Deux mots : Ca m'est venu comme ça. En me posant la question ''Mais que pense mon chat lorsqu'il nous voit, ma copine et moi, en train de nous embrasser sur SON canapé ?'' Vous voyez jusqu'où ce genre de réflexion peut mener... Bonne lecture.
Le chat est là. Le chat est noir et blanc avec des anneaux tout le long de la queue, dernière lubie de sa ''maîtresse''. Le chat passe plusieurs heures par jour à faire sa toilette. Il en passe tout autant à avaler des poils par paquets entiers. La maison du chat s'appelle le Domaine.
Le chat dort souvent. Beaucoup trop au goût de sa petite maîtresse. La maîtresse du chat s'appelle Miku Hatsune. Le chat se demande bien comment il peut exister une telle couleur de fourrure. Et pourquoi sa maîtresse n'a de la fourrure que sur la tête.
Il se dit que c'est peut-être une maladie bizarre.
En fait, le chat s'en moque. Le chat se moque de tout du moment qu'il a son bol de lait tous les jours.
Le monde peut bien s'écrouler que le chat ne bougera pas d'un poil.
Le chat se demande pourquoi sa maîtresse a fait rentrer une autre fille dans la maison. Ou dans le Domaine. L'autre fille s'appelle Luka.
Le chat s'en fout. Même s'il aime bien les caresses de cette Luka. Il se dit qu'elle ne sera pas tout à fait inutile au final. Au pire, elle pourrait lui servir de support pour sa sieste. Le chat a le chic pour se coucher sur les genoux de n'importe qui. Ce qui embête bien Miku qui ne sait pas rester en place.
Mais le chat se pose des questions lorsque Luka le chasse de ses genoux pour y faire asseoir Miku. Il se dit que ce n'est pas juste. Alors il miaule un peu, histoire de râler, et s'en retourne laper son lait. Il ne comprend pas non plus ce qu'elles font lorsque leurs bouches sont collées de cette façon. Elles vont s'étouffer !
Et au dernier moment, elles s'éloignent, reprennent une goulée d'air et recommencent. Inlassablement. Le chat se dit que ces humains sont fous et ont des jeux bien étranges. Est-ce qu'il irait, lui, faire la même chose à la petite chatte voisine ? Hein ? L'empêcher de respirer pour la libérer au dernier moment, et recommencer. Ce serait de la torture.
Bien sûr que non. Avec la chatte voisine, il a d'autres jeux.
Alors il se roule en boule sur le canapé et, l'oreille aux aguets, il les entend se dire des mots qui sonnent comme des caresses à ses oreilles.
Il les écoute se faire des promesses d'amour éternel, de vie à deux, des grands projets… Elles refont le monde sous ses yeux alors qu'il préfère se passer une patte derrière l'oreille. Elles mêlent leurs doigts et leurs rêves.
Et le chat s'en fout.
Souvent, lorsqu'elles sont toutes les deux seules dans le Domaine, elles prennent toute la place. Que ce soit le canapé, le fauteuil ou même les chaises. Elles ne tiennent pas en place, chahutent, se bousculent gentiment, jouent à s'attraper, s'embrassent…
Avec tout ce bruit, le chat a du mal à dormir. Alors il monte à l'étage et va se rouler en boule sur le lit de sa maîtresse. Généralement, on le laisse tranquille et il peut passer l'après-midi à faire la sieste sans que personne ne vienne le déranger.
Seulement voilà. Un après-midi comme celui-ci, il les entend monter les escaliers en courant et riant. Il a tout juste le temps de se jeter en dehors du lit qu'elles se laissent toutes deux tomber sur les couvertures.
Le chat n'a pas aimé. Mais alors pas du tout.
Il monte sur une étagère, semblable aux dizaines de peluches de sa maîtresse et les regarde.
Le chat ne bouge pas. Alors que sous ses yeux, elles ont l'air de se battre. Elles se cherchent, se trouvent, se griffent ou bien se mordillent le cou ou la gorge.
Le chat miaule pour se faire remarquer. Luka lâche les mains de sa maîtresse et vient l'attraper par la peau du cou.
Le chat se laisse faire en ramenant les pattes sous son corps. Ca fait longtemps qu'on ne l'a plus porté de cette manière.
