Des nuages noirs. Une pluie battante. Une atmosphère oppressante.
Les gouttes d'eau ruisselant sur le visage, le souffle court, Merlin observait les alentours. Le sang cognait à ses tempes, tout lui semblait se dérouler au ralenti.
Soudain, un craquement. Sinistre. Angoissant.
Le jeune sorcier se retourna brusquement. Là, face à lui, dans une aura de feu vert se tenait celle qui avait trahi les siens.
« Morgane ? »
Le halo s'approcha de lui à vive allure, la pluie s'écartant sur son passage.
Les pupilles de Myrddin se dilatèrent. Il recula d'un pas et manqua de trébucher.
« Eh bien Merlin, après tout ce temps, j'aurais espéré un meilleur accueil. »
Le magicien se reprit.
« Morgane, qu'est-ce que vous faites là ? »
Le visage de la fille d'Uther prit une teinte ironique.
« Détends-toi, susurra-t-elle d'une voix doucereuse à peine couverte par la pluie.
Me détendre ? En quoi tout ceci est-il détendant ! s'exclama-t-il en jetant un coup d'œil aux zébrures déchirant le ciel.
C'est cela qui t'effraie tant ? Et bien soit. »
D'un geste vif, presque subliminal, Morgane leva la main et claqua des doigts. Le ciel se dégagea instantanément pour se parer d'un bleu aussi pur que l'océan et d'un soleil aussi chaud que le feu de l'âtre en plein hiver.
Les yeux de Merlin s'agrandirent de stupeur.
« Tu ne pensais pas mes pouvoirs si grands ? s'étonna faussement la jeune femme. »
Traits tendus, mâchoires serrées, Merlin mit un temps avant de répondre.
« Qu'est-ce que vous voulez ? grimaça-t-il.
Je veux… te proposer une alliance.
Une alliance ? s'insurgea le magicien, méprisant.
Merlin, séparément nous sommes puissants. Ensemble, nous serions invincibles ! Nous pourrions renverser Uther et instaurer un ordre juste.
Un ordre comme celui que vous aviez mis en place à Camelot ?
Ce n'était là qu'un échauffement.
Et que faites-vous d'Arthur ? »
Cette fois, la sorcière ne put cacher une moue de colère. Esquisse qui ne dura qu'une demi-seconde.
« Je lui laisse sa petite ville… Je te parle de quelque chose de plus grand Merlin. Je te parle de la domination suprême.
Quoi… vous voulez dire…
Celle du monde Myrddin ! »
Quelques secondes.
Puis un ricanement.
« Arthur ne lassera jamais votre folie dominer Camelot, et encore moins le monde ! »
Le visage de Lady Morgane se figea. Ses iris devinrent rouge sang. La flamme la nimbant s'intensifia.
« Je te ferais plier traître à ta race ! Et tu viendras à moi, quitte à ce que j'anéantisse tous ceux que tu aimes ! Jusqu'au dernier ! »
Les dernières paroles de la sorcière résonnèrent lugubrement.
S'ensuivit une déflagration formidable.
Merlin s'en protégea du bras…
Ooooooooo
… avant de se réveiller en sursaut. Les pupilles dilatées. Le cœur battant. Autour de lui, les objets de sa chambre lévitaient. Y compris son lit.
Des coups retentirent brusquement à la porte. La tension de Merlin se relâcha….le mobilier et les objets alentour s'effondrèrent au sol.
Une tête apparut dans l'embrasure.
« Merlin ?
Gaïus !
Ou bien quelque chose ne va pas ou bien je plains Arthur de t'avoir à son service. »
Le médecin royal engloba d'un coup d'œil la chambre en désordre de son apprenti.
Le jeune sorcier hésita une seconde. Devait-il lui faire part de son rêve ? Le regard inquisiteur de son maître l'y poussa.
« J'ai fait un rêve. Un cauchemar plutôt. Morgane était là. »
Toute trace de facétie quitta aussitôt le visage du vieil homme.
