Quelque part...: 1)Parce que, malgré tout, il fait froid.
...
Quelque part dans ces rues verglacées et froides, un homme boit un café en cherchant l'inspiration nécessaire pour rendre son roman avant dix heures demain.
Une femme se regarde dans le miroir et se demande si elle n'a pas grossi, encore. Son amant de dernière date est nonchalamment allongé, un bras pendant dans le vide, en ne se doutant pas qu'elle essaye de faire tout ce qui est en son pouvoir pour le garder. Pour elle, il s'agit de bien plus que cela.
Un étudiant épluche les petites annonces avec l'espoir de trouver un travail, et, peut être, un logement plus confortable.
Un homme grimace en regardant une voiture brûlée, même s'il s'agit d'une image récurrente, bien que triste et figée, dans son quartier. Ces mêmes flammes qui, un jour de printemps, ont déformées son visage de jeune homme insouciant.
Une femme fume une cigarette à la fenêtre de son balcon et observe les lumières de la ville figée par le froid.
Une fille ramasse ses lunettes brisée en mille morceaux parce qu'elle n'avait pas la thune qu'ils demandaient.
Un scientifique se frotte les yeux. Ca fait combien d'heures, déjà, qu'il est debout ? Il ignore que sa femme couche avec quelqu'un d'autre, pendant ce temps là. Ou alors il le sait. Mais, après tout, il ne peut pas lui en vouloir.
Une femme subit les moqueries d'hommes bruyants et grotesques, parce qu'elle est une femme flic. On pensait le monde évolué. Elle le sait régressé.
Un homme combat une insomnie en soulevant des altères, et, au fond de lui, ce sont les images de son meilleur ami parti en Irak pour servir son pays. Faites plus idiot.
Un père crie sur son fils qui n'avait pas à faire le mur pour aller à cette fête idiote, juste pour se sentir important aux yeux de ses stupides « amis ».
Ce qu'ils ont en commun ?
C'est le « quelque part ». Il est identique. Ils vivent tous dans ce quelque part, ce monde, donc. Un « quelque part » qui s'apprête à être violemment bouleversé. Mais ça, ils ne le savent pas encore. Ils sont tous trop préoccupés par leurs vies, leurs soucis.
…
« Je t'ordonne d'aller te coucher ! » fait Janet en s'approchant de Tony pour débarrasser sa tasse de café.
Ce dernier grogne. « J'ai absolument rien écrit, je dois rester. »
« Il est trois heures du mat' mon choux. Va te reposer et reviens demain. »
Tony se frotte le visage avec ses mains et lui sourit en coin. La brune lève les yeux au ciel et désigne la porte de sortie. Il ne sait pas ce qui le prend en ce moment. L'inspiration semble l'avoir quitté. Et pourtant. Il aime ce qu'il fait, son métier, sa vie même. Peut être est-ce ce froid qui lui glace le cerveau ? Il se lève et s'habille chaudement avant de braver le froid plus qu'hivernal. Un tapis de verglas épais et rude l'oblige à faire attention à chaque pas. Il ne s'agirait pas de se casser une jambe et de devoir subir l'hôpital, ce n'est pas le moment. Surtout pas avec le travail qu'il a.
Tony avance prudemment, puis, sans notifier ce passage très glissant sur lequel il vient tout juste de poser le pied, s'effondre de tout son long sur le trottoir. Les rues sont vides, et personnes ne l'entend jurer. Lorsqu'il se relève, en manquant à nouveau de s'étaler comme une crêpe sur le bitume, il grogne et grimace. Merde, il a mal au genou maintenant.
C'est finalement une heure plus tard qu'il parviendra à rejoindre son appartement.
…
Loki déteste cette ville. Elle est bondée, comme sa fac. On a l'impression en l'observant de plus près que les habitants disposent de tout ce dont ils ont besoin. Et pourtant, c'est tout le contraire. Voilà déjà presque quatre heures que Loki épluche les petites annonces dans l'espoir de trouver un petit job après les cours mais aussi un appartement plus grand, et, si possible, isolé(supplément chauffage s'il vous plaît).
