Auteur : Rukyoshû & Black Cherry.
Titre : Paradox.
Base : Rose, ex-batteur de The TRAX, et Maya, chanteur de LM.C.
Genre : Violent et euh… érotique ?
Note : Ces deux gars n'ont rien à voir, mais ils correspondaient bien aux personnages.
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Paradox
~ Partie I – 1 : Quand Maya butine Rose ~
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« Yosh jeune inconnu ! »
« Salut, mystère people ! »
« Je me fais chier. A mort la prof de philo ! »
« Philo ? La chance… Math »
« Bouhaha, j'me moque »
« Ton tour viendra »
« Pas dans cette salle… J'crève de faim, c'est un supplice »
« Estomac sensible on dirait »
« Bouffeur né plutôt… Tcho, temps de merde on crève de froid »
« Colle-toi au radiateur si tu gèles »
« Trop la honte t'es taré ! *Petit dessin d'un gars qui se tire une balle* »
« T'es difficile. Enfin, si tu préfères crever… *Dessin d'une tombe* »
« Tss aucun soutien ici… *Dessin d'un majeur levé* »
« Tu veux que je vienne te réchauffer moi-même peut-être ? Petite nature »
« Viens donc à moi petit esclave, je serai un gentil maître »
« C'est une proposition ? »
« Peut-être… *Dessin simpliste d'un type qui en fouette un autre* »
« C'est pas mon genre »
« Quel dommage je suis certain qu'on aurait pu prendre notre pied »
« Vraiment ? Je demande à voir »
« Tenté ? *Dessin d'un visage avec un énorme sourire pervers* »
« Je me tate (rien de pervers là dessous, je me réserve) »
« Tu veux que je t'aide ? »
« Doué ? »
« Je peux pas juger, mais on m'a dit que j'avais des mains expertes »
« Hm… *Dessin d'une langue passant sur des lèvres* »
« C'est une proposition ? »
« Elle te tente ? »
« Et comment ? C'est alléchant… »
« T'es libre ? »
« Ca dépend de ce que t'entends par libre »
« Rendez-vous »
« Alors oui *Dessin d'un visage avec un large sourire et une main qui tape une paire de fesse* »
« Quand ? »
« A toi de voir mon chou »
« Après les cours »
« Tard, pour que personne ne nous surprenne »
« Ca pourrait être excitant »
« Très… Je me sens bizarrement à l'étroit dans mon boxer 8D »
« Attends que je sois là… »
« Ce sera long… Quel jour et où ? »
« Vendredi sur le toit, ça te va? »
« No problemo, j'ai hâte… »
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Esquivant habilement un coup de poing en se courbant vers l'arrière, il fit un léger mouvement sur la droite pour envoyer son pied dans la hanche de l'un des membres de la bande ennemie. Un large sourire étira ses lèvres quand son poing rencontra la tempe d'un autre et il se retrouva finalement face à celui contre qui se battre devenait réellement plaisant. Grand, mince, des cheveux blonds over ébouriffés, des habits un poil gothiques, son rival de toujours se dressait fièrement devant lui. Ordonnant à ses larbins de s'occuper des autres, Maya eut un rictus torve en se passant la langue sur les lèvres. Jeudi 13 novembre, neuf heures dix-huit ; voici une journée qui commençait bien.
Rose se sentait échauffé par cette ambiance. Replaçant vaguement une mèche blonde qui lui tombait devant les yeux, il fit quelques pas de côté pour éviter l'assaut de l'un des gars du camp d'en face. Qu'ils aillent tous au diable, en ce qui le concernait, il ne faisait jamais affaire avec les sous-fifres. Le seul qui l'intéressait, c'était le grand blond, le chef. Un dur, un vrai, qui ne donnait pas des coups en se retenant. Lui n'avait pas peur de se faire prendre, puisque seul importait se battre. Qu'importe la pitié, elle n'amenait à rien d'autre qu'à la faiblesse. La langue qui passa sur ces lèvres déjà abîmées lui donna l'impulsion nécessaire pour entamer les hostilités d'un direct. Jeudi 13 novembre, neuf heure vingt ; une journée où l'on comptait les coups et pas les heures.
Maya esquiva facilement et attrapa le poignet de Rose pour l'envoyer valser un peu plus loin. Quitte à se battre, autant le faire tranquillement et loin des dégénérés qui leur servaient davantage de divertissement que d'aide ou d'amis. Profitant que son ennemi ait le dos tourné, il lui balança son pied dans le tibia.
Sous le choc, Rose plia les genoux pour se retrouver au sol, mais se releva bien vite pour esquiver d'autres attaques. Ce n'était que le début et il était excessivement mauvais joueur. Ce n'était pas la première fois qu'ils avaient affaire l'un à l'autre, non. Il commençait à connaître les tactiques de son adversaire, alors feinta un crochet.
Il l'arrêta sans mal, refermant ses doigts sur son poing tendu vers lui et crispé à l'extrême. Il aimait se confronter à Rose, de même niveau que lui. Ainsi ils pouvaient effectuer une danse violente et tourbillonnante, ponctuée d'éloignements et de rapprochements toujours plus désespérés, tentant chacun de trouver la faille de l'adversaire sans perdre de vue le but de cette bataille : être le meilleur, le dominant. Celui qui, pour quelques jours à peine, se verrait recevoir le titre de maître. Peu importaient les punitions du principal, peu importaient leurs notes catastrophiques en mathématiques ou en philosophie, seuls comptaient les coups reçus et donnés. C'était à celui qui resterait debout et ferait tomber l'autre.
Un léger sourire aux lèvres en ne sentant aucun de ses coups se démarquer de ceux de son adversaire, Rose sentit un mélange d'excitation et de rancœur tourbillonner dans son estomac. Sentir une résistance… Eviter les attaques… Parer… Frapper… Recommencer. Il aimait ce jeu qu'il ne pouvait partager qu'avec les plus forts du lycée. Le plus fort même. Son adversaire tout destiné.
Avait-il l'avantage ou non ? Il n'en savait rien et ne le saurait jamais. Deux des pions du lycée débarquèrent à grands renforts de cris, leur demandant d'arrêter immédiatement. Les membres inférieurs de chacune de leur bande s'enfuirent sans attendre et Maya poussa un long soupir de lassitude. Se rebeller contre l'autorité supérieure serait sans doute stupide, alors il se contenterait de subir le sermon en attendant de pouvoir reprendre le combat pour trouver un vainqueur. Rose ne s'en sortirait pas aussi simplement et il savait qu'il pensait la même chose de son côté. Ils étaient destinés à se battre jusqu'à la fin, c'était ainsi.
Contrarié dans ses projets, Rose cessa toute lutte, sans accorder autre chose qu'un regard méprisant aux aimables « représentants de l'ordre du lycée ». Qu'ils le traînent en jugement, ils ne pourraient jamais comprendre…
Cependant, il haussa simplement les épaules d'un air blasé, puis replaça négligemment le col de son manteau en les ignorant tous. Ce n'était que partie remise, il le savait et il savait que son adversaire aussi. Ce n'était pas quelques heures de colle ou un avertissement qui changerait le cours de leur destin.
Ils furent emmenés jusqu'au bureau du principal, Maya restant aussi loin que possible de Rose tout en lui lançant des gestes signifiant clairement que ce n'était que le début.
Rose se contenta d'y répondre par des regards éloquents et rompit toute communication une fois entré dans le bureau. Il s'installa nonchalamment dans l'un des fauteuils, en face du proviseur, puis attendit la sentence du jour. Colle ? Sanctions ? Renvoie ? Peu importait.
Maya croisa les bras sur son torse en se laissant tomber sur l'autre fauteuil. Le principal les regardait de ses yeux froids et perçants, comme pour lire à l'intérieur d'eux. Qu'il cherche, il ne trouverait rien. Maya avait l'habitude de tout cacher, si bien que personne à part lui ne pouvait comprendre ce qu'il se passait en lui.
« Vous me causez énormément de soucis, tous les deux, commença-t-il d'une voix aussi glaciale que son regard. »
« Vraiment ? ironisa Rose en regardant le bout de ses ongles. Pourtant nous ne sommes pas les seuls. »
« Les autres ne cherchent à envoyer personne à l'hôpital, voir même directement à la morgue, siffla-t-il. »
« Quelqu'un cherche à faire ça, ici ? s'étonna Maya en haussant un sourcil. »
Le proviseur tapa son bureau avec ses mains à plat.
« Assez ! J'en ai plus qu'assez de vos comportements stupides et immoraux. Si vous continuez ainsi, ce sera le renvoi définitif. »
Maya serra les dents en détournant la tête. Ç'en était fini de lui si ça arrivait un jour, son père ne l'accepterait jamais et il ne pourrait pas le berner définitivement.
« Vos résultats sont catastrophiques et ce n'est pas vos bagarres de trottoir qui vont vous offrir un avenir. Si vos notes n'ont pas augmenté d'ici les vacances de Noël, je serai dans l'obligation de vous exclure de cet établissement sans autre forme de préambule. »
« Ca serait tellement dommage… soupira Rose en regardant le plafond cette fois-ci. »
De toute manière, personne ne s'en rendrait compte chez lui. Alors qu'il reste ici ou qu'il aille ailleurs, il n'y avait pas de différences.
« Vous aurez tout deux quatre heures de colle que vous vous ferez un plaisir de venir passer à apprendre vos cours, samedi matin. »
Maya poussa un sifflement mécontent en dardant un regard noir sur l'homme antipathique qui se tenait face à lui.« Je ne veux rien entendre et retournez en cours ! s'écria le proviseur en pointant la porte du doigt. Et que je n'apprenne pas que vous avez encore séché les cours, sans quoi je serai bien moins clément. »
« Que de mansuétude à notre égard, ironisa Rose en se relevant pour ensuite reprendre son sac sur son épaule. Sur ce, passez une bonne journée. »
Finalement, le proviseur ne pouvait pas grand-chose contre leur comportement. Quatre heures de colle ? C'était dérisoire. S'ils s'étaient battus dans la rue, il était certain qu'ils seraient passés en garde à vue. Se battre au lycée était bien moins risqué.
Maya se contenta de reprendre son sac et de sortir en refermant derrière lui. Soupirant en passant une main dans sa chevelure désordonnée, il s'étira ensuite, donna une taloche sur le crâne de Rose et fila dans les escaliers pour retrouver sa classe. Là, il alla directement s'échouer à sa place, près de la fenêtre tout au fond de la classe, et s'affala gracieusement sur sa chaise. C'était parti pour un cours de langue bien pénible…
Il eut une légère grimace en sentant cette attaque en traître, mais se contenta de fixer le dos de Maya jusqu'à ce qu'il disparaisse. Ils se retrouveraient bien assez tôt. Qu'il profite de cette accalmie pour reprendre des forces, la prochaine fois serait moins douce. Cette interruption impromptue l'avait frustré. A pas lents, il finit par rejoindre sa salle de cours, où il s'installa sans faire attention à rien. De toute manière, une fois qu'il cessait sa guerre pour la domination de la cour, il disparaissait. Il en serait de même aujourd'hui, et demain. Jusqu'à la prochaine rencontre.
La prof arriva rapidement et commença son cours sans attendre de sa voix aiguë et pressée. Attrapant une feuille et un critérium, Maya entreprit de la gribouiller jusqu'à ce qu'il n'y ai plus un seul endroit vierge. Regardant par la fenêtre un instant, il eut une soudaine idée et récupéra son crayon pour écrire un message sur la table. Avec un peu de chance, on lui répondrait et il pourrait lire la réponse le lundi. Souriant en coin, il se fit interroger sur un exercice qu'il n'avait pas fait et releva une tête sardonique qui dissuada la prof de s'entêter.
Pendant l'heure qui suivit, Rose devint totalement invisible. Personne ne le regarda. Personne ne l'envoya au tableau. Personne ne l'interrogea. Personne ne lui envoya de boulettes de papier. Quand il n'était pas le maître, il n'était rien. Une place qui semble vide, mais sur laquelle pourtant personne n'ose s'asseoir. Un peu comme si un fantôme en avait pris possession. Une place damnée et maudite.
Rose soupira légèrement en regardant au dehors. Sa place de prédilection : la cour. Elle lui rendait une présence qu'il perdait en cours. Il craqua légèrement ses doigts, en se disant que son adversaire ne perdait rien pour attendre, menace du proviseur ou pas.
Le temps passa sans que Maya ne fasse réellement d'efforts pendant les cours. Une semaine puis deux, sa bande continuait à se battre contre celle de son ennemi et tous deux poursuivaient le chemin qui les mènerait vers la victoire. Cependant, Rose semblait avoir une longueur d'avance : il était toujours en forme physique parfaite, ce qui n'était pas le cas de Maya. En effet, il devait sans cesse veiller sur le sommeil perturbé de sa petite sœur, ce qui lui valait une fatigue régulière, et subir la folie et la violence de son père, ce qui dégradait grandement sa condition corporelle.
