Chapitre 1 : Réhabilitation

C'en était fini. Le complot était déjoué. Jusqu'à la dernière minute, cette affaire aurait été riche en rebondissements et en évènements inattendus. Tant de temps perdu pour un résultat si rapide. Judy n'était revenu à Zootopie qu'en fin de matinée, après avoir compris quelle était la vraie nature des hurleurs nocturnes, et tout s'était déroulé à une vitesse phénoménale, dès cet instant, comme si cette seule pièce manquante suffisant à constituer le dernier quart d'un puzzle gigantesque, sur lequel elle avait l'impression d'avoir œuvré depuis des mois. Les retrouvailles avec Nick, ces excuses qu'elle lui devait, avaient également été un moteur à la résolution de l'affaire. Grâce à son aide, à la mise en commun de leur savoir-faire et de leurs connaissances particulières et complémentaires, elle avait pu remonter la piste jusqu'au fabriquant de la drogue issue des hurleurs nocturnes, et par extension, au cerveau des opérations, Dawn Bellwether.

Que la brebis soit à l'origine du complot la laissait toujours sans voix, et elle ne parvenait toujours pas à rationnaliser la logique de ses activités criminelles. Plus ou moins, elle saisissait ses motivations : la recherche du pouvoir. Mais était-ce vraiment tout ? La raison pouvait-elle aussi égoïstement stupide ? Elle la voyait à présent, menottée et poussée rudement en direction du fourgon qui n'allait pas tarder à l'emmener au poste de police, où elle serait interrogée, puis enfermée. Connaîtrait-elle un jour le fin mot de l'histoire ? Le besoin de questionner Bellwether était trop pressant. Sa curiosité avait besoin d'être étanchée, et surtout elle avait besoin de comprendre comment les choses avaient pu aller aussi loin.

Judy tourna un regard fatigué vers Nick, qui se tenait à ses côtés, observant les opérations policières d'un œil distrait. Son expression était figée et placide. Il n'avait pas décroché un mot depuis plusieurs minutes. Il avait lutté farouchement pour qu'on s'occupe le plus rapidement possible de la jambe de Judy, craignant que les soins qu'elle nécessitait soient relégués à plus tard, en raison de l'importance de l'interpellation en cours. Finalement, Bogo, lassé de ces réclamations devenues, au bout de quelques minutes, outrancières (et cela même si Judy avait cherché à le calmer en lui assurant que cela pouvait attendre), leur avait envoyé un collègue formé aux premiers secours. Celui-ci avait nettoyé et désinfecté la plaie avant d'y appliquer un bandage serré. Il avait conseillé à Judy de passer à l'hôpital le plus vite possible car la plaie nécessitait des points de suture, du moins si elle ne voulait pas garder une vilaine cicatrice. Nick avait insisté pour l'y conduire de suite, mais Judy lui avait demandé d'attendre… Ce refus ne lui avait pas plu, et depuis il restait statique, observant l'activité bouillonnante qui régnait au sein du musée, sans lâcher le moindre mot.

« Nick ? » demanda finalement Judy, parvenant à attirer l'attention du renard vers elle. Il leva un sourcil en guise de réponse, attendant la suite. « Tu veux bien m'aider à aller jusqu'au fourgon ? Je… J'ai besoin de lui parler… »

« A qui ? » demanda-t-il d'un air incrédule. « A la cinglée qui a essayé de te tuer ? Carotte, si on n'avait pas eu la présence d'esprit d'intervertir le sérum, je t'aurais sans doute… Bon sang, je ne préfère même pas y penser… »

Un frisson lui parcourut l'échine et il secoua légèrement la tête, visiblement mal à l'aise. Judy comprenait parfaitement ce qui le troublait. Le fait qu'ils aient évité le pire n'enlevait rien à la gravité de ce qui s'était passé. Oui, ils avaient été assez malins pour se prémunir d'un sale coup… Mais s'ils ne l'avaient pas été… Potentiellement, Nick aurait pu la tuer. Cette idée avait de quoi traumatiser n'importe qui. Si Judy ne parvenait pas à en ressentir la gravité, Nick pour sa part en souffrait profondément. Cette possibilité exposait très ouvertement le potentiel meurtrier des prédateurs. En cela, Dawn Bellwether avait réussi son coup.

« Je sais, Nick… » murmura finalement Judy en baissant la tête. « Mais ce n'est pas arrivé. » Elle lui agrippa le poignet, essayant de le réconforter un peu. Il émit un nouveau frisson, mais pour une fois, il ne se rétracta pas à son contact. « Et qui sait ? L'irréductible Nicholas Wilde aurait peut-être résisté au sérum ? »

« Tu crois aux miracles, toi ? »

La réflexion naïve avait au moins eu le mérite d'éveiller l'ombre d'un sourire sur le museau de Nick. Judy hocha doucement la tête, lui offrant une expression réconfortante.

