Titre : De l'autre côté
Auteur : Aakanee
Base : Fake
Genre : AU, angst, h/c, drame, suspense, action
Warning : Prostitution, viol, torture, violence, langage et image crus
Rating : R/NC-17
Notes : Le vocabulaire est en rapport avec les sujets traités. Rien n'y est très graphique, mais suffisamment descriptif. Donc, si vous êtes sensible ou trop jeunes, ne lisez pas cette histoire.
Pour les autres, vous savez à quoi vous en tenir, je pense que le warning et le rating sont suffisamment explicites.
Un petit rappel : AU Univers alternatif : les mêmes personnages mais un univers un peu, voir complètement différent ; Angst souffrance moral des personnages ; H/C « hurt/comfort » ou comment torturer joyeusement un personnage et s'assurer que les autres viennent les réconforter par la suite
De l'autre côté
Le satin trempé collait à sa peau, marée noire s'échappant sur ses hanches pour couvrir une cuisse et une partie de son sexe là où une main l'avait négligemment jeté.
Un mouvement sur sa droite. Un froufrou de vêtement. Et un doigt effleurant sa joue. Il ferma les yeux et écarta la tête.
Le poids sur le lit disparu et une porte se referma sans bruit, emportant avec elle des pas étrangers. Silence pesant d'un après peu glorieux. Il frissonna lorsque l'air ainsi déplacé vint effleurer les gouttes de sueur qui roulaient encore son torse. Il n'eut cependant pas le courage de réajuster le drap. Soupirant, il roula sur le côté et attrapa de sa main libre la clef des menottes reposant sur la table de bois laqué. Il hésita un instant, soupira encore et la laissa retomber.
Tête enfouie dans l'oreiller, le bras douloureusement tendu, attaché au montant du lit, il laissa le temps s'égrainer. Il ne savait pas trop ce qu'il espérait à rester ainsi. Peut-être oublié. Pour un instant.
Sourire amer.
Oublié… Le corps nu et menotté ; les traces de dents, parfois sanglantes, laissées à la jointure de son coup ou sur ses tétons ; le sexe, le visage, le ventre et les fesses humides de sa propre semence et de celle de l'homme qui venait de le quitter ; et son flanc effleurant à chaque respiration les billets verts froissés qu'il lui avait laissé… oui, il pouvait oublié !
Il s'enfonça un peu plus dans le sac de plume et respira profondément. L'odeur était étrange, presque apaisante. Un mélange décalé de senteurs fleuries, de lessive, de tabac et de musc. Elle aurait été agréable si elle n'avait été teintée de ce parfum si particulier qu'avait laissé l'homme qui venait de partager son lit.
Il eut une grimace à cette pensée. Rarement encore, il avait du s'offrir à un être aussi répugnant. Le corps était beau pourtant, mais l'esprit… Il n'osait même imaginer ce qu'il dissimulait derrière son masque de pureté.
Levant son regard vers la fenêtre, il distingua à travers les rideaux les contours d'une lune pas encore pleine et tout juste levée. La nuit était à peine entamée et il avait encore de longues heures de travail devant lui. Se forçant à chasser ses pensées sordides, il reprit la clef des menottes et se libéra. Il lui fallu plusieurs minutes pour chasser la raideur de ses muscles trop longtemps tendus et grimaça en voyant l'affreuse masse violette qui marquait désormais son poignet. Il se redressa lentement, évitant de brusquer son corps un peu trop violenté et s'assit au bord du lit. Il avait rarement été autant endolori.
Son client n'y avait pas été de main morte. Pourtant, il était parvenu à calmer la plus grande partie de sa… « fougue ». Il faudrait qu'il voie avec Cassie à éviter ce genre de personnage. Ce n'était pas le premier, mais cela ne rendait pas son travail plus facile.
Dieu qu'il pouvait détester les gens de son espèce. Même les jeunes puceaux non expérimentés, pleins d'hormones, de peurs et de fantaisie, se révélaient moins pénibles.
Un bref coup frappé à la porte lui fit tourner la tête et il invita la personne à entrer d'un simple mot.
