Bonsoir à toutes.
Je n'ai pas grand chose à dire à part que j'espère que mon esprit débridé vous séduira.
Merci à P'tite Vampire pour ses précieux conseils et pour le temps qu'elle m'accorde.
Installez-vous confortablement, le show va commencer. Merci d'avoir eu la curiosité d'être passé par là et à très bientôt xoxo
Sensations non désirées
I was wondering you the difference between love and obsession
( Desire _ Under your spell )
« Troisième table le long du mur du fond en partant de la baie vitrée. » Me dit Alice, ma meilleure amie de toujours, une main posée sur l'énorme loquet chromé de notre Starbuck Café habituel.
Je me figeai toute entière à l'instar de mon cœur elle n'allait pas remettre ça ? Si ?
Je laissai sortir l'air bloqué dans mes poumons et essayai d'avoir l'expression la plus détachée possible en posant à mon tour ma main sur le loquet dans l'espoir dérisoire qu'elle passe à autre chose.
« Il portait quoi, aujourd'hui ? » Demandai-je pour la détourner de son noir dessein.
Avant que je n'ai pu faire un pas à l'intérieur du café, elle me tira sur le côté afin de laisser sortir un couple et referma autour de mon bras ses doigts asserrés dans la peur – bien justifiée – de me voir m'échapper.
Je grognai, voyant mon café latte me passer doucement mais sûrement sous le nez, pendant qu'elle soupirait de béatitude et que je m'imaginais en faire autant devant ma boisson.
« Levi's minutieusement déchiré sous la poche avant droite, chemise noire, simple. De loin, j'aurais dit mélange de lin et de coton, idéal pour une douce fin d'été new-yorkaise. Et… des tongs noires. S'extasia-t-elle avant de marmonner sur la fin.
_ Des tongs ? Il portait un Levi's avec des tongs et tu soupires d'aise ? Lui demandai-je en haussant les sourcils, faussement scandalisée.
_ Il portait très bien le Levi's ! Se récria-t-elle, une ombre rouge commençant à colorer ses joues.
_ Tout comme il portait très bien le bermuda hawaïen la semaine dernière. »
Elle pinça ses lèvres et ne put s'empêcher de grimacer à ma dernière remarque pendant qu'elle prenait un joli teint coquelicot.
« Les fashion faux pas sont très courants chez les hommes. J'y remédierai le moment venu. Troisième table, le long du mur du fond en partant de la baie vitrée. »
Je gémissais, redoutant la suite.
Elle allait encore me lancer un défi à la noix et j'allais encore me ridiculiser.
Pourquoi avais-je commencé à la provoquer quand son fameux – et mystérieux – voisin sexy avait emménagé en face de son appartement près de trois mois auparavant ?
Car Alice avait tous les défauts et toutes les qualités du monde. Mais une caractéristique prévalait entre tous : son manque total d'assurance face à un homme. Dès qu'elle rencontrait – rarement – un homme à son goût, une peur panique la paralysait. Dans le meilleur des cas, elle bafouillait. Dans le pire, elle prenait ses jambes à son cou.
Donc, depuis quelques temps, elle se vengeait sur moi.
Pas que j'ai une astuce qui marche à tous les coups, ou l'assurance des bimbos qu'avaient les filles dans les séries télévisées mais ayant été élevé par mon père dans un milieu d'hommes – il était chef de la police locale dans le comté de Forks, état de Washington – échanger des banalités avec un parfait inconnu ou même sympathiser avec lui ne me poser pas de très gros problèmes.
Alice pensait que j'ensorcelais les hommes.
Moi, je lui répondais que je n'étais juste pas introvertie.
Et le cataclysme des défis avait commencé.
Ça pouvait être n'importe où, n'importe quand, inclure n'importe qui – sauf évidemment le fameux et mystérieux voisin sexy, elle ne voulait pas qu'il soit un jeu et je ne pouvais que l'approuver -. On pouvait s'appeler au milieu de la nuit et le défi devait être exécuté dans l'heure qui suivait, preuve à l'appui. Et en général, on laissait notre portable allumé histoire que l'autre entende… et rie à nos dépends.