Quant à son salut sur table, il eut une courte réponse qui se transforma rapidement en dialogue. Le seul attrait qu'il trouvait à aller en philosophie, en histoire/géographie ou en langue fut d'ailleurs ce simple échange pseudo érotique qui le libérait de ses pensées morbides quotidiennes. Cette salle n'était plus une prison, elle était son échappatoire. Il relisait sans cesse ces petites phrases ridicules qu'il avait pris soin de recopier dans son agenda pour pouvoir se délecter des reparties de l'inconnu avec qui il discutait.
Un mois s'écoula puis sept semaines, les vacances de Noël se déroulèrent dans une ambiance électrique et Maya fêta les réveillons dans sa chambre avec sa sœur, seule personne qui reçut un cadeau de lui et qui lui en offrit un. Finalement, le jeudi 15 janvier, alors qu'il lisait la réponse tant attendue, il eut un large sourire pervers. Les vacances l'avaient décidé à accepter un rendez-vous avec son inconnu et c'était enfin fixé :
« Vendredi sur le toit, ça te va ? »
Il ne réfléchit même pas avant de laisser son approbation. Il indiquerait à sa sœur de bien rester cachée une fois de retour de l'école.
« No problemo, j'ai hâte… »
Il passa ensuite le reste du cours à glandouiller, mâchouillant sa sucette et tapotant le bout de ses ongles sur la visière de sa casquette en regardant par la fenêtre. Ce qu'il pouvait se faire chier…
Les matières défilèrent à une vitesse d'escargot. Rose y accorda pourtant peu d'importance. Au lycée, il s'ennuyait légèrement moins que chez lui, même si ce n'était pas difficile. Il déjeuna seul, comme d'habitude, préférant ne pas se mêler aux autres. Ceux de sa bande en faisaient autant et ne cherchaient pas à le décider à venir. Leur chef était trop indépendant pour ça. De toute façon, ils n'avaient rien à se dire.
L'heure de philosophie – enfin, initiation à la philosophie – arriva à son tour, lente et implacable comme toutes les précédentes et Rose s'installa à sa place habituelle. La table dans le fond, du côté de sa fenêtre, avec vue sur son royaume éphémère. Le professeur commença ses explications sur le texte qu'ils étudiaient, et Rose décrocha au bout de cinq minutes. Peu lui importait le mode de pensées des autres, il avait suffisamment à faire avec le sien. Ennuyé, il regarda dehors, mais une tâche inhabituelle sur la couleur claire de la table attira son attention. Ce n'était pas un graffiti, comme il s'y était attendu tout d'abord, mais quelques mots : « Yosh jeune inconnu ! »
Rien d'autre. Peut-être que cet appel était tout récent, ou ne nécessitait pas de réponse. Mais après tout, qu'est-ce que ça changerait. Ces mots appelaient un inconnu. C'était ce qu'il était, en un sens. Alors il s'empara du premier crayon que lui offrit sa trousse et inscrivit son salut en retour. Des mots à peine encrés sur la surface lisse de la table. De toute manière, l'homme invisible qui avait écrit le premier serait le seul à se rendre compte de son existence futile en dehors de ses accès de combat.
Les heures, les jours, les semaines suivirent leur cours, amenant avec eux rixes dans la cour, ébats sans lendemain et lycée sans intérêt. Les bourrasques intenables qu'étaient ses parents passèrent en coup de vent, comme d'habitude, et Rose se demanda un instant s'il serait capable de décrire avec fidélité leur visage. Mais son monde flottant se raccordait maintenant à une chose : une conversation. L'homme mystère, qui avait épanché son ennui sur la même table que lui, avait répondu et, de fil en aiguilles, ils avaient tissé un filin qui maintenant centrait son attention et par là même sa vie. Par un jeu mêlant provocation et sous-entendus, Rose et son correspondant mystérieux avait fini par se donner rendez-vous.
Habituellement, quand Rose ressentait le besoin d'avoir quelqu'un avec qui s'amuser, il n'y allait pas vraiment par quatre chemins. Son physique lui permettait ce genre de largesse. Mais cette fois-ci, c'était différent. Plongé dans l'inconnu, l'attente et l'envie avaient grandi de concert pour le mettre dans un état d'excitation qu'il n'avait jamais ressenti.
Son interlocuteur lui laissa le choix des jours et lieux. Il opta pour le vendredi, la fin de semaine serait plus adéquate, même s'il faudrait pour cela patienter. Le lieu… le toit. Une rencontre au ciel ne pouvait donner qu'un échange de même niveau. Rose nota précautionneusement la date et, avant même qu'il ne s'en rende compte, son cours était fini. Il le quitta avec un léger sourire aux lèvres. Il lui tardait de se mesurer enfin à son correspondant mystérieux.
Vendredi 16 janvier, dix-sept heures. Maya n'avait quasiment pas dormi de la nuit, autant pour veiller sur le sommeil de sa sœur que d'impatience. Il allait rencontrer son inconnu, enfin. Il n'arrivait pas à imaginer son visage mais il espérait avoir affaire à un beau jeune homme. Oh, il n'était pas difficile, mais il faut avouer qu'une femme est plus fragile qu'un homme. Il s'interrogea subitement sur la raison qui lui faisait penser que c'était une personne de sexe masculin et non féminin avant d'hausser les épaules. Il le ressentait et puis c'était ainsi.
Appuyé nonchalamment contre la grille devant le lycée, il sortit une sucette qu'il fit rouler sur sa langue. Un goût puissant de coca emplit sa bouche en quelques secondes et il poussa un petit soupir de bonheur. Il avait hâte de grimper sur le toit, mais il fallait attendre que le lycée soit entièrement et définitivement libre.
Vendredi soir, dix-sept heures, fin des cours. Rose rangea ses notes avec nonchalance, mais les mains fébriles. Il l'avait attendu toute la semaine… Son rendez-vous inconnu, en plein milieu du lycée, avec une personne qui semblait aussi impatiente que lui. Tout son corps réclamait le rendez-vous, chaque petit mot l'avait mit dans une attente presque douloureuse. Il voulait voir, savoir, goûter, tester, tenter, agir… Il n'en pouvait plus de rester aussi inactif. Chaque pensée lui brûlait le cerveau, mis en mode veille. A bas la réflexion, c'était juste son instinct qui le faisait avancer maintenant. Il tirerait le voile du mystère pour le parcourir enfin de ses yeux avides de savoir.
Rose attendit une bonne demi-heure, voire une heure, dans les toilettes, en attendant que le lycée se vide de toute la population inintéressante qu'il contenait. Qu'il soit enfin seul avec son mystérieux correspondant. Doué… Il avait hâte de voir ça. De ressentir ça. Le seul qui ait gagné le droit de le voir étant lui-même. Pas un chef de guerre. Pas un maître invisible. Rose, alangui et désireux de faire plus ample connaissance.
Dix-neuf heures, il ne restait dans le parking des professeurs qu'une seule voiture, c'était le moment ou jamais d'entrer pour rejoindre son mystérieux inconnu. Contournant l'établissement, il passa par-dessus la grille sans trop de difficulté et se faufila dans la cour jusqu'au bâtiment. Puis, impatient de découvrir enfin qui se cachait sous ses petites allusions perverses, il rejoignit les escaliers et grimpa les marches quatre à quatre. Son cœur s'emballa quand il entama la dernière ligne droite et il se stoppa un instant derrière la porte.
Il se faisait attendre, songea Rose en s'adossant au mur de la cage d'escalier. Une méthode comme une autre de faire travailler l'envie et le désir. Il n'allait pas s'en plaindre, sourit-il intérieurement. Plus l'attente est entretenue, plus les rencontres sont explosives. Et il espérait bien que son correspondant mystère serait à la hauteur de ses dires… Maintenant qu'il s'était imaginé une large gamme de scénario, il sentait qu'il serait réellement déçu, voire violent, si ses espérances n'étaient pas comblées.
Le vent fit voler quelques mèches d'un blond pâle alors qu'il s'étirait. Oh oui, il avait intérêt à être à la hauteur… Et tout à coup, la porte s'ouvrit.
Maya resta un instant sans bouger. Il ignorait tout de la personne qu'il allait trouver de l'autre côté, de son nom à son sexe. Peut-être allait-il regretter ? Si c'était le cas, il risquait de devenir haineux et violent ; il ne savait cacher ses émotions – déception ou autre – qu'en se protégeant derrière un mur de glace. Prenant une profonde inspiration, il remit vaguement ses mèches blondes en place, vérifia son haleine et poussa la porte, avant de se figer d'horreur en apercevant qui se tenait appuyé au mur à côté de lui.
« Toi ! cracha-t-il. »
« Putain c'est quoi ce bordel ? répondit Rose en se redressant de son mur. Qu'est-ce que tu fous là ?! »
Pourquoi il fallait que ce soit maintenant que ce type débarque ? Il voulait encore se faire casser la figure ou quoi ?
Il serra les poings en le foudroyant du regard.
« Je viens voir quelqu'un, alors dégage ! »
Ce n'était vraiment pas le moment pour se battre avec cet enfoiré.
« Non mais tu rêves là ! Rien à foutre de tes rendez-vous, j'étais là avant ! »
Et il n'avait pas l'intention de se laisser gâcher la soirée…
Maya haussa un sourcil moqueur et arrogant en croisant les bras sur son torse.
« Comment un type comme toi pourrait avoir un rendez-vous ? »
Non pas que Rose était moche. Ses lèvres roses pulpeuses et ses grands yeux, cachés par des lentilles d'une jolie teinte bleue violacée et entourés d'eyeliner noir, lui conféraient un certain charme et même un charme certain. En un sens, il pouvait facilement le qualifier de canon. Malgré tout, leurs deux bandes étaient ennemies et ils n'avaient jamais pu se voir en peinture. Sans doute étaient-ce leurs caractères trop emportés et si semblablement opposés qui les en empêchaient.
« Je pourrais te retourner la question, Ma-ya ! articula-t-il dans un déhanché à la fois provoquant et exaspéré. Depuis quand tu veux plus jouer les petits che-chefs qui se la pètent dans la cour ? T'as trouvé un pantin pour t'amuser après le lycée ? »
OK, Maya avait aussi tout pour lui, ça il ne pouvait pas le nier, même si ça lui arrachait la langue. Cheveux blonds or, peau d'ivoire, lèvres pulpeuses et rosées, on pouvait difficilement faire mieux. Mais c'était son rival et il ne le supportait pas, c'était dans la nature même des choses.
« Et toi, Ro-se ? fit-il en l'imitant parfaitement. Tes larbins t'ont lâché ? Ils en ont eu marre de ton petit cul et de ta grande bouche ? »
Qui, sans le savoir, l'avaient fait bander pendant des semaines par de simples mots échangés sur une table.
« Tu sais, il m'arrive de me balader sans eux assez souvent, fit-il remarquer en avançant vers lui, irrité. Quant à mes fesses et ma bouche, elles cherchent mieux, pour changer. Alors casse-toi. »
Son inconnu lui avait implicitement promis monts et plaisir, il ne laisserait pas passer l'occasion de s'amuser.
Bien sûr qu'il le savait, il l'avait bien vu manger seul à midi, comme il le faisait régulièrement. Leur bande ne servait qu'à cacher leur haine profonde l'un envers l'autre et leur violence brutale. Mais il ne le laisserait pas gâcher sa soirée pour autant.
« Tu veux que je te montre ce qui est vraiment bon ? Sûr qu'avec les gens qui te servent d'amants, tu risques pas de ressentir de plaisir. »
Il lui offrit un sourire en coin particulièrement malsain en balançant son sac dans un coin.
« Et c'est toi qui vas virer. »
« Oh vraiment ? ironisa-t-il en penchant la tête. Sorry Ma-ya, je ne par-ti-rais pas… chantonna-t-il. »
Il n'allait sûrement pas obéir à quelqu'un comme lui.
« Et on peut savoir qui tu attends au juste ? interrogea-t-il en s'approchant lentement de lui. »
Il n'en avait pas grand-chose à faire, mais ce serait une occasion de plus de se foutre de lui.
« Hm… fit-il en posant ses doigts sur ses lèvres, laisse moi réfléchir… Quelqu'un ? »
Après tout, il ne le savait pas lui-même.
Il prit une mine offensée parfaitement feinte.