Le petit bout de femme qui fit son apparition sur le seuil de la chambre fit naître son premier sourire sincère.
Tida, comme tout le monde se plaisait à l'appelé, ou Mathilde de son vrai nom, n'était peut-être pas très impressionnante sur le plan physique, mais elle savait mener sa maison par le bout nez et pas un n'osait moufter en sa présence. Enfin… presque.
Un mètre cinquante à peine, tout en rondeur, un regard noir perçant, des petites lunettes dorées et une chevelure d'argent, il se plaisait à la comparer à une fée. Et bien que son métier ne pouvait vraiment le laisser croire, son cœur d'or, lui en avait offert le statu.
Gérante de l'hôtel qui servait de passe à tous les garçons et filles de Cass, elle avait su gagner le respect de chacun par son humour tranchant, sa juste fermeté et son intarissable générosité. Elle était aussi sévère que gentille et si elle en avait réprimandé plus d'un sur leur conduite, elle en avait également sauvé beaucoup. Il ne comptait plus le nombre de jeunes femmes qu'elle avait soutenu lors de grossesses où d'avortements, ni ceux qu'elle avait aidé à la découverte de leur séropositivité. Et ce n'était là qu'un maigre exemple de ce qu'elle faisait. Elle-même ancienne « fille de joie », elle connaissait les lois et les difficulté du métier. Ses peines aussi…
Parfois, il se demandait ce qu'il aurait fait si elle n'avait pas été là à certains moments de sa vie.
Il lui fit signe d'entrer et tira un bout de drap sur ses hanches. Pas qu'elle n'ait rien vu de son anatomie par le passé, mais son métier ne l'empêchait pas de conserver une certaine pudeur.
Il essuya également son visage.
Tida, l'accueillit-il.
Le petit bout de femme vint prendre place à ses côtés, passa une main dans ses cheveux en bataille et fronça un sourcil au vu des marques qui marquaient son corps.
Il n'y a pas été de main morte, se contenta-t-elle de constater, miroir de ses pensées.
Disons qu'il avait de l'énergie à revendre. Tu sais ce que c'est.
Elle soupira.
Oh, oui. Mais je dois reconnaître que je commençais à m'inquiéter. Trois heures là dedans…
TROIS HEURES ???
Humhum
Il secoua la tête, comme abasourdi.
A peine croyable !
Oui. J'ai bien cru à un moment qu'il ne me faille vous abandonner définitivement la chambre. Une de mes plus belles par-dessus le marcher.
Elle avait un sourire moqueur, mais il pouvait facilement lire l'inquiétude dans son regard. La chambre était le dernier de ses soucis, mais lui… Ca n'aurait pas été la première fois qu'un prostitué aurait été battu, voir tué, par un client un peu trop demandeur. Ce n'était pas courant, mais pas rare non plus. Bien que la plus part du temps il ne s'agisse que de bleus et de plaies.
Il s'efforça de la rassurer.
J'ai du me laisser emporter par sa fougue. Il avait un corps… hmm…
En vérité, il avait vu passer chaque minute et son étonnement avait été feint. Mais il ne lui avouerait jamais. Oh, bien sûr, il y avait trouvé un certain plaisir. Trois fois même pour tout dire. Mais celui-ci avait été purement physique (il y avait bien longtemps qu'il n'en avait pas connu d'autre) et teinté par la conception perverse de l'acte que l'homme avait.
A son plus grand soulagement, elle sembla se satisfaire de sa réponse. Il avait beau la considérer comme sa plus proche amie, parfois même un peu sa mère (bien qu'il n'irait jamais lui dire), il est des choses qu'il ne tenait pas à lui raconter.
Il préférait de mille fois la voir sourire.
Il eut un sursaut au cœur en voyant soudain son visage se fermer. Qu'avait-il pu bien encore faire ? Un frisson lui parcourut l'échine lorsqu'une main effleurer rapidement l'une de ses fesses et il soupira lorsqu'elle la lui présenta gluante de sperme.
