Une douce mélodie, une voix... Quelle tristesse dans cette voix, pourtant la mélodie, elle, ne l'est pas... Pourquoi?... Qui?... D'où?...Comment?...

Il y avait tant de questions que se posait la jeune femme qui, en ce moment, parcourait les ruines calcinées du prestigieux Opéra de Paris.

Nous sommes en 1873, on entame tout juste les rénovations de ce lieu qui a subit la morsure des flammes, à la suite d'une bien mystérieuse affaire.

La jeune personne qui arpente les gravats est Marie de Caspian, une jeune femme de noble famille. Elle savait qu'elle ne devrait pas être ici. Son père le lui avait strictement interdit. Malgré tout, elle ne pouvait se résoudre à ne plus voir cet endroit. Il était la matérialisation de tous ses rêves. Aussi inaccessibles soient-ils, elle avait l'impression que dans cet opéra ils devenaient réalité.

Chaque fois que Marie venait dans ces murs, elle entendait une voix, une mélodie, qui passant outre les épais blocs de pierre, venaient flatter son oreille: si beaux et pourtant si tristes. Elle s'installait alors dans un recoin protégé du vent et des regards, et elle écoutait.

Cette fois ci, la jeune femme ne pouvait pas s'autoriser ce plaisir. Son père lui avait bien fait comprendre que sa ballade se devait d'être courte. C'est ainsi qu'elle rebroussa chemin.

_ Vous m'avez fait demander, père?

_ Effectivement mon enfant. Installe toi, j'ai des choses importantes à te dire.

_ Que se passe-t-il, père?

_ Nous allons déménager.

_ Quoi?...mais pourquoi?

_ Nous allons nous rendre en Russie. J'ai été choisi par l'Empereur pour entrer parmi ses conseillers, ses ambassadeurs. C'est un poste important que je ne pouvais pas refuser.

_ Ah,...bien,...j'imagine que c'est une bonne chose, répondit Marie, le coeur déchiré à l'idée de quitter Paris.

_ En effet. Comme tu le sais, les relations entre les différents pays d'Europe sont tendues, voire conflictuelles, ce qui a bien entendu conduit à des complications suite à ma nomination. Moi le français convié à la cour de Russie, trahison disait-on.

_ Disait? Cela veut donc dire que tout s'est arrangé. Tant mieux! Mais quel rapport avec moi?

_ Je suis un vieil homme que les ans fatiguent toujours un peu plus. De tout ce que je chérissait le plus au monde, il ne me reste plus que toi. Tu es belle et jeune encore, cependant tu entres dans une période de ta vie où il te faut trouver des bras pour te protéger. Les miens ne le peuvent plus, et même lorsqu'ils en avaient la force, ils ont été impuissants à protéger ta chère mère. C'est pourquoi, Marie, arrivée en Russie, tu te marieras au comte Viktor III à qui tu as été promise.

_ Pardon? Mais père c'est impossible, et puis je ne le connais même pas, et qui te dis que ses bras seront plus forts que les tiens. Je suis très bien comme je suis, jamais je ne ferais une bonne épouse, vous le savez très bien, cela pourrait même nuire à vos affaires. Et c'est la Russie, je ne connais pas la langue, j'ai grandi à Pais, j'aime Paris. Père je vous en prie, le ton de la jeune femme, a départ outré se faisait de plus en plus désespérée à mesure qu'elle n'observait aucune réaction de son père.

_ Nous partons dans trois jours, Tache d'être prête. Tu peux disposer.

La dénommée Marie se trouvait maintenant dans son petit havre de paix, un coin reculé du jardin de la résidence familiale, un petit coin abrité et peu visité. Elle réfléchissait... Elle avait passé le stade des supplications, le stade des pleurs et du désespoir... Rien n' avait fait. Son avenir était maintenant tout tracé. Fini la liberté, fini les espoirs, fini les rêves,... Tout ne serait plus que soumission, courbettes, étiquette, bienséance,...Et l'amour dans tout ça?... Oh bien sur elle n'avait jamais été dupe là dessus. Le grand amour qu'on fait miroiter aux jeunes enfants dans les contes elle n'y crois pas. Mais elle avait tout de même espérer se retrouver un jour avec un caractère compatible au sien, quelqu'un qui la comprenne un tantinet. Mais après tout, peut être que ce Viktor lui conviendrait... Cela valait il le coup de tenter le risque... Et puis il y a Paris et son Opéra, sa ville et son rêve... Une fois en Russie, tout ça sera définitivement inaccessible, un point de non retour...

Il est près de minuit. Alors que tout dort paisiblement dans cette maison, une ombre se profile, silencieuse. La jeune femme a pris sa décision: elle préfère tenter de réaliser ses rêves, au prix de tous les sacrifices, plutôt que de vivre à jamais dans une prison dorée. Elle court aussi vite qu'elle peut, ne se retourne pas. Elle court vers le lieu de toutes ses aspirations: l'opéra, où elle pourra trouver une cachette sûre. Elle court, ne pense à rien. Elle a déjà beaucoup pensé et elle a peur de ce qu'elle fait, peur de se tromper.

Une fois arrivée à bon port, Marie pénètre les lieux scrutant dans la pénombre, un coin propice pour finir la nuit et trouve finalement refuge dans ce qui devait être un vestiaire.