Les règles du jeu étaient simples : quand l'une de nous deux n'était pas dans son assiette ou se sentait frustrée vis-à-vis de quelque chose ou quelqu'un – ne pas pouvoir aller au premier jour des soldes ou en avoir marre des gueulantes de Rosalie, notre amie et patronne – elle lançait un défi à l'autre. S'il était réalisé avec succès – et jusqu'à présent, ça avait toujours été le cas – la gagnante avait le droit de demander à l'autre tout ce qu'elle voulait dans les limites du raisonnable, sauf enjeu préalable.
« Pense aux Jimmy Choo en solde que tu as repéré sur la 5e Avenue il y a deux semaines. » Me glissa-t-elle perfidement.
Malgré moi, mon cœur rata un battement et ma bouche s'ouvrit de stupeur.
Non.
Non, non, non.
Elle ne pouvait tout simplement pas me faire ce chantage-là.
J'envisageais de porter plainte pour harcèlement moral.
Jimmy Choo était tout simplement mon Dieu en matière de chaussures. J'étais prête à tous les sacrifices pour lui : même à manger pendant des mois et des mois des pommes de terre et vider mon compte en banque pour ma troisième paire : des sandales à plateformes noires, cloutées le long du talon et lanière de cuir. Sublimes… J'avais déjà en tête la petite robe noire avec la quelle j'allais les inaugurer – ou bien mon choix se porterait sur la rouge moulante qui me faisait des fesses d'enfer…
Mais mon nuage de félicité se perça brusquement lorsqu'un coup de fil douloureux passé la veille me revint en mémoire.
« La dernière paire à ma taille est partie hier matin. Je le sais, j'ai téléphoné à ma pause. » Répliquai-je en sentant à mon tour mes joues s'échauffer.
Un ange passa. Puis un éclat de malice envahit ses yeux elle avait l'air très fière d'elle.
« T'as pas osé ? Soufflai-je.
_ Eh si… » Répliqua-t-elle avec un large sourire en plongeant sa main dans son sac à main.
Je la regardai pianoter rapidement sur son portable et me montrer une photo de ses pieds – je reconnus le vernis jaune sur ses orteils - dans mes Jimmy Choo .
« Comment as-tu pu les mettre avant moi ? M'écriai-je, scandalisée.
_ Elles ne sont pas encore à toi. Chantonna-t-elle.
_ Et comment as-tu pu… »
Je grognai une nouvelle fois, ne finissant pas ma phrase.
Elle avait dû piocher dans sa réserve spéciale soldes et shopping pour pouvoir les payer. Toutes les semaines, elle se faisait un point d'honneur à mettre quelques dizaines de dollars de côté pour ce que nous appelions « les grandes occasions » - notre séance de shopping intensive des premiers Samedi du mois et les soldes d'hiver et d'été.
« Elles sont superbes, n'est-ce pas ?
_ Pourquoi a-t-il fallu que tu fasses la même pointure que moi ? Marmonnai-je sans pouvoir m'empêcher de regarder les sandales avec envie.
_ Parce que Dieu avait prévu que je te torture.
_ Tu es pire qu'un tortionnaire ! Tu es une… une diablesse !
_ Troisième table le long du mur du fond en partant de la baie vitrée. Répéta-t-elle pour la troisième fois.
_ Tu as regardé qui c'était.
_ Comment ? Avec ces espèces de plantes vertes devant la devanture ? »
Je jetai malgré tout un coup d'œil, même si je savais pertinemment qu'il était impossible de regarder à l'intérieur depuis cette entrée-là.
« Ne me demande pas l'impossible. » Finis-je par marmonner, même si je pouvais envisager sans mal une inscription à Fear Factor pour des Jimmy Choo.
Un large sourire s'étala sur son visage et elle prit un air de conspiratrice qui n'augurait rien de bon.