Dee…
Il l'arrêta aussitôt. Il savait ce qu'elle devait penser et tenait à la détromper avant qu'elle ne se lance dans l'un de ses fameux sermons. Bien qu'ils soient très intéressants et pleins de bon sens, il n'était pas prêt à les entendre maintenant. D'autant qu'ils étaient inutiles.
Ce n'est pas ce que tu crois.
Ca y ressemble pourtant.
Je sais, je sais, mais je t'assure qu'il a utilisé un préservatif. Seulement… il n'était pas satisfait du résultat et a jugé que je serais plus… attirant ainsi.
Il eut un pauvre sourire.
Il a craqué la protection qu'il avait utilisée.
Tida ne dit rien, mais l'expression de son visage suffit à exprimer le fond de sa pensée. Il y avait fort à parier qu'elle aurait aussi une petite discussion avec Cass au sujet de certaines « faveurs ».
A son regard noir, il préféra omettre de mentionner certains « jouets » que son client avait apportés. D'autant qu'il avait réussi à le persuadé de ne pas les utiliser. Les menottes, seul apport de sa part, l'avaient contenté. Ca, beaucoup d'agilité et une énorme endurance.
Enfin, c'était terminé.
Tida lui tapota le genou avec empathie.
Tu devrais aller te laver. Je vais nettoyer la chambre. Si jamais Cassie ne te voit pas rapidement, tu sais ce qui va se passer.
Que trop malheureusement !
Aller file. La voiture d'attendra à l'endroit habituel dans une demi heure !
Oui maman, dit-il en l'embrassant sur la joue avant de se carapater pour ne pas se prendre une tape sur la tête.
Oh toi, grogna la gérante cachant difficilement son amusement.
Il lui envoya un baiser de la salle de bain et referma la porte avant qu'elle n'ait pu trouver un moyen de se venger.
A tâtons, il chercha la lumière du plafonnier et poussa le bouton. Le néon grésilla un instant, sursautant quelque peu pour enfin éclairer la pièce de sa lueur froide, lui donnant l'aspect macabre d'une morgue. Tout en carreau et en porcelaine blanche, les murs lézardés en plusieurs endroits, elle n'avait rien d'accueillant et rendait la réalité de son métier plus sordide encore. Pas de quoi puiser quelques réconforts, surtout après un client difficile. Enfin, elle possédait une douche et suffisamment d'eau chaude pour oublier cet à-côté morbide.
Ouvrant la porte de cette dernière, il se glissa derrière ses pans de plexiglas et ouvrir le jet à pleine puissance, retenant tout juste un glapissement lors que le flot glacé coula sur sa peau. Il se réchauffa vite et Dee le régla à un niveau acceptable, c'est-à-dire, pratiquement brûlant.
Saisissant une éponge et un savon neutre, il frotta avec vigueur sa peau pour éliminer toutes traces de sa récente activité. Il insista un peu plus que d'habitude, autant pour faire partir l'odeur écoeurante du parfum qui flottait sur lui, que pour échapper aux souvenirs de ses caresses.
Il ne montra de merci que pour les zones meurtries de son corps : sa poitrine, ses hanches et son sexe. Ce dernier était d'un rouge presque carmin, dommage causé lorsque son client, voulant retarder son orgasme, l'avait serré à pleine main. Il y avait mis tant de force qu'il avait bien failli perdre son érection face à la douleur. Il l'avait tenu ainsi pendant plusieurs minutes et lorsque enfin il l'avait relâché, le laissant venir, la souffrance avait été telle qu'il s'était demandé s'il pourrait encore éprouvé du plaisir.
Une chose était sûre, il resterait sensible pendant plusieurs jours. Il espérait juste que cela ne l'empêcherait pas de finir la nuit.
Rinçant les dernières traces de mousse, il prit le luxe de s'attarder quelques minutes de plus avant de fermer le jet. Il ouvrir ensuite la porte pour y passer un bras et saisir la serviette éponge qui pendait à côté. Il s'enroula dedans, laissant échapper quelques grognements lorsque l'air frais de la salle de bains effleura ses jambes nues et entreprit de se frotter avec vigueur.