« Tu en parleras mieux le ventre plein. Ton petit-déjeuner t'attend. »
Une fois seul, Merlin s'assit sur son lit, finissant de reprendre ses esprits. Il inspira, prit appui sur ses bras et se leva… en grimaçant. Son bras droit le tirait. Il le découvrit. Une trace de brûlure marquait sa peau.
Ooooooooooooo
Merlin frappa trois coups brefs à une lourde porte en chêne massif avant de pénétrer dans les appartements d'Arthur. Penché sur une feuille de parchemin, plume en mains, le prince héritier semblait absorbé par son travail.
Le jeune sorcier attendit quelques secondes avant de se racler la gorge.
« Bonjour !
Mhh. »
Merlin leva les yeux au ciel. Il était de mauvaise humeur…
« Qu'est-ce que vous écrivez ?
Une annonce royale.
Une annonce royale ? s'enthousiasma faussement le jeune homme. Vous allez instaurer des jours de congés supplémentaires ? tenta-t-il, malicieux.
Pas exactement. Je cherche un nouveau domestique tout en mettant la tête de l'ancien à prix. Je ne sais pas si tu le connais… un certain Merlin qui a déserté son poste ! termina le prince en posant violemment sa plume sur la table.
Euh… ah ?
« Euh… ah ? » ? C'est tout ce que tu trouves à dire ? Merlin ça fait plus d'une demi-heure que je t'attends ?
…
L'entraînement pour la joute ? l'aida Arthur, au bord de la colère.
Oh…. Ah ! C'était ce matin ? »
La grimace que lui adressa Arthur le fit sourire.
« Ravi de te faire rire Merlin ! Et je suis sûr que tu riras plus encore quand tu sauras que tu remplaces Kay !
Quoi ? Au bouclier vous voulez dire ?
Oui Merlin ! sourit Arthur, satisfait de sa vengeance. »
Le sorcier soupira.
« Je peux te mettre à ce poste toute la journée, tu le sais ?
Oui, donc… où est votre armure que je la fasse briller ! se reprit Merlin, de nouveau tout sourire.
Dans l'armoire, maugréa le prince avant de se replonger dans son écrit. »
C'est avec moultes précautions que le magicien sortit du meuble l'imposante armure.
« Alors, sur quoi vous travaillez ? lança-t-il en déposant les morceaux de fer forgé sur le lit. »
Arthur leva les yeux au ciel.
« Et si on disait que tu te dépêchais de rattraper ton retard en silence ? »
Pendragon secoua la tête et reprit sa plume.
Merlin avisa les boules de papier au sol. Des brouillons. Les seules fois où Arthur hésitait, c'était dans l'expression de ses sentiments.
« C'est une lettre pour Guenièvre ? »
Arthur lâcha sa plume, se leva et dégaina son épée qui ne le quittait jamais.
« Court ! ordonna-t-il en fondant sur son serviteur. »
Merlin n'eut que le temps de sauter sur ses pieds et de contourner le lit.
« Je disais ça…. c'était pour parler.
Mais… Tu n'écoutes rien ? s'énerva encore plus le prince en tentant de porter un coup à Merlin.
Je voulais juste vous aider, se défendit le magicien en esquivant la lame.
Ah oui ? Depuis quand tu t'y connais en femmes ?
Je m'y connais certes moins que vous, mais je connais Guenièvre mieux que vous. »
Arthur considéra un instant son serviteur. Depuis quelques temps il était devenu son confident, ou du moins ce qui pouvait s'en approcher le plus. Même s'il ne lui avouerait jamais. Le tuer n'était peut-être pas dans son intérêt…. Il rengaina son arme.
« Tu as de la chance que j'aie besoin de toi pour me servir de souffre douleur à l'entraînement. »
Merlin se détendit.
« Alors ? »
Arthur l'observa une seconde avant de se diriger vers la fenêtre.
« C'es bien à propos de Guenièvre, avoua-t-il de mauvaise grâce.
Mais encore ? »
Le prince leva les yeux au ciel et posa les mains sur ses hanches.
« Je crois que je n'ai pas eu une attitude appropriée.
Vous avez fait quelque chose ? s'étonna Merlin. Vous…. Lui avez dit quelque chose ? Vous… avez oublié quelque chose… ? »
Arthur se retourna vers lui, le regard noir.