Il entend sa maîtresse râler, Luka lui répond que ça ne l'intéresse pas d'être observée. Elle le met dehors, lui gratte les oreilles et referme la porte. Il attend un moment, assis devant cette porte qui lui semble immense. Pour passer le temps, il se lave les pattes, joue avec sa queue, gratte parfois à la porte… Mais elles font tellement de bruit qu'elles ne doivent pas l'entendre.
Des bruits bizarres. Comme si elles couraient toutes les deux. Il les entend s'appeler mutuellement, de cette voix douce qui devient de plus en plus rauque au fur et à mesure que passent les minutes. Il les entend respirer fort, il pense même entendre les battements de leurs deux cœurs réunis, qui se répondent dans la douceur de cette après-midi.
Et puis d'un coup, il y a un grand bruit de chute. Il devine que l'une d'elles à du tomber. Du lit sûrement.
Il y a le silence qui s'installe d'un coup et le chat tend l'oreille. Il y a ensuite une plainte faible, Luka qui demande si tout va bien d'une voix un peu paniquée et qui pousse ensuite un soupir de soulagement. Le chat entend des rires.
Il se lève sur ses pattes arrières et plaque celles de devant sur la porte en miaulant. Il veut savoir ce qu'il se passe là-dedans.
On lui ouvre la porte et il se faufile à l'intérieur de la chambre pour aller se caler sur le lit. C'est sa maîtresse qui lui a ouvert. Et il ouvre des yeux ronds en voyant qu'elles sont toutes les deux à moitié nues. Dans ces drôles de bouts de tissus qu'elles appellent sous-vêtements.
Ces humains ne pouvaient pas porter de la fourrure comme tout le monde ?
Miku rejoint Luka sous la couverture et se blottit dans ses bras. L'aînée l'accueille chaleureusement d'un baiser sur la tempe et de quelques mots d'excuses. Le chat les regarde faire en ronronnant. Elles jouent chacune avec les cheveux de l'autre, glissent parfois un doigt sur les courbes de leurs visages et s'embrassent à nouveau. Sur l'épaule, sur la joue, dans le creux du cou, sur les lèvres.
Le chat est persuadé que si elles étaient plus félines, elles ronronneraient elles aussi.
Il trouve une position un peu plus confortable et commence à fermer les yeux, envisageant sérieusement une sieste. Ce qui n'est visiblement pas au goût de tout le monde. Il sent le lit bouger sous lui et entrouvre un œil. C'est Luka qui a passé un de ses pieds sous son corps et qui essaie de le déloger.
Il se redresse lentement, s'étire de tout son long, s'assoit sous le regard médusé de Luka et celui amusé de Miku, se lèche une patte afin de se donner une contenance et part d'une démarche digne.
Il ne prend même pas la peine de fermer la porte. Bien fait pour elles, se dit-il en allant s'installer sur le canapé au rez-de-chaussée.
Depuis cette après-midi, sa maîtresse est plus gaie. Plus joyeuse. Des fois, elle lui parle, persuadée qu'il ne la comprend pas. Et lui, oreille ô combien attentive, fait semblant de l'écouter tandis que son esprit va s'égarer ailleurs. Bien sûr, il est content pour sa maîtresse. Mais elle vient souvent lui gâcher sa sieste avec ses palabres incessantes sur Luka. D'autant qu'elle lui livre des détails dont il se passerait bien. Excepté le fait que cette Luka aime le poisson, tout comme lui, il ne se trouve aucun point commun avec elle. Et s'en moque complètement.
Etrangement, lorsque les parents de sa maîtresse sont présents au Domaine, les deux filles restent calmes. Voire trop calmes.
Par contre, dès que les parents sont absents, elles montent le plus souvent à l'étage, dans la chambre. Dans ces cas là, il peut passer tout son temps à dormir, personne ne lui fait de remarques.
Il les rejoint parfois lorsqu'il n'entend plus les souffles précipités ou les gémissements languissants. Il les trouve généralement épuisées, dans les bras l'une de l'autre, le souffle encore court et les yeux brillants. Dans ces moments, ce sont elles qui se moquent de tout.
Et puis un soir qu'il se réveillait d'un long somme, il n'entendit ni parents, ni souffles rapides à l'étage. Juste une respiration saccadée et hachée. Il reconnaissait aisément les pleurs depuis qu'il vivait avec des humains. Et ceux-là n'étaient pas de joie.
