mon canon, ton attitude me désarçonne. Encore. Pourquoi ? Pourquoi essaies-tu à nouveau de me convaincre ? Ne comprends-tu pas qu'il est inutile de faire appel au moindre sentiment de ma part ? Rien, je ne veux plus rien ressentir.

« Flamie, tu es comme moi. Tu as connu l'abandon, la trahison… »

Tais-toi. Cesse de parler. Je ne veux pas écouter. Je plisse l'œil, redresse le canon. Sa ligne sombre et mate est si rassurante. Une seule direction. Rien qu'une voie obscure, nette et précise. Si vide de nuances, sans sentiments. Comme celle que j'étais avant que tu ne stoppes ma course solitaire vers le Majin.

« Je vais t'aider. Te protéger. »

C'est ce que tu disais aussi le jour de notre rencontre. Assez ! J'en ai assez de tes paroles. Tout ce que tu veux, c'est me tromper, abuser de ma confiance. J'aurais pu te croire, avant. Peut-être. J'avais confiance. Je me croyais aimée par ma mère et les autres Calamités. J'avais un but, une mission. Tant que je la remplissais, mon monde était parfait. Et puis, … j'ai échoué. Chamot. Cette gamine. Qui aurait pensé qu'elle était si redoutable ? J'ai dû rentrer avec la défaite comme compagne. Je cherchais du réconfort, une parole, un geste. Quelqu'un qui me rassurerait. Pas grave, ce n'est pas grave, Flamie. Une autre fois. Tu réussiras. Je me serais contentée d'un simple geste. Rien qu'une patte griffue posée doucement sur mon épaule me suffisait. Finalement, je ne demandais pas grand-chose.

Au lieu de cela, j'ai affronté le regard haineux de ma mère, les grognements malveillants des autres Calamités. J'ai courbé les épaules, baissé la tête, quémandé un pardon qui n'est jamais venu. J'ai perçu le signal, relevé le regard, vu sans trop y croire ma mère avancer vers moi, gueule ouverte. Le cercle des Calamités se refermait sur moi. Les écailles, les plumes, les serres formaient un mur qui semblait infranchissable. Mes balles ont éclaté, le sang de ceux qui étaient les miens a été répandu. Et j'ai fui.

Sais-tu ce que c'est d'être trahi par ses proches ? Connais-tu cette douleur à l'instant où tu comprends ? Ce mal qui transperce ta peau, déchire tes muscles et s'insinue jusque dans la moelle de tes os ? Cette souffrance tellement intense qu'elle en devient indispensable à ta survie ? Parce que c'est la seule chose à laquelle tu peux encore t'accrocher quand tout est fini. Quand ton monde s'écroule, il ne te reste que tes blessures.

Tu vois, il est inutile de compter sur un sentiment de ma part, sur une étincelle de bienveillance. L'amour, la confiance, le bonheur. Ce que j'étais avant… Cette Flamie-là est morte entre les crocs sanglants de ma mère.

Arrête de me sourire, de me tendre la main.

J'ajuste la visée, mon doigt se crispe sur la détente. Combien de fois nous sommes-nous déjà trouvés ainsi ? Trois, quatre ? A chaque fois, j'ai baissé mon arme, capitulé. Pourquoi t'ai-je donné autant de chances ? J'aurais dû te tuer à notre première rencontre. Tout aurait été plus simple. Ton cadavre pourrissant n'aurait jamais pu ainsi semer le doute en moi. Chaque instant passé à tes côtés est si différent. Et parfois, j'ai envie de te croire. Mais je ne peux pas. Je dois garder ma voie : trouver le Majin, le tuer et mourir. Mourir. Cela semblait si facile avant toi. Tellement évident avant. Le brun de tes yeux, le feu de tes cheveux. Ton rire quand tout va mal. Ta manière de me regarder. Adlet. Tu as déposé des étoiles dans ma nuit. J'ai beau tenter de les ignorer, cela ne nie pas leur existence. Mon obscurité n'est plus si sombre. Quelque part, au fond de moi, une jeune Flamie relève la tête. Il me semble même qu'elle sèche ses larmes, regarde les faibles lumières. Tu me donnes envie de vivre.

« Je te construirai un foyer, Flamie. »

J'ai le cœur prêt à éclater. Pourrait-il ? Battre ? A nouveau ? Le canon sombre se baisse. Je crois. Peut-être. Un instant. Un moment encore. Te croire.

« Adlet. »