Saison 2 après l'épisode 9 « Queen of Hearts »
AU
(Cora et Hook n'arrivent jamais à Storybrooke)
(Trois jours se sont écoulés entre la levée du Sort et la chute d'Emma et Snow dans la Forêt Enchantée)
OOO
Storybrooke
1. Dissension
« Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée. »
« De me laisser voir mon fils ? Qu'il vienne dormir de temps en temps dans son propre lit ? »
« Ce n'est pas aussi simple. »
« Aussi simple ? Je l'ai élevé ! »
« Et il est venu me chercher parce qu'il était misérable ! »
« Je l'ai élevé pendant dix ans, je suis toujours sa mère ! Est-ce que vous pouvez me rappelez où vous étiez pendant ce temps-là ? »
« Et le chausson aux pommes, on peut en reparler ?! Et l'état dans lequel est la Forêt Enchantée depuis le sort ? Et les morts ? Et – »
« Oh, alors c'est un procès ? Et c'est avec vos cinq minutes d'expérience parentale que vous pensez pouvoir mieux vous occuper d'Henry ?! »
« Au moins moi je n'ai pas failli le tuer ! Henry restera avec moi jusqu'à ce que je sois sûre qu'il est en sécurité ! »
« Vous ne pouvez pas – »
« Si, je peux ! C'est mon fils ! »
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Pourquoi les choses auraient-elles dû changer ?
Songer que risquer sa vie pour permettre à Emma Swan et Mary-Margaret de revenir parmi eux modifierait l'image qu'Henry entretenait d'elle n'avait été que pure naïveté.
Elle aurait mieux fait de laisser le sort faire son œuvre. Le puits serait devenu le tombeau de ces deux femmes qui ne faisaient que gâcher sa vie, encore et encore. Se débarrasser de cet idiot de David aurait été un jeu d'enfant et Henry n'aurait eu plus qu'elle, une nouvelle fois. Ils auraient pu reprendre leur vie, comme avant.
(Mais non. Non.)
Et si Cora avait été celle à sortir de ce foutu puits ? Depuis quand avait-elle davantage confiance en l'espoir et la certitude innocente d'un enfant qui n'avait jamais connu la douleur plutôt qu'en son expérience de la vie, de sa réalité froide et cruelle ?
Ironique, parce qu'au final, c'était bien Miss Swan et Miss Blanchard qui étaient réapparues. Peut-être simplement parce qu'elles étaient du 'bon' côté, et que le Destin et la Nature semblaient bel et bien favoriser et protéger les êtres qu'ils avaient choisi dès leur naissance.
Regina soupira, serra la tasse de café dans ses mains, ses yeux fixés sur le mur face à elle même si elle ne le contemplait pas.
Le pire, c'était que leur retour ne l'ennuyait pas autant qu'elle l'aurait souhaité. Sortir Emma Swan de sa vie semblait impossible, que ce soit de son propre fait ou du sien. La Sauveuse l'avait poussée pour l'éloigner du chapeau de Jefferson, avait été aspirée dans le portail à sa place, et…
Cette idiote.
Tout ça pour revenir, et écraser tous ses espoirs encore une fois.
De quel droit osait-elle l'empêcher de voir Henry ?!
Arrêter de penser à Emma Swan. Voilà ce qu'elle devait faire.
Et puis songer à l'autre femme lui rappelait irrémédiablement Daniel.
Daniel…
Les larmes lui montèrent aux yeux et elle serra la porcelaine un peu plus fort. Comment pouvait-elle être, après tant de choses, tant d'années, encore si fragile, esclave de ses émotions ? La simple pensée de son prénom la bouleversait. Ça ne faisait qu'un petit mois depuis qu'elle avait dû le laisser partir.
Le laisser partir. Voilà une formule bien poétique pour expliquer ce qu'elle avait dû faire.
Laisser partir. C'était tout ce dont elle semblait être capable à présent.
Daniel.
Et Henry.
Et…
Non. Arrêter d'y penser.
Elle s'invectiva mentalement contre sa faiblesse. Son regard effleura les chaises vides autour de la table et des souvenirs de son fils remontèrent.
Ce fils qui avait été bien prompt à quitter la boutique de Gold avec les Charmants pour aller fêter leur victoire et commencer leur vie parfaite. En la laissant derrière.
En oubliant que sans elle, deux d'entre eux seraient mortes. Oui, bon, elle avait contribué à créer le sort mortel. Mais elle avait changé d'avis, elle avait…
Cela voulait-il vraiment dire quelque chose ? Elle avait hésité, elle avait changé d'avis, elle avait risqué sa vie et est-ce que ça signifiait quelque chose, au fond ? Et toutes ces semaines avant cela, à accepter les décisions d'Henry, qui souhaitait rester loin d'elle, ne pas l'écouter, ne pas la voir, toutes ces fois où elle avait plié face à ses exigences pour montrer à quel point elle tenait à lui, à quel point elle voulait le voir heureux.
Et à quel point elle avait changé.
Elle se sentait différente. Ne prenait réellement la mesure de ce que des décennies à Storybrooke avaient fait d'elle qu'à présent, à présent qu'elle devait faire des choix.
Et elle avait fait les bons choix. Elle le savait. Sauver ces vies avait été le bon choix.
Mais avait-elle réellement eu raison ? Parce qu'au final, malgré tout, elle avait perdu ce petit garçon qu'elle avait élevé, qu'elle aimait plus que tout. Il avait choisi la mère qui l'avait abandonnée, la mère qui ne l'avait jamais voulu.