Je me concentrai mentalement sur les Jimmy Choo qui allaient très prochainement être à moi et rejoindre ses deux autres copines dans mon dressing. Peu importait ce qui m'attendait là-dedans, j'étais prête à tout affronter. A part un obèse poilu et dégoulinant de graisse ou convertir un gay en hétéro.
« Tu vas t'asseoir en face de lui – ou d'elle – après lui avoir préalablement demandé la permission comme la fille bien élevée que tu es, puis quand son regard accrochera le tien, tu feindras le coup de foudre et glissera dans la conversation que tu as envie de lui – ou d'elle. Mais j'espère pour toi que ce sera lui. Le bonus : un baiser et tu auras carte blanche lors de notre prochaine virée shopping, soit exactement dans 9 jours. »
Je soupirai presque de soulagement. C'était pas le pire défi qu'elle m'avait lancé, loin s'en faut. On était loin du strip-tease en duo que j'avais dû improviser avec l'équipe de base-ball de New-York au grand complet dans un bar branché de SoHo. Je me rappelais encore des mains baladeuses du videur qui nous avait sorties avec Alice et Rosalie, pendant que ces dernières riaient comme des baleines et que je récupérai au vol le numéro d'un joueur que je n'avais jamais rappelé et mon soutien-gorge en dentelle noire.
Feindre un coup de foudre.
Elle m'avait forcé à regarder avec elle des dizaines et des dizaines de comédies romantiques je pouvais donc m'en sortir haut la main en un rien de temps si il – j'espérais fortement il – n'était pas trop désagréable à regarder.
Elle consulta sa montre et m'annonça que notre pause déjeuner prenait fin dans un peu plus d'une demi-heure : largement faisable.
« Donc un coup de foudre feint et pourquoi pas un baiser en prime. C'est bien cela ? »
Son sourire s'estompa un peu face à mon assurance, mais elle ne se démonta pas.
« C'est cela. Acquiesça-t-elle.
_ J'ai droit à prendre mon café et un muffin au chocolat avant ?
_ Si tu veux. »
J'inspirai profondément avant de me lancer tête la première dans l'arène.
J'étais une warrior. Des mecs, j'en avais déjà dragués. Il ne serait pas le premier, ni le dernier.
« Et puis ça te permettra de te dérouiller un peu. » Lança-t-elle alors que je m'apprêtais en entrer.
Je soupirai, cette fois de lassitude, et laissai entrer un groupe d'hommes d'affaires animés d'une houleuse conversation.
« Alice… Mon dernier coup d'un soir remonte à 4 jours. Marmonnai-je.
_ Et ta dernière relation suivie ? »
Je la fusillai du regard.
Je n'en avais eu aucune et très franchement, je m'en portais très bien.
« Il serait peut-être temps que tu te cases.
_ Dit la fille qui a peur des hommes.
_ Je n'ai pas peur des hommes ! C'est juste que je n'ai pas trouvé celui qui me poussera à faire le premier pas. Enfin si ! Je l'ai trouvé mais on ne s'est jamais croisé. »
Car voisin sexy il y avait, mais qu'elle avait toujours aperçu soit de loin, soit furtivement par son œil de bœuf quand il entrait ou sortait de son appartement. Elle avait quand même réussi à voir qu'il avait les yeux bleus et une légère fossette au menton.
« Il faudra que tu te décides un jour à frapper à sa porte.
_ Et pour lui dire quoi ?
_ Je ne sais pas moi ! Que tu as un problème de tuyau ! »
A ce moment-là, elle ouvrit grand les yeux et la bouche.
« Pas ces tuyaux-là ! M'empressai-je de dire.
_ Tu n'es qu'une perverse !
_ Et toi, une fausse vierge effarouchée. Je t'ai déjà entendue crier avec Paul lors de votre feue relation. »
Du rouge coquelicot, elle passa au rouge pivoine, ce qui fut tout à fait charmant à voir.
Je savourais à nouveau mon effet, pleinement satisfaite de ma petite victoire.
