Chapitre I

Note De Tête

Ce monde est laid. Le pire c'est que moi, Severus Snape, j'en fais partie. Je marche dans cette rue où tout me semble vide malgré l'affluence qui y règne. Tout est vide. Le regard des passants, les paroles qu'ils échangent, leurs gestes d'amitié qui sonnent faux… Ils se désintéressent tous de la vie, fuyant dans une autre réalité où le bonheur ne peut les atteindre. Voyez cette personne qui en bouscule une autre. Pas une excuse, pas un reproche. De nos jours, personne ne fait plus attention à personne. J'avance à contre courant dans cette marée humaine. Tout autour de moi se décline dans des tons de noir, gris et blanc. Je ne dépareille pas avec mes habits couleur de nuit, mes yeux d'onyx aussi vides et froids que les leurs, ma peau diaphane telle celle d'un spectre, ou d'un homme qui a oublié ce qu'étaient vie et lumière, et mes cheveux noirs comme les plus profondes des ténèbres.

Oui, ce monde est laid, terne et sans vie. Mon exact reflet. Et j'en fais partie. La guerre étant pourtant terminée, l'on aurait pu penser que le monde serait à nouveau envahi par un besoin de rattraper le temps perdu, de vivre pleinement de nouveau, mais non. Il n'y a que ce vide, ce vide qui nous oppresse, qui m'oppresse. Comme si la fin de la guerre avait en même temps apportée la fin de toute vie. Même la communauté sorcière est dans le même état de paralysie psychologique. Pourtant, les sorciers devraient se réjouir les premiers de la fin de cette terreur dans laquelle ils vivaient en permanence. Ils devraient se réjouir de la chute du Lord Noir, de sa mort. Mais non, ce serait trop simple je suppose de juste prendre le temps de retourner à la vie. C'est déplorable de voir que ce monde a délaissé tout sentiment. C'est ironique de savoir que j'en viens à espérer que cela changera, alors que je n'ai moi-même pas de sentiments.

Je pense que ce que je m'apprête à dire est cruel mais, j'ose néanmoins. Je ne crois pas que le monde était prêt pour la chute de Lord Voldemort. J'imagine que les sorciers s'étaient confortés dans l'idée que le Seigneur des Ténèbres était dans leur vie. Quand il est mort, une partie de leur existence est morte avec lui. Je pense que les sorciers espèrent secrètement qu'il revienne une fois de plus à la vie. Les tortures, les meurtres, la peur, tout cela les faisait se sentir considérés, se sentir vivre. Il n'y a réellement que la douleur qui nous fait nous sentir vivants. C'est dans la nature humaine de ne se rendre compte qu'on a été heureux qu'une fois que nous avons été privés de cette joie.

Qu'est-ce qui nous pousse à vivre dans ce curieux paradoxe où l'on a besoin d'expérimenter la souffrance pour connaître le bonheur ? Je m'arrête sur le parvis de l'Eglise et lève la tête pour en contempler le clocher. Existe-t-il, comme certains le pensent, une entité supérieure à nous qui établit notre destin à l'avance ? Ces mêmes personnes se désintéressent-elles de la vie afin de ne pas succomber à une éventuelle tentation, les privant ainsi d'une félicité céleste ? Est-ce pour cela que ce monde est aussi inexistant ? Que de questions qui resteront sans réponse ! À moins que l'on ne les pose directement à quelques divinités… Je passe maintenant devant l'Opéra. Ce lieu me semble encore plus divin que l'Eglise elle-même. Demeure somptueuse aux décors flamboyants et luxueux, où les voix des sopranos, ténors et barytons font écho à celles des anges. Doux anges mortels dispensant tant bien que mal un peu de bonheur à des âmes vides et grises, qui ne connaissent sans doute plus la définition de ce mot depuis longtemps déjà.

