Ta~dam ! Voici donc ma nouvelle traduction. C'est un projet que je prépare depuis quelques longs mois et que j'avais en tête depuis... bien plus longtemps que ça encore. Il me tient tout particulièrement à coeur. Parce que l'histoire est différente, parce qu'elle est extrêmement bien écrite, parce que les sentiments y sont si bien dosés. C'est lent, c'est beau, c'est mélancolique, c'est doux, c'est cruel. Cette histoire m'a marquée tout simplement. J'espère que je lui rendrai hommage et qu'elle vous plaira tout autant qu'à moi - si c'est possible. L'histoire nous vient de Madame Zoni. Vous trouverez tous les liens sur mon profil. Laissez-lui un petit mot à l'occasion, elle le mérite - et puis elle comprend le français a little bit.
Et pour finir, un grand merci à ma beta, Ruize-chan, pour son aide.

Disclamer : Comme d'habitude, rien n'est à moi. Ni l'univers, ni les personnages, ni même l'histoire. Le bad...


Immortel
une histoire de Kuroshitsuji
par Zoni

Chapitre I

Le regret.

Il n'y a pas beaucoup de choses que nous, démons, nous trouvons incapables de ressentir. Tout comme les humains, nous possédons une myriade d'émotions, si ce n'est plus. Il nous est néanmoins possible de les contenir, de nous y arracher. Les mortels ne disposent pas d'une telle retenue. Ce sont des créatures impulsives qui profitent de l'instant présent et se complaisent dans la souffrance qu'il leur laisse une fois passé.

De toutes ces nombreuses émotions que nous possédons, le regret n'est pas une chose que nous ressentons très souvent. Notre entendement nous en préserve. Nous ne nous lions pas. Nous ne nous impliquons pas outre mesure. Tout comme un humain ne dévorerait pas un animal de compagnie ; nous savons garder nos distances. De toute mon interminable vie, je peux compter le nombre de mes regrets sur les doigts d'une seule de mes deux mains. Le seul fait réellement marquant est que deux d'entre eux ont eu lieu au cours de ces cent-cinquante dernières années. La chose que je regrette le plus au monde est d'avoir quitté le service de Ciel Phantomhive.


Peu avant son quatorzième anniversaire, feu mon jeune maître a atteint son objectif. Les dernières personnes responsables de ses tortures, après avoir mis feu à sa maison et détruit sa famille, ont été retrouvées. J'ai arraché la tête du dernier d'entre eux de mes propres mains. Sur ce geste, j'avais rempli ma part supposée du contrat. Tout ce qu'il avait souhaité, je l'avais réalisé. Le temps était enfin venu de satisfaire la faim qui me rongeait depuis plus de trois ans et demi. Son âme, si parfaite et singulièrement alléchante, serait la récompense pour mes loyaux services et la dévotion sans faille que je lui avais portée. Cependant, alors que je m'agenouillais face à lui, prêt à m'emparer de ce qu'il m'offrait, une effroyable révélation me frappa. Je n'avais aucune envie d'être celui qui mettrait un terme à sa vie. Je ne pouvais me résoudre à dévorer son âme.

J'avais échoué à garder mes distances vis-à-vis de lui. Quelque part en chemin, j'en étais venu à me soucier sincèrement de mon Jeune Maître. J'étais conscient de l'aimer. Je l'avais déjà réalisé précédemment, mais l'effet que cela produisit sur moi en cet instant fut saisissant. Je savais depuis longtemps qu'à la toute fin, je devrais m'emparer de son âme. C'était l'accord que nous avions passé, un des termes qui scellait notre entente. Jamais auparavant je ne m'étais opposé au contrat, jamais je n'avais pensé à le révoquer. Ces mots sont excessivement trompeurs, ils donnent l'impression qu'une telle chose est aisée. C'est faux. Toutefois, j'ai réalisé à ce moment là une chose qui ne me laissait plus aucune autre option. Son existence signifiait plus à mes yeux que mes idéaux égoïstes, qui depuis des siècles n'avaient pas été remis en cause.

Je pris ma décision avec une facilité déconcertante. Si j'étais incapable de lui ôter son âme, je savais que je ne pouvais pas non plus rester à son service. Sa vie, déjà si marquée par les ténèbres et la souffrance, ne serait que plus corrompue par ma présence à ses côtés. Mon départ ne le laisserait pas sans défense. En partant, je savais que les autres domestiques veilleraient sur lui. Je rédigeai une lettre à l'attention de Tanaka, contenant un prétexte bancal à mon départ. Je ne me souviens même plus de ce dont il s'agissait. Mon Jeune Maître serait en sécurité, on s'occuperait de lui. Il vivrait.

