Izumi Shin'ichi ne ressentait plus rien. Peu importe à quel point les ennuis s'accumulaient autour de lui, à quel point sa situation devenait précaire,il restait de marbre. Son cœur était comme mort : certes, il battait dans sa poitrine, faisant circuler le sang dans son corps, mais son rythme cardiaque restait lent et régulier en toutes circonstances. Il se souvenait à peine de l'effet que procure un cœur qui s'emballe, qui bat tellement vite qu'on croit qu'il va finir par exploser ou, au contraire, cette sensation absolument indescriptible lorsque le cœur rate un battement.

Quoi qu'il se passe autour de lui, Shin'ichi n'était plus qu'un spectateur froid et tranquille, qui analysait les situations avec logique. La peur qui s'infiltre en soi jusqu'à nous glacer le cœur, la peine qui l'alourdit à en donner l'impression qu'il est brisé en mille morceaux, la joie qui fait croire que le cœur va s'envoler et nous sortir de la poitrine... Il ne ressentait plus rien de tout cela, quoi qu'il lui arrive. Seule la colère, celle qui faisait bouillonner son sang dans ses veines sous l'effet de la haine brûlante qu'il portait aux parasites, réussissait encore à le sortir de son apathie émotionnelle.

Évidemment, il y avait des exceptions, comme la fois où ses camarades avaient été massacrés par un parasite dans l'enceinte même du lycée, ou encore lors de la mort de Kana. L'espace d'un instant, il avait senti son cœur gonfler sous le chagrin et la culpabilité. Mais cela n'avait été que passager : La fureur avait vite repris le dessus, doublée d'une violente envie de meurtre, et il n'avait dès lors plus réussi à se sentir attristé de ces morts. Même lors de l'enterrement de Kana, il n'avait ressentit aucune douleur dans la poitrine, et ses yeux étaient restés irrémédiablement secs.

Il aurait pourtant aimé pouvoir pleurer, évacuer par les larmes ce poids invisible qui pesait sur lui, sa culpabilité qui lui dévorait l'esprit. Sa mère, ses camarades, Kana... Il n'avait pas pu les sauver, aucun d'entre eux, et il ne parvenait même pas à en avoir mal au cœur.

Et ça lui faisait peur. Quel sorte de monstre était-il en train de devenir ? Il se rendait bien compte que moins il était soumis à ses émotions, plus il devenait dur. Sa gentillesse naturelle s'effaçait progressivement devant des préoccupations plus pratiques, comme sa survie. Il raisonnait de plus en plus comme Migi, de manière froide et rationnelle, en occultant les paramètres humains, comme la compassion, la pitié. Il perdait sa sensibilité, et le plus horrible, c'est qu'il ne se rendait pas compte d'à quel point il avait changé, jusqu'à ce qu'un autre humain s'offusque de son comportement. C'était ce qui s'était produit avec le chiot, lorsque Murano avait été choquée de son intention de jeter le cadavre dans la poubelle. Il n'avait même pas compris d'où venait le problème, jusqu'à ce qu'il en discute avec Migi.

En lui sauvant la vie, Migi lui avait volé quelque chose de fondamental, d'absolument essentiel : Ses émotions. Et les sentiments étaient ce qui différenciaient les humains des parasites.

Shin'ichi était désormais plus proche des parasites qu'il voulait faire disparaître, que des humains qu'il souhaitait protéger.

Il pouvait essayer de le nier, mais en réalité il le savait : Il avait perdu une grande partie de son humanité, et il la perdait chaque jour davantage.

En vérité, Migi avait certes réussi à réparé et ranimé son cœur, mais il n'avait pas pu ramener celui que Shin'ichi avait été.

Shin'ichi Izumi était mort le jour où sa mère avait détruit son cœur.