Chapitre 1

1ère partie

Voilà, je me retrouvais seule, à présent. Non pas que cela me gênait. Non. C'était une simple constatation. Après tout, c'était courant, pour ceux de notre race. Les vampires ne sont pas faits pour vivre en groupe, c'est bien connu. Ou alors, pas longtemps. Ce n'est que lorsque nous sommes amoureux que nous nous attachons. Et là, c'est pour le reste de notre éternité.

Du moins, c'est ce que je croyais jusqu'à présent. Tout avait été remis en cause il y a de cela quelques semaines. Parce que je me trouvais au mauvais endroit, au mauvais moment. Ou au bon endroit, au bon moment ? Pour l'instant, j'étais incapable de décider laquelle de ces formulations était la bonne. Je le saurai plus tard. Sûrement.

Pour l'instant, je trouvais simplement étrange de ne pas éprouver de la tristesse de ne plus être avec ceux qui m'avaient « élevée ». Pourtant, je ne les avais presque jamais quittés. Juste quelques escapades de quelques mois, voire quelques années. Pourquoi étais-je restée avec eux si longtemps ? L'habitude, peut-être. Ou l'angoisse d'être seule. A présent, je me rendais compte combien je me trompais. Ce que je croyais être de l'attachement n'était rien de plus que cela. Dans un éclair de lucidité, je me rendis compte que je ne ressentais rien pour eux, qu'ils ne me manquaient absolument pas et que j'aurai pu partir plus tôt. Cela me sembla anormal de vivre tant d'années avec des personnes et de pouvoir les quitter comme si de rien n'était, comme si nous n'avions rien partagé ensemble.

Jusqu'alors, je vivais avec mon créateur et sa compagne. J'étais devenue vampire à 17 ans, en 1938. Avant cela… c'était difficile de se souvenir, tout était devenu si flou. Comme si l'humaine que j'avais été disparaissait un peu plus chaque jour afin qu'il ne reste que le vampire. Comme si mes 17 années humaines ne comptaient pas, en fin de compte. Je me souviens que j'avais des parents que j'aimais… je me souvenais d'un grand frère qui a disparu alors que j'avais 14 ans…je me souvenais de certains moments de ma vie…les scènes du passé étaient là, mais les visages étaient troubles, brouillés…

J'étais devenue vampire par accident. Simplement parce que mon créateur, Thomas, avait pris mes parents d'abord et était trop repu pour me « finir ». Sa compagne, Carole, ne m'avait pas tuée car elle désirait agrandir la « famille ». Un coup de chance, un brin de désir, et vous voilà vampire. Depuis, je me nourrissais d'humains. Pas autant que je l'aurai voulu, cependant. Mes « parents » voulaient rester discrets, ne pas attirer l'attention sur eux. Nous nous déplacions donc souvent, sans jamais demeurer plus d'un ou deux mois au même endroit, tout en freinant notre appétit : pas plus d'une victime par semaine et par personne. Parfois deux, mais c'était exceptionnel. Cela m'énervait au début. Mais à présent, je m'habituais à cette sensation de sentir la faim grandir en soi. Après tout, ils étaient vampires depuis bien plus longtemps que moi, ils savaient ce qu'ils faisaient. Je n'avais pas remis en cause ce fait, pensant que tous les vampires faisaient la même chose que nous. Il y avait même une logique à se restreindre. Si nous tuons trop de personnes, il y aura moins d'enfants, donc moins de nourriture plus tard. Que ce soit pour nous ou pour d'autres vampires. Il fallait aussi penser à notre devenir. C'est lorsqu'il y a l'abondance qu'il faut tout faire pour éviter que ne vienne la disette. Et j'avais découvert que se limiter par choix était nettement moins dur que se limiter par nécessité. La volonté était toujours plus forte que le besoin ou l'envie.

Le seul souci, avec le temps, c'était de se débarrasser des corps. Avec les progrès de la science, les humains trouveraient étrange que des personnes meurent, vidées de leur sang. Nous étions donc obligés de maquiller notre repas en cambriolage qui aurait mal tourné, en simple crime, en suicide, en accident ou autre réjouissance.

Ce petit jeu de cache-cache commençait à m'ennuyer. Surtout que tuer des humains me gênait parfois. Parfois, pas souvent. Après tout, ça aurait pu être moi. J'apportais la mort avec moi. Je privais tellement de gens de leur futur, de leur avenir.

Et voilà que, pour la première fois depuis ma transformation, je quittais mes « parents », de façon définitive. Sans remords, sans regrets, sans peine. Cette absence de sentiment me fit même peur.

Suis-je devenue à ce point inhumaine ? Suis-je encore capable de ressentir des émotions ? Ou suis-je devenue un être froid, n'éprouvant du plaisir qu'en se nourrissant ? Qu'est donc devenue la Rachel d'autrefois ? Celle qui était heureuse, qui riait, s'amusait… qui aimait ?

Non ! Il ne fallait pas que je repense à cela. Après tout, j'avais eu un début de réponse, il y a quelques semaines. Au moment où ma vie avait été bouleversée.