Après s'être finalement reprise, elle finit par tapoter à nouveau sur son portable et le mien sonna quelques secondes plus tard. Une fois de plus, pour rentrer dans son délire nébuleux, je décrochai, l'image de ma future paire de chaussures en tête.
« Tu as une demi-heure. » Me sourit-elle.
Puis, sans plus attendre, elle entra dans le café.
Je laissai tomber mon portable allumé au fond de mon sac après en avoir préalablement augmenté le volume afin qu'elle puisse suivre à sa guise mes tribulations.
J'inspirai à nouveau, comme un boxeur avant de monter sur le ring pour un match décisif pour sa carrière.
Warrior, warrior, warrior.
Jimmy Choo, Jimmy Choo, Jimmy Choo.
Je me signais rapidement en priant que ce ne soit ni une femme – quoi que ça pourrait être drôle – ni un obèse, ni un ado pré-pubère qui attendait sa maman, ni un sexagénaire respectable qui s'était décider à entrer dans un café branché après sa promenade quotidienne dans Central Park.
J'étais prête à tout accepter : de l'avocat père de famille qui approchait doucement mais sûrement de la cinquantaine – tant pis pour le bonus – au coup foireux de Cupidon qui aurait décidé de mettre sur mon chemin ma première, éventuelle et véritable relation suivie. Que je ferai évidemment mine de ne pas reconnaître.
Je vérifiais ma tenue : jean brut, chemisier blanc à manches courtes et petits poids noirs, foulard en cachemire vermeille et mes éternelles et confortables ballerines noires pour courir au bureau.
Je farfouillais dans mon sac à la recherche de mon parfum d'amazone en chasse et grognais de dépit face à mon eau de parfum à la fraise. Tant pis une touche fruitée ferait l'affaire. Ça faisait jeune fille bien élevée comme le disait si bien Alice.
Je me répétais une dernière fois mon discours de winneuse : warrior, warrior, warrior. Jimmy Choo, Jimmy Choo, Jimmy Choo et poussai négligemment la porte d'entrée après m'être assurée qu'Alice m'entendait bien ; elle avait confirmé en répétant trois fois warrior et Jimmy Choo sur un ton moqueur et railleur, faisant s'empourprer légèrement mes joues. Un point positif qui me donnait toujours bonne mine quand je ne ressemblais pas à un feu rouge.
Je la repérai vaguement du coin de l'œil, assise à une petite table ronde, son café serré et son cookie géant aux trois chocolats devant elle, près de la devanture et semblant en grande conversation animée au téléphone – elle parlait d'ordinaire tellement qu'elle était capable de tenir un dialogue sensé sans trous avec une personne imaginaire.
J'allais commander mon café latte et mon muffin en m'obligeant à ne pas regarder vers l'endroit où se trouvait ma future victime, l'estomac noué par l'appréhension. Que n'étais-je pas prête à faire pour Jimmy Choo… Et pour ma fierté.
Une fois récupéré ma commande, je fis mine de chercher une place : heureusement, Alice avait choisi sa bonne heure pour me lancer son stupide défi, le Starbuck, quasiment bondé, grouillait d'hommes d'affaires, d'étudiants, d'employés lambdas des immeubles alentour et de veinardes qui faisaient une pause dans leur virée shopping.
Mon regard s'arrêta enfin sur lui.
Oui, lui. Car c'était indéniablement un homme.
Assis face à la baie vitrée, son ordinateur portable ouvert et décalé sur la table, il semblait en importante et intensive séance de travail, vu la façon nerveuse dont son bras droit s'agitait comme s'il était en train d'écrire et sa manie à se passer sans doute inconsciemment ses doigts fins, limite arachnéens, dans ses cheveux en bataille d'une incroyable nuance cuivrée.
Je m'approchai sans savoir pourquoi à pas lents quand je repérai une blonde, assise avec deux brunes un peu plus loin, près d'Alice, en train de l'observer du coin de l'œil.
Est-ce que le Saint Graal de ma vie amoureuse était arrivé à portée de main ? Ou est-ce que cette fille avait des goûts calamiteux en matière d'homme ?
