Bleu était le ciel. Pur était l'air. Mélodieux était le chant rythmé des rouges-gorges. En harmonie avec le merveilleux chant des oiseaux le vent soufflant avec une douceur violente dans les branches des arbres. Froides étaient les plaines qui devant lui s'étendaient. Blanc le sol était. Et il était puissance. De ses pattes à la détente impressionnante, il se propulsa dans les airs, quittant le sommet de la colline sur laquelle il se tenait immobile depuis plusieurs minutes. Il flotta un instant au-dessus du sol, avant d'atterrir une dizaine de mètre plus loin, avec la grâce dont héritait ceux de sa race, provoquant le vol d'une multitude de petits flocons blancs, qui virevoltaient au gré du vent, et retombaient quelques instants plus tard, aussi indolents qu'un arbre perdant ses feuilles. Il se mit à courir, courir comme si sa vie en dépendait, ses pattes provoquant à nouveau des gerbes de neige tout autour de lui, fait aussi inévitable que le soleil se couchant pour se lever par la suite. Il n'avait pas de but précis, si ce n'est courir. Il se délectait du vent, décuplé par la vitesse de sa course, qui effleurait sa peau, ébouriffait son pelage presque aussi immaculé que la neige. Il appréciait à sa juste valeur le merveilleux prélude engendré par l'harmonieux souffle du vent, le mélodieux chant des rouges-gorges, les indomptables battements de son cœur, l'agréable bruit sourd de ses pattes heurtant le sol. Et seul au milieu de plaines enneigées, il profitait de la vie dans son plus simple appareil.
Liberté est le nom du monde, et le monde est liberté.
Sombre était la forêt. Lourd était l'air. Silencieux étaient les rouges-gorges. Inexistant était le vent. Muets étaient les arbres. Dans une clairière gisait un homme. Un homme au visage bouffé par des traits lupins. Un homme sale, qui semblait dormir. Le cœur battant, il s'approcha de l'homme. Non, il ne mangerait pas cet individu malodorant. Il ne le tuerait pas non plus, et ce n'était pas l'envie qu'il lui manquait. Non, il ne le tuerait pas. Il voulait prendre sa revanche sur un homme vivant, il voulait voir la vie quitter les yeux de ce monstre. Il s'approcha jusqu'à se retrouver au-dessus de son visage. Il leva sa patte gauche, et l'abattit avec force sur la partie gauche de l'homme. Qui se réveilla en poussant un cri tonitruant, en portant ses mains noircies par la terre et le sang séché à son œil, où se trouveraient désormais cinq griffures. Cinq griffures, promesse de mort. Le loup fila avant que l'homme ne s'aperçoive de sa présence.
Liberté était le nom du monde, et le monde était liberté.
Souffrance est le nom du monde, et le monde est souffrance.
Vengeance sera le nom du monde, et le monde sera vengeance.
Et alors, le nom du monde sera à nouveau liberté, et le monde sera liberté.
Loup. Il était loup. Aussi sûr que la haine est un vague dérivé de l'amour. IL ne cessait de courir, le museau au vent, assaillit par des milliers d'effluves différents, alléchants et répugnants, puissants et ténus, forts et fades. La forêt. Partout. Derrière lui, sur sa gauche, sur sa droite, devant lui. Verte. Vivace. Vitale. Vivifiante. Forte. Diverse. Riche. A l'image de l'avenir qui l'attendait. Ses flancs se soulevaient au rythme de sa course, vifs et efficaces, il ne manquait pas d'oxygène. Ses pattes cognaient à un rythme régulier sur l'humus et recouvert de divers végétaux, parsemé de ci, de là d'orchidées aux couleurs chatoyantes. Il ne stoppa sa course que lorsqu'il sentit son souffle devenir court et ses pattes devenir aussi lourdes que du plomb.