Le brun se prend la tête dans les mains et ferme l'écran de son ordinateur. Ce n'est pas pour ce soir, donc. Dommage. Pour une fois il pensait vraiment trouver quelque chose. Mais bon. Loki se mit à fixer son lit et puis se dit que, de toute façon, il ne parviendrait pas à dormir. Il se résout donc à enfiler un manteau, qui, certes n'est pas chaud, mais on ne peut pas tout avoir. Parfois il a même l'impression qu'on ne peut rien avoir.
L'ascenseur en panne depuis qu'il a emménagé, Loki est donc habitué à emprunter les escaliers. Il paraît que c'est bon pour la santé. Enfin, il paraît. Souvent, des toxicos traînent et laissent des mégos pratiquement terminés et ardents dans les escaliers, et on des sans domiciles fixes y passent parfois des nuits. Ce soir, c'est Nicholas qui y pionce. Loki l'enjambe pour ne pas le réveiller. Il est bavard, mais surtout braillard, le brun ne veut donc aucuns soucis en risquant de réveiller le clodo.
Lorsqu'une de ses Converses noires usées effleure le sol, aucune symphonie ne s'opère entre le fameux sol et la fameuse chaussure. Loki glisse brutalement et sa tête tape le trottoir.
Ah. Oui. Voilà donc autre chose. Quand on a pas la télé on peut pas regarder la météo. (Bon, ok. Il possède un ordi, mais ses préoccupations étaient dirigées bien ailleurs que par la météo locale).
Ce qui est rassurant(ou pas) c'est que le froid du verglas qui tapisse le trottoir est peut être moins froid que l'intérieur de son appartement.
…
Natasha aimerait savoir comment le retenir. Elle aimerait posséder un miroir qui parle, aussi. Vous savez, comme le fameux « miroir, dis moi qui est la plus belle ? ». Elle sait qu'il ne s'agit certainement pas d'elle. Et pourtant, elle a toujours l'espoir que le miroir lui renvoie cette image pour que Clint reste avec elle.
D'accord, donc résumons. Ils se voient deux fois par semaine. Ils se retrouvent dans un bar. Fument. Discutent. Boivent. Baisent(chez elle la plupart du temps. Nat ignore où Clint vit). Et il s'en va. La rousse a parfois l'impression un peu folle qu'il va rester et lui dire que, maintenant, ils peuvent envisager bien plus que du sexe après minuit deux fois par semaine.
Natasha est folle, elle le sait.
Quand elle sort de la salle de bain, elle se dit qu'elle devrait sentir les larmes rouler sur ses joues. Mais rien. Elle se sent sèche et épuisée de cette situation. Clint n'est plus là. Clint est un con.
Non. Natasha est une conne.
Alors elle retourne dans la salle de bain, ouvre la fenêtre en grand et fume la cigarette que Clint a laissé sur l'oreiller.
C'est la dernière cigarette.
Mais c'est aussi la dernière fois.
…
Wade connaît ces images récurrentes de feu de voitures, feu de joie, qu'on pourrait même les appeler. C'est censé être dramatique, ou bien même dramatiquement dramatique, cherchez pas, mais pour lui, c'est avant tout ironique. Son visage déformé par des croûtes ébène et sang en est le meilleur témoignage.
Il est un inconscient, il le sait. Alors, peut être qu'il remercie ce froid polaire et la glace qui asphyxie les trottoirs parce que ce soir, personne n'est rassemblé autour d'un véhicule aléatoire, quelconque, et personne ne subira le dramatiquement dramatique épisode du feu. On dit que c'est ainsi que les jeunes de banlieues comblent les vides laissés par des familles absentes, une société qui les a abandonnés et une vie qui n'en fait qu'à sa tête.
Wade ricane et pisse à la vie. Il sait qu'il a payé sa part.
Pour lui, le froid est un cadeau. Le premier depuis un long moment.