Arrivée à sa hauteur, je perçus sa fragrance fraîche et légèrement musquée ; il était effectivement en pleine séance de travail, avec des graphiques étalés un peu partout autour de lui, faisant fi du monde, comme enfermé dans sa bulle.
D'un mouvement vif et évasif, il saisit son gobelet qui semblait contenir un maxi café, le porta à ses lèvres fines mais pleines et raya d'un grand trait une feuille polycopiée en s'adossant à la banquette.
De ses doigts à sa bouche, mes yeux remontèrent lentement le long de son nez légèrement busqué, sa peau diaphane, ses légers cernes et ses yeux… Dieu ! Il n'était pas permis d'avoir des yeux aussi verts que ceux-là.
Ce fut au moment où il tourna légèrement la tête vers moi que je me rendis compte de mon état d'hébètement : quand ses prunelles froides et surprises se posèrent sur mon visage.
J'ouvris la bouche, prête à sortir le grand jeu de la fille pressée qui n'emprunterait la banquette en face de lui que quelques secondes, le temps de vider son gobelet, de manger son muffin, et de consulter ses mails sur son téléphone. Je passai une main embarrassée dans mes cheveux – geste que beaucoup d'hommes de mon entourage aimaient.
« Oui ? Fit-il d'une voix douce et grave qui me donna le frisson.
_ … Je… Je… »
Je me figeai, passant au rouge écarlate. J'imaginais déjà Alice et son fou rire contenu qui me fit instantanément passer au rouge brique.
J'avalais difficilement ma salive pendant qu'il me regardait patiemment.
« Puis-je m'asseoir ? » Marmonnai-je rapidement.
Il jeta un regard alentour – sans doute pour s'assurer qu'il n'avait pas le choix de faire autrement – puis d'un haussement d'épaules m'y autorisa en se replongeant dans ses graphiques.
Je m'asseyais maladroitement au bord de la banquette, mon sac et mon muffin serrés contre ma poitrine, mon gobelet chaud figé dans ma main.
J'essayais de me rappeler mon discours de winneuse, mais ma petite voix intérieure semblait avoir disparue. Tout comme mon cerveau face la mâchoire carrée et aux pommettes hautes face à moi.
Je portai mon gobelet à mes lèvres, histoire de me donner contenance mais même le café latte n'avait aucun effet sur moi. Mes yeux semblaient avoir leur propre vie, aimantés par ce visage quasi divin en face de moi. Et mon cœur semblait être parti pour un marathon effréné. Le genre de détails à la con qui faisaient soit disant toute la différence.
J'essayais une nouvelle fois de parler. Et échouais lamentablement.
Le plus dur à présent était d'entamer la conversation. Comment s'adressait-on à un dieu, déjà ?
Non. Cet homme était un Homme, fait de chair et de sang, qui s'affalait dans le canapé pour regarder la télé, dormait nu dans son lit et hmmm… Non, pas de nudité, Bella, pas de nudité.
Malgré moi, mon regard descendit le long de son menton pour s'arrêter sur ses pectoraux que dissimulait à peine sa chemise blanche défaite au col.
D'un mouvement fluide qui me fit presque sursauter, il attrapa un dossier noir dissimulé par l'ordinateur et y replaça quelques uns des polycopiés en face de lui, ne faisant aucune attention à moi. Mais les dieux ne faisaient pas attention à une mortelle en particulier.
Pas dieu. Homme. Homme qui dormait en boxer et en chaussettes et qui ronflait sûrement.
« Cela ne vous dérangerait pas de me donner une dosette de sucre derrière vous ? »
Je tressaillis de la tête aux pieds au son de sa voix. Un Anglais. Par toute la collection automne-hiver de Jimmy Choo, le domaine des dieux se situait en Angleterre !