« Je crois en toi. Je sais que tu ne me ferais jamais de mal. »

Nick remercia le ciel d'avoir un pelage roux et épais, sinon quoi Judy aurait pu apprécier la rougeur écarlate qui lui montait aux pommettes. Il tenta de camoufler son trouble par un ricanement incrédule, avant de répondre : « Ah vraiment ? Tu n'auras plus besoin de ce répulsif à renard, alors ? »

« Je m'en suis débarrassé depuis un moment déjà… après avoir passé mes nerfs dessus. Il n'en restait plus grand-chose, à vrai dire… J'avais ce liquide irritant plein les pattes, et j'étais tellement énervée que je n'ai pas fait attention et je me suis frotté les yeux avec et… »

Elle avala à sec avant de détourner les yeux, honteuse, tandis qu'un sourire béat se dessinait sur le museau de Nick. Il ne put refreiner l'éclat de rire qui le gagna alors qu'il s'imaginait Judy, sous l'effet de ce fichu répulsif supposé la protéger contre dieu seul savait quel danger imaginaire.

« C'est ça, marre-toi ! » reprit-elle, avant de pousser un soupir. « On pourra dire que je l'avais bien cherché… »

« Allez, allez, arrête ! » répondit Nick en lui tapotant amicalement sur l'épaule pour la réconforter. « Inutile de te blâmer d'avantager pour tout ça. »

Oh, sans doute avait-il raison, mais il lui faudrait un moment pour parvenir à évacuer toute la culpabilité qu'elle ressentait suite à ce qu'elle avait dit lors de cette fameuse conférence de presse, dont avait découlé la situation catastrophique qui avait agité Zootopie au cours des trois mois précédents. Elle savait qu'elle n'avait pas à assumer toute la responsabilité de ce désastre, puisque la coupable véritable se trouvait à une vingtaine de mètres d'elle, à présent menottée à l'arrière d'un fourgon blindé, le chef Bogo en train de lui dicter ses droits. Mais peu importait, au final, que tout cela ne soit qu'une manigance de Bellwether et de ses alliés… elle avait été une pièce de choix dans l'engrenage de leur plan machiavélique, et elle avait fait son office. Oui, et avec zèle. Et cela, c'était entièrement sa faute. Sa naïveté, ses préjugés, son ignorance, son étroitesse d'esprit… Elle en était la seule responsable. Elle devrait vivre avec sa faute. Cela ne fit que la conforter dans son désir de s'entretenir avec celle qui l'avait si aisément manipulé (et aurait continué à le faire en abusant de son image, si elle n'avait pas eu l'éthique de démissionner).

« Allez, Nick. C'est sans doute ma dernière chance de pouvoir m'entretenir avec elle avant un bon moment. J'ai besoin de comprendre. »

« Tu penses sincèrement qu'il y a quelque chose à comprendre à tout ça ? »

Elle se contenta de le scruter, ses grands yeux violets insistant avec ardeur. Elle plaqua ses oreilles dans son dos et tourna légèrement la tête de côté, l'air suppliant. Impossible pour Nick de résister à un tel visage.

« Fichu lapin diabolique. » marmonna-t-il en ricanant, tandis qu'il se baissait pour la saisir par-dessous l'aisselle, l'aidant à se relever.

Judy ne put réprimer un rire satisfait en le voyant céder face à sa manipulation. Elle détestait qu'on dise qu'elle était mignonne, mais savait abuser de cette caractéristique lorsque la situation l'imposait. Le fait que Nick n'y soit pas insensible ne faisait qu'ajouter au bonheur de la chose… Ainsi donc, il la trouvait réellement mignonne. Assez pour lui céder, en tout cas. Elle ne manquerait pas de s'en souvenir… et de l'apprécier, au besoin.

Soutenant sa démarche claudicante, Nick la mena jusqu'au fourgon. A leur approche, Bogo tourna les talons, leur lançant un regard dur et interrogateur.

« Hopps ? Vous n'êtes pas encore partie faire soigner cette jambe ? Grizzoli m'a dit que vous aviez besoin de points de suture. »

« Je vais y aller, chef, mais je souhaitais avoir une chance de questionner madame Bellwether avant de quitter les lieux… J'ai besoin de lui demander quelque chose… s'il vous plaît ? »

Bogo secoua la tête, refusant catégoriquement. L'air impassible, il croisa ses énormes bras sur son torse musculeux, avant de faire barrage de son corps, camouflant la brebis à la vue de Judy. La lapine fronça les sourcils, incrédule.

« Comprenez-moi bien, Hopps… » reprit Bogo. « Vous avez démissionné. Vous n'êtes plus flic. Ce que vous avez fait aujourd'hui… Poursuivre cette enquête et la mener à son terme. C'est appréciable et impressionnant. Mais vous n'aviez pas le droit de le faire. Vous êtes une civile, vous comprenez ? Et en cela, je ne peux vous autoriser à vous entretenir avec un suspect. »

Toujours franc et direct, remarqua Judy en baissant légèrement la tête, abattue. Bogo avait raison. Elle avait démissionné. Elle avait tiré un trait sur ses rêves suite à ses échecs personnels et il n'y avait pas moyen de revenir en arrière. Sa carrière de policière aurait été courte et intense, mais elle était néanmoins terminée. Elle n'avait pas la force de relever les yeux pour soutenir le regard ferme et intransigeant de Bogo et se mura dans le silence. C'est la voix de Nick qui la ramena à la réalité.

« Comment ça ? » s'étrangla Nick. « T'as démissionné ? »

Judy releva les yeux vers lui et fut surprise de lire de l'incongruité et une certaine forme de reproche dans son regard.

