Prologue

« Les Lannister vous saluent »

La voix de Roose Bolton murmure encore au creux de son oreille lorsque Robb Stark se réveille brutalement, le corps perclus de douleurs, avec la certitude qu'il devrait être mort... qu'il était mort.

Il se redresse vivement, indifférent à la douleur dans sa poitrine et dans son cou, les yeux écarquillés et un cri de rage et de désespoir au bord des lèvres.

Mère, Talisa, son fils ! Morts, tous morts ! Poignardés, massacrés, trahis par Walder Frey, par Roose Bolton, le tout orchestré d'une main de maître par Tywin Lannister. Ah, le vieux lion des Pluies de Castamere porte décidément bien son nom !

Robb halète quand une douleur poignante transperce sa poitrine. Sa vision noircit et il entrevoit avec peine une ombre s'approcher de lui.

- Tu ferais mieux de rester allongé, Gardien du Nord. Toutes tes blessures ne sont pas complètement guéries.

Deux mains petites mais fortes appuient sur ses bras et l'obligent à s'allonger. Un pâle rayon de soleil tombe alors sur le visage de son sauveur et Robb sursaute presque de surprise. Il observe, ébahi, la créature qui se tient auprès de lui et qui vérifie ses bandages. Elle a un visage ovale, au menton pointu. Sa peau, foncée et marbrée comme l'écorce d'un arbre, est recouverte d'un étrange vêtement moulant fait apparemment de branches, de mousses et de feuillages cousus ensemble.

Robb tressaille lorsqu'elle applique un cataplasme exhalant une forte odeur d'humus sur ses blessures. Elle recouvre le tout d'une large feuille rouge, celle d'un weirwood, se rend-il compte, et croise finalement son regard: deux grands yeux dorés à la pupille fendue comme celle d'un chat. Il ose à peine croire ce que son esprit lui murmure.

- Que... vous êtes...

- Ton peuple nous a appelé les Enfants de la Forêt. Il ne reste plus qu'une poignée d'entre nous maintenant.

Robb sent l'incrédulité se heurter à ce que sa vue, son ouïe et son odorat lui affirment. Un Enfant de la Forêt... Comme dans les contes de la Vieille Nan. Mais en chair et en os.

- Je m'appelle If, poursuit l'Enfant.

Robb hoche la tête, la langue nouée. Son regard se détourne de la créature dont il peine encore à croire à la réalité pour observer l'endroit où il se trouve. Cela ressemble à une caverne. C'est sombre et seule la lumière pâle du soleil lui permet de voir que le plafond est constitué d'un entrelacs épais de racines. Le sol est en terre battue recouverte d'une épaisse couche d'humus et il est allongé sur une longue pierre grise.

- Où suis-je ?

- Sur l'Île-aux-Faces.

Robb retourne son attention sur If.

- L'Île-aux-Faces ? Mais... comment ?

- Les Greenseers ont vu ta mort dans le château de pierre des Jumeaux. Ils ont vu ce qu'il advenait du Nord, ce qu'il advenait de tout Westeros, si ta mort restait inébranlable. Alors nous avons décidé d'agir. Deux Greenseers sont allés récupérer les morceaux de ton corps dans les eaux de la Green Fork et t'ont apporté à moi, sur l'Île-aux-Faces.

À ces mots, Robb grimaça et porta une main à sa gorge. Les bords déchiquetés d'une cicatrice heurtèrent le bout de ses doigts. Son rythme cardiaque s'accéléra alors qu'il retraçait la cicatrice encore tendre qui courait tout au long de son cou, en faisant le tour.

- Ils m'ont décapité... comprit-il, consterné.

- Oui, confirma If. Et ils ont décapité le direwolf Grey Wind et ont cousu sa tête sur ton corps pour le faire ensuite défiler au milieu de leurs soldats, pendant que les bannières du loup gris brûlaient.