Il me regarda un instant et voyant que je ne bougeais toujours pas d'un pouce, mes yeux rivés à son visage, la bouche légèrement entrouverte, esquissa un geste pour se lever quand ma main attrapa avec la rapidité de l'éclair le pot à dosettes situé derrière ma banquette. Maladroitement, je le lui tendis, répandant la moitié du pot sur la table, pendant qu'il me regardait avec circonspection.
« Merci. » Marmonna-t-il avant d'en saisir une et d'en déchirer une des extrémités.
Je regardai ses gestes avec minutie, mon bras toujours suspendu mollement devant moi alors qu'il déversait son sucre dans son grand gobelet. Je remarquai alors une chevalière à son annulaire droit et des boutons de manchettes avec pour initiales « E C » entrelacés. L'Éden de la Concupiscence.
Après avoir posé le pot et ramassé rapidement les dosettes sur la table, je me noyais dans mon café latte afin de dissimuler la rougeur de mes joues. Il allait falloir que je convaincs Alice et Rose pour une tournée des bars, ce soir, mes terminaisons nerveuses étaient trop à fleur de peau.
Je regardais la grande horloge murale derrière les caisses et constatai avec effroi que dix minutes étaient déjà écoulées. Et nous n'avions même pas entamé une conversation valable.
Le sourire triomphal d'Alice se dessina dans ma tête et s'en fut trop pour ma fierté. Je me redressai de toute ma hauteur, défis mon foulard pour laisser entrapercevoir mon décolleté et me jetai à l'eau pour Jimmy Choo. Et pour voir ses yeux verts se poser encore une fois sur moi.
« Vous êtes Anglais ? »
A nouveau, un frisson me parcourut et son regard croisa le mien.
Et à nouveau, je me sentis devenir un véritable feu rouge.
« J'ai remarqué votre accent. » Précisai-je en marmonnant.
Lamentable. C'était sans doute le mot qui était en train de s'écrire au fer rouge sur mon front.
« Du Hertfordshire. Répondit-il à ma grande surprise après quelques secondes à me regarder.
_ Oh ! C'est dans le Nord, ça, n'est-ce pas ? M'enthousiasmai-je, soulagée de tenir enfin mon filon.
_ Ça dépend de quel Nord vous parlez. Si c'est celui de l'Angleterre, non, si c'est celui de Londres, oui. Au Nord-Ouest. »
Je refrénai mon envie de me taper la tête contre la table ; c'était sans doute la conversation la plus ridicule que j'avais menée avec quelqu'un du sexe opposé depuis des années.
Je ne pouvais pas me laisser impressionner comme ça. Des yeux verts, il en existait des tas. Pas de cette nuance émeraude, mais il en existait. Tout comme des mecs qui s'habillaient avec un complet trois pièces et qui omettaient de lacer leur cravate. Tout comme des bouches aussi sensuelles...
Respire, Bella. Respire. Jimmy Choo vaut tous les défis du monde : même une visite fortuite du domaine des dieux.
« Et vous êtes à New-York pour quoi ? »
Je crus voir une lueur d'amusement traverser ses prunelles froides à ce moment-là - ou était-ce de la consternation ? – quand son regard se porta sur tous les papiers qui l'entouraient.
« Affaire, évidemment. Marmonnai-je.
_ En fait, je viens aider une amie qui a des difficultés avec son entreprise. » Clarifia-t-il.
J'eus soudain un pincement au cœur : depuis quelques semaines déjà, ce n'était pas une petite crise que nous traversions à l'atelier où nous travaillons Alice et moi, mais un véritable ouragan.
Je mis mes tracas de côté, histoire de me concentrer sur les prunelles vertes en face de moi.
« Et vous… Vous logez où ? »
La question de trop. Ou plutôt, la question déplacée de trop.
Il me lança un regard indéchiffrable où plus la moindre nuance d'amusement éclairait ses prunelles vertes mais un franc agacement. J'avais toujours entendu dire que les Anglais étaient des gens réservés et apparemment, ce n'était pas une légende urbaine. Quoi qu'à sa place, j'aurais envoyé bouler mon interlocuteur depuis pas mal de temps déjà.
