Prédation
Des flots de musique noyaient toute autre perception.
Des flashes de lumière rendaient toute reconnaissance ultérieure impossible.
Des volutes de fumée, mélanges de cigarettes et d'autres produits plus répréhensibles, ainsi que l'odeur entêtante de la sueur rendaient l'atmosphère à la limite du supportable.
Un club normal un samedi soir.
Dans un box un peu à l'écart, un groupe hétéroclite : un black au crâne rasé, impassible, aux vêtements noirs impeccables debout devant le box ; un européen un peu hirsute au visage en perpétuel mouvement, un peu en arrière ; une mince adolescente brune au look particulier vautrée sur les coussins ; un homme, peut-être hispanique, dans un costume coûteux, penché vers elle. Les longs cheveux de l'homme, laissés libres, cachent son visage et celui de la jeune fille.
- Dites, Laurent…
- Hmmm ?
- Vous ne pensez pas qu'on fait un peu louches comme ça ?
- …
- Parce que même si les gens savent pas que douze mille ans nous séparent, vous avez quand même l'air un poil plus âgé que moi, hein…
- …
- Laurent ?
- C'est le seul endroit de la ville où je puisse échanger des infos avec vous sans que ce soit louche, espèce de jeune délurée !
L'homme se redresse dignement, en adressant à la brune un regard plein d'ennui.
- Oui ? Ben ça devait pas ressembler à ça, vu de la salle…
Laurent lève les yeux au ciel.
- Ah ? Au fait…
L'adolescente s'assoit sur le sofa, et tend un morceau de papier rose à son compagnon. Celui-ci regarde l'objet avec un dégoût mêlé de fascination.
- Qu'est ce que c'est que… ??????
- Pour ce que j'en sais, une déclaration d'amour.
- ?
- Oui, parce que quand vous êtes venus me rapter au bahut l'autre soir…
- ???
- Siiiiiiiii, pour l'histoire où vous aviez besoin d'un truc pas dangereux…
- !!!
- Et bien, elle vous a vu… Et depuis, elle me suit partout en m'implorant de vous présenter… Voilà voilà…
- …
- Vous le prenez, ce papier, oui ou crotte ?
Laurent saisit la lettre, et la lit avec un visage indéchiffrable.
- … Et où trouve t'on cette demoiselle ?
- Tiens, curieux que vous me posiez cette question, elle est juste au comptoir, là, la rousse…
L'homme regarde sa compagne dans les yeux.
Onyx contre Jade.
Regard scrutateur contre regard innocent.
Puis, lentement, il se tourne vers le bar. Une très jeune femme, rousse effectivement, est là, qui le dévore du regard. Lentement, les yeux de l'homme caressent le corps de la jeune femme, suivent chaque courbe, remontent sur le visage, aux pommettes hautes, aux lèvres pleins, aux yeux absents…
- Et quand vous chassez, c'est toujours comme ça ?
Laurent sursaute violemment, et là bas, la jeune fille rousse tressaille de même. L'homme se retourne vers la fille qui partage son box, et découvre qu'elle a reculé au plus loin que lui permettent les fauteuils et qu'elle serre le poing sur la chaîne qu'elle a autour du cou.
- Elizabeth…
Il se penche vers la jeune fille, tendant la main. Elizabeth recule un peu plus loin, baissant les yeux.
- Non ! S'il vous plait.
- …
- …
- Bien. Nous avons fini pour ce soir, il me semble. Je vous tiens au courant pour la suite. Au revoir.
- …
Laurent se lève, et part dans une grande envolée de manteau. Ses deux acolytes, après un regard courroucé à la jeune fille, le suivent rapidement. Celle-ci regarde un moment la porte, et murmure :
- « Si tu plonges longuement ton regard dans l'abîme, l'abîme finit par ancrer son regard en toi. »
L. d'A. 02.10.07