« Pourquoi t'as fait ça ? »

« Excellente question, renard. » renchérit Bogo avec un sourire carnassier. Il n'était peut-être pas un prédateur, pensa Judy, mais il en avait toutes les caractéristiques. « Je me suis posé la même, suite à sa décision. Elle a tenté d'expliciter ses raisons, mais je ne suis pas certain de les avoir bien compris. »

Se moquait-il ouvertement d'elle ou cherchait-il à la torturer sciemment ? Elle avait été très claire au moment où elle avait rendu sa plaque : elle avait aggravé une situation déjà désastreuse et plongé Zootopie dans une forme de panique aux répercussions dramatiques… Et loin de le lui reprocher, les autorités semblaient vouloir la récompenser pour cela. Bien entendu, qu'elle avait rendu sa plaque. Elle n'avait pas su aider et protéger ses concitoyens. Elle leur avait fait du tort. A tous. Prédateurs comme Proies. Elle avait fait du tort à Nick. Elle l'avait déçu. Elle s'était déçue elle-même. Au-delà de tout… Elle s'était haïe pendant des semaines, avant de se faire une raison et de digérer son erreur. Mais au moins, elle en avait assumé la responsabilité.

« Je n'étais pas digne de porter cette plaque… » explicita-t-elle d'une voix endolorie, sentant l'amertume lui piquer les yeux. « J'ai contribué à mener la ville entière vers une situation dramatique, qui aurait pu devenir catastrophique. Je suis tombée tête la première dans le piège de Bellwether. Je lui ai mâché le travail. Je lui ai ouvert les portes du pouvoir et j'ai initié cette contagion de peur qui a frappé tout le monde. Les proies qui craignaient les prédateurs… Les prédateurs qui se craignaient eux-mêmes… » Judy secoua la tête, incapable d'articuler d'avantage. Si elle insistait, ses émotions prendraient le dessus et elle se mettrait à pleurer.

« Tu es une idiote, Carotte. »

Elle redressa les oreilles et écarquilla les yeux face à cette sentence implacable prononcée par Nick. Le renard lui portait cependant un regard bienveillant.

« Qu'est-ce que je t'ai dit, ce soir-là, dans la nacelle ? Ne laisse jamais personne voir que tu as été blessée. Et ça fonctionne aussi pour toi-même, pas vrai ? »

« Nick… C'est moi qui ai blessé les gens, tu comprends ? Je t'ai blessé… »

« Et je t'ai pardonné. Tu n'es pas la première personne à me décevoir ou à me faire du mal, Carotte. Tu n'as pas ce privilège… »

Judy baissa la tête, honteuse. La violence de ces propos la conforta dans son malaise. Il l'avait dit lui-même : elle lui avait fait du mal… Et elle l'avait déçu. Cet état de fait était sans doute le plus douloureux à entendre, et elle se sentit prête à pleurer.

« Mais tu es sans doute la seule et unique personne à avoir reconnu ouvertement ses erreurs et à s'être excusée envers moi. Jamais personne d'autre ne l'avait fait avant toi, Judy. Personne. »

Il venait de l'appeler Judy. Elle avait beau travailler sa mémoire jusqu'à s'en torturer les méninges, elle ne parvenait pas à se rappeler l'avoir entendu la nommer ainsi depuis leur première rencontrer. Cette petite nouveauté la fit frissonner.

« Comment aurais-je pu t'en vouloir, après ça ? On fait tous des erreurs, mais on apprend d'elles, je suppose. Enfin, je n'en sais rien… J'ai fait de ma vie une accumulation d'erreurs, je suppose, alors je ne suis peut-être pas le mieux placé pour en parler. Mais ce que je veux dire, c'est que si je t'ai pardonné, tu devrais être capable de te pardonner aussi. A partir de là, les choses iront mieux, et tu pourras aller de l'avant. »

« C'est un sage conseil, que je vous recommande de suivre, Hopps. » confirma Bogo d'un ton conclusif.

Judy hocha la tête, estomaquée par le discours qu'elle venait d'entendre. Bogo avait raison : les conseils de Nick étaient simples, mais évidents. Il ne suffisait pas seulement d'assumer ce qu'elle avait fait. En prendre la responsabilité était une chose, mais l'accepter en était une autre. Au final, ses erreurs avaient permis de déjouer le complot. Rien ne se serait passé de la même façon, si elle ne les avait pas commises. Elle avait contribué à réparer ce qu'elle avait abîmé. Mais elle n'avait peut-être pas accordé assez de temps à la réparation de ce qui avait été détruit au fond d'elle-même. Il faudrait y œuvrer, sans doute… Mais dans les circonstances actuelles, cela lui semblait compliqué. Mais non pas impossible.

« Pour ce qui est de Bellwether… Elle avouera tout, elle me l'a déjà dit. Vous connaîtrez les raisons de ses agissements bien assez tôt. La presse ne tardera pas à s'emparer de l'affaire et à en exposer les moindres détails. » Bogo poussa un soupir de lassitude à la seule idée de devoir faire face aux médias. « Je ne pense pas que vous entretenir directement avec elle vous aidera à y voir plus clair, Hopps. L'essentiel, vous l'avez déjà compris. Reste à savoir ce que vous avez l'intention de faire, maintenant. »

« Mes options sont assez limitées, chef. » bredouilla Judy. « Je n'ai plus de travail, ni même de logement en ville… Je vais retourner à Bunnyburrow, je suppose… travailler avec mes parents. »

« Je vois… » répondit le chef d'une voix distante. « Vous n'allez donc pas faire de demande de réhabilitation ? »

Judy et Nick écarquillèrent les yeux de concert face à cette question, incrédules.