Sans un mot, il commença à rassembler ses papiers.
« Attendez ! » M'affolai-je en oubliant tout à coup Jimmy Choo.
Dans mon cri de désespoir, j'avais posé ma main sur son poignet, ou plutôt sur sa montre aussi glaciale que le regard qu'il me lança.
Le cœur au bord des lèvres, je me sentais devenir de plus en plus ridicule et minuscule.
« Vous me faites quoi, là ? » Siffla-t-il entre ses dents alors que je retirai précipitamment ma main. « C'est quoi ? Une farce ? Un pari ? Vous n'avez pas passé l'âge pour ce genre de choses ? C'est du niveau collège, ça. »
Son regard se promena sur les personnes alentour alors que mon cœur battait la chamade ; est-ce qu'Alice regardait dans notre direction ?
« C'est la blonde, votre complice ? » Continua-t-il de plus en plus froidement.
Malgré moi, je regardai dans la même direction que lui ; la blonde était effectivement en train de nous observer – ou plutôt, était toujours en train de se délecter de lui.
« Non. Soufflai-je lamentablement après avoir détourné mes yeux du visage arrogant de l'autre.
_ Vous êtes quoi ? Nymphomane ? Vous allez me demander si je suis libre ce soir ?
_ Non. » Soufflai-je à nouveau.
Sûrement pas dans ces conditions.
« Je n'aurais jamais cru que les Américaines étaient comme cela. Enchaîna-t-il alors mon cœur tambourinait à mes tempes, me donnant limite la nausée.
_ Moi non plus. » Fis-je en croisant son regard.
Il me regarda tout à coup avec surprise et curiosité en se redressant et en s'adossant à la banquette. Il sembla, durant quelques secondes, m'observer au rayon X.
« Racontez-moi tout, alors. Vous m'avez vu et vous vous êtes dit… » Commença-t-il.
Le domaine des dieux se trouve en Angleterre.
« Que nous pourrions partager une banquette. » Marmonnai-je en évitant son regard.
Je fermai les yeux, me traitant à nouveau d'imbécile : qu'avais-je avec les doubles sens, aujourd'hui ?
« Donc, vous êtes nymphomane.
_ Non ! »
Je ne pouvais décemment plus lui dire que j'avais envie de lui. J'allais perdre mon premier défi, ma troisième paire de Jimmy Choo et avec tout ça, ma fierté et mon assurance.
« Vous vous contentiez donc de flirter… Vous ne manquez pas d'assurance. »
Je posai mon gobelet en face de moi ainsi que mon muffin. Je n'avais plus soif. Ni faim. Je n'avais envie de plus rien, à part ma couette et mon lit.
« Oubliez ça, voulez-vous ? Fis-je en le regardant à travers mes paupières mi-closes.
_ Je crois qu'il vaudrait mieux, en effet. »
Son ton n'était pas cassant. Ni railleur. Ni moqueur. Ni même atone. Il était juste… Fatigué. Las.
« Vous avez sans doute… besoin de vous envoyer en l'air et de décompresser. »
Je le regardais cette fois bien en face, surprise par sa réplique.
« C'est juste une suggestion. Marmonna-t-il en regardant sa montre.
_ Et… Vous voudrez bien m'aider à décompresser ? » Lui demandai-je.
La chasse. Mon terrain de jeu privilégié. Il avait juste fallu qu'il me donne mes armes à son insu pour me défendre. Maintenant, c'était à moi de jouer ; regard enjôleur, poitrine légèrement dévoilée, lèvres humides...
Sa main se figea sur le gobelet qu'il porta à ses lèvres alors que je le détaillai sans vergogne.
« Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Répliqua-t-il après un moment de silence.
_ Et que voudriez-vous dire si j'osais vous poser la question ? »
Il m'étudia un instant du regard et finit par avaler une gorgée alors que ma propre gorge s'asséchait.
Assurance, regard enjôleur...
Je me forçai à lui lancer un regard langoureux alors que je m'imaginais déjà défaire très lentement les boutons en nacre de sa chemise incroyablement blanche.