Quelle mère Regina avait dû être, pour qu'il lui tourne le dos aussi facilement ! Pour qu'il la raye de sa vie ainsi, du jour au lendemain. Cela faisait deux semaines depuis les évènements au puits, et son fils ne l'avait appelée qu'une fois.
Parce qu'il avait eu besoin de récupérer d'autres affaires.
Il n'avait échangé quasiment aucun mot avec elle, ne lui avait accordé presque aucun regard. Mais elle n'était que le méchant de l'histoire. Et le méchant devait disparaitre à la fin pour que les héros puissent être heureux.
Il était tellement dommage pour eux que le méchant en question avait été celui à leur offrir cette nouvelle vie, leurs noms, leurs maisons, leur ville entière. Les rumeurs qui couraient faisaient état d'une dissension dans les rangs des habitants au sujet de leur retour au pays. Beaucoup souhaitaient apparemment continuer leur vie à Storybrooke, malgré les difficultés que pourrait poser leur appartenance à une ville magique et cachée – et qui devait à tout prix le rester. D'autres, en particulier et sans surprise la plupart des royaux, des fées et des nobles, ne pensaient qu'à dénicher la solution pour repartir et reprendre leur ancienne vie.
Plusieurs grands noms se disputaient déjà la place de Maire, en oubliant qu'exercer à un tel poste demandait un certain nombre de connaissances que la plupart n'avait pas, sans compter qu'il s'agissait d'un siège qui ne pouvait être occupé que par une personne élue par la majorité.
Et Regina savait qu'à présent que tous étaient instruits, savaient lire et écrire et baignaient dans de faux souvenirs d'une éducation laïque et républicaine, les royaux rêvaient s'ils croyaient pouvoir rétablir privilèges et dynasties.
David l'avait lui-même constaté lorsqu'il avait tenté de rallier les gens à sa cause durant l'absence de sa femme et de sa fille. Seulement ses proches et son Conseil l'avaient suivi, les autres avaient tranquillement continué leur vie, ignorant avec joie les aventures et les déboires d'un des rois que contenait leur petite ville. Ce cher prince Charmant avait une forte tendance à oublier d'où il tenait ses origines, d'ailleurs.
Pour le moment, l'adjoint de Regina, Robert Johns, efficace ancien comptable royal, dirigeait la ville, et Regina ne pouvait que s'en féliciter. (Et ce même si l'une des premières choses que la Mairie avait faite avait été de la destituer, sans indemnités.)
Même si le sort avait initialement pourvu ses comptes d'une jolie somme, vingt-neuf années avaient bien entamé ce capital et Regina savait qu'elle ne pourrait pas rester éternellement sans revenus. Elle avait quelques bons mois devant elle, cependant, et se refusait à s'inquiéter d'un détail aussi trivial que son équilibre financier.
Pas quand d'autres choses occupaient ses pensées.
Entre ses doigts, son café était devenu froid. Le soleil allait se lever.
Elle entra dans la cuisine pour verser la boisson dans l'évier, rinça la tasse et alla enfiler ses baskets. Elle avait commencé à courir un an après être arrivée à Storybrooke, lorsque la sensation d'étouffement et de frustration avait manqué la noyer. Elle n'avait jamais arrêté, et depuis qu'une partie de la malédiction avait été brisée, elle courait presque tous les jours. L'exercice l'aidait à contrôler sa colère, à lui changer les idées, à maîtriser la magie imprévisible qui courait de nouveau dans ses veines.
Courir l'aidait à beaucoup de choses.
Mais pas à oublier qu'elle avait tout perdu pour un fils qui l'avait reniée.
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Il y avait un côté profondément calmant à se trouver au milieu des bois entourant Storybrooke. En premier lieu parce qu'ils lui rappelaient la Forêt Enchantée. En second lieu par qu'au milieu des arbres, elle avait l'impression d'être seule au monde.
Le sort semblait avoir immiscé dans tous les esprits que se promener dans les bois était tout, sauf une bonne idée. A présent que les gens avaient conscience que passer la frontière leur effacerait la mémoire, ils évitaient la forêt à tout prix. Personne ne savait exactement où se trouvait la limite en dehors des points évidents d'entrée et de sortie de la ville par les routes. En dernier recours, les quelques loups et autres animaux que le sort avait emmenés avec lui finissaient de dissuader les plus courageux. Et c'était sans mentionner les occasionnels loups-garous et autres créatures qui constituaient la face cachée de certains des habitants.
Mais rien n'inquiétait Regina.
Elle savait exactement où se trouvait la frontière de Storybrooke. Tout dans son être le lui soufflait. Les loups ne s'attaqueraient jamais à elle, car elle avait longtemps fait respecter la loi interdisant leur chasse dans l'autre monde. Elle connaissait la végétation par cœur et ne craignait pas ses dangers. Quant aux monstres s'y baladant occasionnellement, ils ne faisaient pas le poids contre sa magie. De ce fait, les bois étaient son domaine. Même si elle préférait la ville et la plage à ce lieu qui lui rappelait cette ancienne vie qu'elle exécrait, au milieu des arbres centenaires et délaissés elle avait presque sa place.
La magie dans son sang s'éveilla, chauffa, et elle accéléra un peu le pas dans un effort de contrôle. Même si elle avait finalement compris comment son pouvoir fonctionnait dans ce monde, il n'en demeurait pas moins instable, presque étranger. Plus difficile à cerner, bien plus facile à épuiser, et attaché à tout un tas de nouvelles règles.
Sans parler de l'autre petit… problème.
