S'il était honnête avec lui-même, il devait admettre qu'il était plus que tenté. Il avait toujours cru qu'il pourrait dominer l'envie, mais aujourd'hui, sur ce banc, il savait que sa tentative de contrôle serait bientôt réduite en cendres. Et il ne pouvait même pas accabler ses étoiles. Pas quand il jouait depuis si longtemps avec le mince cylindre – sur ses lèvres ─ et sa conséquence corollaire – dans son esprit.

Augustus Waters aimait comment la cigarette devenait un accessoire sur son visage ─ débonnaire, nonchalant, prétentieux même ─ autant qu'il aimait comment il se sentait avec ─ en charge, puissant, triomphant. Porter la cigarette à ses lèvres, la laisser pendre au coin de sa bouche, à peine toucher le filtre du bout de la langue, et cependant ne jamais allumer l'objet, là résidait la véritable victoire. C'était un sacré exploit que de posséder une arme cancérigène et pourtant de résister à l'envie brûlante d'appuyer sur la détente.

Seulement ces jours-ci, Augustus était loin de se sentir fort. Il se sentait… à des lieues de faible. Faible aurait été génial. Même pourri aurait été OK. OK, peut-être pas, mais cela aurait été mieux que cette sensation de n'être qu'une passoire : criblé de millions de trous, incapable de retenir ses capacités, vide de toute chance de survie.

Mais Augustus avait un plan. Mieux : il avait une Métaphore. Elle s'était instillée en lui au milieu d'une nuit agitée, où son esprit avait erré entre rêves délirants et cauchemars chimériques. Il s'était réveillé en sueur, vidé par ce faux repos, mais la Métaphore lui était apparue aussi vive qu'une pépite d'illumination. La cigarette le sauverait. Il en prendrait une, suffisamment longtemps pour sentir la fumée âcre envahir sa gorge, suffisamment longtemps pour sentir le poison se répandre dans ses poumons. Comme le cancer qui avait autrefois envahi sa jambe et était revenu coloniser son corps tout entier. Puis il s'arrêterait après quelques bouffées, laisserait tomber la cigarette et l'écraserait sans remords sous sa semelle. Voilà comment il arrêterait le cancer. Et enfin il s'en irait, laissant le mégot derrière lui. Car il n'y aurait plus rien à craindre.

S'il devait baser sa vie sur une métaphore, c'était bien celle-là.

Alors aujourd'hui, se sentant moins passoire que d'habitude, Augustus s'était levé du lit et s'était assis sur le banc de son jardin, réclamant d'y être seul. Malgré leurs inquiétudes, sa famille avait obéi. Avantage lié au cancer ? Assurément, mais c'était seul qu'il devait mettre sa Métaphore en œuvre. Après tout, il était seul dans cette bataille.

Il retira une cigarette de son paquet et le briquet de sa poche. Ses mains tremblaient, mais ce n'était pas à cause du froid. C'était de l'appréhension. La cigarette était là, sur ses lèvres, comme souvent, prête ─ pour une fois ─ à être allumée, et la seule chose, la seule personne qui le retenait était Hazel Grace. OK, elle n'était pas présente physiquement pour l'arrêter ou pour lui faire la morale en lui disant qu'il allait tout gâcher, mais penser à elle suffisait à ralentir l'envie. Il n'aurait jamais cru, quelques mois plus tôt, qu'elle prendrait une importance grandissante dans sa vie. Il sourit. Vraiment, elle était pareille à une tumeur d'amour. Sa tumeur d'amour. Sa raison aussi. S'il allumait cette cigarette, Hazel le remarquerait-elle ? Et si oui, que penserait-elle de lui ? Devinerait-elle qu'il avait renoncé ?

Son sourire s'éteignit. Son pouce frotta la pierre du briquet. Il inspira. Une fois, profondément, avant de poser la cigarette sur le banc, sans l'écraser. Et sur cet étrange autel, Gus regarda le cierge de nicotine consumer sa vie.