Croient-t-ils eux-mêmes à ce bonheur, lorsque la grâce de leur voix s'élève vers les cieux dans un accompagnement symphonique de violons et autres instruments mélodiques ? Les portes de l'Opéra s'ouvrent, laissant se déverser sous ses arches une nouvelle marée humaine, qui vient grossir le flot d'âmes en peine. Je les observe s'agiter inutilement. Les ballerines côtoient les musiciens, les chanteurs parlementent avec les chefs d'orchestre. Ce beau peuple d'artistes arrive ensuite dans la rue où il se disperse telle une nuée d'oiseaux pourchassée par un prédateur. Je m'apprête à reprendre ma route.

C'est à ce moment que je la perçois. La. C'est une femme, j'en suis certain. Bien avant qu'elle ne franchisse les portes de l'Opéra, je capte déjà son parfum, apporté par quelques brises, qui m'enveloppe. Subtile fragrance, dont je ne pourrais donner la composition tellement elle est à la fois simple et compliquée à définir. Elle sort enfin du noble et brillant édifice, les bras chargés de ce que je devine être des partitions. Serait-elle diva ? À n'en pas douter. Que je sois damné par tous les Dieux et les Diables de cette terre. Un ange s'offre à mon regard. Je contemple ce qu'aucun mortel n'a jusqu'à présent jamais pu contempler. Si elle a la voix d'un ange, elle en a aussi le physique et le parfum.

Son visage fin et juvénile ne lui donne guère plus qu'une vingtaine d'années. Ses cheveux longs d'un brillant et onctueux marron foncé, secoué par cette brise matinale, auréolent son doux visage, avant de retomber en cascade dans son dos. Sa bouche est finement ciselée et est une divine offrande qu'aucun homme ne pourrait refuser. Sa taille est fine, ses courbes sont agréables et non pas outrageusement vulgaires, sa peau n'a rien à envier à la couleur du plus pur des marbres. Elle ne porte sur son visage aucune trace d'un quelconque artifice pouvant altérer sa beauté naturelle. Cette femme semble rayonner de bonheur. Elle semble comblée par la vie, comblée par l'amour. Elle irradie une telle aura de joie intérieure qu'elle éclipse tout ce qui l'entoure. Oui, cette femme est sans doute la seule personne en ce monde à être heureuse.

Et son parfum ! Qu'importe son physique, son parfum est à lui tout seul source de richesse. La déesse Aphrodite elle-même ne pourrait en porter de plus exquis. Sais-tu, petite innocente, comme tu es envoûtante ? Comment ton odeur pourrait rendre fou n'importe quel homme en ta présence ? Serais-je en train de le devenir moi-même ? Qu'importe, si ma punition pour avoir humé ton parfum est la damnation, alors que je sois damné sur le champ. Bel ange, luxurieuse succube qui s'ignore. Tu ne connais rien de ta beauté. Tu fais fi des regards qui se posent sur toi. Tu dois penser que ces compliments sont des pièges destinés à te leurrer. Me permettras-tu à moi, simple mortel sans vie, de te glisser quelques éloges à l'oreille ? Tu es souffrance chère. Souffrance pour le pauvre imbécile qui, comme moi, se prend au piège de ta senteur et ne pourra jamais espérer rien de plus que te regarder.

Tu t'avances dans ma direction. Mon cœur, faible organe, tressaute à ton approche. Je me prends à souhaiter que tu me remarqueras, que peut-être, te sentant observée, tu lèveras tes yeux vers moi. Si c'est le cas, ne prend pas peur de cet homme qui te fixe avec un regard brûlant de désir, d'admiration, de douleur, car je ne te veux pas de mal. Personne ne pourrait blesser cette incarnation de pureté que tu es. Non, ne prend pas peur de l'homme démuni et faible qui te fais face, je ne veux pas te faire souffrir, je veux te vénérer. Toi qui, en une bouffée de ton divin parfum, a réussi à rendre à ma vie le sens qui lui manquait. Jamais je n'aurai pensé que ce qu'il me manquait se trouvait dans le monde moldu. Jamais je n'aurai cru qu'une moldue puisse me réveiller de ma léthargie, alors que je vis depuis des années comme un mort. C'est miracle, et tu es forcément ange pour avoir réussi à accomplir cette tâche ardue.