« Je crois que je vous rirais au nez. Me répondit-il.
_ Pourquoi ? Parce que j'ose vous dire que vous êtes beau ? Ça m'étonnerait qu'on ne vous ait jamais fait le compliment. En dehors de votre mère, cela va de soit. »
J'avais l'impression d'être dans un autre monde et d'avoir une conversation complètement surréaliste avec un fantasme.
Je lui parlais, là, assise dans ce café bondé, alors que je m'imaginais dans un tout autre endroit, toujours avec lui, toujours assise, mais... sur lui. Même mon meilleur coup n'avait pas fait galoper autant mon imagination.
« Là n'est pas la question. »
Je plongeai cette fois mes yeux dans les siens, penchant ma tête en avant comme si j'allais lui murmurer un secret, comme si j'avais retrouvé tout à coup mon assurance et que mon cœur battait normalement. Comme si cette conversation n'avait pas lieu dans la réalité et que j'allais me réveiller.
« Je vous ai vu en cherchant une place. Mon cœur a tressauté dans ma poitrine. Je vous ai trouvé… Saisissant. Je me suis approchée et j'ai vu votre profil. Je vous ai trouvé quasi… angélique. Je vous regarde à présent dans les yeux et je repense à votre suggestion de décompresser. Je suis une femme, vous êtes…
_ Un homme. Compléta-t-il machinalement.
_ … Un homme. Nous ne nous connaissons pas et j'ai envie de vous dire qu'il n'est pas nécessaire de se connaître pour ça.
_ Vous êtes en train de me faire une proposition ? »
Un sourire flotta sur mes lèvres alors que je me penchais encore plus en avant, pressant ma poitrine contre la table froide et que ses yeux se baissaient quasi instantanément sur mes seins. Comme troublé, il détourna les yeux de côté.
« Vous êtes en train d'y réfléchir. » Soufflai-je.
Il se tourna derechef vers moi et étudia un instant mon visage.
« Non. » Finit-il par répondre.
Un sourire taquin, limite provocateur étira mes lèvres.
« Ce n'est pas une question. Vous êtes en train d'y réfléchir... »
Voyant qu'il ne répondait pas, je poussais ma chance un peu plus loin. Si seulement nous étions le soir, moi en robe moulante et talons aiguilles, lui adossé à un bar, les épaules nouées par la journée stressante qu'il venait de passer, désireux de tout oublier, de se perdre en quelqu'un... Moi.
« J'ai envie de vous. » Chuchotai-je sans me rendre compte que je venais de remporter mon stupide défi.
Un sourire incertain flotta l'espace d'un instant sur ses lèvres. Puis il attrapa son ordinateur et son dossier noir.
« C'est toujours non. »
Il prit son blazer et se releva alors que je sautai littéralement sur mes pieds pour lui faire face. Je me rendis compte que je lui arrivais à peine à l'épaule et qu'il me fallait lever la tête pour le regarder dans les yeux.
Talons aiguilles – des Jimmy Choo – ma petite robe noire sexy – Versace – ses yeux embrumés, sa lassitude, mon odeur envoûtante, la sienne quasi addictive, un verre, des regards suggestifs, un frôlement...
Sans un mot et sans lui laisser le temps de faire le moindre mouvement, j'accrochai sa chemise mais ses longs doigts fins se refermèrent brusquement sur les mains tandis qu'il se penchait sur mon oreille que son souffle chaud chatouilla :
« Vous devriez arrêter la caféine. » Murmura-t-il.
Ce fut au moment où il relevait la tête, que, perdue dans mon fantasme réel, je tournai légèrement la tête vers lui et posai mes lèvres sur les siennes. Et ce fut à ce moment-là que je sus qu'il n'était vraiment le genre d'homme à apprécier les actes opportuns...
Merci... Et pour la suite, ne vous inquiétez pas : j'ai quelques chapitres d'avance. J'ose espérer : à vos reviews ! Et à Dimanche prochain xoxo