« Tu ne veux pas me le dire ? »
« En quoi ça peut t'intéresser ? rétorqua-t-il. »
« Mais voyons, en tout, très cher Rose, rit-il avec un regard de glace. »
« Oh, en tout, voyez-vous ça… Ton « rendez-vous » est-il aussi peu intéressant pour que tu t'intéresses aux miens ? »
Il ne voyait pas pourquoi il lui donnerait des détails de sa vie.
« Mon rendez-vous semble particulièrement alléchant, au contraire, sourit-il en se léchant les lèvres. Mais peut-être pensera-t-il que je le trompe si tu restes, vois-tu. »
Il lui offrit un sourire torve.
« Et, tu t'en doutes, je serai obligé de te punir si tel était le cas. »
« Me punir… souffla-t-il. Tu crois que je me laisserais faire comme ça… »
Il ne manquerait plus que ça… Qu'il cède son trône ? Hors de question.
« Oh non, résiste-moi, ce sera tellement plus appréciable, se moqua-t-il d'une voix sensuelle. »
Après tout, ça n'était que plus excitant d'avoir affaire à quelqu'un de réticent.
« Tu aimes jouer, à ce que je vois, répondit-il en reculant vers le mur pour s'y appuyer en penchant un peu plus la tête. »
Soit, lui aussi aimait jouer. C'était rare qu'il le fasse, la plupart de ses confrontations n'avait aucun intérêt. Peut-être que ce serait d'un autre niveau ici.
« Le jeu, peut-être pas… Mais je ne suis jamais contre une petite altercation contre quelqu'un de ton genre. »
« Qu'est-ce que tu appelles « quelqu'un de mon genre », Ma-ya ? »
« En voilà une question intéressante… »
Et il ne voyait absolument pas ce qu'il pouvait bien répondre. Rose lui sortait par les yeux, et il n'y avait pas de raisons particulières.
« Quelqu'un qui est aussi… »
Aussi quoi ? Il se rapprocha de lui pour dégager son oreille de ses cheveux.
« Vulnérable, souffla-t-il. »
« T'essaye de me faire peur ? fit-il en se dérobant de quelques pas sur le côté. »
Son oreille resta sensible quelques secondes à ce contact. Trop sensible. Il n'avait pas l'habitude d'un geste qui ressemblait aussi peu à un coup de poing.
« Non. »
Et c'était vrai. Pourquoi l'avait-il désigné de vulnérable ? Etait-ce pour son air frêle, appuyé ainsi sur le mur, ou pour la façon dont son corps mince se fondait dans l'obscurité naissante ? Et pourquoi avait-il aimé être aussi proche de lui ? Serrant les dents et les poings pour se maîtriser et se reprendre, il le fusilla du regard.
« Maintenant dégage. »
« Va. Te. Faire. Voir. Ma-ya… siffla-t-il sans bouger d'un pouce. »
Il n'avait aucunement l'intention de dégager. Tout d'abord, il était arrivé avant lui. Ensuite, il ne céderait sa place pour rien au monde. Surtout pas à lui…
« Ro-se… Arrête d'écorcher mon prénom, enfoiré ! »
Puis, à bout de nerfs, il donna un coup de poing dans la porte à défaut de lui envoyer dans l'estomac. Et, petit à petit, une vision toute neuve de ce qu'il se passait s'insinua dans son esprit. Il lança un regard à sa montre puis à son ennemi juré avant de reporter son attention sur la porte.
« Attends… »
Il se tourna franchement vers Rose, grinçant des dents et les muscles raidis à force d'être contractés.
« Dis-moi que t'es pas celui qui m'a répondu pendant des semaines sur cette putain de table de cours ! »
Rose ouvrit de grands yeux. Non. Impossible. L'heure… Le lieu de rendez-vous… La table…
« Parce que c'est toi qui me chauffais avec tes smileys tendancieux ! fit-il en avançant d'un pas. »
Oh, God. Ce n'était pas possible ! Son sang ne fit qu'un tour et il ne prit même pas le temps de réfléchir : son poing atterrit directement sur la mâchoire de Rose. C'était sans doute la pire soirée de sa vie. Savoir que c'était avec lui qu'il avait échangé des propositions tendancieuses lui filait la nausée.
Il n'eut pas les moyens, ni même le temps de réagir. Projeté vers l'arrière, son dos heurta brusquement le mur de la cage d'escalier, lui coupant le souffle pendant un instant.
« Espèce d'enfoiré… souffla-t-il en lui lançant un regard noir. »
Toutes ces semaines pour ce type… Pour se faire avoir par lui, cet espèce de gros dur qui le cherchait sans arrêt !
Comment il avait pu perdre autant de temps avec un type pareil ? Comment avait-il pu ressentir du plaisir à discuter avec lui ? Serrant la mâchoire à s'en faire saigner les gencives et péter les dents, il se dirigea à grands pas vers son ennemi pour le frapper à nouveau. La violence était le seul moyen qu'il connaissait pour parer aux sentiments qu'il ne désirait pas ressentir. Il détestait sincèrement ce type, alors comment pouvait-il seulement se sentir excité par lui ?
Rose encaissa une fois encore, mais répliqua cette fois-ci en lui décochant un direct dans l'estomac en soufflant, la mâchoire raidie et les lèvres douloureuses. Douloureuses, ou trop sensibles ? Il n'allait pas se faire avoir une fois encore… L'adrénaline lui coulait dans les veines, jamais il ne se laisserait faire par ce type. C'était lui le maître, c'était lui qui vaincrait, de quelques manières que ce soit.
Maya dut reculer de plusieurs pas pour récupérer son souffle, grimaçant de douleur. Mais il n'y prit pas garde bien longtemps et envoya un coup de pied dans le flanc de Rose. Jamais il ne perdrait contre lui. La haine, la colère et la déception faisaient bouillir son sang dans ses veines et il n'avait plus qu'une envie : le réduire en bouillie.
Il esquiva de justesse en vacillant, et le pied de Maya ripa contre ses côtes. Il ne pouvait pas le laisser faire. Il n'allait pas se laisser massacrer comme ça. Il le laisserait encore moins gagner. Les dents serrées, il retenta une approche et attrapa le col de son haut pour aller lui coller une droite en pleine mâchoire. Qu'importe qu'il le défigure, si la victoire se résumait à ça.
Il reçut son poing sans broncher, habitué, et lui envoya un coup de genou dans le ventre comme réplique. Il avait envie de tout détruire et de tout brûler. Son corps entier était en train de devenir un brasier, la brûlure de son antipathie envers lui ravageant toute sa maîtrise sur son passage.
Rose plia sous le choc, la respiration coupée, et ses doigts se crispèrent sur les vêtements de Maya. Son seul réflexe fut de frapper encore, n'importe où, pour ne pas le laisser gagner. Chercher une stratégie ne servirait à rien. Il devait cogner aveuglément, tout ce qui comptait était de le réduire en miettes !
Maya chassa ses mains d'un vague mouvement de bras et crispa ses doigts dans les cheveux blonds de son acolyte pour le forcer à relever la tête. Il le claqua alors contre le mur de la cage d'escalier et, sans comprendre son propre comportement, il plaqua ses lèvres contre les siennes. Cette simple pression lui fit l'effet d'une bombe, aussi puissante qu'une électrocution.
Il perdit tout sens commun sous cette pression violente. Bloqué, meurtri, complètement crispé, il ressentait le geste de Maya comme une invasion brutale de plaisir. C'était douloureux mais paradoxalement terriblement euphorisant. Mieux que n'importe quel stimulant. Comme mues par une volonté propre, ses lèvres s'arrachèrent de cette étreinte pour venir à leur tour s'emparer de celles de Maya, comme si tout cela ne faisait partie que de cette bataille pour la dominance. Juste un coup porté en plus, autrement qu'avec les poings. Si ça devait se passer ainsi, il ne le laisserait pas prendre le dessus.
Maya apprécia un moment cette sensation de plaisir et de violence qu'il ressentait. C'était la première fois qu'il avait cette impression d'entité incandescente. Son âme semblait s'être apaisée, comme comblée de ne plus être qu'une moitié vide de sens. Quand Rose commença à prendre le dessus sur lui, il se décolla brutalement de lui, la respiration rapide et le regard gelé, se rendant compte de ce qu'il faisait par la même occasion. Comment tout ceci avait-il pu arriver ?
« Dégage, siffla-t-il alors. »
Il n'était pas certain de pouvoir contenir les vagues de violence qui grandissaient en son sein, rugissantes, et se fracassaient contre son enveloppe charnelle.
« Non, répondit-il d'un ton sans concession, dardant sur lui son regard de braise, totalement inverse au sien. »
C'était tellement bon… Inattendu. Jamais il n'aurait pensé que la violence exercée aurait pu être aussi jouissive.
« Je t'ai dit de dégager ! s'écria-t-il en pointant la porte d'un doigt rageur. »
S'il ne se dépêchait pas de se barrer, Maya passerait ses nerfs sur lui sans se retenir. Sa frustration grandissante se mêlant à sa haine allait finir par le submerger entièrement, le noyer et lui faire perdre la tête. D'autant plus qu'il n'arrivait pas à ôter de ses lèvres la sensation de celles pulpeuses de Rose qui lui avaient procuré tant de plaisir.
« Et pourquoi tu te casserais pas toi ! T'attends quelqu'un d'autre? Oh, peut-être que tu as prévu un coup de rechange au cas où le premier t'aurait pas plu ? ironisa-t-il. »
Piquer la patience limitée de son adversaire avait un petit côté délectable.
Sans pouvoir se retenir, les digues de sa folie meurtrière ayant cédé, il lui fonça droit dessus pour enchaîner les coups avec une hargne qu'il n'avait encore jamais ressentie. Pourquoi il ne le laissait pas tranquille, bon sang ?! Pourquoi le contact avec ses lèvres avait été si bon ? Pourquoi il en voulait plus ? Il ne pouvait pas ressentir ce genre de chose pour un type comme Rose, ce n'était pas logique ! C'était complètement dément.
Rose laissa faire. Il le tenait, et malgré la douleur sourde et vive qui le prenait au corps avec délice, il ne ressentait pas ça comme une contrainte. Maya venait de chuter en son pouvoir, sans espoir d'en ressortir un jour. Il finit par se dégager, le souffle court et la lèvre en sang, pour vaciller vers le milieu du toit.
« T'as peur, Ma-ya ? Ca se passe pas… comme tu veux ? »
La respiration saccadée, les yeux brûlants, il restait à fixer ses mains sanglantes. Il était comme son père : un monstre féroce qui expulse ses émotions à coups de poings, de pieds, de tête… Il ne savait que se défendre avec sauvagerie quand une situation ne lui plaisait pas. On ne lui avait pas appris à ressentir quelque chose de bon alors il en avait déduit que seul le sexe pouvait lui offrir une liberté provisoire et que le reste n'était qu'une sombre calomnie.
« T'as un problème ? enchaîna-t-il en se laissant tomber à genoux sur le sol. Ca t'a plu, c'est ça ? »
Maya n'avait pas retenu ses coups… C'était la première fois qu'il s'en prenait autant dans la gueule. S'il avait su plus tôt…
« La violence, le sexe, la haine. C'est ainsi que j'ai toujours vécu. C'est ce qu'on m'a toujours donné, souffla-t-il d'une voix éteinte et extrêmement basse. Pourquoi c'est différent quand tu es là ? »
Il ne mentait pas quand il y réfléchissait bien. En présence de Rose, il avait l'impression que sa vie avait un sens. Ils se battaient sans cesse mais, derrière les coups, son cœur battait plus fort. C'était comme si, d'une manière ou d'une autre, ils étaient destinés à être proches l'un de l'autre. Que ce soit dans la haine ou non.
« Parce qu'on est pareil… haleta-t-il en sentant un filet de sang lui parcourir le menton. Tu sais, qui se ressemble s'assemble, tout comme les contraires s'attirent… Tu peux pas admettre que ça te laisse indifférent… Ma-ya. »
Il se tourna vers lui. Toute sa prestance et son charisme semblaient bien moindres à présent. Alors que Rose, lui, brillait toujours.
« Je te déteste et tout ton être me repousse. »
Il s'avança jusqu'à lui, se laissa tomber à ses côtés et lui fit poser sa tête sur ses jambes.
« Mais, indéniablement, une partie de moi est attirée par toi. »
Et c'était sans doute ce point qui le dérangeait le plus.
« C'est comme ça que ça marche tu sais… L'attirance, la haine… On peut pas différencier tout strictement. Ils ne peuvent vivre l'un sans l'autre… Les sentiments sont relatifs et ils se mêlent l'un à l'autre. »
Et plus Maya aurait envie de le frapper, plus il aurait envie de lui. Rose en était certain.