« Quoi ? J'essaye de deviner.
Il se trouve…. que j'ai peut-être oublié… son anniversaire.
….. Quoi ? Alors là, il faudra plus d'une lettre pour vous faire pardonner !
Merlin !
Désolé, mais cette fois… vous n'avez aucune excuse !
Je sais…. J'étais parti en mission sur les traces de Morgane et… nous n'en avions jamais vraiment discuté. Je veux dire, elle connaît le jour de mon anniversaire, ce qui est normal étant donné que je suis le prince.
Par contre vous, ça ne vous est jamais venu à l'esprit de vous renseigner sur le sien parce qu'elle n'est qu'une servante.
Elle est, commença Arthur en pointant Merlin du doigt, elle est…. la femme que j'aime. Et, non, je n'ai pas d'excuse, soupira-t-il.
Qui vous a renseigné si ce n'est pas Guenièvre ?
Gaïus. Il y a deux jours.
D'accord, donc vous n'avez raté son anniversaire que d'une semaine. Bravo. Ca aurait pu être pire, termina ironiquement le sorcier.»
Arthur s'approcha de lui, passablement énervé.
« Le poste de bouclier est vaquant pour une partie de la journée, tu le sais n'est-ce pas ?
Oui, comme je sais que sans moi vous pourriez très bien passer les prochaines semaines à chercher un moyen pour vous rattraper.
Qu'est-ce que tu proposes alors, ô Merlin le sage ? »
Le jeune worlock savoura comme il se devait cette appellation qu'il trouva très appropriée, avant de se pencher sérieusement sur le sujet.
« Surprenez-la.
Comme ça ?
Cuisinez pour elle.
Je n'ai jamais appris, je suis prince de sang je te rappelle.
Et pas très curieux de la vie, marmonna Merlin.
Quoi ?
Rien, rien, je me disais que vous pourriez lui fabriquer quelque chose.
Lui fabriquer quelque chose. C'est-à-dire ?
Lui sculpter une pièce de bois, lui écrire un poème, lui… »
Au fur et à mesure de l'énumération de son serviteur, les sourcils d'Arthur s'arquèrent de stupeur.
« Me prendrais-tu pour un enfant Merlin ?
Parce que vous croyez que faire quelque chose de ses mains pour la femme qu'on aime est digne d'un enfant ? »
La posture du prince parla pour lui. Visiblement, la réponse était oui.
« Ecoutez, je connais Gwen. Je sais qu'une chose personnelle venant de votre part sera toujours mieux accueillie qu'un traditionnel bouquet de fleurs. En plus, elle n'a qu'un vase et elle prend toujours soin des fleurs que je lui avais offert la semaine dernière.
Tu lui offres des fleurs ?
Oui, sourit Merlin, ravi de voir la mine renfrognée et jalouse de son ami Pour son anniversaire justement. »
Arthur soupira et regarda fixement la porte de sa chambre. Il faudrait qu'il fasse effectivement mieux que ça…. C'était difficile pour lui. Il n'avait jamais été aussi proche d'une femme. Et devoir cacher sa relation avec elle sous peine de subir, avec elle, les foudres de son père, n'aidait en rien !
« Je vais y réfléchir alors.
Bien.
Maintenant si tu ne veux pas finir avec des bleus et des courbatures, tu ferais mieux de faire étinceler cette armure ! ordonna Arthur. »
Merlin s'inclina légèrement. Il s'apprêtait à reprendre son travail lorsque des coups de marteaux en provenance de l'extérieur le firent sursauter.
Le prince et le magicien se dirigèrent comme un seul homme vers la fenêtre.
Là, dans la cour du château, Uther Pendragon clouait lui-même un édit royal.
Le regard d'Arthur se fit soudainement sérieux.
Celui de Merlin, inquiet.
Tous deux connaissaient le roi. Qu'il prenne lui-même la peine de présenter une déclaration royale ne disait rien qui vaille….
Les deux amis s'échangèrent un regard avant de se diriger vers la porte.
Il fallait qu'ils en aient le cœur net !
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