Hey ! Comment allez-vous ?

Alors, pour info, ceci est un recueil d'OS se déroulant dans le même univers, mais qui peuvent être lus totalement séparément. Donc si vous préférez un couple aux autres qui seront présentés, pas de soucis ! :3

Je ne sais pas du tout si ce recueil sera régulier dans les publications, je ne promet rien, ahah ! Ce sera la surprise.

Bonne lecture à vous !


Scène 1 : At the end of time, we fall

00 : 00 : 00

Il y a un instant de flottement, du genre de ceux qui paraissent durer une éternité.

On se regarde, on regarde nos poignets, sur lequel les chiffres ont cessés de décroître, faute de pouvoir allez dans le négatif. Je ne sais pas trop quoi penser, je suppose que lui non plus.

Je n'arrive même pas à analyser ses traits, à me demander s'il me semble beau ou non. C'est un garçon, il a les cheveux rouges comme une boule de noël.

C'est censé être l'amour de ma vie.

Et je ne sais pas ce que je pense de lui.

Que suis-je supposé faire ? Que puis-je faire lorsque je rencontre la personne qui définira le reste de mon existence ?

Il parle en premier, et mon estomac se serre un peu.

« Alors... C'est toi, hein ? »

Il a les yeux verts, je le remarque à travers mon esprit embrouillé.

Il faut que je réponde quelque chose, n'importe quoi.

« Ouais, j'crois bien. »

C'est bête.

Un nouveau silence retentit.

Mon cerveau carbure à toute vitesse, tourne à vide.

Il sourit. J'ai un peu envie de vomir.

Il se passe une main gênée dans les cheveux. Je me mord les lèvres.

C'est trop, beaucoup trop d'un coup.

« Alors, hm... commence-t-il avant de s'interrompre.

-...

-C'est très étrange, tu ne trouves pas ?

-Si, très. »

Je tente un sourire un peu incertain. Sa voix sonne agréablement à mon oreille, ce qui n'en est que plus embarrassant.

On se regarde un peu dans les yeux d'un coup, comme pour essayer de sonder la réaction de l'autre. J'ai l'impression de voir la même peur que la mienne dans son regard, mais je dois imaginer des choses.

Je me demande s'il est déçu, et je n'arrive pas à le sonder.

Je me demande si je suis déçu, et je n'en ai aucune idée.

Tout ce que je sais, c'est que ce n'est pas vraiment comme je l'avais imaginé.

Mais il faut qu'on bouge, qu'on parle, qu'on fasse connaissance, je suppose. Les mots ne veulent pas venir. Heureusement qu'il est plus débrouillard que moi sur ce point.

« Je m'appelle Axel » dit-il.

Et puis il amorce un mouvement du bras, se rétracte, sourit à nouveau.

« Ah, je n'sais pas si on doit se serrer la main, se faire la bise, ou... »

Je l'aide en lui tendant ma paume.

« Roxas » je lui dis, puisque c'est mon nom.

Je ne sais pas interpréter ses lèvres pincées, pas encore. Est-ce que cela viendra avec le temps ? Si l'on en croit le reste du monde, oui...

Mais là c'est nous, pas le monde. Juste lui et moi, paraît-il.

Il y a une scène irréaliste où il me propose d'aller nous asseoir sur un banc, dans le parc à côté – on s'est rencontré dans la rue, en pleine ville, j'avais pris un congé exprès pour cette date. En général, lorsque les gens voient le compte à rebours arriver à son terme sur notre poignet, c'est une bonne excuse pour se dédouaner de tout et n'importe quoi – est-ce que c'est forcer le Destin ?

Il s'asseoit, pose les mains sur ses genoux. Je jette un coup d'oeil à son tatouage, qui affiche 00 : 00: 00, comme le mien. Zéro heures, zéro minutes, zéro secondes. Cela signifie qu'il a rencontré son âme-soeur – moi, en l'occurence.

Il me fixe comme s'il hésitait sur la suite de la conversation. Je réalise que j'ai l'air d'un connard muet, alors je me secoue la cervelle et je me comporte comme un être humain décent. Je prend une grande inspiration.

« Excuse-moi, je suis un peu perturbé, expliquais-je. Je pensais être préparé à... ça. Visiblement, non. »

Il a un vrai rire, franc, qui me tord le ventre. Ses yeux sont si verts !

« Tu l'as dit ! réplique-t-il. C'est un peu pareil pour moi. J'veux dire, on nous parle toute notre vie de ce moment, et... Ah, va pas t'imaginer que je suis pas content, hein ! T'as l'air adorable. C'est juste que... »

Mon sourire le coupe dans sa phrase.

