Chapitre 1

Des flashs incessants hantaient l'esprit d'Harry. Il revoyait sans cesse le regard suppliant de son mentor, épuisé et faible, tenant à peine debout devant Rogue, qui pointait sa baguette sur lui. Il revoyait l'éclair vert heurtant Dumbledore de plein fouet, et ses grands yeux perdre instantanément leur lueur de vie. Il revoyait son corps tomber du haut de la tour d'astronomie, un poids mort s'écrasant sur le sol cinquante mètres en contrebas. Il se revoyait lui, figé et incapable de bouger. Incapable d'aider un adulte qui avait toujours cru en lui.

Cela faisait presque une semaine qu'Harry n'avait pas quitté son lit au Terrier. Les Weasley venaient lui tenir compagnie tour à tour, la désolation évidente sur leurs visages graves. Leurs tentatives pour le réconforter passaient à travers Harry comme un vent hivernal, présents sur le moment, mais vite oubliés une fois qu'ils s'en allaient. Il sentait que quelque chose de sombre avait pris la place de ses émotions, alors qu'il ne cessait de repasser en boucle les évènements de cette soirée dans son esprit. S'il avait eu de la Pensine à portée de main, il aurait tout fait pour se noyer dedans en se regardant être plus impuissant que jamais.

Ron restait avec lui dès qu'il avait un moment de tranquillité, hors de ses responsabilités familiales. Il parlait de tout et de rien, tentant de combler le silence de mort pesant dans la chambre. Alors que les autres Weasley ouvraient les rideaux dès qu'ils entraient pour laisser passer la lumière du soleil par la grande fenêtre, Ron, lui, les laissaient fermés. Il semblait comprendre ce que traversait Harry, et ne cherchait pas à lui interdire de faire son deuil en paix. Mais Ron était mal à l'aise dans le silence, et ça Harry en était conscient. Il laissait donc son meilleur ami parler seul pendant des heures, abordant ses difficultés à comprendre les cours que madame MacGonagall leur avaient donnés en format papier avant de renvoyer tous les étudiants chez eux, ou encore de sa relation avec Hermione, et des sensations bizarres qu'il ressentait à ses côtés. Même si Harry ne répondait jamais, il écoutait ce que lui disait Ron, et quelque part il sentait que sa voix le berçait hors de cette anesthésie qu'il ressentait.

Hermione était rentrée chez elle directement après la fin des cours. Elle avait informé ses amis qu'elle serait bientôt présente au Terrier, mais qu'elle avait quelques affaires à régler avant de les rejoindre. En temps normal, Harry serait retourné chez les Dursley pour y rester durant toutes les vacances, mais il était incapable d'y rester seul. Il ne pouvait plus rester seul et impuissant comme cette nuit-là.

Bien que son esprit ait dirigé toute la haine qu'il ressentait vers Rogue, il savait que tout était de la faute de Draco Malfoy. Il l'avait filé durant toute l'année, et il savait que le jeune héritier avait fait entrer les Mangemorts dans Poudlard. Il était allé bien trop loin, et avait causé ce grand malheur. Bien qu'il ait fait preuve de lâcheté au moment crucial, il avait tout de même précipité la perte du plus grand sorcier de cette époque. Cependant, Harry n'avait rien en lui à accorder à Draco Malfoy aucune haine, aucune colère, et encore moins de pitié. Il méprisait l'élève de Serpentard, et n'avait aucun sentiment disponible pour lui. Il y avait un bien plus sombre Mal en ce monde qu'un gamin terrifié.

Ce jour-là, Ginny fut celle qui vint rendre visite à Harry en premier. Comme à son habitude, elle tira les rideaux et ouvrit la fenêtre, laissant le vent froid des champs s'engouffrer dans la chambre, faisant à peine frissonner Harry, qui ne bougea pas. Ginny étudia le garçon quelques instants, avant de se rapprocher et s'assoir à côté de lui sur le lit, son poids faisant légèrement balloter le matelas. Elle posa une main sur l'épaule du brun, qui ne lui accorda aucun regard. Elle en soupira, et le rejoignit dans sa contemplation du vide.

-Je me fais du souci pour toi Harry, il faut que tu sortes de cette chambre. Il faut qu'on continue, qu'on se batte.