Thomas et Carole m'avaient déjà parlé des Cullen. Une famille de vampires qui s'était détournée de nos instincts. Ils avaient renoncé au sang humain pour se sustenter de sang animal. Thomas et Carole les avaient rencontrés en 1922. A cette époque, Carlisle était déjà avec Edward et il venait de transformer Esmée un an plus tôt. D'après Thomas, ils allaient devenir fous, à force de s'abreuver d'animaux. Lorsqu'ils m'en avaient parlé, j'avais été étonnée. Pourquoi lutter contre notre soif ? Se freiner, d'accord, mais renoncer totalement aux humains ? Dans quel but ? Sans même un écart pour Noël !! Cela m'avait semblé absolument absurde et sans fondement.

A présent….

Toujours est-il qu'entre entendre parler de cette famille et les voir, il y avait une sacrée différence !!!

Je me replongeais dans mes souvenirs.

Un matin comme un autre, nous avons vu deux vampires venir à notre rencontre. Un couple. Aussitôt, nous étions sur nos gardes. On ne savait jamais comment une rencontre allait se finir. Un bonjour amical ? Un affrontement ? Le couple qui venait à notre rencontre a simplement ralenti, tout en restant prudent. L'homme semblait fort. Mais ils étaient deux, et nous trois. Quoique, s'ils étaient de bons combattants, le nombre importait peu. Une vague d'angoisse m'avait envahie. Non pour Thomas et Carole, mais pour ma propre survie. Egoïsme ? Non, simplement aucune envie particulière de mourir.

Lorsqu'il n'y eut plus que quelques mètres entre nous, Thomas et Carole se détendirent, sans que je n'en saisisse la cause.

- Cullen ? Demanda Thomas

- Oui. Répondit l'homme. Comment le savez-vous ?

- Le pendentif de la femme. Je reconnais le blason de Carlisle Cullen. Il avait d'ailleurs fait un collier pour Esmé et un bracelet pour Edward. Toujours la même façon de se nourrir qu'en 1922 ?

- Oui. Reprit l'homme. Je suis Emmett Cullen et voici ma compagne, Rosalie. Nous sommes les enfants de Carlisle et d'Esmée. Pouvons-nous discuter ?

- Bien entendu. Je m'appelle Thomas. Voici ma compagne, Carole. Et enfin Rachel, notre fille.

Thomas se tourna vers moi et reprit la parole.

- Tout va bien, nous ne risquons rien. Ce sont les enfants de Carlisle.

- Merci, j'avais entendu. Répondis-je. Le pacifisme va de pair avec l'alimentation ?

- On dirait bien. Me lança Emmett, en éclatant de rire.

L'entendre rire me détendit plus que je ne l'aurai cru. Cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas entendu quelqu'un rire avec tellement de spontanéité. Même lorsque nous nous amusions, cela n'avait pas l'air d'être aussi sincère que ce rire.

La femme, Rosalie, restait prudente, tout en étant détendue. Elle était vraiment belle. Trop, peut-être. Un genre de beauté douloureuse.

Nous nous assîmes par terre et la discussion reprit.

- Alors, comme ça, Carlisle a continué à faire des enfants. Combien êtes-vous ? Demanda Thomas.

- Nous sommes huit.

- Huit ? Je ne me souviens que de Carlisle, Esmée et Edward

- Après Esmée, il y a eut Rosalie, puis moi. Ensuite, Alice et Jasper ont rejoint notre famille. Enfin, Edward vient de transformer sa femme, Bella. Nous indiqua Emmett

- Mais vous ne vivez pas tous ensemble… Supputa Carole

- Si, bien sûr que si. Lui répondit Rosalie, avec un sourire.

- Comment est-ce possible ?

Thomas et Carole avaient l'air aussi ébahi que moi. Nous avions déjà croisé pas mal de groupes de vampires, mais, en général, ils ne tenaient pas longtemps. Quelques décennies, tout au plus. D'ailleurs, nous aussi, nous nous étions séparés. Trois fois, avec un rendez-vous que je n'avais jamais loupé, des retrouvailles planifiées. Or, Rosalie et Emmett semblaient dire qu'il était possible de vivre en famille. En communauté, devrais-je dire, vu leur nombre. Cela allait à l'encontre de tout ce que je connaissais.

- Il paraît que c'est à cause de notre alimentation que nous pouvons vivre ainsi. Il faudrait demander à Carlisle, c'est lui le plus doué pour expliquer cela. Dit Emmett.

- Tant qu'on en est à se donner des nouvelles… A l'époque, Carlisle voulait vivre, avec sa famille, comme des humains. Est-ce toujours le cas ?

Maintenant qu'il le disait, je me rappelais que Thomas m'en avait parlé. C'est d'ailleurs aussi pour cela qu'il prenait Carlisle pour un fou. Vivre comme des humains, se fondre dans leur masse… C'est vrai que c'était insensé ! A présent, à force de me restreindre, j'étais capable de marcher à côté d'humains sans avoir envie d'eux. Enfin… Disons plutôt que j'étais capable de me contrôler. Mais, vivre au milieu d'eux !!! Tous les jours !!!! Et sans les croquer !! C'était complètement inédit, fou même.