Justement, son souffle se coinça quelque part dans sa poitrine, bouleversant tout son rythme. Une douleur vive explosa dans sa tête, se diffusa dans ses veines et manqua la faire trébucher. Elle ralentit, s'arrêta et lutta pour contrôler la magie malsaine, imprévisible, qui polluait son sang et tout son système à cet instant.
Heureusement, cette fois la crise fut de courte durée. Son rythme cardiaque ralentit, ses voies respiratoires se dégagèrent et sa propre magie reprit le dessus. Elle toussa quelques fois encore et se remit en marche lentement, pour laisser le temps à son corps de s'habituer à ce changement de rythme. Il faisait frais, le soleil s'était levé, et seuls quelques oiseaux brisaient le silence. Et puis un petit air, étrangement chaud, vint lui caresser le visage. Etonnamment rassurant, il l'entoura, lui murmura à sa façon des paroles de réconfort, puis il s'évanouit.
Regina observa autour d'elle, mais ne ressentit ni la peur, ni la confusion qui l'avaient envahie la première fois qu'un phénomène étrange s'était produit, peu de temps après le puits. Elle avait appris à l'accepter, à le comprendre.
Et intérieurement, elle eut un rictus.
Quelle tête ferait ce cher Rumple s'il savait qu'il était très, très loin de connaître le sort qu'il avait créé et qu'elle avait jeté ? Que ferait-il, s'il comprenait qu'il n'avait absolument aucune emprise sur cette magie qu'il avait tant cherché à mettre en œuvre ?
Un lapin passa près d'elle, et elle reprit son chemin.
Personne ne l'attendait, mais elle préférait être rentrée avant que la ville ne se réveille.
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« Où on va mettre mon lit ? » demanda Henry en avalant avec enthousiasme ses céréales.
Emma lui sourit.
« Nulle part ici. Il n'y a pas de place. »
« On va devoir se trouver un endroit alors. »
Il était vrai que depuis que David les avait rejoints, l'appartement était bien trop étroit. Sans parler de l'intimité. Ils se marchaient sans arrêt dessus, et Emma se trouverait bientôt à court d'excuses pour éviter les deux autres adultes qui ne cessaient d'essayer d'avoir des conversations avec elle. Conversations qu'elle ne souhaitait surtout pas voir arriver.
« Le problème est que même avec les quelques déménagements, Storybrooke manque cruellement de logements libres, » lui rappela Emma.
« Je suis sûr qu'il y en a. Des familles ont été réunies, ça veut dire qu'il y a des endroits vides. »
« Apparemment, il n'y a pas autant de cas de séparations qu'on le croyait. Dépêche-toi de finir, j'ai dit à Ruby que je lui ramènerai ses DVD avant son service. »
« OK. Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ? »
« J'en sais rien. Faut que je passe au poste pour voir si tout va bien. Et puis on pourrait aller se promener sur la plage ? Voir le parc ? »
« On jouera à la console ensuite ? »
« Ouais, pourquoi pas ? »
« Cool, » sourit Henry en se levant. « Je voudrais aussi aller au centre équestre plus tard. »
David et Mary-Margaret avaient déjà quitté les lieux pour aller voir les nains, sans doute pour parler des quelques tensions dans la ville. Plusieurs altercations avaient eu lieu, certaines entre des royaux qui avaient été en guerre dans l'autre monde, d'autres pour différents règlements de compte. La ville n'était pas très grande. D'après ce qu'Emma avait compris, le sort n'avait emporté qu'un échantillon des habitants de quelques royaumes, et les monarques contre lesquels Regina avait eu une dent. Tous les autres étaient toujours dans leur monde d'origine, exilés au sud pour éviter les ogres.
Emma, elle, se tenait loin de toute cette folie. Elle ne souhaitait plus entendre parler de fées, de magie ou de princes. Ne voulait pas entendre dire qu'elle avait son rôle à jouer. Ne voulait pas avoir à faire aux deux personnes qui lui avaient donné la vie pour l'abandonner ensuite.
Tout ce qu'elle voulait, c'était la paix. Et son fils.
Lorsqu'elle arriva devant l'auberge dans laquelle vivait Ruby et sa grand-mère, elle fut surprise de voir les volets fermés. La boite aux lettres était détruite et il y avait d'étranges traces sur les murs, comme si quelqu'un les avait récemment nettoyés.
Elle sonna à la porte et Ruby la laissa entrer avec un petit sourire.
« Salut. »
« Hey. » Elle lui tendit le sac qu'elle tenait et qui contenait les films empruntés plus tôt dans le mois. « Tiens, je te ramène ça. »
« Merci. Comment tu vas ? »
« Bien, » répondit Emma en passant ses mains dans ses poches. « Personne n'a essayé de me tuer et je n'ai pas disparu dans un autre monde ces derniers jours, donc ça va. »
« Et où est passé ton sens de l'aventure, Emma Swan ? »
« C'était un cauchemar, pas une aventure, crois-moi. »
« Emma, j'ai grandi là-bas. »
« Désolée. »
« C'est rien, » s'amusa Ruby. « La Forêt Enchantée est très loin d'être un monde agréable. Mais il n'y avait pas que des mauvais côtés, tu sais. »
« Je n'ai pas vu de bon côté, personnellement. »
A ces mots, Henry se retourna vivement vers elle.
« Mais c'est notre monde ! Et on va y retourner, pas vrai ? »
Emma évita le regard du garçon, ne comptant aucunement entrer dans ce genre de débats. Le salon autour d'elle était plongé dans l'ombre, et elle jeta un coup d'œil aux volets clos.