« T'inquiète, je comprends. Tu t'appelle Axel, c'est ça ? »

Il hoche la tête.

« Tu, hum... Fais quoi, dans la vie ? »

Il me raconte qu'il est organisateur de fêtes – mariages, anniversaires, baptêmes – que ça paie plutôt bien, suffisamment pour son appart' en plein centre d'Illusio, au rez-de-chaussée avec jardin. Il a un chien, Rafale, qu'il emmène toujours avec lui – sauf aujourd'hui, au cas où son âme-soeur serait allergique ou phobique – délicate attention.

Je lui dit que j'ai une licence d'Art Moderne qui ne m'a jamais servi à trouver du boulot, que je suis serveur et que je fais du skateboard, parfois.

Il a l'air beaucoup plus sociable que moi.

Nous restons un moment à nous échanger des banalités sur nos parents, nos amis, notre parcours scolaire. A ce moment, je ne me rends pas compte que je retiens tout, le moindre détail à son propos. Mon esprit avale son existence et l'ancre dans mon cœur, indépendamment de ma volonté. Est-ce que c'est cela, l'amour ? A vrai dire, je n'en sais rien.

On m'a toujours répété que ce serait évident.

Le courant passe entre nous. Un peu. Disons que je me sens plus à l'aise avec lui qu'avec la plupart des gens que je connais à peine. Je dois avouer que ça me rassure. J'ai un peu moins l'impression de parler à un inconnu.

On me l'a appris dès mon enfance : lorsque le compte à rebours sur ton poignet tombera à zéro, alors c'est que tu auras rencontré ton âme-soeur, et vous vous aimerez tout au long de votre vie. Tu n'aimera personne d'autre. Tout le monde a une âme-soeur, en ce monde.

Eh bien, voilà... C'est fait.


Tu fais quoi de beau ?

Pas grand-chose. Je te parle. Je suis dans mon lit.

Est-ce une invitation ?

Axel !

Mon soupir agacé sonne, à mes oreilles, plus amusé qu'autre chose. Fort heureusement, il ne peut pas l'entendre.

Cela fait deux jours que l'on s'est rencontrés. Deux jours que je vis exactement comme avant... Hormis que je pense à lui sans arrêt. On se parle beaucoup, par messages interposés. Et à vrai dire, pour le moment, c'est mieux comme ça.

C'est lui l'a proposé, en voyant que je n'étais pas à l'aise, et j'ai saisi cette solution avec un immense soulagement. Ce sera mieux d'apprendre à se connaître, avant de se revoir.

Du moins je le croyais, mais son absence se fait étrangement, douloureusement ressentir. Comme si j'avais été séparé d'un petit bout de moi dont je n'avais aucune conscience auparavant.

Mes parents trouvent ça stupide.

Ils ont été les premiers à m'interroger, bien évidemment, à me tanner pour que je raconte. Comment, où, qui était-ce, ce qu'il/elle faisait dans la vie, mes impressions. Et, bien évidemment, ils ne comprenaient pas que je n'aie pas l'air si heureux que ça, finalement.

Ce n'était pas que ne je n'appréciais pas Axel, évidemment ! A vrai dire, même s'il ne m'avait pas été destiné, j'aurais trouvé difficile de ne pas l'aimer. Cependant...

Eh bien, je ne le connaissais pas vraiment ce type, cet Axel. Je voulais le connaître, oui, j'en crevais d'envie, mais pour le moment, ils s'agissait d'un inconnu.

Vibration de mon téléphone portable sur mon ventre.

A ce propos, on se revoit quand ? Je veux pas te presser, hein, je me demande juste...

Je soupire et je pense à la dernière fois, avec une pointe d'embarras naissant. Il faut le dire, c'était ridicule. Et si j'avais tout gâché, déjà, d'entrée de jeu ?

Et pourtant...

J'ai envie de le revoir. Je ne sais pas pourquoi – ou plutôt, je le sais, mais ça me paraît si étrange.

Rien de ce que j'ai pu lire, voir, ou entendre ne me préparait à cela, malgré la vocation du monde entier de nous inculquer la notion d'amour.

C'était ça, alors, l'amour ? Et pourquoi je ne me sentais pas heureux, du coup ? Est-ce que quelque chose clochait ? Une erreur des Parques ? J'ai entendu des histoires horribles, à propos d'erreurs, de gens qui vivaient malheureux toute leur vie parce que...