Tu avances encore vers moi. Tous tes mouvements ne sont que grâce et élégance. Faut-il que les gens autour de nous soient totalement extérieurs à cette réalité pour ne pas avoir remarqué l'incarnation divine qui est parmi eux ! Tu es tellement près maintenant, si près. Je pourrais presque te toucher. Mais je ne le ferai pas, de peur que tu ne t'effaces, que tu ne te brises, que tu ne disparaisses. Je me contente d'essayer de capter ton regard dans le mien. J'aimerais voir ce que reflèteront tes yeux lorsqu'ils se poseront sur moi pour la première fois. Je voudrais posséder un peu du bonheur qui doit irradier tes iris, pour réchauffer mon cœur et apaiser mon âme. Fous tous les deux de contempler autant de beauté d'un coup.

Mais ce n'est pas du bonheur doux ange que je vois dans tes yeux. C'est de la tristesse. Une si grande et si profonde tristesse que l'on pourrait croire qu'elle nous appelle à l'aide. Qu'est-ce qui peut t'attrister de la sorte toi, l'incarnation du bonheur ? Tu ne supportes plus voir tous ces gens sombrer peu à peu dans le malheur ? Tu ne sais que faire pour les aider ? Un pauvre homme rendu fou par ta beauté t'aurait-il brusqué ? Dis-moi, révèle-moi la cause de ce chagrin, je ferai tout pour y remédier. Ordonne et j'obéirai. Tu seras mon nouveau maître. Non pas froid et cruel comme l'était l'ancien, mais doux et miséricordieux. Tout ce que je pourrais t'apporter pour te satisfaire, je te le donnerai avec plaisir. Quelques soient les sacrifices à faire. J'agis en égoïste en pensant cela mais, j'aimerais être le voile de peine sur tes yeux. J'aimerais être la cause de ta tristesse. Cela voudrait dire que j'ai suffisamment d'importance pour toi pour parvenir à te troubler.

Mais tu ne me connais pas, tu ignores mon insignifiante existence, tout comme tu ignores celle des autres. Pourquoi te soucierais-tu de moi ? Je n'ai rien à t'apporter, à part mes péchés. Tu me croises sans un regard. Ton parfum laisse se former une traînée délicate et éphémère derrière toi. Je me retourne sur ton passage. Détaillant la manière dont tes cheveux ondulent dans ton dos et les mouvements gracieux de ton corps à chacun de tes pas. Tu ne m'as pas remarqué mais qu'importe. J'ai pu pendant quelques secondes avoir l'honneur de plonger mes yeux dans les tiens. De magnifiques yeux chocolat, avec des paillettes d'or. Mais des yeux si tristes… Tu me fascines belle. Connaitrais-je un jour ta vie ? Me permettras-tu de me faire savoir ton prénom ? Diras-tu un jour le mien ? Je deviens fou ! Quelle utopie et quelle prétention de ma part de croire qu'un jour je compterai assez pour toi pour que tu m'appelles par mon prénom. Pardonne-moi cet écart.

Ton parfum agit sur mes sens encore plus sûrement que la plus pernicieuse des potions. Tu me possèdes par ta seule vue. Ton odeur immortelle est un poison. Elle s'infiltre dans mes veines, dans mon cœur. Je sais que je ne pourrais plus redevenir celui que j'étais avant. Tu es ma drogue. Plus mortelle que l'opium mais plus pure que lui. Tu es paradoxe. Est-ce pour mon bonheur ou mon malheur ? Saurais-je résister à l'envie de t'approcher davantage ? Ta seule vue me suffira-t-elle ? Seras-tu ma délivrance ou ma damnation ?

Je te vois sur le trottoir, tu hèles un taxi. Il s'arrête à ta hauteur. Je t'observe t'engouffrer dans cette machine qui bientôt t'amèneras loin de moi. Mais qui suis-je pour te retenir ? Tu es libre. Le taxi démarre. Je me sens dépérir à chaque mètre qu'il met entre toi et moi. Je pourrais tomber à genoux et te supplier de revenir. C'est comme si tu emportais une partie vitale de moi avec toi. Comme si tu amenais mon cœur. Je me contente de laisser une unique larme couler sur ma joue, témoignage de ma faiblesse. Déjà tu es partie, ne laissant derrière toi que ton parfum de Beauté.