« Je sais que le printemps débute seulement, mais il y a quand même un peu de lumière dehors. »
« C'est très bien comme ça, » contredit Ruby tranquillement.
« Je ne sais pas précisément ce qu'il s'est passé avec George, mais il n'est pas près de sortir de cette prison que les nains ont construite dans la grotte, tu sais. »
Quelque chose de sombre, de las traversa un instant le visage de son amie. Et Emma se sentit toute petite et bien jeune soudain face à cette femme qu'elle avait pourtant songé bien connaître.
« Je sais. »
« Ruby, qu'est-ce que – »
« Les gens n'apprécient pas beaucoup les créatures comme moi. Et ce n'est pas quelques paroles qui changeront cette mentalité. »
« Je pourrais – »
« Tu ne pourras rien faire. Une partie de la ville continue tout de même de venir se restaurer au café, donc il n'y a pas que des ignorants racistes ici. Dis-moi plutôt comment toi tu vas. »
« Ça va, » informa Emma, mal à l'aise. Elle se souvint brusquement des lignes qu'elle avait lues dans le livre d'Henry, sur le Petit Chaperon Rouge, sur son histoire. Mais ce n'était pas une histoire. Ces horreurs, Ruby les avait vécues. Son estomac se serra et elle lutta pour ne pas tourner les talons et fuir cette ville. « Contente d'avoir retrouvé mes jeans et le café. J'évite juste de me promener à découvert. »
« Ruby, dis-lui que c'est bien que les gens veulent lui parler. C'est un héros ! »
« Et toi, Henry, comment tu vas ? »
« Super ! David m'apprend à manier une épée et à monter à cheval ! Pour quand on sera dans notre château, tu vois. »
« Je vois, » répondit Ruby avec un sourire qui n'atteignit pas ses yeux.
« Oui, bon, » coupa Emma, de plus en plus mal à l'aise. « On va y aller. »
« C'est bientôt l'heure de l'école, » acquiesça l'autre femme.
« J'y vais pas. »
« Pardon ? »
Le regard que Ruby posa sur elle poussa Emma sur la défensive.
« J'ai cru ne jamais revenir. Et j'ai du temps à rattraper avec lui, alors on passe quelques jours ensemble. »
« Tu es rentrée depuis deux semaines, » rappela Ruby platement.
« Il ira bientôt. »
« De toute façon, on va partir d'ici. Ça sert à rien. »
Ruby semblait prête à répliquer. Peut-être à lui dire qu'à quelques exceptions près (pour la plupart royales), tous les enfants de Storybrooke continuaient à aller à l'école. Peut-être à lui rappeler qu'ils étaient très loin de savoir comment complètement briser le sort et retourner dans la Forêt Enchantée. Peut-être même souhaitait-elle lui dire à quel point il était important de s'instruire, que c'était obligatoire et que c'était une immense chance qu'elle-même n'avait pas eue.
Mais Emma ne voulait pas entendre toutes ces choses qu'elle savait déjà. Henry était si heureux ces temps-ci… C'était tout ce qui comptait.
« On se voit plus tard, Rubes. »
« Ouais. Plus tard, » répondit Ruby, avec un autre de ces petits sourires sombres que jamais l'autre Ruby, celle d'avant, n'aurait eu.
Emma s'éloigna doucement de l'auberge avec Henry, essayant d'oublier cette sensation de marcher dans les rues d'une ville qu'elle ne connaissait plus.
O
« On ne peut pas tout faire ! » s'exclamait Atchoum (ou Tom) en s'installant sur le canapé près de son frère, Timide. « J'ai la pharmacie à gérer, je ne peux pas passer mes journées à creuser pour trouver de la poudre de fées. »
« Et que dire à mes patients ? Je ne peux pas toujours garder le cabinet fermé, » informa posément Prof (Raymond).
« Nous avons tous des obligations, » résuma Joyeux-Patrick, en servant un verre de jus de fruits à Mary-Margaret. « Leroy et Walter vont devoir reprendre leurs postes à l'hôpital, je dois retourner enseigner au lycée, Franck et Mark ont le grand magasin, » énuméra t-il ensuite en désignant respectivement Grincheux, Dormeur, Timide et Simplet.
« Nous pourrions trouver un compromis, » proposa David avec un sourire.
« Un compromis ? » grogna Leroy. « Va dire ça à mon employeur. L'hôpital va nous virer si on ne se pointe pas demain à nos postes. La plupart des gens continue à vivre selon les lois et les règles de ce monde, et nous avons besoin comme tout le monde de notre chèque en fin de mois. »
« Et, hum, sans vouloir manquer de respect à qui que ce soit, euh… » Timide hésita une nouvelle fois, avant que son côté Franck reprenne le dessus. « Ce n'est pas exactement comme si les fées nous payaient nos heures. »
« Elles pourraient peut-être… »
« Et avec quoi ? » demanda Walter en étouffant un bâillement. « Les nones ne sont pas vraiment riches. »
« La Ville pourrait vous rémunérer. Nous pourrions en parler aux conseillers municipaux. Après tout, la poudre de fées nous sert à défendre Storybrooke et tous ses habitants, » rappela Mary-Margaret avec un soudain enthousiasme.
Archie, debout dans un coin, intervint prudemment.