Cette nuit-là, je me rendis dans sa chambre longtemps après qu'il se soit endormi. Je passai plus d'une heure à le regarder dormir sans rien faire d'autre. Après avoir attendu aussi longtemps que je pus m'y risquer, je me penchai sur son visage et respirai le parfum qui se dégageait de ses cheveux. Je déposai un baiser sur son front. Puis je partis. Cette nuit, cet instant, est ce que je regrette le plus. Le quitter fut la chose la plus difficile que j'ai jamais eue à faire. Pour quelqu'un qui a vécu aussi longtemps que moi, cette constatation est loin d'être futile.

Il m'était impossible de détruire l'accord que lui et moi avions passé. Même mon évidente violation des termes dont nous avions convenus n'annulerait pas le contrat. Notre pacte était éternel, de même que ses manifestations. Il a probablement porté la marque du contrat jusqu'au jour de sa mort. La mienne est encore présente au dos de ma main gauche. Mais j'avais malgré tout un moyen de rompre certaines des obligations qu'il imposait. Je coupai le lien qu'il nous offrait et fermai la petite partie de mon esprit qui me permettait de l'entendre lorsqu'il m'appelait. Je savais qu'il le ferait. Lorsqu'il se réveillerait et ne me trouverait plus nulle part, lorsqu'il réaliserait que je ne vaquais pas à mes occupations, que je ne lui préparais pas son thé. Je ne voulais pas avoir à entendre sa voix alors qu'il se demanderait pourquoi je ne m'étais pas précipité à ses côtés dès l'instant où il m'avait appelé. J'ai fait ce que je pensais être pour le mieux. J'ai tenté d'oublier le jeune comte que j'avais servi autrefois.

Il y a seulement un an de cela, après avoir passé un contrat avec mon nouveau maître, j'ai décidé de découvrir ce qu'il était advenu de Ciel Phantomhive. Tellement de temps avait passé, même pour quelqu'un comme moi, que je ne m'attendais pas à la douleur qui me submergea à la découverte de sa mort. Je ne m'étais pas bercé d'illusions quant au fait qu'il serait toujours en vie. Cependant, je fus surpris et peiné d'apprendre qu'il décédait deux ans seulement après mon départ. Même si j'avais été là, j'aurais été incapable de le sauver. Quelle que soit leur fidélité ou leur compétence, ses serviteurs n'auraient rien pu faire pour le sauver des griffes de l'assassin qui s'est emparé de sa vie. La pneumonie. Les humains sont des êtres si fragiles.


Je fus invoqué accidentellement il y a un an par un homme au bord du désespoir. Assailli par quelqu'un disposant d'une arme de gros calibre mais doté de peu de jugeote, John Anderson était sur le point de crever au sommet d'un amas de nourriture pourrie et de déchets. Depuis lors, il est mon maître. Ses idées contradictoires en ce qui concerne les forts et les faibles m'ont tout d'abord intrigué. Mais je le vois à présent tel qu'il est – une créature répugnante qui ne mérite même pas d'être comptée parmi les hommes. J'ai rencontré des milliers de personnes, des personnes qui m'ont vendu leur âme en échange du bonheur fugace que je pouvais leur apporter. Peu furent aussi déraisonnables que lui. Le bonheur de John Anderson ne tourne qu'autour d'une seule et unique chose : l'argent. Son voeu le plus cher n'est pas de vivre, ni même de protéger quelqu'un qui lui est cher. Il ne recherche pas la vengeance, il ne se soucie même pas de ce qu'il a pu advenir de ceux qui l'ont attaqué. La seule chose qui le préoccupe est son compte en banque. Son souhait consiste à amasser une somme d'argent colossale. La richesse est la requête la plus absurde qu'un homme puisse formuler envers ceux de mon espèce. Une chose si fugace et insensée... un peu comme sa propre vie. Je me demande parfois s'il saisit pleinement ce qu'implique notre contrat. La plupart de mes anciens maîtres ont insisté pour me donner un nom, une dernière bribe de contrôle avant que leur existence ne touche à son terme. Ce ne fut pas le cas de M. Anderson. Il m'intima de prendre le nom que je voulais, quel qu'il soit, peu désireux de devoir y réfléchir par lui-même. J'obéis, et reste encore aujourd'hui Sebastian Michaelis.