Le portable vibre à nouveau.

Roxas ? Pardon, c'est sûrement trop tôt.

Ca ne fait que dix minutes qu'il m'a envoyé le message précédent. Parfois, je ne réponds à mes potes qu'au bout d'une heure, et ils ne s'en offusquent pas puisqu'ils vaquent également à leur occupations pendant ce temps. Avec lui, c'est différent.

Si ça se trouve, il est comme moi à cet instant, sur son lit en train de fixer son écran de téléphone, la boule au ventre. La scène se dessine devant mes yeux et mon estomac fait des bonds étranges. Sont-ce là les fameux papillons dans le ventre dont j'ai tant entendu parler ?

Et puis merde, hein ! Pourquoi je me prend tant la tête ? C'est écrit, de toute façon.

Disons, ce week-end ? je propose. Je t'invite à boire un verre ?

Merveilleux !

Ca ne va pas le faire.

En désespoir de cause, je décide d'appeler mon frère, Ven. Il est plus jeune que moi, encore au lycée, mais il a trouvé son âme-soeur depuis... presque toujours, en fait. Ils ont quasiment grandi ensemble, c'est fou ! Ce genre de cas est plutôt rare.

Alors, bêtement, je me dis qu'il serait de bon conseil.

S'ensuit une discussion surréaliste.

« Ventus ! J'ai besoin de toi plus que jamais !

-Bonjour mon frère chéri, je vais bien, merci de t'en inquiéter.

-Hm, pardon, bonjour, je répond d'un ton pressé. Excuse, mais c'est plutôt urgent. C'est à propos de mon âme-soeur, tu vois ? Axel. Les parents doivent t'avoir dit.

-Ah. Je t'écoute. »

Je sens une pointe de surprise dans sa voix, comme s'il ne s'attendait pas à ce que je requiers son aide. Il aurait dû s'en douter pourtant, puisqu'il est déjà « casé ».

« Ben... j'hésite. Ca s'est passé comment, pour toi ?

-Comment ça ?

-Me le fais pas dire à voix haute ! Tomber amoureux, patate !

-Si tu es désagréable, je raccroche » me fait sa voix cruelle de l'autre côté du combiné.

Je passe une main dans mes cheveux, agacé. Nous n'avons jamais été trop proches, lui et moi. Nous n'avons jamais eu l'occasion de l'être, à vrai dire, entre la différence d'âge et tout le reste... On s'aime bien, pourtant, mais on ne se comprend pas bien. On se chamaille souvent, c'est un peu notre moyen d'exprimer notre affection.

« Bon, désolé, ça te va ? Pardon mec mais je suis en détresse, là, un peu. »

Silence.

« Je sais pas quoi te dire, moi. »

Je lève les yeux au ciel tellement fort que je suis certain qu'il peut l'entendre de l'autre côté du combiné.

« S'il te plaît, Ven ! C'est tout nouveau, pour moi. Je sais pas comment faire, tout ça, les trucs de couple. Et... »

Heureusement qu'il ne peut pas me voir rougir.

« Tu pourrais me raconter comme ça s'est passé, pour toi et lui ?

-Tu crois vraiment que je m'en souviens ? J'avais quatre ans quand je l'ai rencontré. C'est trop particulier pour que tu puisse en tirer quoi que ce soit, mon gars.

-T'es pas mon frère, t'es adopté.

-Je t'aime aussi Roxy.

-C'est ça. Bisous.

-Bisous ! »

Et on raccroche, peut-être en même temps. Parfois, j'ai l'impression que c'est moi le petit frère et lui le grand, c'est dingue.

Quand je raccroche, j'ai envie de frapper contre quelque chose – le bougre ne m'a pas vraiment aidé, au contraire – mais je vois un message d'Axel alors ça va, j'suis plus si en colère que ça. Il me demande où et à quelle heure on se retrouvera. Je lui répond. Il me demande s'il peut amener son chien. Je lui dis oui, j'aime plutôt bien les animaux.

Puis je pousse un énième soupir.

Il ne reste plus qu'à attendre, à présent.


Hey, tu sais, j'associe toujours des photos aux contacts de mon répertoire.

Je suis un peu blasé, parce que sa remarque sort de nulle part, et que je sais que ce n'est qu'un prétexte pour me demander une photo. C'est pas que ça me dérange, ça me flatte même un peu, mais...

T'es pas obligé de tourner autour du pot comme ça, tu sais. Attend deux minutes.