…
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles Bruce est ici, encore debout, toujours debout, à une heure si tardive. Tout d'abord, le froid. Impossible de repartir chez lui avec ces routes verglacées, et n'envisageons même pas le retour à pieds parce qu'il habite à plusieurs dizaines de kilomètres, et, d'après ce qu'il a pu entendre à la radio, les chutes et accidents sont nombreux cette nuit.
Ensuite, sa femme. C'est compliqué, et peut être même bête, mais elle couche avec quelqu'un d'autre en ce moment même. Il le sait. Bruce le sait. Cela fait un moment déjà. Il ne peut pas lui en vouloir, et, en fait, il ne peut s'en prendre qu'à lui même. Betty ne serait pas en train de se taper son collègue si Bruce ne restait pas ici toute la journée, et parfois même, la nuit.
Au final, il y a aussi le fait qu'il ne peut pas lâcher la science et son job. C'est toute sa vie. Il s'agit, en fait, de la seule chose qui ne lui a jamais fait de mal. Famille, femme, alcool, tout, en fait. Sauf la science. Il n'y a que cela.
Bruce aime aussi l'espace dans lequel il travaille. Il a l'impression d'être dans une dimension séparée de celle dans laquelle nous vivons. Les hommes meurent de froid et meurent tout court. Et lui, il touche des parcelles du monde du bout des doigts en jouant au scientifique. Il est aussi protégé du froid régnant et sévissant sur New York.
Malgré tout, Bruce téléphone à Betty. Son portable sonne, sonne encore, sonne toujours, et la messagerie l'invite à laisser un message après le bip sonore.
Peu importe. Cela lui donne une raison de plus de rester.
…
Dans la pénombre de la salle de sport, on entend juste une respiration essoufflée, éreintée par l'effort de son propriétaire. Ce dernier est allongé sur un banc de musculation et soulève des altères à pleines mains sans difficultés, ou, du moins, sans difficultés apparentes. L'obscurité partielle de la pièce lui permet de se concentrer, mais elle ne nous permet pas, à nous, de nous rendre compte qu'il pleure. Si l'on tend assez l'oreille, on peut discuter des petits gémissements plaintifs.
Ce matin, Bucky est parti. Il l'a laissé. Il...Il lui avait pourtant promis de rester, de ne pas le laisser pour l'Irak. Et pourtant, et pourtant. Le sens du devoir était trop tentant. Steve se maudit. Il aurait aimé lui dire que, après toutes ces années, il s'agit de bien plus que d'amitié et qu'il a envie d'être là, avec lui, pour toujours.
Steve serre les dents en imaginant le corps -cadavre- de son ami, criblé de balles, gémissant et suppliant qu'on l'aide.
Mais non. Le froid semble avoir contaminé le cœur de Bucky;la peine celui de Steve.
…
Maria patrouille dans les rues glissantes et humides de la ville. Elle aime être seule, sentir le doux et léger parfum de la solitude. Certains diront que c'est assez triste. Elle dirait qu'il n'y a rien de triste. Juste du soulagement. Et puis, ces deux coéquipiers sont de grotesques personnages. Sam et Scott. Sexistes et macho.
Maria observe tout autour d'elle et trouve le paysage figé assez chouette, en fait. Le déplacement est compliqué, parce qu'elle manque de glisser à chaque pas, mais la vue est superbe. La glace court partout sur les trottoirs, les routes, les panneaux, les lumières, même. Et finalement, la policière trouve ce pour quoi on l'a sonné.
Une jeune fille ramasse ses débris de lunettes au sol. Son visage est rougit par le froid et les pleurs poussés un peu plus tôt tandis qu'elle était prise par l'assaut de deux hommes lui demandant de l'argent. Maria l'aide à se relever et lui prend les bouts de verre des mains. Elle fronce les sourcils en remarquant qu'elles sont coupées et lui demande de bien vouloir la suivre.
Mais Darcy trébuche, glisse sur le trottoir, se cogne la tête, saigne du nez et pleure à nouveau. La vie de sans domicile fixe à New York est impitoyable.
Comme ce froid.
…
A suivre.
…