La même impitoyable indifférence est présente dans chaque aspect de sa vie. Il travaille la journée en tant que trader à Wall Street. La nuit, il se délecte dans la drogue et dans la compagnie des femmes. Bien que son but soit de faire fortune, il passe plus de temps à dépenser son argent qu'à en amasser. Je ne peux pas affirmer avec certitude si c'est dû à son ineptie ou si au contraire, il s'agit d'une tentative follement ingénieuse pour éviter d'atteindre le terme de notre contrat. A l'occasion, je dois subir quelque humiliation pour son petit plaisir personnel. Je l'abhorre.

Je ne vois qu'un seul avantage à être à son service. Ma présence n'est requise qu'une seule fois par jour, rarement au-delà. Lorsqu'il a besoin de moi, il insiste pour utiliser un téléphone potable qu'il conserve uniquement à ces fins. Il ne l'a employé qu'une seule fois auparavant. En toute autre occasion, je suis censé rester hors de sa vue et de son esprit. C'est aussi pour cette raison qu'il loue un appartement, réservé à mon usage personnel. Cet arrangement me convient, tant que je n'ai pas à interagir avec lui plus qu'il n'est absolument nécessaire. Pour mon maître, la situation est idéale. En ce qui me concerne, j'estime que notre contrat arrive bientôt à son terme. Après tout, il n'a pas spécifié ce qu'il considérait comme étant une somme d'argent colossale.

Le monde qui m'entoure a fait d'étonnants progrès au cours des cent vingt-deux dernières années. Mais d'un autre côté, il me semble que les choses sont restées exactement telles qu'elles l'étaient alors. Les fiacres ont été remplacés par des voitures, les jeunes garçons qui distribuaient le journal par la presse de rue, mais les villes garderont toujours une atmosphère qui leur est propre. Les rues de New York sont aussi bourdonnantes ce matin que celles de Londres un siècle plus tôt. Les gens s'occupent toujours de leurs affaires sans prêter attention aux autres.

Ce matin, les chantiers et la circulation me poussent à partir à la découverte d'une portion de la ville qui m'est peu familière. Une partie des tâches qui m'ont été confiées par M. Anderson consiste à lui apporter son café et des pâtisseries de sa boulangerie favorite chaque matin. Il ne me croit pas capable de les faire moi-même. Ses goûts sont très particuliers et il n'accepte qu'une seule enseigne. Cela dit, ce matin cette boulangerie se trouve être fermée. Même moi, je ne peux rien faire contre ça. Il n'existe pas d'autres magasins affiliés, et je risque l'enfer à aller dans un endroit différent pour sa commande.

Je pousse une double porte et entre pour faire la queue à la suite des autres clients. Il y a au moins une douzaine de personnes devant moi. Apparemment, ma torture se doit d'être lente et douloureuse aujourd'hui. Je n'aime pas les cafés. Il y règne une odeur de vanille artificielle et de cannelle bon marché. Il n'y rien d'attractif dans ce qu'ils proposent ou dans les produits qu'ils vendent. Ils sont tout aussi futiles que les clients qui les fréquentent.

Bien que le café soit un endroit calme, la file d'attente semble malgré tout bruyante à mes oreilles sensibles. A mes yeux, toutes ces petites boutiques sont identiques. Je passe le temps en observant les autres clients. Les humains sont de curieuses créatures. Les examiner et comparer leurs différences m'amuse un peu. Étrangement, je me retrouve à me demander quelle sorte de punition je devrai subir pour ne pas être allé à la boulangerie habituelle. Je contemple un punk en face de moi puis un couple de personnes âgées assis dans le coin. Mais peu importe ma distraction, rien ne peut effacer le bruit que ma conscience intercepte.

Hors de ma vue, au comptoir, se tient un client en train de passer commande et dont la voix me semble très familière. Je me demande un moment pourquoi, jusqu'à ce que je réalise : l'accent n'est plus aussi prononcé que dans mon souvenir mais je reconnais ce ton impérieux et décidé. Elle ne m'est pas seulement familière, non, c'est la même. Aussi impossible que cela puisse paraître. Une voix identique à celle que je n'ai pas eu l'occasion d'entendre depuis plus d'un siècle. Quelle incroyable coïncidence dans ce monde où chaque individu possède sa propre singularité.

Le client reçoit sa commande et la queue avance tandis que celui-ci marche vers la sortie. Il sort de la file d'attente et mes yeux s'écarquillent sous le coup de la surprise. A quelques pas de moi, se dirigeant vers la porte, se trouve Ciel Phantomhive. Jeune, fier et imposant, il est exactement le même que lorsque je l'ai quitté. Jusqu'au cache-oeil de soie noire qui couvre son oeil droit.

A suivre...