Robb ferma les yeux de douleur. Il avait espéré qu'au moins Grey Wind... Quelle folie. La folie d'un jeune roi fou.

- Et pourtant, je parle et je respire. Comment est-ce possible ? Est-ce que d'autres ont pu...

- Tu es le seul, Robb Stark, interrompit If. La magie qui t'a ramené est presque impossible à accomplir. Sur toi seul convergeaient les éléments nécessaires à ta résurrection. Parce que l'hospitalité des Anciens et des Nouveaux Dieux t'a été donnée, pour ensuite être bafouée. Parce que tu es un Stark, et que le sang des Premiers Hommes coule fort et puissant dans tes veines. Parce que tu étais un warg et lié au direwolf, emblème et totem de ta lignée. Parce qu'ils ont cousu sa tête sur ton corps, mêlant vos chairs et vos sangs... pour toutes ses raisons, nous avons pu accomplir les rites qui ont ramené ton âme et réveillé ta chair.

Les larmes coulèrent le long des joues de Robb et If s'éloigna pour lui donner un peu d'intimité et le laisser pleurer ses proches. Il était le seul survivant. Qu'on ne lui dise plus que le dicton « Un Stark ne vit jamais bien longtemps loin du Nord » n'était que superstition. Entre son grand-père Rickard et son oncle Brandon, morts brûlés et étranglés par les ordres du Roi Fou, sa tante Lyanna, morte de fièvre à la Tour de la Joie, son père Ned, décapité par un jeune roi tout aussi fou que le précédent, et lui-même, sa mère et sa femme, assassinés par les mains de ceux-là même qui leur avaient juré allégeance, il finissait par croire que la magie existait belle et bien mais sous une forme commune bien plus subtile et pernicieuse que le sous-entendaient les maesters de la Citadelle, le feu des dragons ou son extraordinaire résurrection.

Tout avait commencé à se déliter lorsque son père était parti à Kings Landing pour y mourir quelques lunes plus tard... Et que restait-il de l'ancienne maison royale des Stark désormais ? En l'espace de quelques lunes, une famille qui régnait sur le Nord depuis plusieurs milliers d'années avait été presque complètement décimée. Bran et Rickon étaient morts, tués, et leurs corps brûlés par Theon Greyjoy, qu'ils avaient pourtant accueilli dans leur famille et aimé comme un frère. Sansa était toujours à Kings Landing, seule, entre les mains de ces ignobles Lannister, et Arya était les dieux seuls savaient où, peut-être encore en vie, mais peut-être morte également et sans doute perdue.

Il ne restait plus que lui et Jon, qui s'était juré à la Garde de Nuit.

Les larmes de tristesse firent bientôt la place aux larmes de rage.

Frey... Bolton ! Meurtriers ! Parjures ! Traîtres ! Et pour quoi ? Pour l'affront imaginaire d'un mariage annulé et le pouvoir factice offert par les Lannister ? Comme ils devaient sourire et se réjouir au fond de leurs châteaux... Ils pensaient l'avoir tué et humilié, ils pensaient avoir détruit les Stark, ils se croyaient maintenant forts et invulnérables, eux qui avaient si brutalement mis fin à une famille vieille de huit millénaires! Mais il n'était pas mort, contre toute attente, contre les lois même de la nature, il avait survécu. Jon n'était pas mort, non plus. Et ensemble, ils vengeraient les ombres de leur famille, peut-être pas dans le feu et le sang des Targaryen, mais avec le froid mordant de l'hiver et les crocs impitoyables des direwolves des Stark.

Un sourire carnassier s'étendit sur le visage de Robb Stark alors que ses dents semblaient s'allonger et se faire plus tranchantes et aiguës. Ses yeux luisirent d'une teinte ambrée et loin de l'Île-aux-Faces, dans les forêts entourant Harrenhal désertée par les troupes de Tywin Lannister, le hurlement d'un loup retentit, puissant mais solitaire, sous le ciel rouge du crépuscule.