« Outre le fait que les dégâts engendrés par les différentes querelles ont déjà coûté beaucoup à la Ville et donc aux contribuables, je me dois de vous rappeler que beaucoup d'habitants voient d'un œil méfiant le contrôle qu'exercent les fées sur leurs existences, surtout à présent que chacun d'entre nous a une nouvelle vie. La poudre de fées reste au contrôle des fées et d'elles seules. »
« Et Bleue nous a ordonné de venir travailler les soirs et les week-ends lorsque nous lui avons dit pour nos jobs, » précisa Leroy, dont le ressentiment envers Bleue apparaissait au grand jour. « Je suis né nain, mais ici je ne suis l'esclave de personne. »
« Grincheux ! » s'horrifia Mary-Margaret. « Jamais personne n'a dit une chose pareille ! »
« Je crois parler en notre nom à tous, » commença Prof doucement, « en annonçant que nous reprendrons nos activités normales dès demain. »
« Normales ? » répéta David.
« Nos entreprises et nos emplois doivent être préservés. »
« Je tiens l'une des deux seules pharmacies de la ville, » rappela Tom, « et la plus grande. Et les gars ont le seul supermarché de Storybrooke. Tous nos emplois sont importants pour la communauté. »
« Et ici, ils sont membres de cette communauté, » termina Archie doucement.
Doucement, Mary-Margaret hocha la tête. Oh, elle comprenait très bien la situation. Et son choix était clair, elle ne pouvait qu'accepter les demandes de ses amis.
Parce qu'elles étaient justes.
« Je comprends, » consentit-elle. « Mais vous êtes les seuls de votre race à Storybrooke, et nous avons besoin de la poudre pour nous défendre. »
« Contre quoi ? Contre qui ? La reine se fait très discrète et depuis que son sort a été brisé elle n'a rien tenté contre la population. Rumple se cache chez lui et personne ne l'a vu depuis des semaines. Les autres menaces potentielles n'exigent pas de poudre de fées, que je sache. »
« Je parlerai à Bleue. »
« C'est tout ce que nous te demandons, » sourit Prof chaleureusement.
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Regina s'était habituée aux réactions des gens les rares fois où elle sortait dans les rues en journée. Certains changeaient de trottoir, méfiants et haineux, d'autres lui lançaient un regard prudents ou au contraire évitaient de poser les yeux sur elle. Certains étaient curieux, d'autres indifférents. Rares étaient ceux qui n'avaient pas peur.
Mais parmi eux il y avait les quelques-uns qui, contre toute logique, la saluaient discrètement. C'était un signe de tête. Un regard. Un bonjour tendu. Des choses qui avaient stupéfait Regina et l'avaient plongée dans la méfiance. Puis les mois avaient passé, et elle avait compris que pour certains, cette nouvelle vie représentait une chance, une bénédiction.
Ce n'était en aucun cas ce qu'elle leur avait souhaité quand elle les avait tous maudits, et pourtant ils lui en étaient reconnaissants.
Quelle bande d'imbéciles.
Le fait qu'elle n'avait absolument rien tenté pour reprendre le pouvoir en ville, pour s'attaquer à Snow et à sa famille ou tout simplement pour passer ses nerfs devait fortement jouer en sa faveur également. Tous avaient conscience que ses pouvoirs étaient de retour, et contrairement à certains royaux qui ne se privaient pas pour faire entendre leur désir de récupérer leur place dans la société, elle faisait profil bas.
Parfois, Regina trouvait des choses devant son portail lorsqu'elle sortait courir, avant l'aube. (Pas sa porte, son portail. Personne n'osait pénétrer dans sa propriété.) Un panier de fruits. Du pain. Un petit bijou d'argent et de perles. L'une de ces figures faites de petites branches entremêlées qui symbolisaient des vœux de bonne fortune, de santé, de bonheur dans leurs anciennes croyances. Au départ, elle les avait tous jetés, ces présents. Puis elle les avait inspectés pour chercher toute trace de magie noire ou de poison.
Ils n'en contenaient jamais.
A présent, elle les acceptait. En partie parce que la nourriture était la bienvenue. Elle évitait de se montrer chez Granny ou dans les autres restaurants, et les commerces étaient tenus par ces satanés nains auxquels elle ne voulait surtout pas à avoir à faire.
C'était comme si la clique de Snow détenait soudainement tous les points stratégiques de la ville. De sa ville.
L'ironie du sort, sans doute.
Elle avançait en direction de sa maison et était presque arrivée lorsqu'elle sentit quelqu'un la suivre. Sa magie s'éveilla et le sort se forma dans son esprit. Le crétin qui était assez fou pour s'attaquer à elle allait le regretter amèrement.
« M-Madame la Maire ! »
L'appellation la surprit tellement qu'elle se retourna et en oublia son sortilège. L'homme avait la quarantaine, la peau bien pâle et le corps presque tremblant. Il serrait une vieille casquette bleue dans ses mains et avait le regard fébrile des gens fatigués et désespérés.
Ses yeux baissèrent face à elle et sa voix s'étrangla.
« Je veux d-dire, Votre Majesté. »
« Que voulez-vous ? » interrogea t-elle, immédiatement embarrassée par le son rauque et cassée de sa propre voix.
Un signe clair et évident qu'elle ne l'avait pas utilisée depuis des jours.
« Je… J'aimerais vous soumettre une requête, Votre Majesté. Si vous le permettez. »
Le sort et les années passées dans cette ville lui avaient procuré la connaissance de chacun des habitants de Storybrooke. Elle se souvenait de lui pour l'avoir vu au cours des dernières décennies entrer et sortir de sa boutique de vêtements pour hommes, mais son nom ne lui revint pas immédiatement. Geller ? Jeffer ?
Non.
Porter. Jack Porter.