Je sors mon ordinateur de sa veille pour aller piocher une image récente sur les réseaux sociaux. Je trouve une selfie où je me trouve vraiment pas mal. C'est un peu photoshoppé, alors j'hésite un peu avant de la lui envoyer. Est-ce que ça ne serait pas lui mentir, en quelques sortes ? Avec les autres, je m'en fous, je ne nie même pas quand on me demande si c'est retouché – eh, ça fait partie de l'art, après tout. Mais puisque c'est lui...

Bon, tant pis. Je la lui envoie, avec un petit mot :

J'attend la tienne en retour, maintenant.

Il met une bonne vingtaine de minutes à me répondre. J'arrive même pas à me concentrer sur le livre que je suis en train de lire. Le sens des phrases s'imprime pas dans mon cerveau. Je me demande s'il l'a reçue, s'il a aimé, s'il se souvient de mon visage – même si ça ne fait qu'une semaine, après tout, qu'on s'est rencontré.

Puis enfin, un mms.

Tiens, c'est une photo de vacances. J'ai un pote, Demyx, il prend des photos cools. Tu t'entendrais bien avec lui.

Je suis un peu dépité qu'il n'ait pas fait de commentaires. Je ne peux pas vraiment lui demander ce qu'il en pense. Ce serait... gênant, non ? Je m'interroge.

T'as mis le temps, je lui reproche finalement l'air de rien.

Héhé, pardon. J'ai oublié.

Oublié ?

Oui, je sais, c'est impoli. Je regardais ta photo, en fait.

Je cligne des yeux.

Pendant tout ce temps ?

Ouais. C'est flippant ? J'aurais peut-être pas dû te dire ça.

Heureusement, il n'y a personne pour me voir me rouler dans mon lit, mort de gène et d'un sentiment que je ne sais pas identifier.

Nan, t'inquiètes, je répond tout de même.

Puis, enfin, je prend le temps d'ouvrir la photo qu'il m'a envoyé. Il s'agit de lui, affalé sur une chaise en plastique.

Enfin, non, pas vraiment affalé. On dirait presque qu'il prend la pose sans en avoir l'air, avec sa main placée dans ses cheveux, l'air nonchalant, un pied par terre et l'autre sur une table de jardin. Sans m'en rendre compte, mes yeux analysent chaque détails de la photographie.

Je suis un peu déçu, parce qu'il porte des lunettes de soleil. Je me souviens de ses yeux verts, une des premières choses qui a accroché mon regard chez lui. Je les revois parfois quand je ferme les miens. Il porte une veste en jean un peu old school qui lui va bien, et un jean serré qui me fait prendre conscience qu'il a de très longues jambes. Je ne sais pas quoi penser de ses cheveux...ou plutôt devrais-je dire, sa crinière rouge vif ? Je crois que j'aime bien. Il a vraiment des allures de lion – ou tout du moins de félin.

Et tout à coup, je ne peux plus supporter de regarder cette photo. Je trouve ça embarrassant, de l'admirer comme ça, et je me trouve ridicule et je ne sais pas pourquoi je réagis comme ça, et ça m'énerve vraiment beaucoup.

Je suis confus, et je me rend compte que j'ai peur. Tout devrait bien se passer, pourtant, non ? Il me plaît, et je crois que c'est réciproque. C'est forcé, d'être réciproque, c'est pour ça qu'on a ce fichu compte à rebours imprégné sur le poignet.

Je lève le mien vers moi, de poignet. Les zéros du tatouage commencent à s'effacer progressivement. Ils ressemblent à des courbes aléatoires, maintenant. Bientôt, il aura totalement disparu. Les personnes qui le remarquent me sourient, souvent, comme heureux de mon bonheur récemment acquis. Je trouve ça étrange de penser que, rien qu'en jetant un œil sur ce compte à rebours en train de se dissiper, ils savent.

Roxas ? Je vais me coucher. A demain ! 3

Je souris.

A demain, Axel.


Eh bien, l'ambiance n'est pas aussi lourde que la dernière fois.

Je m'en félicite un peu, mais je pense que c'est surtout lui qui arrive à me mettre à l'aise.

On est assis à la terrasse d'un bar. Il a commandé une bière et moi un mojito. Y'a son petit chien qui se tient à nos pieds, patientant sagement.

Rafale s'est avéré être un petit carlin de rien de tout. Je m'attendais plutôt à un berger allemand ou un autre gros machin, j'dois dire. Je le lui ai fait remarquer, d'ailleurs. Il a rit à gorge déployée, et c'est le plus beau son que j'ai jamais entendu, j'crois bien.