Une fois bien sec, il sortit de la douche, raccrocha la serviette et entreprit d'enfiler les vêtements que lui avait laisser Tida. Il ne put s'empêcher de sourire devant son choix. Cette petite maligne semblait croire que seul le cuir noir pouvait réellement rendre hommage à ses charmes et elle ne manquait jamais de le lui rappeler. Comme à cet instant. Malheureusement… ces atours étaient une véritable torture à enfiler, surtout lorsqu'ils étaient tout juste à sa taille. Mathilde se plaisait à lui répéter « Plus ça colle, mieux c'est ! ». On voyait bien que ce n'est pas elle qui devait les passer.
Après presque dix minutes de bataille acharnée, essoufflé et un peu rouge, il parvint enfin à mettre le dernier bouton. Et dire qu'il devrait probablement les enlever dans les minutes à venir. Enfin, Tida avait raison. Le cuir moulé mettait en valeur les courbes de son corps finement musclé. Et sa couleur nuit, en accord avec sa chevelure, lui donnait un air mystérieux et un peu dangereux très apprécié. Le haut lui arrivait tout juste au dessous de la poitrine, laissant à la vue de tous, son ventre plat et son nombril et l'épais bracelet à son poignet était la petite touche provocatrice qu'il ne se lassait jamais de faire mouche.
Il ne lui restait plus qu'à se coiffer. Une main passer dans les cheveux et le tour était jouer. Ah oui, ne pas oublier, la chaîne en argent au bout de laquelle pendait une minuscule représentation de la vierge, une boucle d'oreille et deux bracelets du même métal.
Il s'inspecta une dernière fois et satisfait, délaissa la salle de bain.
Tida avait depuis longtemps quitté la chambre. Celle-ci, nette et bien rangée, ne laissait rien paraître des activités qui y avait pris place. De nouveaux draps bleu nuit recouvraient le lit, les protections usées avaient été jetées et le sol nettoyé. Seul le tiroir entrouvert de la table basse, laissant déborder préservatifs et lubrifiant, témoignait de son utilité. Il remarqua également que la paire de menottes avait disparu. Une manière bien à elle de lui dire de finir la nuit plus en douceur.
Une vraie mère poule.
L'argent avait été ramassé et mis en sécurité en attendant le dernier client, le pourcentage qu'il devait à Cassie déjà empoché. Il lui resterait suffisamment pour lui permettre de vivre et pouvoir effectuer une fois encore quelques achats indispensables.
En travaillant cinq soirs par semaines, il parvenait à s'en sortir sans trop de mal.
Ramassant le blouson pendu au dossier d'une chaise, il s'assura que ses papiers étaient toujours bien présents dans la poche intérieure, puis enfila t sa paire de botte et, après un dernier coup d'œil, referma la porte derrière lui.
Le couloir, marron foncé et recouvert de bois qui l'accueillit était à peine éclairé. Il donnait sur huit chambres, presque toutes occupées à cette heure-ci et fermées avec soins. Ce qui ne l'empêchait pas de percevoir distinctement les bruits qui s'en échappaient. Cris, grognement, souffle rauques, paroles graveleuses et grincement de quelques sommiers mal huilés. Une porte était resté grande ouverte, à la demande certaine du client, pour offrir un spectacle sur lequel il préféra ne pas s'attarder. Son lot lui suffisait.
L'hôtel se divisait en deux ailes, chacune donnant sur une rue et un quartier différent. Elles ne communiquaient qu'à l'aide de deux portes au rez-de-chaussée et au dernier étage et permettaient de séparer les « prostitués » des « prostituées ». L'hôtel offrait en tout pas loin de soixante chambres, toutes de standing moyen, mais bien supérieur aux trous sordides dans lesquels il avait fait ses débuts quatorze ans auparavant.