Il ne lui répondit pas, mais sentit un ennui profond serrer son cœur. Il était fatigué fatigué de se battre, de voir ses proches mourir les uns après les autres. Il était fatigué d'être un survivant, d'être un héros malgré lui. Il voulait rester à jamais dans ce lit en bois qui craquait à chaque mouvement, et espérait que son corps finisse par fusionner avec le matelas.

-Ron aussi s'inquiète pour toi. Toute la famille a peur, Harry. On est terrifiés. Je sais que tu as vu Dumbledore mourir, je sais que tu étais proche de lui. Mais il faut qu'on se défende, ou sinon on subira tous le même sort. On a besoin de toi, Harry. On est là pour toi.

Harry ferma les yeux. Il n'avait plus de larmes à verser, mais cette douleur si familière revint s'insinuer dans sa poitrine. Les premiers jours après la mort de Dumbledore avaient été témoins de cauchemars infernaux où les amis proches d'Harry prenaient la place du vieux magicien. Dans certains de ces rêves, Draco Malfoy était le meurtrier. Dans un seul d'entre eux le Serpentard fut exécuté à son tour.

Ces cauchemars laissaient leur empreinte dans l'esprit du garçon, qui voyait désormais la mort sur chaque visage qu'il avait tenté de regarder. Depuis, il les évitait tous. Mais Ginny était insistante, et le secoua légèrement pour attirer son attention.

-S'il te plait Harry, dis quelque chose. N'importe quoi. Je ne sais plus quoi faire.

Sa voix tremblait, et il était possible d'entendre les larmes qu'elle tentait désespérément de ravaler. Harry aurait aimé lui dire qu'elle avait raison, qu'il fallait qu'il se ressaisisse, mais parler était encore trop dur. Vivre l'était aussi.

Soudain, la porte de la chambre s'ouvrit brutalement, attirant l'attention des deux adolescents. Hermione entra en trombe, essoufflée par la flopée de marches qu'elle avait dû monter pour arriver jusque-là. Elle avait les larmes aux jeux, et Harry eut le courage de regarder quelqu'un pour la première fois depuis plus d'une semaine. Ce fut comme un déclic, car ses propres yeux laissèrent place au chagrin, eux qui avaient été secs si longtemps. Hermione se jeta dans les bras d'Harry, qui ne fit aucun mouvement pour la contrer, ni la réconforter. Elle se laissa aller et pleura silencieusement dans le cou d'Harry, tandis qu'il restait immobile, osant à peine respirer. Ginny les regarda, et semblait soulagée de voir Harry réagir à quelque chose à nouveau. Elle sourit faiblement, et quitta la chambre, laissant les deux amis d'enfance seuls.

-J'ai appris par Ron que tu n'avais pas quitté ta chambre depuis que tu étais arrivé, murmura-t-elle sans bouger.

-J'ai effacé la mémoire de mes parents. Ils ont tout oublié : Poudlard, la magie… Leur fille… Je n'ai plus de parents, Harry. Mais je n'aurai pas à les perdre à cause de Voldemort.

Harry se crispa. Hermione était de loin la personne la plus brave qu'il connaissait, et elle pleurait tout en lui racontant ce qu'elle avait dû faire pour garder ceux qu'elle aimait loin du danger. Harry se sentit médiocre à côté d'elle, car il n'avait fait que se cacher pendant tout ce temps. Il n'avait pas l'impression de mériter sa place auprès de personnes aussi fortes, qui arrivent encore à vivre et à aller de l'avant malgré tout.

-Harry, il faut que tu te lèves. Dumbledore a laissé quelque chose pour nous dans son testament, et il faut que tu descendes avec moi. C'est important.

Elle se détacha de lui, et le força à la regarder. Harry sentit un profond malaise l'agripper quand ses yeux rencontrèrent les siens.

-Je ne te demanderai pas de parler, ni même de rester avec nous toute la soirée. Mais j'ai besoin de trente minutes de ton temps. Ensuite, tu pourras revenir ici et tu auras la paix.

Harry trembla, ses muscles n'étant plus habitués à se mouvoir. Néanmoins, il affronta son esprit et son propre corps, et s'assit sur le lit. Tout tangua alors qu'il se leva péniblement, assisté par Hermione, qui avait une lueur de fierté dans ses yeux noisette. Elle lui adressa un petit signe de tête, puis ils se dirigèrent vers le salon.