« Comment ça ? » demanda Judy d'une voix sèche. Elle sentait son cœur battre à tout rompre.

« Eh bien ? En tant qu'ancienne officière de police, je pensais que vous connaissiez la législation sur le bout des doigts. Un policier qui démissionne pour une quelconque raison a droit de faire une demande de réhabilitation s'il désire réintégrer les forces de l'ordre. Un comité décisionnel est réuni pour prendre en considération la demande et l'accréditer, ou non… Cela permet souvent à des policiers ayant fait un choix inconsidéré d'avoir une chance de revenir en arrière… »

Un sourire radieux se dessina sur le museau de Nick. Judy était plus éblouie par sa réaction à la nouvelle que par la nouvelle elle-même. Etait-ce si important pour lui qu'elle puisse réintégrer les forces de l'ordre ?

« C'est génial, Carotte ! On dirait bien que tu vas pouvoir bientôt réenfiler ta superbe tenue de contractuelle ! »

« Ha-ha ! » déclara-t-elle d'un ton faussement amusé. « Très spirituel. Cette veste orange est toujours de meilleur goût que ta chemise en imprimé Pawaïen. »

« Un lapin qui vient me parler de mode ! C'est sûr que le orange doit te plaire. Les seules choses que vous aimez doivent nécessairement avoir des attributs de carottes ! »

« Non mais je rêve ! » s'exclama-t-elle en riant. « Qui parlait de préjugés il y a quelques instants à peine ? »

« Euh… toi, il me semble, non ? Tu te blâmais pour en avoir fait preuve ! » Attaquer sur ce terrain n'était pas très sympa, dans les circonstances actuelles, aussi Nick se précipita-t-il pour amoindrir l'impact de sa dernière provocation. « Et puis, ce ne sont pas des stéréotypes, mais des faits. La preuve : tu ne peux plus te passer de moi. Est-ce parce que je suis incroyable, intelligent, élégant, et d'une grande intégrité morale ? Non. Rien de tout ça. Tu m'adores parce que je suis orange. »

« Oui, ça doit être ça. » rétorqua Judy en souriant d'un air taquin. « Etant donné que je n'ai pas encore été en mesure de voir une seule autre de ces fameuses qualités que tu cites… »

« Outch. Mesquine, celle-ci. »

« Tu l'as bien cherché… »

« Mais moi je tiens encore sur mes deux pattes, au moins. »

Bogo poussa un soupir face à cet échange incessant de railleries qui, si elles avaient un petit quelque chose d'amusant, commençait néanmoins à le lasser.

« Bon… » déclara finalement le buffle, avant de frotter son menton carré de sa patte droite. « Je tiendrais une conférence de presse demain matin à onze heures au poste pour faire le point sur le dénouement de l'enquête et mettre un terme, je l'espère, à cette vague de panique qui frappe la ville. Hopps, je veux que vous soyez présente. Le renard peut venir aussi. »

« Heu… Pourquoi ça, chef ? » demanda Judy d'un air incrédule. Son ton était légèrement inquiet.

« Vous allez prendre la parole et expliciter ce bazar. »

Immédiatement, Judy sentit son cœur s'emballer et elle secoua vivement la tête en signe de dénégation. Nick la sentit reculer contre lui, ses muscles se crisper, son rythme cardiaque s'accélérer. A l'idée de devoir prendre une nouvelle fois la parole en public, la panique la gagnait concrètement. Sans doute un petit traumatisme découlant de sa dernière expérience en la matière.

« Je ne peux pas, chef… Vous... Vous pouvez faire ça vous-même ! Vous l'avez dit : je ne suis plus flic ! »

« Mais peut être le serez-vous à nouveau bientôt ? Si c'est le cas, voyez-là l'occasion de redorer un peu votre image, puisque cela semble vous préoccuper à ce point. »

La torturait-il sciemment ou bien ne se rendait-il pas compte de la difficulté de la tâche qu'il cherchait à lui imposer ? Pour Judy, cela tenait de l'impossible. Faire une nouvelle fois face aux médias, avec les implications qui pourraient découler de ce qu'elle avait à leur apprendre ? Hors de question. Elle avait déjà fauté une fois. Elle n'était pas du tout partante pour retenter l'expérience.

« Elle y sera, chef Bogo. Je m'en assurerai. »

Judy tourna un regard horrifié vers Nick, qui se contenta de sourire d'un air satisfait.

« De quel droit tu… ? »

« Bien, je compte sur vous deux. » l'interrompit Bogo en hochant la tête. « Hopps, si vous voulez faire votre demande de réhabilitation, vous en profiterez pour me la remettre demain. Cela pourra prendre un peu de temps étant donné que… Eh bien, il semblerait que nous n'ayons plus de maire. Or, la décision du maire est indispensable dans toute réhabilitation aux forces de l'ordre, puisque nous dépendons directement de l'administration centrale. Je ferai ce qu'il faut pour appuyer votre demande… Je vous dois bien ça. »

Judy perçut alors une occasion de se venger de la dernière mesquinerie de Nick, qui l'avait indirectement contrainte à participer à la conférence de presse du lendemain.