Sa petite maîtresse pleurait sur une chaise dans la cuisine. En s'approchant, il s'était pris les pattes dans quelque chose qui ressemblait à de la fourrure sans en être. En levant les yeux, il avait vu que sa maîtresse s'était coupé les cheveux. Elle tenait encore les ciseaux dans son poing serré.
Il s'était frotté à ses jambes, espérant recevoir une caresse ou un mot doux. Elle avait continué à sangloter sans lui prêter attention.
Ca, il n'aimait vraiment pas.
Quand elle était triste, sa maîtresse se désintéressait totalement de tout ce qui l'entourait. Le chat y compris. Et lorsqu'on ne s'occupait pas de lui, le chat ne s'en foutait pas.
Il planta ses griffes dans le jean délavé, atteignit la chair et attendit une réaction qui ne vint pas. Il miaula à s'en briser les cordes vocales, puis bondit sur la table près de laquelle sa maîtresse se tenait recroquevillée.
Il l'entendait psalmodier le prénom de Luka comme un sutra.
Au bout de plusieurs minutes sans amélioration, il monta à l'étage et se coucha sur le lit de Miku. Elle le rejoindrait. Au moins pour passer la nuit. Les humains dormaient souvent au même endroit.
Il ne se trompa pas. Elle vint, tard, mais elle vint tout de même. Elle se glissa sous la couverture et il vint se blottir contre elle, partageant sa chaleur. Elle passa machinalement la main sur son pelage. Au moins, elle ne pleurait plus.
Le chat finit par s'endormir.
Ce fut en rentrant de la chasse, une souris dans la gueule qu'ils les avaient trouvé, toutes les deux, main dans la main, face aux parents du Domaine. Il était étrange de voir sa maîtresse avec les cheveux courts.
Luka avait le regard qui portait loin, tout en ne quittant pas des yeux les deux adultes qui se tenaient debout devant elles. Elle était déterminée. Miku, quant à elle, se tenait un peu en retrait.
Le chat ressortit pour aller dévorer son gibier à l'extérieur. Il n'aimait pas l'ambiance.
Ils parlèrent un moment. Quand les humains eurent terminé, il avait finit sa souris depuis longtemps et envisageait même d'aller en chercher une autre. Luka lui passa devant sans le remarquer. Elle s'arrêta sur le perron et poussa un soupir qui emportait avec lui toute la tension qu'elle avait pu accumuler.
Elle le vit alors et lui adressa un sourire magnifique. Un de ceux qui présagent d'un avenir radieux. Plein de souris à chasser, de coussins moelleux, d'herbe à chat et de caresses. Mais peut-être que les humains ne voyaient pas la chose sous le même angle ? Il n'avait jamais vu un seul humain manger une souris après tout…
Elle partit et le chat rentra sans lui adresser un regard. Cette nuit, lorsqu'il rejoignit sa maîtresse dans son lit, elle lui raconta qu'elle avait eu peur ces derniers jours. Parce que Luka s'était mis en tête de mettre les parents au courant de leur relation.
Le chat faisait semblant de l'écouter en se toilettant. Rien de tel qu'une bonne douche avant d'aller se coucher.
Miku lui raconta la soirée. La tension que le chat avait pu sentir en rentrant de la chasse, la déclaration de Luka, les sourires amusés des parents qui avaient très bien pris leur relation.
Le chat ne savait même pas ce qu'était une relation et s'en fichait royalement.
Il ne comprenait pas non plus pourquoi sa maîtresse avait eu peur. On avait peur lorsque l'on était sur le point de traverser la route, lorsque l'on se retrouvait devant une vipère pendant une partie de chasse ou bien lorsque les chiens du bout de la rue n'étaient pas attachés, parce qu'ils pouvaient aisément vous broyer entre leurs immenses mâchoires. Mais pas devant les parents pour leur dire qu'on voyait Luka et qu'on l'aimait. On a pas à avoir peur d'aimer. En tous cas, c'était ce que pensait le chat. Est-ce qu'il se cachait quand il jouait avec la chatte du voisin ? Non.
A quoi bon se cacher d'aimer et d'être aimé ?
Miku serait toujours la fille de ses parents, ses cheveux repousseraient petit à petit, elle lui donnerait toujours son bol de lait le matin, elle passerait encore ses après-midis au lit avec Luka. Elle aimerait toujours Luka.
Et même de ça, en se passant une patte derrière l'oreille, le chat s'en moquait.