A trente ans, Dee n'était certes pas le plus âgés encore en activités, mais l'un des plus anciens à toujours exercer. La difficulté du travail, les maladies, le SIDA, avaient raison de beaucoup d'entre eux. Lui-même ne s'en était pas toujours tiré à bon compte, surtout à ses débuts. Il avait fait ses « premiers pas » au sein d'un des cartels les plus pourris de New York, au milieu de junkies et des tueurs. Peu d'entre eux s'étaient montrés tendres avec lui ou même simplement attentif à ne pas trop le malmener. Il avait été battu, presque violé, plus d'une fois et il avait reçu la visite du médecin, travaillant au noir, plus souvent qu'il ne préférait se le rappeler. Encore aujourd'hui, il s'étonnait de ne pas avoir fini dans un caniveau, drogué jusqu'aux yeux et le corps en lambeau. Il n'était pas passé loin pourtant et ne devait son salut qu'à Tida. C'est elle qui l'avait trouvé au bord du gouffre et avait su le mettre en valeur auprès de certains membres hauts placés de l'organisation. Une fois ses charmes et ses capacités appréciés à leur « juste » valeur, il n'avait pas fallu longtemps pour qu'il soit transféré d'une maison de passe sordide à des hôtels plus huppés. Il avait même pratiqué la monogamie un temps, lorsque l'un des fils du chef d'une pègre voisine l'avait trouvé à son goût. Il avait été alors offert en cadeau de consolidation de relations et n'avait été relâché à leurs bonnes grâces que six mois plus tard, une fois le gamin lassé. Le fait qu'il ait aidé à maintenir la paix entre les deux mafias locales n'était pas passé inaperçu et à partir de ce jour, il n'avait plus reçu que des clients « respectables ». Juge, avocat, policier, fils ou fille à papa, chef d'entreprise, un acteur même une fois et ce n'était qu'une petite partie de sa liste. Quelques uns étaient réguliers, la plupart tout au plus l'histoire d'une nuit ou deux, le temps d'assouvir quelques désirs secrets.
Cela ne le dérangeait pas outre mesure. Il aimait croire qu'il possédait une certaine liberté et ne pas avoir le même client deux fois de suite l'aidait à préserver cette illusion. Cela lui permettait également de ne pas s'attacher. C'était risqué de s'attacher, autant pour ses sentiments (le beau prince épousant la « servante » ou ici, le « servant », c'était bon pour les films, mais pas dans la réalité) que pour sa vie. Il était facile de devenir encombrant et les membres de la pègre avait un sens de la possession parfois un peu particulier. Mais cela fonctionnait dans les deux sens, car s'ils leur appartenaient, ils les protégeaient également, payant leurs amendes, leur évitant la prison et assurant un minimum leurs soins. Du moins, pour les plus chanceux.
Décontractant les muscles endoloris de ses épaules, il descendit les deux escaliers qui menaient au rez-de-chaussée d'un pas tranquille. Il avait encore quelques minutes devant lui et comptait bien en profiter. Il salua deux de ses collègues qui prenaient leur pose sur les marches, s'écarta pour laisser passer un couple visiblement très presser de sauter les préliminaires et fit un petit signe à la logeuse avant de sortir sur le perron humide.
Il avait plu une bonne partie de l'après-midi et si le ciel s'était dégagé à la nuit tombée, les rues n'avaient pas eu le temps de sécher. L'air était frais, piquant des première effluves de l'automne à peine fanées par la pollution et il le respira profondément. S'appuyant sur la rambarde voisine, il laissa son regard dérivé vers la voûte céleste, visible malgré les lumières de la ville et sortit un paquet de cigarette. Il ouvrit le papier, sorti un de ses rouleaux parfumés et tapota légèrement le bout avant de monter le filtre à ses lèvres. Il rangea le paquet et se mit à la recherche d'un briquet dans l'un de ses poches lorsqu'une flamme s'alluma devant lui. Un sourire en coin, il se pencha pour allumer son petit cancer personnel et leva deux doigts en signe de remerciement.
Ces trucs vont te tuer un jour.
Ca, la bouffe trop grasse, ma façon de conduire et le sexe.
Et ton pauvre sens de l'humour.