Le vieux notaire envoyé par le ministère regarda tour à tour les trois jeunes assis sur le vieux canapé en tissu beige. Il n'était pas très vieux, probablement la quarantaine, mais ses traits étaient durs et creusés comme un homme d'une soixantaine d'année. Ses petits yeux n'avaient cessé de scruter les différents éléments de la maison depuis son arrivée, et Harry ne pouvait s'empêcher de se demander si c'était de la curiosité ou du mépris qui alimentait son regard. Sa bouche, elle, affichait une moue permanente, qui ne changea pas de sens quand il se mit à parler.

-Monsieur Albus Perceval Wulfric Brian Dumbledore a laissé un paragraphe citant monsieur Harry James Potter, mademoiselle Hermione Jean Granger et monsieur Ronald Bilius Weasley dans son testament, réalisé huit mois avant sa mort, et signé de sa main. Je suis ici en son nom pour vous remettre les pièces mentionnées dans le papier que voici.

Il secoua un parchemin enroulé devant leurs yeux avant de s'appliquer à le dérouler, puis le parcourir des yeux. Il se racla la gorge avant d'entamer sa lecture à voix haute :

-A mademoiselle Hermione Jean Granger, je lègue la toute première version de l'ouvrage « Contes de Beedle le Barde » qui était en ma possession. Son brillant esprit saura démêler les fils de la narration.

L'homme se tourna vers le sac qu'il avait apporté avec lui, et fouilla quelques secondes dedans avant de sortir un vieux livre, recouvert par un vieux tissu noir. Il le tendit à Hermione, qui le prit avec soin avant de l'étudier silencieusement.

-A monsieur Ronald Bilius Weasley, je lègue mon Déluminateur, qui saura l'éclairer en temps de pénombre.

Il fouilla à nouveau dans son sac et sortit un petit objet en forme de briquet, qu'il offrit à Ron. Ce dernier fronça les sourcils en agrippant l'objet, ne comprenant pas l'utilité d'un tel lègue. L'homme sortit un petit boitier doré avant de se plonger à nouveau dans la lecture du testament.

-A monsieur Harry James Potter, je lègue le tout premier vif d'or qu'il a attrapé. Les souvenirs du passé sont précieux, mais ils sont influencés par notre point de vue. En espérant que celui-ci lui permette d'adopter une nouvelle façon de voir les choses.

Il enroula le parchemin avant de tendre le boitier à Harry, qui le prit d'une main engourdie. Il ne perdit pas de temps et ouvrit le couvercle, révélant le vif d'or. Il le saisit entre ses doigts, et le fit rouler dans sa paume distraitement, tentant de ressentir quelque chose, quoi que ce soit. Il attendit patiemment, cherchant le moindre mécanisme à enclencher pour que quelque chose se produise, mais rien n'arriva. Ce n'était qu'un vif d'or, et Dumbledore n'avait rien trouvé de mieux que de laisser des babioles sans importance aux personnes qui avaient besoin d'indices sur ce qu'il fallait faire à présent que Dumbledore n'était plus là pour les aider. Harry jura silencieusement, et laissa une triste déception l'envahir. Il se mit à regretter sa chambre, maudissant chaque minute de plus passée à écouter la voix morne du notaire parler de la marche à suivre au niveau de la loi, et des papiers qu'il restait à signer.

Quand il partit enfin, Harry se dirigea vers les escaliers du Terrier sans adresser la parole à ses amis. Ron entama un geste pour le retenir, mais fut arrêté par Hermione, qui secoua la tête tristement. Harry remonta donc dans sa chambre, prêt à passer autant de temps qu'il ne le faudrait loin du monde et de son horreur.

Il s'arrêta brusquement dans l'embrasure de la porte lorsqu'il vit une figure familière assise sur le lit, aussi droit qu'une statue. Draco Malfoy se tenait là, un air paniqué figeant ses traits fins alors qu'il observait la chambre et la façon que la lumière avait de réverbérer sur les objets en métal. Harry entra lentement dans la chambre, mais Draco semblait l'ignorer. Quand il posa enfin ses yeux sur Harry, sa panique laissa place au choc, puis à l'espoir.

-Potter ? Est-ce que tu me vois ?