« Vous n'avez pas à me soumettre de requête, » rappela t-elle d'un ton ennuyé et dur. « Je ne suis ni maire ni reine. Passez votre chemin. »
Sa surprise fut de taille lorsque malgré son évidente terreur il fit fi de son ordre et leva la main, comme pour la toucher, comme pour l'empêcher de partir. Il sembla se rendre compte de son geste et se figea, optant pour la retenir avec ses paroles plutôt que de risquer perdre un membre ou la vie.
« Non ! » Il leva ses yeux vers les siens. « Je… j'ai besoin de votre aide ! »
« De mon aide ? » interrogea t-elle, sa curiosité piquée.
« Ma fille… Ma fille est malade. »
« Storybrooke est dotée d'un excellent hôpital. »
« Ce n'est pas une maladie de ce monde, Votre Majesté. » Il avala difficilement quand elle lui lança un regard noir. « Madame, » se corrigea t-il.
Elle ne voulait en aucun cas que les royaux du coin assoiffés de pouvoir et de sang pensent qu'elle cherchait à récupérer son titre et à se créer un royaume. Sans son fils, elle avait perdu toute envie de se battre.
« Laura… Laura était partie se promener dans les bois, au-delà du Pont au Toll. Je lui avais bien dit de ne pas y aller ! Tout le monde sait que les bois sont dangereux. Mais elle avait tellement envie de se retrouver parmi les arbres de nouveau et… »
« Venez-en aux faits, Monsieur Porter. »
« Pardon. Pardon. Elle… Elle a touché une plante. Et depuis, depuis la fièvre l'a gagnée et ses yeux sont devenus tous blancs et elle… Personne ne peut l'aider. Cette plante, c'était l'Herbe du Rouge. »
Regina savait bien que certains aspects les moins plaisants de leur flore avaient été embarqués avec eux dans ce monde pour pimenter la forêt. Un autre moyen qu'avait le sort pour empêcher les habitants de s'approcher trop près de la frontière. Ce que cette Laura, l'imbécile, avait manifestement fait.
« Il existe un remède. Allez donc le chercher. »
Elle se détourna de lui mais il la retint une nouvelle fois, malgré son évidente crainte.
« Attendez ! Peu de sorciers sont ici, Madame. Très peu… Je ne saurai passer un marché avec le Dark One, et les fées… les fées ont refusé de me venir en aide. Pitié… Pitié, vous êtes son dernier espoir. »
« Les fées ont refusé ? » répéta t-elle, sans oublier de cacher sa stupéfaction.
« Je… » Il parut mal à l'aise. « Je ne suis pas, comme qui dirait, quelqu'un de très recommandable. Avant ! Avant cette nouvelle vie ! Il m'est arrivé de faire des choses… Les fées n'aident pas les gens comme moi. C'est de ma faute... Si ma fille meurt, je... »
Sa voix tremblait, et Regina sentit son cœur sombre se réchauffer, alors que la magie noire qui l'habitait encore lui susurrait de le laisser se morfondre dans sa douleur.
Mais elle comprenait cet homme. Son impuissance, cette colère que son chagrin couvrait sur le moment, l'amour qu'il avait manifestement pour son enfant.
Et si l'aider allait à l'encontre des souhaits de ces très chères fées…
« Rentrez chez vous. Essayez de faire baisser sa fièvre. Quel âge a-t-elle ? »
« Dix-sept ans, Madame, » souffla t-il, incrédulité et soulagement habillant son visage entier. « Elle fait cinquante-quatre kilos. Pas d'allergie. »
Elle hocha la tête, se détourna de lui et ignora ses paroles de remerciement.
Elle avait une potion à faire, et la plupart des ingrédients se trouvaient au cimetière, sous la crypte.
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Deux jours plus tard, quelques heures après qu'elle ait envoyé par magie la fiole de potion dans la cuisine des Porter, elle trouva devant sa porte (pas devant le portail) un joli bouquet de fleurs et un chèque qui devait représenter à peu près tout ce que Porter possédait.
Elle brûla le chèque, mais garda les fleurs qu'elle déposa sur la table de son séjour, avant de les observer pendant longtemps.
Ainsi, elle avait sauvé une vie.
Comme ça.
La potion avait été assez difficile à réaliser et lui avait pris près de vingt-quatre heures. Encore une chance qu'il lui restait des ingrédients rares pour la composer et qu'elle s'était souvenue dans quel grimoire retrouver cette recette particulière.
Et la jeune Laura vivrait.
C'était étrange. Elle ne se sentait pas différente. Ni mieux, ni pire. Elle avait sauvé la vie de cette adolescente sans rien attendre en retour, et c'était une chose noble. Quelque chose que les héros auraient fait. Que des gens normaux auraient fait.
Est-ce que Henry le croirait ? Elle en doutait.
Même s'il ne l'avait plus ouvertement insultée depuis qu'elle avait aidé Snow et Emma, il n'était pas venu lui rendre visite non plus. Sans doute la voyait-il toujours comme un monstre, et ce qu'il devait entendre là-bas ne devait pas arranger les choses.
Elle aurait pu l'appeler, chercher à le voir, mais ses tentatives passées avaient été vaines. La Sauveuse avait toujours été là, sur son chemin, et Henry avait paru indifférent (au mieux) à sa présence. Regina avait accepté ses décisions, mais ça ne voulait pas dire qu'elle était toujours prête à être trainée dans la boue par son propre fils.
Chaque fois qu'il la rejetait, elle mourait un peu plus. Ça ne pouvait pas continuer ainsi.