Ca aussi.
Son compagnon s'installa à ses côtés sur la barrière et referma les pans de son manteau sur son corps mince pour se protéger du froid. Matt ou Matthew avait toujours été un frileux. Même pas quarante degré à l'ombre, il était capable de porter un pull et de se plaindre d'être gelé jusqu'à la moelle, à la plus grande consternation de tous. Du haut de ses un mètre quatre-vingt quinze et quatre-vingt kilos, il dépassait d'une tête presque toute la maisonnée. C'était pourtant le garçon le plus doux et le plus timide qu'il lui avait été donné de rencontrer. Il n'avait d'ailleurs jamais compris comment il avait pu en arriver là, car en plus de son étonnante stature, sa chevelure rousse toujours en bataille et ses grands yeux gris cachaient un esprit vif et instruit. Il lisait à toutes ses heures perdues, allaient s'enfermer dans de petites salles de cinéma obscures où passaient des films d'art et d'essai et s'adonnait à la peinture abstraite. Il connaissait l'histoire et la géographie sur le bout des doigts et avaient une mémoire incroyable. Sans compter un sens logique qui l'incitait à relever tous défis mathématiques et le plus souvent avec succès. Ces particularités faisaient de lui, le garçon le plus aimé de leur petite société et celui sur lequel chacun veillait. Même après cinq passé à faire ce métier, il avait su gardé cet air d'innocence qui demandait à être protéger et aucun d'entre eux n'aurait permis qu'on le touche. Il était un peu leur espoir, car cette candeur, ils l'avaient tous perdue. Même lui. En particulier lui.
Orphelin, il n'avait pas pu accéder à la meilleure éducation possible, même si la mère Maria Len avait fait tout son possible. Et son entrée si jeune dans l'univers de la prostitution n'avait rien arrangé. Il était arrogant, beau parleur, avait la langue fourchu et un sens de l'humour acéré. Si ces traits lui valaient d'être convoité par beaucoup, ils ne lui attiraient pas que des amis. Et bien peu cherchait à voir derrière sa façade d'insolence provocatrice. Tida avait été l'un d'eux et Matt aussi.
Il pensait connaître le jeune homme mieux que personne, ce qui n'était pas beaucoup en vérité. Matthew parlait rarement de lui et de ses sentiments, ils ne connaissaient même pas son nom de famille, ni encore moins les raisons derrière son entrée dans la profession. Et depuis quelques mois, il avait cette profonde tristesse en lui, un poids qui semblait lui pesait. Comme en cet instant.
Il sentit les doigts glacés du jeune homme venir un instant effleurer son cou pour se retirer aussitôt.
Il n'y est pas aller de main morte.
Je dirais que c'est l'affirmation de la soirée, parvint à souffler Dee avant de partir à rire.
Hein ?
Ce n'est rien, excuses-moi. Il semble juste que cette phrase doive me poursuivre jusqu'au bout.
Matthew ne sembla pas plus avancé, mais il lui sourit néanmoins, de ce sourire si doux qu'on avait envie de l'embrasser.
Dee se racla la gorge.
Et toi ?
Toujours la même chose. J'ai comme le sentiment que vous faites tout pour que j'aie les garçons les plus doux et attentionnés.
Nous ? Jamais !
Dee !
L'exclamation avait une tonalité exaspérée non démentie par le battement de ses doigts sur la barre de fer sous son bras.
Je sais… je sais, mais que veux-tu, nous voulons…
Vous voulez me protéger ! Oui, j'avais compris !
Le ton fit grincer Dee.
Matt…
Non ! C'est bon je sais ! Je ne pourrais jamais vous changer de toute façon, alors autant m'y habituer.
Depuis le temps…
Ce devrait déjà être fait, merci je suis au courant !
Matthew !
Excuse-moi, c'est juste que…
Nous sommes pénible parfois ?
Dee lui attrapa la main pour lui réchauffer les doigts, faisait naître un petit sourire sur le visage de son ami. Il haussa un sourcil amusé.
Si seulement ce n'était que parfois !