« Mais on est pas censé battre quelqu'un qui nous attire juste parce que ça nous dérange… »
Bien qu'il n'y connaisse strictement rien. Il essuya le menton de Rose en essayant d'être le moins brusque possible, les mains tremblantes. C'était étrange de ne pas faire preuve de brutalité.
Rose ferma les yeux, la respiration courte.
« Tu parais sentimental… Attention, l'eau est trouble. »
Il commençait déjà à se perdre.
« Tais-toi, cracha-t-il. »
Et il se mordit la langue en ôtant une mèche de son visage.
« Pardonne-moi. »
« Pourquoi tu veux que je te pardonne ? T'as voulu me démolir, au cas où tu aurais oublié… »
Même s'il n'avait pas à préciser que certains passages avaient été particulièrement appréciables.
Il serra les dents et le força à se relever, passant un bras autour de sa taille. Il le ramènerait chez lui et oublierait toute cette soirée. Cette sensation de puissance en sentant ses lèvres sur les siennes. L'envie de le protéger mêlée à celle de lui casser la gueule. Son désir de le garder contre lui de cette manière et le plaisir de l'envoyer chier. Il récupéra son sac et celui de Rose et traîna ce dernier vers la sortie sans ouvrir la bouche. S'il le faisait, il ne serait capable que de l'insulter, et il n'en avait plus envie. Pas ce soir, du moins.
Rose se laissa traîner sans rien dire, récupérant vaguement le sang qui coulait de ses lèvres du bout de la langue. Maya n'y avait pas été de main morte. Mais au fond, est-ce que qu'il aurait ressenti les choses aussi puissamment s'il ne l'avait pas attaqué de cette manière ? C'était peu probable.
« Tu fais quoi ? demanda-t-il en resserrant sa prise autour de ses épaules. »
« Ca se voit pas ? lança Maya avant de se reprendre. »
Et, pour ce faire, il inspira profondément pour refouler ses pulsions agressives et haineuses. A cet instant, il regrettait de ne pas être un élève modèle et d'avoir écrit sur cette fichue table. C'était horripilant.
« Je te ramène chez toi. »
« Tu sais où j'habite ? fit-il avec un léger sourire. »
C'était nouveau ça.
Il acquiesça d'un signe de tête sans autre précision, faisant attention à ne pas le laisser tomber sur le sol. Il était bien capable de le faire exprès s'il ne se maîtrisait pas un peu.
« Comment tu sais ? »
« J'ai volé les dossiers informatiques du principal. »
Ce n'était, au point de départ, que pour se prouver qu'il pouvait y arriver. Il ouvrit la porte du toit, les fit passer dans la cage d'escalier en resserrant son bras autour de Rose et referma derrière lui.
« Ca te sert à quoi ? demanda-t-il en capturant l'une de ses mèches blondes entre deux doigts. »
Ca ne l'étonnait qu'à moitié. Mais qu'il prenne les adresses…
Il pencha la tête pour récupérer sa mèche.
« A rien. »
Il avait juste réussi à montrer qu'on pouvait pirater le système informatique du lycée.
« Alors pourquoi tu l'as fait ? Tu m'espionnes ? »
Il reprit une autre mèche sans difficulté. Elles étaient toutes trop longues pour que Maya puisse se soustraire à sa « torture ».
« Non. »
Il lui abandonna ses cheveux ; il n'arriverait pas à s'en défaire et il irait prendre une douche glacée en rentrant chez lui pour ôter toute trace de la passion que Rose avait fait naître en lui.
« De cette façon, j'ai une prise sur chacun. Je connais la situation et l'adresse des élèves les plus importants, et j'ai les données dans mon PC portable pour tous les autres. »
« Je dois m'en sentir flatté alors, si tu as mon adresse… souffla-t-il à son oreille. Un élève des plus importants… »
C'était plaisant de le sentir troublé de cette manière.
Il haussa les épaules, se sentant étranger dans cette conversation. Il avait la désagréable impression d'avoir quitté son corps et d'avoir changé de monde. Mais il forcerait son âme à reprendre sa place.
« Si tu y tiens. »
Le souffle de Rose était chaud et embaumait une odeur de menthe et de sang qui lui fit un effet électrique. Il fallait qu'il se contrôle, sans quoi ça dégénérerait en une partie de jambes en l'air violente ou en pugilat, tout dépendait de la réaction de son ennemi préféré.
« J'y tiens, vraiment, insista-t-il en venant maintenant chatouiller significativement son cou du bout des doigts. »
Il avait la tête qui tournait, il comptait bien en profiter pour se lâcher plus que d'ordinaire sur la voie publique. Et puis Maya n'oserait pas l'envoyer balader maintenant.
Maya décala la tête légèrement sans le lâcher, continuant à descendre les escaliers et tentant de paraître le plus neutre possible. Seulement, Rose commençait à sérieusement lui taper sur le système.
« Je te croyais pas aussi lunatique… souffla-t-il en regardant fixement son visage inexpressif avec un sourire en coin. Passer de… tout feu tout flamme à… froid comme la glace… »
Il eut un léger rire ironique et utilisa sa main valide pour tripoter la fermeture éclair de sa veste noire.
« Ou alors peut-être que la braise brûle encore sous tes airs de pierre… chuchota-t-il en se penchant vers son oreille. »
Ca ne serait pas pour lui déplaire.
Il chassa la main qui jouait avec le zip de sa veste d'une petite tape.
« Tu as un tempérament de feu, j'ai un tempérament de glace, répliqua-t-il comme si ça expliquait l'entièreté de ses agissements. »
Il posa enfin le pied sur le sol du rez-de-chaussée et traîna Rose à sa suite à travers les couloirs. A la vitesse à laquelle ils allaient, ils ne risquaient pas de sortir du lycée.
« Tu boudes, Ma-ya ? chantonna-t-il en s'agrippant à lui. T'es trop sérieux. »
Le sol du lycée n'était pas très, très stable, maintenant qu'il le foulait.
Il poussa un soupir énervé et l'attrapa par les épaules pour se mettre face à lui en le soutenant, évitant cependant de plonger son regard dans le sien pour ne pas commettre un acte purement pulsionnel.
« Ecoute, si tu veux que je te laisse crever ici, continue comme ça. Sinon, ferme-la et avance, OK ? »
Il n'avait pas envie de passer sa nuit ici. Surtout que Mayumi devait l'attendre et que son père lui ferait payer son absence en fonction des minutes de retard qu'il aurait.
« Hm, comment je pourrais refuser un seul de tes ordres… taquina-t-il en penchant légèrement la tête. »
Il posa ses mains sur les poignets de son soutien.
« Alors, tu me ramènes, preux chevalier ? »
Il se perdit malgré lui dans ses yeux faussement bleus, n'hésita qu'à moitié avant de repasser son bras à sa taille pour le reprendre contre lui, et ce fut sans un mot qu'il se remit en route. Il était faible face à son ennemi.
Rose ne dit rien non plus, se contentant de peser de tout son « faible » poids contre l'épaule de Maya. Après tout, ils avaient tout le temps jusque chez lui… Et son ennemi était déjà suffisamment troublé pour que son équilibre craque quand il le voudrait. Une pichenette, et Maya pourrait devenir incontrôlable.
« On va passer par la grille, expliqua-t-il froidement en sortant dans la cour. Si on croise le gardien ou n'importe qui, que ce soit bien clair, tu m'as appelé parce qu'on t'a attaqué par surprise et que t'étais coincé dans le bâtiment. Je suis venu te chercher et je te ramène chez toi. Fin de l'histoire. »
Il resserra un peu sa prise sur lui pour être sûr qu'il ne tombe pas et entreprit de traverser l'étendue de béton qui semblait sans fin. C'était vraiment étrange quand il n'y avait pas un seul élève, limite sinistre. Il aimait bien cette ambiance.
« Mais tu sais, je crois qu'il vaut mieux que ça soit toi qui parles… Tu seras plus convainquant que moi, dit-il en parcourant son bras des yeux. J'aime ta voix… Elle me donne… des frissons… »
Et il trembla exagérément sous son étreinte, comme parcouru d'une vague de froid. Ou de plaisir.
Maya serra les dents, se concentrant pour ne rien faire de stupide, et accéléra légèrement l'allure. Il allait finir par craquer, il en était certain. Mais il ne savait pas si ce serait en bien ou en mal.
« Comment tu comptes t'y prendre pour qu'on passe la grille à deux ? questionna-t-il avec un brin d'amusement. »
« Là, je suis en train de me dire que je te jetterais bien par au-dessus. Mais si je me maîtrise assez pour ne pas te casser un ou deux os en plus, je forcerai la serrure de la grille pour nous permettre de sortir. »
« Hm, un vrai petit délinquant, pouffa-t-il en se resserrant contre lui, pour éviter un éventuel rejet – ou jet – de sa personne. »
Cette pression un peu plus forte contre son corps le fit frissonner mais il fit passer ça pour le froid environnant en resserrant son écharpe autour de son cou. Temps de merde, vie de merde. Ils arrivèrent finalement devant l'entrée et Maya lâcha Rose en lui demandant de se tenir à la grille le temps qu'il crochète la serrure. Quoique le voir se casser la figure aurait sûrement été délectable.
« Tout ce que tu veux… »
Il s'empêcha de justesse de lui lancer « Ma-ya », sachant qu'il aurait mis sa menace à exécution, et s'accrocha aux barreaux les plus proches. Puis il retourna la tête vers son ennemi et sauveur, le considérant des pieds à la tête sans aucune gêne, Maya n'aimait pas ça. Et il fallait bien admettre qu'il ne gâchait pas la vue, même caché sous ses vêtements amples. Et bien… la suggestion est parfois plus attrayante que le dévoilement total.
Attrapant un trombone qui traînait dans sa trousse, il se concentra sur sa tâche en essayant d'ignorer le regard de Rose. Ce qui était réellement difficile.
« Putain, arrête de me mater ! finit-il par s'exclamer quand le 'clic' de l'ouverture de la serrure eut retenti. »
« Oh, mais pourtant t'es très agréable à regarder… susurra-t-il en s'agrippant à la grille. »
Maya eut un sourire un poil sadique et, sans une once de remords ou d'inquiétude, poussa le côté de la grille sur lequel se tenait Rose.
Et évidemment, celui-ci ne put maintenir son équilibre précaire bien longtemps. Emporté par l'élan donné à la grille, il finit durement sa chute sur le sol, mais fit tout pour retenir sa douleur. Maya commençait à s'énerver, et il lui lança un regard flamboyant par dessous ses cils. Vu d'en dessous, il paraissait véritablement beaucoup plus imposant. Et il devait le lui faire croire. Simuler une faiblesse pour accroître son emprise sur lui.
« Oups, désolé, s'exclama-t-il platement avec un sourire qui contredisait ses paroles. »
C'était réellement jouissif de le voir ainsi par terre même si, au final, c'était Rose qui menait le jeu.
« T'en crevais d'envie… siffla-t-il en dégageant une mèche d'un geste négligent. »
Finalement, tout n'était qu'un jeu.
« J'avoue, sourit-il en refermant la grille. »
Il se pencha ensuite vers lui et lui tendit la main pour l'aider à se relever. S'il le laissait faire par lui-même, il n'était pas rentré.
Rose la fixa un moment, avant de tendre la sienne, et de plonger son regard dans le sien. Lentement, il resserra ses doigts sur sa main et se redressa comme il le put. Les bleus commençaient à protester, mais il ne fallait pas faire le difficile. Pas devant lui.
« Et c'est moi, la petite nature ? ironisa-t-il en le reprenant contre lui sans rechigner. »
Maya commençait à s'habituer à être aussi proche de lui.
Rose lui fit une grimace de mépris, sentant avec une impression particulière le bras de Maya glisser dans son dos pour le soutenir. Puis il passa son propre bras autour de ses épaules, pour éviter de faillir une nouvelle fois, et reposa sa main au niveau de la glissière de la veste de son porteur.
« Bon, t'es prête chochotte ? On peut y aller ? »
Plus vite il l'aurait ramené, plus vite il pourrait oublier cette soirée.
« On peut y aller… répéta-t-il lentement. »
Chochotte… On verrait bien qui serait le plus chochotte.
Maya lui lança un sourire mesquin et se dirigea calmement vers le quartier de Rose. Heureusement, il n'habitait pas très loin, ses nerfs étaient vraiment mis à rude épreuve.
Il arrêta de parler, préférant se concentrer sur le paysage qui défilait à une lenteur d'escargot sous ses pas hésitants. Il commençait à avoir mal aux côtes. Mais il était hors de question de faire ce plaisir à Maya. Négligemment, sans vraiment y penser, il commença à jouer avec la fermeture éclair, la remontant et la descendant selon ses envies.