« Très bien, je vous ramènerai ma demande, dans ce cas… » commença-t-elle doucement avant d'ajouter : « D'ailleurs, Nick en profitera pour vous remettre sa demande d'intégration. Il meurt d'envie de faire partie de la police, depuis peu. Son implication dans cette affaire suffit à le prouver, n'est-ce pas ? »

« Qu… Quoi ? » s'étrangla le renard avant de perdre soudainement son sourire victorieux.

Pour appuyer d'avantage la véracité de ses propos, Judy farfouilla dans la poche arrière de son jeans avant d'en extraire le papier de demande d'intégration que Nick avait rempli quelques mois auparavant, au moment de la fameuse conférence de presse qui avait si mal tourné. Le renard resta bouche-bée en voyant le document refaire surface.

« Tu… Tu l'as gardé ? » demanda-t-il, incrédule.

« Pourquoi pas ? Tu as bien gardé le stylo… »

Elle marqua un point, et parvint ainsi à lui clouer le bec. Avant qu'il ait le temps de réagir, Bogo tendait la patte pour réceptionner le document, et Nick fut horrifié de voir Judy le lui donner.

« Eh bien… » répondit le buffle en parcourant rapidement le document. « Il est complet… Je peux le prendre tout de suite, si vous le souhaitez, monsieur… » Il relut une nouvelle fois le papier pour identifier le nom de famille de son interlocuteur. « Wilde ? ».

« Je… Je n'en sais trop rien… » bafouilla le renard, pris de court. « J'ai rempli ça il y trois mois déjà… de l'eau a coulé sous les ponts, depuis… alors… »

« Comment ? Tu… Tu ne veux plus faire équipe avec moi ? »

Judy tournait vers lui des yeux attristés et suppliants, et prenait cette petite moue irrésistible en plaquant ses oreilles dans son dos. Il sentit un frisson le secouer de la tête aux pieds et sa bouche devenir sèche et pâteuse. Comment pouvait-elle avoir un tel effet sur lui ?

Il n'y avait plus vraiment pensé depuis leur confrontation, au moment de la conférence de presse. Les trois mois qui avaient suivi ne lui laissaient pas le meilleur des souvenirs. Leur dispute l'avait blessé plus que de raison… Au point où il s'était demandé si c'était vraiment les propos qu'elle avait tenu qui le mettait dans un tel état de rage… ou simplement le fait que, par fierté, il ne la reverrait certainement jamais. De toute manière, elle avait peur de lui… Et aucune bonne relation ne pouvait se fonder sur des bases aussi instables. Pas même cordiales, et encore moins amicales. L'ensemble était difficile à gérer, émotionnellement. Cette lapine s'était infiltrée derrière ses défenses et l'avait mis à nu… Une nouvelle fois, il était ce petit renard effrayé et solitaire, affublé d'une muselière et rejeté de tous.

Finnick avait essayé de le distraire en l'entrainant dans de nouvelles combines, mais la défiance grandissante à l'égard des prédateurs avaient rendu leurs tentatives ardues et dangereuses. De plus, cela ramenait toujours ses pensées vers elle, et il souhaitait laisser tout cela derrière lui. Il avait rempli ce document avec une ferveur certaine, qu'il n'avait pas ressenti depuis de nombreuses années… Et tout s'était effondré si vite. Lorsqu'elle était revenue vers lui, et lui avait finalement offert ses excuses, il n'avait pas reconsidéré la possibilité de travailler avec elle et de devenir son équipier. Il était, de base, trop heureux d'être à nouveau à ses côtés pour prendre toute autre chose en considération.

Mais ils y étaient à nouveau. Revenus au même point, trois mois plus tard. Une lapine lui offrant sa confiance sincère, et lui proposant de travailler à ses côtés… d'être à ses côtés, tout simplement. Il comprenait bien que leur amitié ne serait pas affecté par un refus de sa part, et qu'ils continueraient à se voir et à se côtoyer régulièrement, même s'il ne renonçait pas à sa vie d'arnaqueur pour se ranger du côté de la loi… Mais au fond de lui, il savait très bien qu'il en avait envie. Réellement envie. Pour quelle raison exactement ? Sans doute pour la même qui l'avait poussé, à l'âge de huit ou neuf ans, à vouloir rejoindre les Ranger Scout Junior. Le besoin de fuir une certaine forme de solitude, et de trouver sa place au sein d'un groupe, ou auprès d'une personne… Judy lui suffirait, c'était certain. Elle lui avait trop manqué, au cours des précédents mois, pour qu'il puisse se mentir à lui-même sur ce point.

Aussi, se décida-t-il à acquiescer.

« Eh bien… Rien ne me ferait plus plaisir, en fait, Carotte… »

Elle lui offrit un sourire radieux, rayonnant de bonheur, auquel il ne put s'empêcher de répondre.

Bogo, pour sa part, acquiesça vivement, repliant la feuille de papier avant de la glisser dans sa poche.

