Joyeux Noël ma chérie !
La nuit était tombée au pays du Soleil Levant, les rues étaient bondées, on voyait des couples, des familles, des amis qui se baignaient dans cette immensité. Les lumières rouges, jaunes, bleues ou vertes illuminaient la noirceur du ciel mais aussi celle des cœurs. Dans la foule, on distinguait parfois des pans de rouge et de blanc. Parfois on les remarquait sur une moto filant à travers la ville pour répartir la joie et la bonne humeur. C'étaient les Pères Noël. Dans une semaine, ils seraient les rois. Ils distribueront des cadeaux aux enfants, donneront du courage aux amoureux pour déclarer leur flamme, réchaufferont les cœurs des orphelins, rassembleront des familles, les veuves ne seront pas seules. Ce jour-là, la joie et la bonne humeur retentira dans les foyers et chaque homme ou femme se sentira vivre parmi ces illuminations, ces vitrines attirantes, ces couleurs qui se sont propagées dans toute la ville. Dans une petite ville non loin de Tokyo, une jeune fille patientait sagement devant le parc de Hikarigaoka. Elle semblait attendre quelqu'un. Elle portait une petite robe en velours noire qui affinait sa taille, ses bas mettaient ses jambes graciles à l'avantage et ses petites bottines lui conféraient un air de jeune femme. Ses cheveux noirs étaient libres au vent, ses yeux carmins semblaient inspecter la nuit et sa petite écharpe témoignait de la froideur de la nuit. Elle se frictionna les bras et jeta un énième regard dans la même direction. Finalement on entendit un souffle accéléré, quelqu'un courrait visiblement vers la jeune fille. Son allure était visible par les nuages de chaleur que dégageait le nouveau venu. On vit un jeune homme qui devait avoir près de dix-neuf ans se présenter sous le regard sévère de la demoiselle.
-Je suis désolé Sanae.
Elle le toisa et jaugea son amoureux. Il portait encore ses vêtements de sport. Un short, des chaussettes de football, des chaussures à crampons et une veste de survêtement. Est-ce qu'il se souvenait qu'ils devaient aller au restaurant ?
-L'entraînement des juniors a duré plus longtemps que prévu et tu sais combien je suis minutieux. Je...
Elle le coupa d'un geste de la main, ne souhaitant pas en savoir plus. Elle désigna sa tenue et poussa un soupir agacée.
-Tu ne compte tout de même pas me sortir dans cette tenue ?
-Non, bien sûr que non, son rire était nerveux, je passais te chercher. Nous allons chez moi pour que je prenne une douche et que je m'habille convenablement. Ça te va ?
Son sourire lui fit oublier l'heure de retard. Ce sourire qu'il lui adressait à elle seule, un sourire amoureux. Beaucoup de jeunes filles n'auraient pas supporté ce qu'elle vivait : les retards, les rendez-vous annulés, les tenues négligées mais elle, elle était amoureuse et cela pouvait bien effacer toutes les imperfections. Elle avait tant patienté pour l'obtenir et aujourd'hui elle faisait partie de ses rêves, elle pouvait bien lui pardonner. Elle prit la main qu'il lui tendait et le suivit docilement. Dans une semaine la nuit serait magique, elle l'attendait avec impatience afin de pouvoir renouveler son amour, au fond elle n'en avait pas vraiment besoin mais elle aimait l'entendre lui murmurer dans l'oreille les mots qui réchauffaient son cœur. Arrivés à destination, ils entrèrent et son bien-aimé la laissa dans le salon en compagnie de ses parents le temps de se rendre plus présentable. On la salua et la complimenta sur sa beauté. Lui n'avait rien dit, peut-être qu'il n'avait pas remarqué dans le noir. L'attente fut conviviale, on parla de Noël, de cadeaux, de gâteaux et de repas familiaux, de la décoration que la voisine avait à sa porte, de la plus belle houx du quartier, de la consommation des ampoules, du sapin parfait que chacun cherchait ardemment, des œuvres caritatives et des bonnes occasions qu'offraient les magasins en cette période. Le chocolat se vendait en quantité impressionnante chaque jour. Il était synonyme de sentiment, d'amour, de déclaration, de promesses éternelles pour tous les amoureux du Japon. Oui, elle attendait ce jour avec impatience. L'homme de ses rêves redescendit enfin et c'est ensemble qu'ils se dirigèrent vers le restaurant. Tout au long, il lui parla de sa journée et encore pendant la soirée.