« T'es vraiment chiant, c'est pas possible, soupira Maya en chassant sa main d'une nouvelle tape sèche. »
« Tu t'attendais à quoi Ma-ya ? lança-t-il en le regardant, les yeux plissés. Tu me jettes à terre, tu veux que je te remercie ? »
« Non. Mais ma fermeture ne t'a rien demandé. Et je ne t'ai pas jeté à terre, j'ai ouvert la grille. »
Il eut une moue exaspérée, mais resserra ses doigts sur la glissière.
« Tu te crois drôle, Ma-ya ? Ca devait être amusant… T'as quelque chose à te prouver, à jouer les gros durs insensibles et blasés ? »
Serrant les dents – il allait réellement finir par s'en faire sauter une ou deux – il s'écarta de lui, le plantant au milieu de la rue avec son sac, et fit demi-tour.
« Démerde-toi grande gueule. »
Il en avait plus qu'assez de son comportement de gamin capricieux. Il était bien plus bandant quand il la fermait.
« Et c'est moi la grande gueule ? ironisa-t-il. Tu comptes faire quoi, me laisser ici ? Et si je me fais chopper par je ne sais quoi, ça te fera rire ? »
Il rejeta sa longue chevelure blonde dans son dos.
« En fait je suis sûr que t'attends que ça… T'es frustré que ça ait été moi, pas vrai ? »
Il s'arrêta d'avancer, restant dos à lui en se mordillant la lèvre. Il était vrai qu'il ne pouvait pas le laisser ici sans risque. Il aurait dû le laisser sur le toit du lycée… Jetant un coup d'œil à son portable, il frissonna. Son père allait lui refaire le portrait… Il se tourna à moitié vers Rose, toujours au même endroit en équilibre instable, et il ne put se résoudre à l'abandonner là. Fichue conscience qui lui montrait son ennemi comme une pauvre victime alors qu'il pouvait très bien se démerder sans lui ! Il retourna près de lui sans rien dire, le prit dans ses bras sans douceur et se remit à avancer rapidement. Vivement qu'il l'ait déposé chez lui.
A moitié étonné, mais également à moitié satisfait de le voir revenir, Rose se laissa faire sans rien dire, un petit sourire sur le visage. Maya était simple à cerner, tellement simple. Un instinctif, troublé. Avec grâce malgré ses courbatures, il passa ses bras autour des épaules de son porteur et logea sa tête dans son cou, pour admirer ses traits fixes et en profiter.
Il marchait d'un pas raide et rapide, tourmenté. Il espérait que Mayumi était déjà couchée, il n'avait pas vraiment pensé à elle en acceptant le rendez-vous et il commençait à sérieusement angoisser. Et si son père s'en était pris à elle en ne le voyant pas revenir ? Il ne s'en remettrait sans doute jamais.
« Tu imaginais quoi, quand tu es venu ce soir ? demanda soudain Rose en chatouillant son cou de son souffle. »
Lui était loin de s'attendre à Maya, son pire ennemi. Il avait envisagé une soirée clandestine au lycée, voilà que maintenant il se faisait porter chez lui dans les bras d'un homme qu'il détestait. Ou était censé détester.
Il réfléchit un instant en frissonnant légèrement.
« A tout et rien. Je voulais passer du bon temps, point. »
« Et le fait que ce soit moi, ça t'en empêche, pas vrai ? souffla-t-il en attrapant une mèche. »
Difficile pour Maya de s'avouer qu'il pouvait désirer son rival.
Il soupira en lui lançant un regard noir.
« Sans doute. »
Bien que ce n'était pas si désagréable que ça de l'avoir contre lui. Ou alors était-il simplement en manque ?
« Pourtant, tout à l'heure, tu m'as embrassé… fit-il remarquer à voix basse, un sourire narquois sur les lèvres. »
Et ç'avait été loin d'être déplaisant.
Il ne pouvait pas se taire un peu…
« Oui. »
Et il aurait bien aimé ne jamais l'avoir fait.
« Pourquoi ? demanda-t-il en laissant une main se faufiler le long de son épaule. »
Il haussa l'épaule pour tenter d'en déloger sa main.
« J'en sais rien. »
Et c'était on ne peut plus vrai. Il avait agi sur un coup de tête, sans réfléchir aux conséquences. Il en avait peut-être juste eu besoin. Besoin d'un peu de reconnaissance et de contact physique moins douloureux qu'un coup.
Rose releva les yeux vers lui, et sa main caressa sa joue.
« Et ça t'a fait quoi, Ma-ya ? »
Lui, ça l'avait rendu dingue.
Maya cligna des yeux mais ne le regarda pas, crispant juste ses doigts sur le corps fin de Rose.
« J'en sais rien. »
Il avait adoré.
« J'ai eu mal tu sais, avoua-t-il en fixant son cou. Quand tu m'as coincé contre le mur. Mais c'était différent de la douleur habituelle. »
Et c'était vrai. C'était une sensation très bizarre, mais loin d'être déplaisante.
Il déglutit difficilement.
« Désolé, souffla-t-il du bout des lèvres. »
C'était comme s'arracher la langue. Est-ce que les autres s'excusaient après l'avoir battu ? Non, alors pourquoi il le faisait, lui ? Il devait être con…
« Depuis quand tu t'excuses, Ma-ya ? s'étonna-t-il avec un léger sourire. T'excuse pas. C'était pas si désagréable. »
C'était même plutôt bon. Et passe pour un fou.
Il eut un rire sinistre et glacial. Se faire buter ? Pas désagréable ? Voulait-il prendre sa place ?
« Ca te fait rire ? Pourtant c'est pas drôle, Ma-ya. »
Il eut un petit rire cependant et se redressa pour placer ses lèvres juste à côtés de son oreille.
« Mais c'est peut-être parce que c'était toi. »
« Si tu prononces encore une seule fois mon prénom de cette manière, je te balance dans le premier container venu et tu te démerdes pour en ressortir. »
Il allait craquer, la colère recommençait à gonfler dans sa poitrine.
« T'oserais vraiment me faire ça, Maya ? souffla-t-il alors sensuellement en effleurant son cou de ses lèvres. »
C'était si délicieux de le sentir s'énerver.
De la même façon qu'il était capable du pire.
« Arrête ça ! s'exclama-t-il. »
Il fit un brusque mouvement de tête pour se dérober à ses lèvres et relâcha doucement sa prise pour lui faire comprendre qu'il était prêt à le faire tomber.
« Nerveux ? demanda-t-il en s'éloignant, un sourire un brin moqueur sur le visage malgré les menaces. »
Il ne tenait tout de même pas à tomber une énième fois.
« Pas pour les raisons que tu imagines. »
Il poussa un soupir intérieur en tournant dans la rue de Rose et chercha le numéro de sa piaule.
« Pour quelles raisons alors ? C'est encore parce que c'est moi ? »
Il enroula l'une de ses mèches blondes autour de son doigt.
Maya ne répondit rien, Rose n'avait pas besoin de savoir qu'il s'inquiétait pour sa petite sœur seule à l'étage de chez lui et pour la raclée que lui mettrait son père. Il finit par repérer le 69 aux deux chiffres dépareillés et accéléra encore l'allure. Il s'arrêta finalement devant la porte et reposa son ennemi sur le sol.
« Soulagé ? taquina-t-il en caressant sa joue du bout des doigts en relâchant ses cheveux. Enfin arrivé à mon hôtel de luxe… »
Il haussa les épaules, je-m'en-foutiste, et chassa sa main. Son hôtel de luxe devait être plus agréable que le sien, sans doute moins sanguinolent.
« Je suis au premier, fit-il alors en récupérant son sac, dans un ton empli de sous-entendus. »
Il pourrait toujours essayer de ramper, mais ça serait nettement moins agréable. Les bras de Maya étaient plus confortables…
« Et qu'est-ce que ça peut me foutre ? »
Il était chez lui, qu'il se démerde maintenant !
« J'y serai pas avant demain, précisa-t-il en essayant d'accrocher son regard. Rappelle-toi, tu m'as frappé. »
« C'est con… souffla-t-il d'un air tout sauf compatissant. Et tu m'as cherché. »
« Tu veux que je rampe, c'est ça ? fit-il d'un ton légèrement provoquant. »
« Oh oui, vas-y ! s'exclama-t-il en imitant une jeune fille en chaleur. »
« Tu crois que je le ferai pas ? demanda-t-il en ouvrant la porte de sa maison, puis en déposant son sac sur le sol. »
Il le regarda faire en croisant les bras.
« Mais j'en ai absolument rien à branler. »
Il faisait ce qu'il voulait après tout, il avait d'autres chats à fouetter.
« J'en suis pas si sûr, Ma-ya. »
Il lui décocha un sourire, puis s'assit sur la marche de l'entrée. Rampant sur le sol comme un lézard, il sentait ses côtes protester avec violence, mais en fit abstraction. Sacrifier un peu de son intégrité physique dans le seul but d'asticoter Maya n'était pas pour lui déplaire. Il passait peut-être pour un imbécile, mais ses yeux ne lâchaient pas ceux de son vis-à-vis.
Il le regarda un instant avant de pousser un profond soupir. Il était réellement trop faible.
« Tu me fais pitié, soupira-t-il en venant l'aider, fermant la porte d'un coup de pied. »
« Je dois donc remercier ta pitié ? »
Gagné.
« Sans doute. »
Il passa un bras à sa taille pour le remettre sur pied et le souleva doucement du sol pour monter plus rapidement à l'étage. Il commençait à vraiment avoir peur pour sa petite sœur.
Rose eut un petit rire et s'agrippa à sa veste pour ne pas perdre le peu d'équilibre qu'il lui restait.
« Si ton groupe savait ce que tu étais en train de faire… »
Ce son l'électrisa et il crispa la mâchoire. Son ennemi se foutait ouvertement de sa gueule et ça le mettait dans une colère sourde.
« Qu'ils le sachent, qu'est-ce que ça pourrait bien faire ? cracha-t-il. »
Il posa un pied sur le palier et remit Rose sur ses jambes.
« Elle est où ta salle de bain ? »
« Deuxième porte à droite, répondit-il. Pourquoi ? Tu veux me noyer dans la baignoire ? »
« Je l'envisage sérieusement, grinça-t-il. »
Puis il inspira profondément en secouant la tête.
« Parce que t'as une tête de mort-vivant et que j'aimerais me laver les mains avant de rentrer chez moi. »
« Montre… »
« De quoi ? »
« Tes mains. »
« Pourquoi ? »
Rose leva les yeux au ciel, et soupira.
« Laisse. Moi. Voir. Tes. Mains. »
Il le lâcha et lui lança un regard glacé avec un air très mécontent.
« Si tu te casses la gueule, je chope une barre, siffla-t-il en lui tendant ses mains. »
Rose ne répondit pas, ne relevant même pas la remarque. Tout ce qui lui importait, c'était de voir ses mains. Ces mains qui avaient la force de le maintenir, tout autant que celle de le porter. Il se souvenait des sensations contradictoires qu'elles avaient fait naître. Douleur, plaisir, douceur, sécurité. Elles étaient tâchées de sang par endroit. Alors après avoir plongé son regard dans celui de Maya, il y apposa ses lèvres. Puis sa langue. C'était fade. Mais les battements de son cœur accélérèrent. Ce n'était pas comme avec les autres. Eux, ils n'avaient aucun goût, aucune saveur. Mais lui… c'était vivant.
Maya le regarda faire une poignée de secondes avant d'éloigner d'un geste sec ses mains de ses lèvres.
« Arrête. »
Il n'avait pas haussé le ton, ni même fait preuve d'agressivité. Mais tout dans son attitude reflétait la violence qu'il n'influait pas à ses mots.
« Qu'est-ce qui te gêne ? souffla-t-il sans le quitter des yeux. »
Le grand Maya aurait-il peur ?
La douceur de tes gestes. La tendresse, même infime, qui en ressort. Je te déteste de m'offrir des gestes aussi posés qui ne me font que davantage souffrir quand je rentre chez moi. Je te hais de me faire autant de bien et de me laisser ensuite crever du mal que je vis chaque jour. Mais tu ne comprendrais pas, si je te le disais, n'est-ce pas ? Alors Maya se contenta de le regarder fixement, sans bouger ni prononcer la moindre syllabe.
Rose eut un petit sourire, ferma lentement les yeux pour savourer ce moment de silence, avant de les rouvrir, et de poser ses mains sur les joues de Maya.
« Sincèrement, je ne t'aurais jamais cru aussi peu bavard. »
Il chassa les intruses de son visage en grondant, menaçant.
« Et je ne t'aurais jamais pensé aussi curieux, on est quitte. »
Et il le repoussa pour repartir, ça commençait à le gaver.