« Bien, Wilde. Il n'y a jamais eu de renard dans la police, auparavant. J'espère que vous saurez faire vos preuves. La nouvelle session de recrutement des cadets et les entraînements à l'académie ne commenceront pas avant deux mois. Vous avez le temps de vous préparer psychologiquement, si pensez pouvoir faire l'affaire. »

« Sans lui, je serai morte, chef. Ou bien en train de cultiver des carottes… » répliqua Judy, se sentant obligée de prendre la défense de son ami, et d'expliciter son rôle capital dans l'affaire. « Sans lui, Dawn Bellwether serait encore au pouvoir, à faire régner la peur sur Zootopie. Il fera l'affaire, c'est certain. »

Elle ne savait pas exactement pourquoi elle ressentait le besoin de valoriser ainsi Nick aux yeux de Bogo, mais elle sentit la patte du renard qui la soutenait se resserrer doucement autour de son bras. Le contact était doux et affectueux. Visiblement, il était touché. Elle hésita à relever les yeux vers lui, craignant ce qu'elle pourrait laisser voir au fond de son regard. Elle ne comprenait pas elle-même ce qu'elle ressentait exactement en cet instant… Une sorte de bien-être mêlé de crainte et d'excitation. Fort heureusement, Bogo était là pour l'aider à redescendre de son petit nuage.

« Vous tenez réellement à l'avoir pour partenaire, n'est-ce pas ? Commencez d'abord par faire ce qu'il faut pour être réhabilitée. Ce n'est pas parce que je vous ai soufflé l'idée que cela se fera comme par magie. Les conseils décisionnels n'apprécient pas trop les éléments qui fuient leurs responsabilités… »

Judy baissa la tête, légèrement honteuse.

« Néanmoins, étant donné votre implication dans la résolution de l'affaire… et cela même si vous avez outrepassé vos droits et prérogatives. Encore une fois… » L'insistance accusatrice avec laquelle il affirma cette dernière sentence laissait peu de place au doute : Bogo n'appréciait toujours pas les prises d'initiative un peu trop zélées de Judy. « Je suppose que cela jouera en votre faveur et que vous serez réintégrée. Il faudra simplement vous montrer patiente… Le temps que l'administration se remette de cette… débâcle. »

Et à ces mots, il tourna un regard écœuré en direction de Bellwether qui, la tête basse, attendait à l'arrière du fourgon d'être conduite au poste.

« Combien de temps cela prendra, selon vous ? » demanda Judy, s'interrogeant déjà sur l'organisation personnelle qu'elle allait devoir mettre en œuvre jusqu'à sa potentielle reprise d'activité.

« Difficile à dire… » déclara Bogo d'un ton las. « Un bon mois. Peut-être plus. »

« Je… Je vois… »

Judy fit de son mieux pour dissimuler sa déception, mais elle était néanmoins réelle. L'idée de reprendre du service était attirante, car faire partie des forces de l'ordre avait toujours été son rêve… Un rêve qui avait été écrasé par cette sombre affaire, et auquel elle pensait avoir renoncé pour toujours. A présent qu'il lui était de nouveau accessible (avec un peu de chance, mais Bogo s'était montré plus que positif à ce sujet), devoir attendre aussi longtemps serait difficile. Elle connaissait assez son tempérament passionné et impatient, qui lui rendait souvent service, mais la desservait parfois. Ce mois serait très long, d'autant plus qu'elle devrait certainement le passer à Bunnyburrow. Elle n'avait plus de revenus, et plus de logement. Lorsqu'elle avait donné sa démission, elle avait rendu les clés de l'appartement (si toutefois ce cloaque pouvait être digne d'une telle appellation) et n'avait de fait plus nulle part où aller.

« Désolé de ne pouvoir vous offrir d'information plus réconfortante… Mais la paperasse, ça prend toujours du temps. Surtout dans la situation où nous sommes actuellement. »

Ayant lâché ces mots, Bogo hocha finalement la tête avant de se diriger vers la portière avant du fourgon.

« Bien, je vous verrais demain à la conférence de presse. Onze heures. Ne soyez pas en retard, et ne me faites pas le coup de ne pas venir… Sinon, je vous assure que je ferais ce qu'il faut pour que votre demande de réhabilitation prenne trois fois plus de temps. »

Sur ces entrefaites, Bogo s'installa au volant, et claqua brutalement la porte avant de mettre le contact pour emmener Dawn Bellwether loin de la vue de ceux qui étaient finalement parvenus à la piéger et à la faire tomber. Finalement, Judy n'avait pas eu l'occasion de s'entretenir avec elle afin de comprendre ses motivations premières, mais ce n'était peut-être pas plus mal. Elle se sentait déjà mieux, à présent… Nick avait veillé à lui remonter quelque peu le moral.

Le renard tourna d'ailleurs vers elle un regard interrogateur, avant de la questionner : « Alors, comme ça on fournit des documents me concernant sans mon aval ? Dois-je considérer ça comme une forme de pression, ou bien est-ce clairement de l'esclavagisme ? »

« Tu as un goût certain pour l'exagération et le mélodramatique, pas vrai ? »

« Eh bien, ce n'est pas exagéré de dire que tu viens de vendre mon corps et mon âme aux forces de l'ordre, qui seront bientôt obligées d'accueillir un renard dans leurs rangs. Par ta faute, bien des vies seront brisées. »

Judy pouffa de rire face à cette formulation totalement alambiquée, et le ton théâtral exagéré avec laquelle elle avait été exprimée. Il n'y avait bien que Nick pour sortir des choses pareilles. Il y aurait eu dix mille façons de retourner son petit jeu contre lui et de rentrer dans un nouveau duel de provocations mutuelles, mais Judy décida de s'en abstenir et d'opter pour une stratégie plus douce et subtile.