Un bruit soudain lui fit lever la tête. Les deux cadres photo contenant des images de son fils sur la cheminée avaient basculé sur leur face. Elle fronça les sourcils, regarda autour d'elle. Mise à part l'absence des miroirs (qu'elle avait retirés de toute la maison après le retour de la magie), le reste de la pièce était resté identique.
Il réagissait à son humeur, ce n'était pas la première fois. De semaine en semaine, il s'affirmait. Elle pouvait sentir sa présence partout dans l'air, dans chaque chose composant cette ville, dans la magie qui traversait les lieux.
Il n'était rien, et il était tout.
Elle se leva, rejoignit la cheminée, tendit la main vers les cadres. Se figea.
Il avait peut-être raison. Il fallait qu'elle arrête de se torturer. Elle n'avait pas été une bonne mère, et son fils avait fait son choix.
Les photos restèrent couchées et elle se dirigea vers le meuble contenant son cidre.
Elle avait sauvé une vie.
Il fallait fêter ça, non ?
Un sourire sarcastique se dessina sur ses lèvres, jusqu'à ce qu'elle le sente plus proche d'elle. L'air se réchauffa doucement, et son poste radio s'alluma. Une musique douce et enjouée emplie la pièce.
Apparemment, il pensait qu'effectivement, elle méritait de fêter ça.
Pendant une seconde, une seconde ridicule, elle se sentit moins seule. Pourtant il n'était pas une personne. Il avait peut-être une conscience, une certaine intelligence, plutôt primitive, mais il n'était pas quelqu'un.
Et malgré ça, elle se sentait moins seule.
Et une petite étincelle s'alluma en elle. Etrangère. Intrusive.
Ce ne fut qu'au cours de son deuxième verre qu'elle comprit que cette sensation inconnue, c'était de la fierté.
Pour la première fois depuis très, très longtemps, elle se sentait fière d'elle-même.
O
Le désir. Sa peau. Son odeur. Ses gémissements.
Son regard. Avant, pendant, après. Si expressif, si vulnérable, si humain.
La façon dont elle avait tout oublié à son contact. Pendant quelques instants, Emma avait été elle-même, et ça avait été enivrant, fabuleux.
Terrifiant.
C'était sans doute pourquoi les souvenirs la réveillaient au milieu de la nuit. Ils s'immisçaient dans ses rêves, hantaient ses pensées. Devait-elle se sentir honteuse ? Triste ? Furieuse ?
Tout ça à la fois. Plus. Moins.
Emma n'en savait rien. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle ne parvenait plus à oublier. Elle posa les yeux sur Henry, qui dormait paisiblement, et se demandait ce qu'il dirait s'il savait.
Mais il ne saurait pas, parce qu'il avait onze ans et que jamais elle ne lui en parlerait bien sûr, pas de ça en tout cas. En revanche, il pourrait apprendre sa lâcheté. Sa décision de fuir. Pour éviter les sentiments qu'elle avait pu aisément déceler dans le regard brun, éviter les complications, éviter les confrontations.
De toute façon, il y avait eu le chapeau, et sa chute dans l'autre monde, et depuis elle avait pris soin de bien garder ses distances.
Et Emma aurait aimé mettre tout ça sur le compte de son ignorance. Après tout, Regina et elle n'avaient jamais caché leur animosité, ni ce lien entre elles qui allait au-delà d'Henry. Il avait bien fallu que cette passion trouve une échappatoire autre que leurs mots cinglants et leurs brefs affrontements physiques. Que ce feu se concrétise physiquement presque malgré elles avait été comme inévitable. L'expérience, entre colère brûlante et désir incontrôlable, avait rapidement été balayée par la lumière du jour et leur guerre, ignorée par le Shérif et la Maire, passée sous silence.
Non, Emma n'avait pas su alors, le passé, l'histoire, l'identité de Regina, la sienne. Pas quand elle l'avait embrassée avec force la première fois, dans son salon, suite à une de leur dispute au sujet d'Henry, ou de la ville, ou d'un rapport, elle ne savait plus. Pas quand Regina avait essayé de lui résister, quelques secondes, avant de céder à ce feu qui brulait entre elles. Pas quand elle avait presque arraché sa chemise. Pas cette nuit-là.
Mais pour la fois suivante…
Le sort avait déjà été brisé alors. Aucune excuse pour cette fois-là. A part la colère, la confusion, la panique, et ce besoin de contrôler au moins une chose dans sa vie qui partait en morceaux, une seule chose…
Et cette chose avait été Regina.
Putain. Elle était tellement loin d'être cette Sainte Sauveuse qu'ils croyaient tous voir en elle. Tellement loin.
Cette ville la rendait dingue.
Elle se noyait.
O
Ruby aimait ces instants.
Elle avait repris un contrôle total sur son loup, et la magie étrange de Storybrooke lui permettait même de se transformer en dehors des nuits de pleine lune, ce qu'elle n'était pas prête à révéler à qui que ce soit hormis ses proches.
Outre les regards méfiants et apeurés qu'elle recevait de la part de certains habitants, il fallait qu'elle fasse avec les remarques des gens ayant une dent contre Snow et David. Elle était fatiguée de cette atmosphère, alors que tout pourrait être si facile.
Mais le calme n'était qu'une illusion. Même si tout le monde acceptait cette nouvelle vie, le fait qu'ils étaient piégés dans une ville fermée finirait tôt ou tard par rendre les habitants claustrophobes. Que feraient-ils alors ?