Rose eut un petit rire cette fois, puis l'engagea à le suivre dans la salle de bain.
« Le savon et le lavabo sont à droite, indiqua-t-il. Puisque tu veux pas que je m'en occupe… »
Serrant les dents et les poings, il hésita sincèrement à le suivre. S'il partait maintenant alors que Rose lui tournait le dos, il ne pourrait pas le rattraper. Seulement, un coup d'œil à sa démarche vacillante le fit renoncer à sa fuite et il le rejoignit en deux enjambées. Attrapant son poignet avec le moins de brusquerie possible – ce qui fut particulièrement difficile – il le tira jusqu'au lavabo, prit un gant de toilette au hasard, le passa sous l'eau et lui nettoya le visage. Ce n'était pas dans ses habitudes mais voir les traits fins de Rose barbouillés de sang commençait à sérieusement devenir dérangeant. Ça le mettait mal à l'aise.
« Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-il sans bouger, appréciant juste ce nouveau contact à sa juste valeur. »
Même s'il le savait parfaitement. Forcer son rival à parler l'amusait…
Il haussa les épaules. Ça se voyait, non ? Il n'était pas en train de faire des pompes…
« Je pensais pas que le grand Maya s'abaisserait à s'occuper de mon doux visage, ironisa-t-il. »
Il haussa un sourcil moqueur et eut un rire sans joie. Grand Maya ? Doux visage ? Il devait sans doute y avoir été trop fort au niveau des coups sur la tête.
« Ferme les yeux ! s'exclama-t-il soudainement. »
« A tes ordres, sourit-il, résigné. »
Il nettoya avec attention chaque centimètre de peau de son visage et de son cou puis se lava soigneusement les mains avant de tout ranger. Il fallait qu'il arrête de penser s'il ne voulait pas devenir fou et qu'il se dépêche s'il ne tenait pas à mourir sous les coups et blessures de son paternel.
Rose le regarda faire sans rien dire, puis finalement, s'empara de nouveau de ses mains sans lui demander la permission, remit un peu de savon entre les siennes, et entremêla ses doigts à ceux de Maya. Qu'il sente ses mains glisser entre les siennes sans violence. Les sensations étaient bien différentes que quand ils s'amusaient à se taper dessus dans la cour.
Il le laissa faire moins de trente secondes.
« Ne fais pas ça. »
Il laissa passer un temps.
« S'il te plaît. »
C'était trop dur à supporter.
« Pourquoi ? demanda-t-il en laissant une main remonter le long de son bras. »
« Parce que tu ne sais pas ce que tu es en train de me faire. »
« Et qu'est-ce que je te fais ? »
Il ne répondit que par un long silence, attrapant les poignets de Rose entre ses doigts. C'était douloureux d'avoir ce genre d'attentions délicates avant d'aller se faire casser la gueule.
« Ca te gêne que je fasse ça… souffla-t-il en regardant son visage fixe, mais légèrement tiré. »
Finalement, peut-être que Maya était un tendre derrière sa carapace.
« Oui, avoua-t-il avec réticence. »
Même si ce n'était pas totalement la vérité… Il était vrai qu'il aurait sans doute apprécié ses gestes s'il n'avait pas été dans cette situation.
« Quelle différence par rapport à notre conversation de tout à l'heure, sourit-il. Toi qui disais vouloir me montrer ce qui était vraiment bon, tu refuses que je te lave les mains… »
« Donner est différent de recevoir. »
« L'un est aussi bon que l'autre, souffla-t-il en se rapprochant. »
« Non. »
Parce que l'un finissait toujours par redevenir de la douleur et c'était bien plus horrible que d'y être confronté immédiatement.
« Tu aurais dit la même chose si ça avait été quelqu'un d'autre à ton rendez-vous ? demanda-t-il en plongeant ses yeux dans les siens. »
« Oui, souffla-t-il sans ciller. »
La personne ne changeait rien.
« Alors pourquoi tu es venu ? murmura-t-il près de ses lèvres. »
Pourquoi il avait voulu se risquer dans cette situation improbable ?
« Ce n'est pas parce qu'on refuse de recevoir qu'on n'a rien à donner, répliqua-t-il en essayant de rester aussi imperturbable que possible. »
Ce qui était particulièrement difficile en cette situation.
« Et tu as quoi à donner, Maya ? »
Il plongea son regard dans le sien et lui fit une pichenette sur le front. Il n'avait pas envie de répondre.
« Ôte tes lentilles et vas te coucher. Oublie cette soirée, oublie notre baiser, oublie ma venue chez toi. Oublie tes questions et oublie mes réponses. Dors, et oublie tout. »
Il attrapa une serviette pour s'essuyer les mains, la reposa, tira sur ses manches et se tourna vers la porte.
Rose plissa à nouveau les yeux, les dents serrées, et ne put s'empêcher de lancer une quantité conséquente d'eau savonneuse sur le fuyard, excédé. Il comptait partir ? Il se prenait pour qui !
« Et c'est tout ?! »
Maya se retourna vers lui, des traînées blanches s'étalant sur son pantalon et sa veste. Il lui lança un regard noir et froid avant d'afficher un sourire pernicieux.
« Bah alors mon petit, on éjacule précocement ? »
« Tu te crois drôle ? siffla-t-il. Tu joues les dragueurs, avec tes grands airs de "moi je peux te faire grimper au rideau en claquant des doigts", après tu me casses la gueule, tu m'embrasses, tu me casses encore la gueule, et je dois tout oublier ? Et tu crois que je vais dire amen, Ma-ya ? »
« Satisfais-toi de ce que tu as, et laisse-moi tranquille. »
Je ne suis pas la personne que tu crois, Rose. Alors ne me retiens pas. Ne me fais pas plus de mal encore, je t'en supplie…
« Désolé, Ma-ya, mais je ne me satisfais que du concret, et pas des paroles. Et tu me connais… »
Il secoua ses longs cheveux blonds et avança jusqu'à lui dans la mesure du possible pour empoigner le devant de sa veste.
« Je suis pas du genre à laisser les gens tranquille. »
Il le repoussa du plat de la main.
« Tu n'es pas en état de lutter contre moi, alors ne joue pas au con. »
Il avait une envie folle de mordre ses lèvres pulpeuses et son cou gracile, d'emprisonner ses mèches entre ses doigts pour le coller contre lui, de le plaquer contre le mur pour parcourir son corps de ses mains. Mais il ne pouvait pas faire ça, ce n'était pas le moment.
« Je joue peut-être au con, mais moi, au moins, je joue le jeu… Une proposition, je viens, je fais, je pars. C'est trop difficile pour toi peut-être… »
Maya était bien la première personne à le repousser, ça avait quelque chose de vexant, mais aussi de furieusement attirant. Il adorait ça.
« Non. Ce serait trop facile. Tu n'attends que ça, et je n'ai pas la moindre envie de te satisfaire. Et tout ceci n'est pas un jeu, ça ne l'a jamais été, et ça l'est d'autant moins depuis que je sais que tu es mon interlocuteur inconnu. »
Il attrapa les épaules de Rose et le renvoya vers le lavabo. Il n'avait plus de temps à perdre avec ces futilités.
Rose eut un sifflement méprisant en posant une main contre l'émail blanc, pour conserver son équilibre précaire.
« En fait, t'as juste pas assez de couilles pour le faire, même si t'en crève d'envie… souffla-t-il. Ca se voit, tu sais. T'as aimé m'embrasser. Et t'aimerais plus, mais c'est juste que t'assumes rien… »
Il avança droit vers lui et attrapa le col de son haut pour plonger son regard coléreux dans le sien.
« Tu ne sais rien de moi, alors ne dis rien. J'ai peut-être particulièrement adoré t'embrasser, j'ai peut-être envie de te baiser comme un chien, mais contrairement à toi, j'ai des responsabilités à assumer. Alors garde tes couilles dans ton froc, ça te changera. »
Il allait finir par lui exploser la tête contre le mur.
Rose répondit à son regard, son esprit en proie à une furie incommensurable. Mais il se laissa emporter par ses pulsions, agrippa le bord de sa veste et pressa son visage contre le sien, ses lèvres douloureuses contre les siennes. Après tout, il n'en avait rien à faire des remarques de Maya. Chacun assumait sa partie, on verra qui gagnerait au final.
Maya apprécia un instant le contact brutal que lui offrait Rose avant de s'écarter, le sang bouillant de rage, et d'envoyer à nouveau son poing dans la mâchoire de son ennemi. Pour qui se prenait-il cet enfoiré ? Il pensait pouvoir le dominer parce qu'il avait une belle gueule et embrassait divinement ? Mais qu'il aille se faire foutre par quelqu'un d'autre.
Cette fois-ci, Rose fit tout son possible pour encaisser, mais son état ne lui permit pas de résister bien longtemps. Le choc de Maya l'envoya valser en arrière et il se laissa tomber sur le carrelage, le souffle court, la mâchoire excessivement raide et douloureuse. S'il n'avait aucun bleu le lendemain – ce qui était absolument improbable – c'était un miracle. Mais il s'en fichait. Il se fichait complètement de son aspect extérieur. Maya était si manipulable…
Il se pencha vers lui, attrapant ses cheveux pour les tirer en arrière et le forcer à le regarder.
« Ne t'avise jamais plus de m'obliger à rester de cette manière. »
Il le relâcha brutalement en se redressant de toute sa hauteur.
« Ma petite sœur est peut-être en train de mourir chez moi, je vais peut-être crever, alors fous-moi la paix avec ta libido de merde et trouve-toi quelqu'un d'autre à manipuler ce soir. »
Il lui accorda un dernier regard. Un regard qui criait à l'aide si on prenait le temps de s'y attarder. Un regard douloureux dans lequel se mêlaient angoisse et désespoir. Mais un regard qui restait glacial si on le survolait simplement. Puis il sortit rapidement de la pièce, récupéra son sac au bas des escaliers et fila dans la rue pour rentrer chez lui.
Oh, mais c'était lui qu'il voulait manipuler, et lui seul, songea Rose en essuyant vaguement le sang qui dévalait son menton d'un geste de la manche. Qu'il le frappe autant qu'il le veule, il ne pourrait pas lui ôter cette idée, et cette envie, de la tête. C'était lui sa cible désormais. Par contre, il fut étonné d'apprendre qu'il pouvait avoir une famille. Il ne l'avait jamais connu que dans la cour du lycée, et c'était difficile d'imaginer Maya en grand frère attentionné. Ca ne changerait rien. Juste qu'il venait de lui livrer l'un de ses précieux états d'âme. Et un moyen en plus pour le soumettre à sa merci.
Une fois devant chez lui, Maya resta un instant appuyé contre le mur qui encadrait leur imposante demeure pour reprendre son souffle. Il avait mis plus d'une demi-heure en courant, ne connaissant pas de lignes de bus entre le lycée et son lieu de vie qui passaient encore à cette heure-ci, et la neige s'était mise à tomber entre temps. Il soupira, se faufila dans l'enceinte de la bâtisse et entra chez lui. Il constata avec stupeur que la porte du hall d'entrée n'était pas fermée, de même que celle du salon, juste en face. La première chose qu'il vit fut sa mère, à moitié défoncée et dévêtue, la pommette gonflée et bleuie, la lèvre sanguinolente, le corps meurtri, tentant de se redresser. Sans pouvoir se retenir, il eut une grimace de dégoût envers sa génitrice avant de relever la tête. Son père se tenait face à lui, raide comme un piquet et la mâchoire crispée de colère. Il faisait une tête de plus que son fils et devait peser près du triple de son poids. Autant dire qu'il avait la taille d'un monstre.
« C'est à cette heure-ci que tu rentres ? cracha-t-il. »
Il s'approcha de sa progéniture, ses yeux l'invectivant plus que n'importe quelle parole qu'il aurait pu prononcer. Maya ne cilla pas et ne bougea pas d'un cil. S'il faisait le moindre mouvement brusque, ce serait sûrement pire, et il n'aurait pas le temps de grimper les escaliers. De plus, ce serait l'emmener vers Mayumi et il ne le voulait pour rien au monde. Le poing de son géniteur s'écrasa contre son menton. Le choc le fit vaciller légèrement mais il n'eut pas le temps de s'en formaliser que, déjà, d'autres coups pleuvaient. Il sentit son arcade sourcilière se fendre sous une énième droite et le sang l'empêcha bientôt de voir de son œil gauche. Sa respiration sifflait, ses côtes étaient douloureuses, son corps protestait en le faisant gémir à chaque nouvelle attaque. Et il finit par tomber lourdement sur le sol, complètement sonné, n'arrivant plus à encaisser les coups de pieds qu'il recevait encore. Puis, il ne sait combien de temps plus tard, ni après combien de supplications, la tempête s'arrêta aussi brutalement qu'elle avait commencé. Maya resta un moment sans bouger, récupérant un minimum de forces, avant d'essuyer le sang qui obstruait sa vue et de se redresser légèrement. Son épaule droite devait être déboîtée aux vues de sa position étrange et de l'élancement violent qu'il ressentait. Alors, serrant les dents, il l'attrapa et la remit à sa place dans un geignement rauque. Il garda son bras contre lui et claudiqua jusqu'à l'escalier où il fit preuve d'un effort surhumain pour monter chaque marche. Et, enfin, il entra dans sa chambre et alla s'asseoir dans son petit coin à lui, près du bow-window. Il referma les rideaux pour s'enfermer dans son petit monde et se recroquevilla sur lui-même en tremblant. Un jour, il finirait par en crever.