Que veux-tu, y'a pas pire que la famille !
C'est ce qu'on dit.
Son sourire se fana quelque peu et il soupira.
Qu'est…
Tient, l'interrompit le jeune homme. On dirait que ton admirateur est revenu !
Dee suivit son regard et grogna, exaspéré.
Le jeune homme en question était un policier de la criminelle qu'il avait eu le malheur de croiser, un mois plus tôt, lors de son témoignage pour le meurtre sordide d'un prostitué dans le quartier. C'étais déjà le cinquième crime signaler près de leur hôtel. Trois clients et deux prostitués en six mois. Pourtant et étrangement, sa fréquentation n'en avait pas souffert. Il semblait que le désir de la chaire surpassait de beaucoup la crainte d'être la prochaine victime. Quand aux prostitués, ils avaient juste appris à faire plus attention. Ils n'avaient de toute façon pas le choix. Ils fallaient qu'ils travaillent et Cass n'avait aucune intention de laisser échapper ce bout de territoire bien trop rentable.
L'inspecteur… Adams - si sa mémoire était bonne - chargé de l'enquête à l'époque, avait pris sa déposition. Avec deux de ses collègues, il avait eu le « privilège » de découvrir la victime, ce qui avait fait d'eux des témoins de « première » importance, selon les propres dires du policier. Le jeune homme, pas timide pour deux sous, n'avait pas caché son attirance immédiate pour le prostitué et lui avait proposé, une fois l'interview terminée, de déjeuner avec lui. Dee avait accepté, sans trop savoir pourquoi. Peut-être le besoin de parler à une personne hors du milieu, de fuir un instant son atmosphère sordide. Mais depuis ce jour, il ne cessait de croiser l'inspecteur avec une régularité irritante. Certes le jeune homme était amusant, plein d'une gaieté et d'une naïveté rafraîchissante, mais il n'y avait rien à espérer entre eux. Ils étaient opposés en tout point et leurs métiers étaient un gouffre infranchissable qu'il n'avait aucune intention de combler. Peut-être pourrait-il le considérer comme un ami, mais rien de plus. Seulement voilà, Adams ne voulait pas comprendre et sa persévérance silencieuse commençait à lui porter sur les nerfs.
C'est pas vrai ! Il ne va pas me lâcher ! J'vous jure !
Il est amoureux !
Pitié non !
Son regard horrifié fit exploser de rire son compagnon qui lui donna une petite tape dans le dos.
Aller courage, ce n'est pas si terrible que ça !
Non, juste abominable !
Ca lui passera.
Dieu t'entende où je ferais quelque chose d'irrémédiable.
Matt se contenta de lui serrer la main.
Courage ! Moi je te laisse, ta voiture t'attend et je vois déjà arriver mon autre client.
Avant qu'il n'ait pu s'échapper, Dee l'attrapa soudain, prit d'un sentiment terrible et le serra dans ses bras. Matt hésita un instant avant de lui rendre son étreinte et coller sa tête au creux de son cou.
Ils restèrent ainsi enlacés quelques secondes, puis Dee le relâcha non sans reluctance.
N'oublie pas que nous sommes toujours là pour toi, ok ?
Je sais !
Bien ! Bon… ben… j'y vais avant que mon chauffeur ne s'impatiente, dit-il avec une étincelle de malice mêlée de gêne dans la voix.
Il sauta les quatre marches qui le séparaient du trottoir, jeta le mégot de sa cigarette qu'il n'avait finalement pas fumé, et passa sans un regard près du policier pour se rendre d'un pas confiant vers la voiture.
Matt le regard s'éloigner un instant avant de se détourner et passer la porte d'entrée d'un pas lent, son sourire maintenant fané.
Merci Dee, mais vous ne pouvez pas me protéger de tout.
Inconscient des paroles qui lui étaient adressé, le prostitué se pencha tout sourire par la portière ouverte de la Mercedes. Une main l'invita à y entrer et il s'installa sur une des banquettes avant de refermer la porte.
Madame le procureur général.