Ruby avait appris, difficilement, à aimer Storybrooke. Pourtant, le loup en elle hurlait pour de plus grands espaces, pour l'infini des terres. Ses courses dans les bois le contenait, mais elle savait qu'un jour ou l'autre, elle se sentirait elle-même trop à l'étroit.
Elle se demandait bien comment elle pourrait rester ici à jamais. Quelques années ? Avec plaisir. Dix ans, quinze ans, pourquoi pas. Au-delà… Il faudrait qu'ils trouvent le moyen de pouvoir quitter la ville sans perdre leurs souvenirs. Pour pouvoir visiter le monde, pour avoir des possibilités. Elle ne souhaitait pas retourner dans la Forêt Enchantée, mais son avenir ne pouvait se résumer à cet endroit, à ce café.
Un instant, elle se demanda bien comment Regina avait pu tenir sans devenir folle toutes ces années, coincée dans une boucle sans fin. Qu'avait-elle fait ? Avait-elle tenté des choses, comme dans les films ? Combien de fois avait-elle quitté la ville ? Juste une fois, pour Henry ? Plus ?
Ses souvenirs d'avant Emma restaient limités, elle ne parvenait à les trier ou à les saisir. Ces questions l'intriguaient, mais ce n'était pas comme si elle pouvait les poser à la principale intéressée.
Depuis le retour de Snow, la reine se faisait plus que discrète, en tout cas au centre-ville. Comme si les deux femmes cherchaient à tout prix à s'éviter, consciemment ou non. Ce qui, connaissant leur histoire, pouvait bien s'avérer être la réalité.
Et peut-être était-ce mieux pour tout le monde.
O
« Il faut qu'on fasse quelque chose. »
L'air troublé, David prit l'assiette qu'elle lui tendait pour l'essuyer et hocha la tête.
« Je sais, Snow. Mais si on la pousse trop, on risque de la perdre. »
« Elle ne peut pas vivre comme ça. Ce n'est pas Emma ! Cette ville risque de partir en morceaux sans shérif, les gens ont besoin de la voir. »
« Tout le monde est très occupé. Entre leur quotidien et tous ces débats dans le journal et dans les rues sur la façon dont on va vivre à présent… C'est déjà un miracle que ça se passe aussi bien. »
Snow haussa un sourcil et il haussa les épaules.
« Je dis juste que ça pourrait être pire, » se défendit-il.
« Ne dis pas ça ! » reprocha son épouse en lui envoyant quelques gouttes d'eau mousseuse avec la main. « Tu risques de nous porter malchance. »
« Superstitieuse ? »
« Ce doit être le côté Mary-Margaret en moi. »
« As-tu pris ta décision ? »
« Pour le siège au Conseil Municipal ? Franchement je ne comprends pas pourquoi ils me l'ont proposé. Et que ce soit Kathryn qui pousse pour que j'en fasse partie… »
« C'est quelqu'un de bien. »
« De meilleur que nous, c'est certain. »
« Snow… »
« Je sais… qu'on était sous l'emprise du sortilège. Mais nous avions notre libre-arbitre, on le sait tous les deux. »
Il hocha la tête, troublé mais digne.
« Elle nous a pardonnés. »
« Mais ça ne rachète pas nos fautes. »
Un petit silence s'installa durant lequel tous deux acceptèrent ce fait.
« En faisant partie du Conseil, » reprit David doucement, « tu pourrais aider les habitants. Beaucoup t'apprécient. »
« Je sais. Mais je ne veux pas semblée comme tous les autres qui cherchent à reprendre du pouvoir sur les gens. Et je ne veux pas envenimer les choses. Et puis, j'aime ce temps que nous avons ensemble. Entre l'école et le reste, on a si peu de temps… Je ne veux plus en perdre. Et certainement pas en reprenant un rôle de dirigeant que tous risquent de nous reprocher. »
« Mais ici, faire partie de la Municipalité, ce n'est pas diriger. C'est servir. »
Les mains toujours dans l'évier, elle se tourna vers lui avec surprise, et il continua de l'observer, honnête et bon et déterminé.
« Et s'ils veulent que tu en fasses partie, c'est qu'ils savent que tu prendras les bonnes décisions pour tout le monde. »
Elle tourna ces mots dans son esprit, hésita, resta un instant silencieuse.
« Peut-être, » finit-elle par murmurer.
O
Depuis la levée du sortilège qui l'avait figée dans une boucle sans fin pendant des décennies, la ville de Storybrooke subissait des changements, lents, sournois et discrets.
Ils prenaient vie grâce aux habitants enfin sortis de leur torpeur, et adoptaient différentes formes, pour la plupart néfastes. Une guerre froide entre deux clans opposés depuis des générations. La haine raciale entre les humains et les métamorphes. Les préjugés d'antan qui poussaient les Hommes à se mépriser. La lutte des classes, et la soif de pouvoir des anciens nantis. La soif de sang de ceux qui par le passé, dans un autre monde, avaient été de vrais monstres.
Toutes ces choses qui grondaient dans les entrailles d'une ville qui cherchait toujours un équilibre. Dans cette effervescence, les allers et venues suspectes passaient presque inaperçus. Les complots n'étaient que des murmures. L'ancienne magie noire pratiquée par une goule, un simple chuchotement.
Les habitants, sans exception, trop absorbés par leurs inquiétudes et leurs conflits, se montraient incapables de voir plus loin que le bout de leur nez.
Et pourtant, lui avait conscience de tout. Tout ce qu'il se passait. Tout ce qu'il se disait.
Partout. A tout moment.
Il veillait.
OOO