« On me le dit souvent, expliqua-t-il. Mais franchement, comment je ferais pour promener un gros chien ? Avec ma carrure d'allumette, je tiendrais pas la route, sérieux. »

J'ai ri aussi. Il m'a regardé intensément, alors j'ai détourné le regard, comme un gosse.

On parle de pleins de choses, avec entrain – des tatouages qu'il a sous les pommettes, de son chien, de ma passion pour la photographie et du skateboard, de nos amis respectifs. Je suis impressionné du flot de paroles qui sort de ma propre bouche. Je ris, parfois. De plus en plus souvent. Je lui explique que je suis soulagé, parce que c'était pas gagné au départ. Il a l'air vraiment content, alors ça me soulage.

Finalement, j'ai envie de m'allumer une cigarette. Je fais un geste vers la poche de mon jean pour y prendre briquet et paquet, puis je grimace.

« Y'a un problème ? il demande.

-Je, euhm... J'ai oublié de te dire, je fume. Ca te dérange pas ? »

Il fait un geste désinvolte de la main.

« T'inquiètes. On se barre d'ici ? Je connais un parc. »

On règle l'addition et on quitte les lieux, Rafale sur nos talons, qui s'excite chaque fois qu'il aperçoit un autre canidé, mais ça ne nous gène pas vraiment – Axel a l'habitude, et moi je suis trop haut sur mon petit nuage pour m'en soucier. J'allume la clope et la presse entre mes lèvres, par habitude plus que par envie, puis je coule un regard vers Axel. Il me fixe.

« T'es sûr que ça te dérange pas ? je demande.

-Nan. Mon meilleur pote fume comme un pompier, lui aussi. C'est assez impressionnant. Dans une autre vie, il a dû être un train à vapeur. »

Il dit ces choses avec entrain, très vite, presque pour rattraper le temps perdu, toutes ces années de vie l'un sans l'autre. Comme il me parle de Demyx, je lui parle de Xion, ma meilleure amie à moi. Il faudra que je la lui présente, bientôt, et ce constat me fait sourire parce que je suis certain qu'ils s'entendront bien.

Axel est amusant, enjoué, et visiblement ravi de ma présence – ou bien est-il comme ça avec tout le monde ? J'ai l'impression qu'il y a plus que ça, cependant, une partie immergée de l'iceberg, un côté de lui que je n'ai même pas encore commencé d'entrevoir. Je ne le connais que depuis une semaine, après tout.

Je ne sais pas quel genre de personne il est. Pourtant, il est mon âme-soeur, l'amour de ma vie – le compte à rebours a parlé. Mais... Quelque chose ne va pas.

On se pose sur un banc, au grand regret de Rafale qui regarde les chiens jouer avec des yeux tristes. C'est samedi, alors les familles sont de sortie avec leurs animaux de compagnie. Axel s'amuse de l'impatience de son chien et m'explique qu'en général, il vient jouer ici avec lui.

Comme je ne répond pas, il se tourne vers moi.

« T'es perdu dans tes pensées, Roxas ? »

Je hoche la tête.

« Tu peux tout me dire, tu sais ? »

Tout, hein ? Et si ce n'était pas le cas ? Si je le décevais, ou si quelque chose clochait chez moi ? J'ai pas très envie d'affronter ça, c'est trop de pression.

Je décide que j'peux pas. Je secoue la tête fermement. C'est trop bizarre.

Pourquoi je ne ressens pas ce que je devrais ressentir ? Je suis heureux, mais...

Soudain, il y a une sensation de chaleur sur le dos de ma main et je sursaute et je me rend compte que c'est sa paume et je sens que ce contact aurait pu être rassurant dans d'autres circonstances, et il ne peut pas savoir à quel point, en l'occurence, ça ne me fait pas du bien.

J'éteins ma cigarette par terre, à moitié consumée. Je lui dois la vérité, je pense, alors je sors misérablement un :

« J'y arrive pas... »

Il ne comprend pas, je le sens à sa manière d'hésiter sur ses mots. Ca me met presque en colère. J'ai le cœur au bord des lèvres.

« Quel est le souci ?

-Je ne ressens pas... ce que je suis sensé ressentir... pour toi. »

Ca me fait mal, de dire ça. Physiquement. Ca a du mal à sortir. Je ne sais pas s'il s'en rend compte.

« Roxas... »

J'ai pas envie de le laisser me faire des reproches, alors je le coupe à toute vitesse.