« Les forces de l'ordre devraient être honorées d'accueillir un tel renard dans leurs rangs. En tout cas, moi je le serai. »

Et voilà. C'était aussi simple que ça. Pour clouer le bec de Nick Wilde, il suffisait donc d'être honnête et de flatter un peu son égo. Judy saurait s'en souvenir… Elle n'eut cependant pas le temps de s'en réjouir bien longtemps, car très vite, le renard retrouva sa verve, une fois que son esprit fut parvenu à surmonter sa gêne momentanée.

« C'est le moins qu'on puisse dire, Carotte. Tout le monde sait que je suis exceptionnel. La police de Zootopie est-elle réellement digne de moi ? Je m'interroge… »

« Etant donné la vie que tu as mené jusqu'à présent, Nick, je ne me pencherai pas trop sur la question si j'étais toi. »

Le renard se contenta de se racler la gorge avant de détourner les yeux, feignant la distraction. Judy marquait un point. Il se sentait un peu hypocrite de rejoindre la police alors qu'il avait passé la plupart des dernières années à l'éviter et à la dénigrer. Son monde allait changer radicalement, s'il allait au bout de son entreprise. Il devrait y réfléchir sérieusement… Le jeu en valait-il vraiment la chandelle ? Un seul regard en direction de Judy suffit à lui fournir la réponse.

Oui, sans doute.

Le renard secoua la tête pour essayer de chasser les pensées étranges qui commençaient à le gagner. Judy avait vraiment le don, entre autres choses, de générer en lui une forme de confusion qu'il ne se connaissait pas. Habituellement, il était ferme et cadré, sûr de lui et affirmé dans son rapport aux autres. Mais avec elle, il perdait régulièrement ses repères et ne parvenait pas à anticiper. Encore moins ses propres réactions que celles de la lapine. Un état relativement inconfortable pour un spécialiste de l'arnaque et de la manipulation psychologique. Mais c'était peut-être ce qu'il y avait de plus addictif dans son rapport à Judy. La considération sincère qu'elle lui inspirait. Elle n'avait pas été innée, mais elle s'était forgée au rythme de l'évolution de leur relation. Il parvenait à la comprendre, et il savait qu'elle le comprenait. Une équation simple et mystérieuse, qui avait quelque chose d'extrêmement réconfortant.

« Alors, Carotte ? Quels sont tes plans pour la fin de journée ? Tu ne peux pas retourner à Bunnyburrow dès ce soir, pas vrai ? Surtout qu'il y a la conférence de presse demain… à laquelle nous devons absolument assister, visiblement. »

Judy se plaqua une patte contre le front, mortifiée à cette idée. « Ne me parle pas de malheur. » répondit-elle, l'anxiété la gagnant à nouveau. « En plus, je suis revenue en ville avec le camion de mes parents… Il va bien falloir que je le leur ramène… Bon, ils en ont deux autres, mais celui-ci est le plus fiable. Et puis, il va falloir que je trouve une chambre d'hôtel à cette heure… Je ne sais même pas si j'ai encore assez d'argent sur mon compte pour en payer une… »

« T'es fauchée à ce point ? » s'étonna Nick. Il l'avait entendu évoquer ses soucis financiers plusieurs fois au cours de la journée, et s'en était étonné. Et voilà qu'elle recommençait avec ça.

« Heu… Oui… Quand j'ai quitté mon appartement, la logeuse a exigé que je paie le mois en cours, et a dit qu'elle me renverrait la caution d'ici six mois… Ça m'a mis sur la paille. Et je n'ai pas touché de salaire depuis, puisque je suis retournée chez mes parents… Je ne sais pas exactement combien j'ai sur mon compte… Sans doute pas assez pour me payer un hôtel. Au pire, je dormirai dans le camion. »

Nick secoua la tête, rejetant en bloc cette idée.

« Non mais n'importe quoi, Carotte ! Tu crois franchement que je vais te laisser passer la nuit sur un parking, ou dans un quelconque bouiboui miteux ? Pas question. »

« Oh, je suppose que tu as une autre solution, monsieur le magicien ? Quoi ? Tu vas me proposer de dormir chez toi, peut-être ? »

« Exactement. »

Judy en resta bouché-bée, et les yeux écarquillés. Il était sérieux ? Il lui offrait réellement l'hospitalité ? C'était des plus touchants, et très gentil de sa part, mais ne serait-ce pas un peu étrange, voire déplacé ?

« Heu… Je… Je… » bredouilla Judy.

« Il n'y a vraiment pas de quoi être gênée, Carotte. C'est normal, entre amis. Je dors plus souvent sur mon canapé que dans mon lit, de toute manière… Ça ne me changera pas de d'habitude ! »

Et en plus il lui offrait de dormir sur le canapé et de lui laisser le confort de sa chambre ? Une bouffée de chaleur gonfla dans la poitrine de Judy, et elle fut un peu effrayée de constater que ce n'était pas seulement dû à la gratitude, mais à l'idée de dormir dans le même appartement que Nick… Il serait là pendant qu'elle dormirait, juste à côté… Si proche. Elle secoua la tête pour chasser les idées saugrenues qui la gagnaient.