Il resta un long moment sans bouger, jusqu'à ce que le bruit de l'ouverture de la porte et une petite voix ne brise le silence.
« Grand frère ? »
Il tira un peu sur le rideau pour voir sa petite sœur, debout dans l'encadrement de la porte, la peluche qu'il lui avait offerte serrée entre ses petites mains.
« Mayu, tu devrais pas être au lit ? demanda-t-il doucement. »
« Papa crie fort depuis tout à l'heure et maman pleure encore, j'arrive pas à dormir. »
Maya tendit les bras en avant, un sourire las aux lèvres.
« Viens là. »
Mayumi ne se le fit pas répéter deux fois et vint rapidement se loger contre le torse de son frère. Il poussa un petit soupir de douleur mais ne bougea pas, caressant les cheveux de sa petite sœur.
« Pourquoi tu saignes ? demanda-t-elle timidement en passant son index sur sa joue. »
« Ce n'est rien, je me suis juste blessé, grimaça-t-il. »
Elle se releva et lui tendit sa petite main.
« Viens, je vais te soigner. Et après, on pourra dormir. »
Maya lui offrit un petit sourire et se mit debout en attrapant sa main. Six ans, et elle devait déjà faire preuve de la maturité d'une adolescente. Haute comme trois pommes, elle veillait peut-être plus sur lui que lui sur elle. Ils entrèrent dans la salle de bain et Maya sortit de quoi désinfecter ses plaies et une boîte d'anti-douleur. Son épaule le faisait souffrir. Tout son corps, en réalité. Mayumi mouilla un gant de toilette et ôta tout le sang de son visage avant de le laisser se soigner lui-même, son grand frère refusant qu'elle touche aux produits pharmaceutiques. Maya pansa son arcade, prit deux cachets, attrapa la pommade pour plus tard et saisit la main de sa sœur pour qu'ils retournent dans sa chambre, retournant se blottir l'un contre l'autre dans le renfoncement du bow-window après avoir éteint la lumière et fermé les rideaux. La lune illuminait doucement leur petit cocon fait de coussins et de couvertures et les berça doucement. Mayumi s'agrippa à son frère de toute la force de ses petits doigts et Maya la garda contre lui pour la protéger de tout.
De son côté, Rose avait réussi à se relever avec les pires difficultés du monde, agrippé au lavabo pour ne pas tomber une nouvelle fois. Si ça se reproduisait, il allait avoir une déformation de la mâchoire… Avec lenteur, et des gestes précautionneux, il rinça tout le sang qui lui tâchait le visage, puis se traîna jusqu'à sa chambre. Il n'avait pas le courage de s'occuper du reste, il le ferait le lendemain. Avec moins de doigté que Maya… Il se laissa tomber de tout son long sur son lit et ferma les yeux en soupirant. Maya. Ma-ya. Il le reverrait. Il ne pouvait que le revoir. Ils devaient finir ce qu'ils s'étaient promis. Et Rose se jura de surveiller son ennemi de très, très près. La plus belle des cibles… Et la plus amusante.
Le week-end se passa comme tous les autres, banal. Son père passa en coup de vent et repartit vers une direction inconnue, comme d'habitude. Sa mère en fit autant, mais dans une direction différente, prenant juste le temps de s'assurer que Rose aurait assez d'argent pour la semaine, et repartit sans un mot de trop. Rose les laissa filer sans chercher à les rattraper, de toute manière, il ne sert à rien d'essayer de retenir du vent entre ses doigts, il finit toujours par s'échapper. Il passa donc son temps à panser ses plaies, notamment celle de sa lèvre, un sourire songeur sur le visage. Les marques de Maya étaient profondes, et les bleus un peu douloureux quand il appuyait dessus, mais rien de vraiment grave. Juste un élancement dans la mâchoire quand il mangeait. La pensée que c'était Maya qui lui avait infligé ça lui suffisait lundi fut beaucoup plus intéressant à son goût : Maya n'était pas là. Avec une désinvolture qui lui était propre, Rose adressa un regard provocateur à sa bande momentanément sans chef et vint s'installer dans son coin de cour habituel. Le territoire était vide de toute concurrence aujourd'hui. Ce n'était pas drôle. Rose passa une main le long de ses côtes et pressa la chair contusionnée avec un léger sourire. Maya était physiquement puissant. Mais mentalement particulièrement instable. Il fallait qu'il le revoie. Et s'il ne revenait pas au lycée, il le retrouverait. Il commençait à devenir une obsession.
Le mardi matin, toujours aucune trace du disparu, et ce fut en s'installant dos à son groupe que Rose apprit qu'il n'était pas le seul à se poser des questions. L'un des membres n'était pas d'accord pour aller voir Maya chez lui, un autre ne se prononçait pas, et les deux derniers voulaient absolument « enquêter ». D'après eux, c'était rare que leur « chef » reste autant de temps sans leur donner de nouvelles. Il fut donc décidé par les deux imprudents qu'ils sécheraient les cours de l'après-midi pour aller voir ce qu'il en était. Rose eut un sourire en coin. Il serait de la partie.
Il neigea pendant toute la durée du trajet, mais ça n'empêcha pas Rose de ne pas perdre le fil. Jamais il n'avait eu affaire à des « guides » aussi bruyants, ni aussi peu discrets. Ils étaient l'image parfaite des membres d'un même groupe : râleurs, un peu bagarreurs, mais pas dangereux. Malgré son long manteau noir, ils ne remarquèrent absolument pas que Rose les suivait à distance. Pourtant, noir corbeau sur neige, c'était difficile de le louper. Mais les deux insouciants continuaient de le guider vers sa cible. Sa proie. Son but. Le décor changeait à mesure qu'ils s'éloignaient de l'école, passant des quartiers ordinaires un peu tristes au large quartier résidentiel des riches de la ville. On se serait cru à Beverly Hills sans les palmiers, et la neige en plus. Rose fut un peu étonné de constater que Maya habitait dans un tel lieu. Il semblait qu'il garde quelques secrets en poche. Finalement, après avoir changé en tout et pour tout deux fois de ligne de bus, le dernier arrêt les laissa au bord du coin le plus chic, et les trois reprirent leur route, Rose à distance de sécurité. Un grand bâtiment en briques rouges attira son attention quelques minutes plus tard, et il constata en voyant les deux autres s'arrêter devant l'imposante grille que Maya logeait ici. Une grande baraque, classe, à l'entrée recouverte d'un épais tapis de neige. Voyant qu'ils restaient devant, il ne chercha pas à avancer plus, et resta campé au coin de la rue, en se grillant une cigarette. Il mettrait sa main à couper que Maya n'ouvrirait pas.
Bingo, songea-t-il en voyant les deux compères commencer à protester à voix haute. C'était couru d'avance. D'un geste négligent, il jeta sa cigarette et décida de faire le tour du bâtiment avant qu'ils ne repassent devant lui. Mieux valait momentanément éviter de passer par la porte d'entrée semblait-il.
Après quelques minutes d'inspection, Rose finit par trouver le point le moins haut du mur d'enceinte et décida enfin de passer à l'action. La porte était close ? Soit, il la contournerait. Il lança son sac de l'autre côté du mur, puis son manteau encombrant pour être plus libre de ses mouvements et commença son « ascension ». Ce n'était pas très haut, juste rendu glissant par la neige, constata-t-il en manquant de déraper en arrivant de l'autre côté. Avec grâce, il remit son manteau sans le fermer, révélant un haut rouge à col lacé, reprit son sac à l'épaule et parcourut tranquillement le jardin.
Sa première expérience en tant qu'envahisseur lui arracha un sourire en coin. Un prédateur à l'entrée de la tanière de sa proie, songea-t-il en effleurant la porte d'entrée qu'il venait d'atteindre. S'il l'ouvrait, une armée allait-elle lui tomber dessus ? C'était un risque à courir. Avec lenteur, sa main s'empara de la poignée, puis l'ouvrit dans un léger chuintement. A priori, rien à l'horizon… Tel un chat, il se glissa dans l'entrée et referma derrière lui. Tout était silencieux pour le moment. Rose décida alors d'avancer et arriva dans un long couloir qui lui coupa momentanément le souffle. Son « hôtel de luxe » était vraiment ridicule par rapport à celui de Maya. Et lui, où était-il ?
D'un pas lent pour éviter de faire claquer la semelle de ses chaussures, Rose entreprit la fouille de la maison et commença par les pièces les plus à gauche. Toujours commencer par un bout de couloir, pour éviter de perdre du temps. Il ne trouva qu'une vaste salle de bain, ainsi qu'une chambre, toutes les deux vides. Vu l'heure, les parents de Maya devaient sûrement travailler. Il continua donc et entrebâilla la porte suivante, celle en face de l'entrée. Et le spectacle qu'il y vit le cloua sur place. A seize ans, il en avait testé des pratiques étranges, hors normes, voire carrément glauques. Mais ce qu'il voyait là… Ca n'avait rien à voir. Il ne pensait voir ça que dans les mauvais films pornos, mais ça se déroulait sous ses yeux. Une femme blonde, au corps labouré d'ecchymoses et presque maigre, vêtue à peine d'un string en dentelle et de porte-jarretelles, chevauchait un homme qui jouait le jeu de la soumission. Rien de beau à voir, et malgré ses sentiments troubles envers Maya, Rose se sentit mal à l'aise envers lui. Silencieusement, il referma la porte et ferma les yeux pour effacer cette image horrible de sa tête. Il découvrit vaguement une cuisine en poursuivant ses recherches puis jugea bon de quitter le rez-de-chaussée. Il n'y trouverait pas Maya, c'était une certitude.
Le premier étage, bien qu'aussi vaste, était plus accueillant et fréquenté par un enfant encore très jeune, à en juger par les jouets et peluches qui jonchaient le sol par endroit. Bien que Rose soit totalement indifférent envers un décor enfantin, il se sentit mieux qu'en bas. Avec d'infinies précautions, il poursuivit ses recherches, qui finirent par le mener dans une chambre plus qu'étrange. Les murs étaient noirs, entièrement noirs, et encadraient un sol en lino rouge sombre qui semblait refléter la couleur rouge sang du plafond. On est en plein remake gore d'Alice au Pays des Merveilles… Rose avança un peu plus, convaincu que c'était la chambre de Maya, quand des accents de guitares électriques l'interpellèrent et son regard se dirigea vers une partie du mur. Intrigué, il déposa son sac dans un coin et avança. Des rideaux noirs, presque invisibles en comparaison du mur, semblaient cacher l'origine du bruit. Rose attrapa alors deux pans et les écarta. Une lumière vive lui écorcha les yeux. Mais il avait trouvé sa proie.
Maya passa son week-end avec Mayumi, les deux ne mettant pas un pied au rez-de-chaussée et se nourrissant de ce qu'il avait réussi à stocker dans sa chambre. Le lundi, il la déposa à l'école, passa s'acheter un nouveau iPod avec un casque puissant pour être entièrement plongé dans la musique et rentra s'enfermer dans sa chambre. Il alluma son ordinateur portable, bourra sa nouvelle acquisition de chansons et alla se recroqueviller dans son petit endroit, refermant les rideaux sur lui. Il resta ainsi toute la journée, sans répondre à son portable et finissant même par l'éteindre. Le soir, il alla chercher sa sœur, l'emmena acheter quelque chose d'un peu plus consistant que des barres de chocolat à manger et ils rentrèrent chez eux en vitesse, filant directement à l'étage où ils s'enfermèrent comme à l'accoutumée dans la chambre de Maya. Après leur petit repas rapide, Mayumi se lova contre son frère, serrant sa peluche contre elle.
« Bonne nuit grand frère. »
« Bonne nuit Mayu. »
Elle s'endormit rapidement et Maya l'enroula dans une couverture avant d'ôter son t-shirt pour masser son épaule ornée d'un hématome qui la recouvrait presque entièrement. Puis il reprit sa sœur contre lui et s'allongea calmement avant de s'endormir sur les cris et les pleurs de ses parents.