-La nouvelle équipe est vraiment meilleure que celle que j'avais laissé à mon départ pour le Brésil. Elle a des chances de remporter le championnat des collèges. Ils sont ardents et bons travailleurs, je suis vraiment heureux de les entraîner, j'ai repéré un bon joueur qui pourrait améliorer sa technique. Je lui ai proposé de l'entraîner personnellement en dehors des horaires habituels. Je sens qu'il a vraiment du potentiel.
Égal à lui-même, il ne cessait de parler de football. C'était une passion et elle pouvait comprendre son dévouement et son engagement mais pensait-il à elle ? À eux ? Elle avait passé des heures à se faire belle et il n'avait rien dit, l'avait-il seulement regardé ? Il passait son temps sur le terrain et le soir était le seul moment où ils étaient ensemble...au milieu de tous leurs amis, ou de la famille, ou avec la télé. Bref, les instants comme ceux-là étaient précieux et tout spécialement parce que Noël approchait. Et plutôt que de l'inviter à passer ce jour merveilleux avec elle, il lui annonçait qu'il allait être occupé pendant les heures qu'il était censé lui accorder. Elle ne savait plus vraiment ce qu'elle avait mangé mais sur le chemin du retour, le sujet était le même. Devant la porte, elle ouvrit et l'invita à monter. La maisonnée était plongée dans l'obscurité, ses occupants dormaient sans doute déjà. Ils montèrent dans la chambre de la jeune fille et elle se dit que sa soirée pouvait encore être sauvée. Elle s'assit sur ses genoux et ils échangèrent de longs baisers langoureux.
-Tu sais Sanae, c'est sûrement la partie de ce rendez-vous que je préfère
-Je vais aussi apprécier Tsubasa.
Des baisers fougueux, des mains se glissèrent dans des recoins désirés, un corps sur un autre puis :
-Sanae, je vais y aller
-Quoi ? Pas maintenant !
-J'aurais voulu rester je te le jure mais...
-Mais ?
-Ce soir il y a Arsenal-Hambourg
Un long silence s'en suivit. Il regarda dans les yeux de sa compagne et redoutait sa réaction, elle plissa les yeux et lui répondit :
-Je ne vaux pas un match ?
-Non, tu sais bien que c'est faux, ma chérie.
-Alors reste !
-Mais...j'ai promis à Genzô et Tarô de regarder.
Il sut instantanément que ce n'était pas la chose à dire. Dans les yeux de sa petite amie une nouvelle flamme brillait. Celle du désir avait été remplacée par la colère. Il eut à peine le temps de se relever qu'elle lui jeta sa chemise au visage et le poussa. Il tomba au sol dans un bruit sourd. Les autres habitants commençaient à se lever, réveillés par le bruit.
-Sors de ma maison ! Sors de cette chambre !
Il tenta tant bien que mal de se justifier mais éviter des projectiles en même temps rendait la tâche plus ardue que prévu. Il reçut des chaussures, des stylos, tout ce qui passait sous la main de la furie qu'elle était devenue. Elle poussa la mesquinerie jusqu'à déchirer son pantalon. Il allait devoir rentrer en boxer. Heureusement qu'il faisait nuit. Mortifié, il se retrouva dans le couloir face à la mère de Sanae qui le regardait avec des yeux ronds. Elle baissa la tête et Tsubasa se rappela soudain que son excitation n'était pas tout à fait retombée. Il rougit et se confondit en excuses en remerciant le ciel que ce ne soit pas son père qui était sorti. Il aurait certainement passé un sale quart d'heure. S'enfuyant presque de la maison, il courut aussi vite que possible vers son domicile. Arrivé à sa chambre, il s'allongea complètement essoufflé en espérant que personne ne l'ai vu. Petit à petit son cœur se calma et il se redressa pour allumer l'écran.
-J'espère qu'elle ne m'en voudra plus demain matin.
« Mais il ne savait pas encore que le pire restait à venir »