« Mais… Nick… C'est vraiment adorable de ta part, crois-moi. Je suis sincèrement touchée. Mais d'un, je ne veux pas te déranger… Et de deux… Ce serait pas un peu… bizarre ? »

« Alors d'un, tu ne me déranges pas, sinon je ne te le proposerais pas… De deux, attends un peu de voir mon appartement avant d'être reconnaissante… Et de trois… Définis « bizarre ». »

« Tu veux que je te fasse un dessin ? » demanda-t-elle d'un ton incrédule, et l'air un peu pincé.

Nick sembla réfléchir à l'implication de son sous-entendu, comme s'il ne comprenait pas où elle voulait en venir, avant de finalement écarquillé les yeux d'un air horrifié.

« Carotte ! Je croyais qu'on avait dépassé ça ! Tu crois quand même pas que je vais essayer de te bouffer ? »

Judy se plaqua une patte contre le front avant de pousser un râle de lassitude. Nick la contemplait d'un air incrédule, ne comprenant toujours pas où elle voulait en venir. Elle laissa passer quelques secondes avant de se pointer du doigt.

« Nick, qu'est-ce que je suis ? »

« Tu vas me faire croire que tu ne le sais pas, peut-être ? »

« Bon sang ! Réponds simplement à la question ! » reprit-elle d'un ton légèrement courroucé, ce qui eut pour effet de le faire légèrement ricaner.

« Tu es un lapin. Quelle incroyable découverte. »

« D'accord, je suis un lapin. Mais encore ? »

« Heu… »

Nick se gratta la tête d'un air pensif avant de pousser un soupir de lassitude. Visiblement, ce petit jeu commençait à l'ennuyer. « Une ancienne flic complètement timbrée qui devrait déjà être à l'hôpital depuis belle lurette pour faire suturer sa plaie à la jambe, car elle s'est visiblement infectée et a causé une fièvre maligne qui lui fait avoir un comportement plus qu'étrange ? » répondit-il d'un ton faussement guilleret.

« Non, Nick. Je suis une femelle. Une fille. Et toi, tu es un mâle. Un garçon. Dans ces circonstances, dormir sous le même toit est un peu étrange, même quand on est seulement amis… »

L'insistance avec laquelle elle accentua ces deux mots provoqua un léger pincement au cœur chez Nick, et il se questionna sur les raisons de cette sensation. Mais les oublia bien vite, trop pressé qu'il était de contester l'avis de Judy.

« Oh, tu as absolument raison, Judy. Il est biologiquement impossible pour un mâle et une femelle de dormir sous le même toit sans, qu'obligatoirement, ils ne se sentent obligés de se grimper dessus et de s'envoyer en l'air toute la nuit. »

« Rigole seulement. On voit bien que tu n'as jamais côtoyé de lapins… »

Cette réflexion éveilla nombre de questions tendancieuses dans l'esprit de Nick, mais il commença par celle qui lui semblait la plus évidente.

« Donc, tu sous-entends que c'est moi qui devrait me méfier, c'est ça ? »

Judy écarquilla les yeux en sentant ses oreilles devenir bouillante. Son pelage dissimulait effectivement ses accès de honte, mais elle se sentit tellement écarlate sur l'instant qu'elle craignait que cela ne puisse se voir, même au travers.

« B… Bien sûr que non, idiot. Je sais me contenir ! »

« Ah… « te contenir » ? Donc ça pourrait te traverser l'esprit ? »

« Oh pitié, arrête Nick ! Cette conversation est scandaleusement stupide. »

« Je suis bien d'accord, mais c'est toi qui l'a initiée. »

Elle bouillonnait à présent de colère, également. Trop d'émotions d'un coup. Trop de chaleur. Elle serra les poings et se redressa du mieux qu'elle put sur la pointe de ses pattes, en dépit de sa blessure. Voyant sa confusion émotionnelle, Nick décida de ne pas poursuivre d'avantage ses provocations légèrement tendancieuses.

D'une voix calme et apaisée, le renard reprit : « Bon, donc il n'y a aucun problème. Je ne vais pas te sauter dessus. Tu ne vas pas me sauter dessus. On pourra passer une soirée normale, entre amis, et dormir sereinement ensuite. Ça te va ? »

Judy hocha doucement la tête. Cette conclusion détendue de la conversation avait le mérite de la détendre un peu.

« Très bien. C'est vraiment gentil à toi, Nick. Désolée d'en avoir fait toute une histoire, c'est juste que… ça ne m'est jamais arrivé avant. Dormir chez un ami, tu vois ? »

« Je vois. T'en fais pas pour ça. Il faut une première fois à tout. »

Elle acquiesça en souriant doucement. Le contrecoup de la journée commençait à se faire ressentir. La fatigue physique et morale était de plus en plus importante, et la douleur de sa blessure se rappelait à elle.

Nick semblait lire en elle, puisqu'il déclara : « Faisons un détour par la clinique de mon quartier, histoire de soigner cette patte pour de bon… Après on ira faire quelques courses, et tu pourras découvrir mon antre. Prépare-toi au grand frisson. »

Elle lui lança un regard amusé, avant de lui offrir un sourire charmeur.

« J'ai vraiment hâte, trésor. »