Le lendemain, il conduisit à nouveau Mayumi à l'école et rentra chez lui. Il ne pouvait pas aller au lycée avec sa dégaine. Sa lèvre était explosée sur le coin inférieur droit, son arcade fendue avait légèrement gonflée et virée vers une couleur violacée, son épaule le torturait, ses côtes lui faisaient tellement mal que sa respiration sifflait… Bref, rien de bien réjouissant et il n'avait pas envie de se montrer ainsi devant sa bande et encore moins devant Rose. Il brancha son casque sur son iPod et balança « Paradox » à fond. Il adorait cette chanson. Ramenant ses genoux contre lui avec difficulté, il appuya son front dessus et ferma les yeux, prêt à rester ainsi toute la journée.
Sa proie. Immobile, les yeux fermés, plongé dans son monde si… vulnérable. Il aurait suffi du moindre coup de griffes pour l'achever, mais il ne pouvait pas se douter que Rose viendrait le chercher jusque dans sa chambre. Prudent mais empressé à la fois, il referma les rideaux derrière lui et contempla le jeune homme qui lui faisait face. Comment un tel colosse du lycée pouvait donner l'impression de s'envoler au moindre soupir ? Maya semblait receler bien plus de mystère qu'il n'y paraissait.
En sentant un mouvement d'air et une présence subite près de lui, Maya releva brutalement la tête en s'écartant d'un brusque mouvement. Ses côtes protestèrent, son épaule hurla au martyr, sa tête lui tourna mais il ne s'en formalisa pas et dégagea son casque en lançant un regard noir au nouveau venu. Il constata alors qu'il s'agissait de Rose et fronça les sourcils, lui offrant un air surpris et peu amène.
« Dégage de chez moi ! »
« Après la galère que j'ai eu à te trouver, tu peux toujours aller te faire voir, répondit-il sans bouger d'un pouce. »
Depuis quand il avait l'air aussi sur la défensive ?
Il posa son casque et son iPod qu'il éteignit au passage sur la banquette du bow-window, serra les dents et tira sur les rideaux pour les ouvrir.
« Vire d'ici ! »
« Non, Ma-ya. »
Il était salement amoché… Et ce n'était certainement pas dans leur lutte de vendredi soir qu'il s'était récolté une arcade défoncée et une lèvre aussi explosée. On lui avait déjà dit qu'il avait des baisers de feu, mais quand même pas au point de laisser la lèvre de Maya dans cet état.
Il se releva violemment, grimaçant en sentant son épaule claquer, et se plia en deux pour supporter la douleur de ses côtes, la respiration coupée.
« Dé… gage, toussa-t-il. »
Il n'aurait pas dû rester autant de temps sans bouger, c'était encore pire à présent.
« Alors que t'es en train de crever sous mes yeux et qu'on risque de me taxer de non assistance à personne en danger, je crois que ça serait un très mauvais choix de ma part, dit-il. Tu devrais t'asseoir, au lieu de t'énerver sur moi. »
Et pour bien signifier qu'il ne partirait pas de sitôt, il retira son manteau tout en s'asseyant.
Reprenant son souffle difficilement, il pointa la porte du doigt avec hargne.
« Je ne veux pas… que tu restes… »
Pourquoi il ne voulait pas comprendre que ce serait pire si quelqu'un découvrait sa présence dans sa chambre ?
« Et moi je ne veux pas partir, comme ça on est quitte. Assieds-toi, insista-t-il de nouveau sans le lâcher des yeux. »
Ce n'était pas vraiment un ordre, mais il ne lui laissait pas vraiment le choix non plus.
Crispant la mâchoire, il se vit dans l'obligation d'obéir quand sa vue se troubla et qu'il eut réellement du mal à respirer. Alors il se recroquevilla à nouveau, tremblant légèrement. Il était d'un pathétique absolu.
« Dire que je me demandais pourquoi le grand Maya ne revenait pas en cours après notre torride soirée. Je crois que j'ai ma réponse, dit-il sans esquisser un seul geste vers lui. »
Le Maya était-il donc un animal aussi changeant, pour passer du prédateur à la proie ? Ou alors craignait-il un quelconque danger ?
« Fous-moi la paix. Je t'ai dit de m'oublier alors vas voir ailleurs si j'y suis, pesta-t-il en lui lançant un regard menaçant. »
Le Rose était-il donc un animal particulièrement collant et crétin pour ne pas comprendre qu'il devait dégager ?
« Tu es devant moi, ailleurs ne m'intéresse pas. Alors calme-toi, sans quoi tu vas vraiment finir par crever, et j'aimerais pas me retrouver principal suspect dans ta mort. »
Il lui balança un des coussins à sa portée au visage.
« Rien ne serait arrivé si tu n'étais pas entré dans ma vie, sors-en au plus vite. »
Menteur, lui chantonna sa conscience. Rien ne serait différent. Son père ne serait pas moins violent, sa mère ne serait pas moins une pute et sa sœur ne serait pas moins en danger.
« Une fois encore, la réponse est « non », répondit-il. Je fais ce que je veux, Ma-ya, et si j'ai envie d'être dans ta vie, tu auras beau me casser la gueule, je n'en sortirai pas, affirma-t-il d'un ton catégorique en prenant le coussin contre lui. »
Depuis qu'il avait eu cette altercation avec lui, tout lui paraissait beaucoup plus fade. Et une vie sans saveur, ce n'était pas drôle.
« Fais comme bon te semble, mais sors d'ici. Tu es chez moi et je t'ordonne de dégager. Et crois-moi, même si ça m'en coûte de te l'avouer, je dis ça pour ton bien. »
Il eut une grimace alors que l'image de son père s'affichait clairement sur sa rétine. Sa haine et sa violence en découvrant Rose, et ses coups comme punition.
« Et pour le mien aussi, murmura-t-il tout bas. »
« Ca a rapport avec ta gueule de boxer après un KO ? demanda-t-il en arquant un sourcil. »
Il voyait pourtant mal Maya se laisser faire par quiconque.
Il lui répondit d'un regard fixe et froid. Qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire, la tronche qu'il avait ? Ce n'était pas de sa faute s'il n'avait même plus la force de lutter contre son géniteur…
« Bingo, un point pour Rose, railla-t-il. Donc, je suppose que si je reste ici, un monstre surgi de nul part risque de nous faire la peau à tous les deux, c'est bien ça ? »
Il ne parla pas davantage et détourna la tête vers la porte avec vivacité, un bruit en bas ayant attiré son attention. Etaient-ce sa mère et son amant du jour, ou bien son père et sa mauvaise humeur rentrant du boulot ? Il priait pour que ce ne soit que sa mère, c'était bien moins douloureux. Juste vraiment écoeurant.
Rose tourna vaguement la tête dans la direction vers laquelle regardait Maya, un air traqué sur le visage, puis reporta son attention sur son vis-à-vis.
« Bien, nous disons donc, deux points pour Rose. »
Il laissa passer un silence.
« C'est tes parents en bas ? »
Un gémissement, pas de cris, ce n'était que les bruits des ébats sexuels des animaux qui traînaient au salon. Il reporta alors son attention sur Rose, les yeux vides et une mine indifférente sur le visage.
« Non. Seulement ma mère. »
« Je vois… fit-il d'un ton légèrement désapprobateur. Et ton père ? »
Ses parents à lui ne se voyaient jamais, mais il était certain qu'ils ne voyaient personne d'autre. Pas le temps de s'arrêter à ça, pour un courant d'air.
Il se contenta de crisper ses mains sur le tissu de son baggy, perdant son regard par la fenêtre. Sa mère était une chaudasse insatisfaite et son père un monstre sanguinaire. Et lui, qu'était-il au final ?
Le puzzle ne fut pas difficile à assembler et Rose eut un soupir désabusé en regardant Maya.
« C'est lui qui t'a fait ça, n'est-ce pas ? Et à ta mère aussi. »
Ceci explique cela…
Il plongea brusquement son regard dans le sien, mi-désabusé mi-mécontent.
« Tu as vu ma mère ? »
C'était pire encore que tout ce qu'il aurait pu imaginer. A présent, Rose avait toutes les cartes en main pour faire de lui sa marionnette.
« J'ai vu ta mère oui. Et son charmant compagnon également. »
Rien que d'y penser, il en avait des frissons. Lui aimait les plaisirs de la chair, mais pas de cette façon-là.
Maya eut un rire sinistre, sans aucune joie.
« Belle vie de famille, n'est-ce pas ? »
C'était sérieusement pitoyable.
« Elle mériterait une étude à elle toute seule. Enfin, j'ai les réponses à mes questions. »
Il ne s'était vraiment pas attendu à ça.
Et il devait tomber de haut. Qui aurait pu imaginer que le Maya sûr de lui et toujours prêt à se battre vivait dans un tel endroit ?
« Alors tu peux migrer vers chez toi à présent. Adieu, sourit-il froidement. »
« Non. »
Après tout, ce n'était pas son histoire qui l'intéressait. C'était lui tout court.
Il soupira fortement, contenant son envie de lui taper à nouveau dessus. La violence devait être dans les gènes. Il resserra un peu plus ses doigts sur le tissu de son pantalon et crispa la mâchoire. Comment Rose pouvait-il avoir une telle emprise sur son comportement ?
Rose rejeta ses cheveux blonds d'un geste négligent de la main et regarda Maya dans les yeux. Il n'était pas joli à voir. Mais diablement plus attirant.
« Tu saignes, annonça-t-il en fixant sa lèvre. »
« Qu'est-ce que ça peut bien te faire ? »
Après tout, ce n'était pas comme s'il n'avait pas l'habitude de voir sa lèvre en sang.
Rose eut un sourire en coin, mais ne répondit pas. Il avait le souvenir du goût du sang sur les mains de Maya. Et en tête, la façon dont il lui avait nettoyé le visage. Ce n'était pas désagréable…
Maya passa le revers de sa main sur sa lèvre et son menton pour essuyer le sang qui y perlait et reporta son attention sur l'extérieur enneigé.
« Pourquoi t'es venu ? »
Après tout, ça l'étonnerait qu'il soit venu pour prendre de ses nouvelles, il devait sans doute attendre quelque chose.
« Savoir pourquoi tu n'étais pas revenu au lycée après notre mémorable soirée. Pendant un instant, j'ai cru que tu avais peur de me croiser à nouveau, taquina-t-il. »
Et puis quoi encore ? Pourtant, il n'avait pas totalement tort ; il n'avait pas voulu lui montrer à quel point il pouvait être faible.
« Un éjaculateur précoce ne me fait pas peur, ironisa-t-il sans même le regarder. »
Rose haussa un sourcil amusé.
« Je crains fort que tu me sous-estimes, mais j'ai la nette impression que tu t'en fous royalement. »
« C'est très probable. »
Il n'avait qu'une envie : se débarrasser de lui pour écouter la musique tranquillement jusqu'à ce qu'il soit l'heure d'aller chercher Mayumi. Et pourtant, bien enfouie au fond de lui, une envie presque dévorante de le sauter lui bouffait l'estomac.
Rose eut un petit rire et s'approcha de lui à quatre pattes en souriant.
« J'en étais sûr, souffla-t-il à son oreille. »
Puis il passa un doigt léger sur sa lèvre, récupérant les traces de sang pour le porter ensuite à sa bouche. Toujours aussi fade. Mais c'était celui de Maya, cette fois.
« Complètement taré, souffla-t-il en secouant la tête. »
Puis il posa sa main droite sur son front pour le repousser mais son épaule claqua à nouveau et il serra les dents en fermant les yeux.
Rose continua de se lécher le doigt tout en le regardant, avant de se rasseoir correctement. L'épaule de Maya venait de faire un bruit pour le moins inquiétant.
« T'es blessé on dirait, constata-t-il. »
Et pas qu'un peu.
Il ne répondit pas, referma ses doigts gauches sur son épaule et la remit en place pour la deuxième fois en serrant un peu plus les dents, refusant de montrer à Rose à quel point il avait mal. Ca aurait été vraiment humiliant.
Celui-ci le regarda en fronçant les sourcils.
« Tu sais que tu devrais peut-être consulter… fit-il en fixant son épaule, alors que ses doigts lui démangeaient d'aller la tripoter. »
Il haussa une épaule et se leva pour aller récupérer le tube de crème sur son bureau. Ça n'aurait sans doute pas plus d'effet que de ne rien faire mais ça endormirait un peu la douleur.
Rose le suivit des yeux sans bouger. Ce type était peut-être encore plus résistant physiquement qu'il le croyait. Ou alors sacrément attaché à sa fierté…
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And that's all… ?
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