« C'est dingue, non ? Ca se passe bien pour les milliards de personnes qui naissent sur cette terre, y'a aucun souci, mais moi, je... J'sais pas, je suis cassé. Pourquoi ça se passe pas comme pour tout le monde ?

-Roxas, appelle-t-il d'une voix plus ferme et je me rend compte qu'il me tient toujours la main.

-J'dois m'excuser, nan ? Y'a pas que ma vie qui est en jeu, la tienne aus- »

Il plaque son autre main sur ma bouche, pas assez fermement pour m'empêcher de parler, mais suffisamment pour me surprendre. Ca me coupe dans mon élan.

« Regarde-moi » il dit doucement, alors je lui obéis.

Il n'a pas l'air blessé ou fâché. Il a même un petit sourire, que j'aurais qualifié de narquois dans d'autres circonstances. Il enlève sa main, et il m'annonce doucement :

« C'est normal, je crois. Ca me le fait aussi. »

C'est dingue comme j'arrive à être presque vexé par cette simple phrase, alors que je lui ai déballé des trucs mille fois pires y'a pas trente secondes.

Il me tourne doucement le poignet, puis il colle le sien au mien, de sorte à ce que nos horloges arrêtées et presque effacées soient bien visibles.

« Tu sais comment faisaient les gens, dans le temps, sans ces comptes à rebours sur le bras ? Ils savaient pas. Ils rencontraient l'amour de leur vie comme on rencontre un ami, et ils savaient pas. Ils ne ressentaient rien de particulier, au début, tu sais pourquoi ?

-Parce qu'ils n'étaient pas au courant qu'ils aimaient cette personne » je répond, comme on me l'a répéte une centaine de fois.

Il rit.

« Presque, ouais. Parce qu'ils ne l'aimaient pas. Pas tout de suite, en tout cas. Ce qu'on te dit pas dans les films, c'est que parfois, ça prend du temps. Nous, on ne s'aime pas, mais on a la chance de savoir qu'on s'aimera un jour. »

Je cligne des yeux. Ca me paraît logique, mais ça bouleverse mes convictions.

« Toujours... je marmonne. Mes parents m'ont toujours conté le jour de leur rencontre comme un conte de fées, ils en parlent avec une telle joie dans la voix... J'me suis toujours dit que je serais heureux tout de suite, tu vois ?

-Ouais, mais je crois pas que c'est si simple, tout le temps. Pour nous c'est pas le cas en tout cas. On était trop sceptiques dès le départ, je suppose ? Mais je sens... Que ça peut évoluer. Que ça va évoluer. J'pense que tu le ressens aussi, non ? »

J'hésite.

« Je me sens bien, avec toi. »

C'est la vérité. Ca me gène de l'admettre, mais c'est le cas. Ca dort encore, ensommeillé au fond de mon cœur, peut-être. C'est bien là, pourtant. Ca fait battre mon cœur plus vite.

« Je... Qu'est-ce qu'on fait, alors ? je le questionne, car ça m'intrigue.

-J'suppose... On passe du temps ensemble, et on attend de tomber amoureux. Ca te va ? »

Je souris, parce que je me sens léger. Et que j'ai presque envie de l'embrasser. Mais je le fais pas. Pas encore.

« Ca m'va. On peut. »


Ca fait quatre mois. La peau de mon poignet est devenue blanche et lisse, j'ai perdu cette habitude d'y jeter un coup d'oeil chaque fois que je m'ennuie ou que je rêvasse. A la place, je regarde mon portable, espérant un message de lui.

Sauf qu'on est la plupart du temps collés ensemble. Ca n'a pas de sens.

Surtout ce matin, parce qu'il n'est pas encore réveillé. Parce qu'il commence à peine à remuer près de moi, encore ensommeillé. Il cligne des yeux comme pour en faire disparaître la brume. C'est la première fois que j'assiste à ce spectacle.

« Bonjour » je souffle, heureux.

Il me regarde, sourit, et me serre contre lui avec un bruit étouffé qui peut soit signifier « bonjour », soit « au four », ou bien « au secours ». Dans le contexte, j'opte pour la première solution. J'ai ses cheveux qui me chatouillent le nez alors je grimace un peu. Je n'avais jamais pensé à ce petit inconvénient.

J'ai l'impression de vouloir rester comme ça toute ma vie. Alors, soudainement, je sais.

Ca m'paraît bien.

« Hey, Axel ?

-Mfgp ?

-Je t'aime. »