On ira voir les étoiles
Chroniques de Pleine Nuit – Partie 1
Pairing : Johnkat / Rating : T (langage vulgaire, violence légère)
Note : Bonjour à tous ! J'ai finalement décidé de poster cette fic ici aussi, j'espère qu'elle vous plaira. Je l'ai commencée en 2013 et finie en 2015. Si vous préférez voir les pesterlogs en couleur, je vous renvoie vers la version AO3 (même titre, même pseudo) où vous trouverez également une illustration à la fin (et peut-être d'autres un jour ? Qui sait. Pas moi.) Pour ceux qui n'auraient pas fini Homestuck, comme c'est un univers alternatif il n'y a pas vraiment de risque à lire cette histoire, mais je conseille d'attendre au moins de connaître les 12 trolls principaux avant de commencer. Bonne lecture !
[EDIT : Chapitre corrigé le 10/2/2017]
Chapitre 1 : On est amis, non ?
...
La nuit était tombée depuis bien longtemps. Le ciel était noir, d'épais nuages masquaient les étoiles et seul un vague croissant de lune venait éclairer les environs. C'était une de ces nuits où l'on a l'impression que tout peut arriver, que des forces mystérieuses et ténébreuses se cachent parmi les ombres et n'attendent qu'à nous sauter à la gorge.
Ce qui était en partie vrai.
Allongé de côté sur les tuiles du toit où il se trouvait, sa joue appuyée contre la paume de sa main pour tenir sa tête relevée, un jeune homme à la peau grise et aux cheveux noirs regardait, immobile, à travers la fenêtre de la maison en face de lui. Passons l'effet de pseudo-surprise dramatique habituel : le jeune homme en question était un vampire. Il s'appelait Karkat Vantas, avait fait seize ans quelques mois auparavant, et son occupation principale du moment était d'espionner le garçon humain qui habitait dans ladite maison. Cette nuit-là, pour la troisième fois, il s'était installé sur le toit voisin afin de s'adonner à son petit moment de voyeurisme de la soirée. Comme les soirs précédents, il s'était levé de bonne heure — vers dix-sept heures et des poussières — pour aller s'installer à son observatoire en hauteur, attendant le moment où le garçon rentrerait chez lui.
L'humain en question, il l'avait aperçu pour la première fois trois nuits plus tôt, alors qu'il s'était posé sur un toit au hasard pour reposer ses ailes fatiguées d'une longue balade aérienne. Minuit était alors passé depuis un bout de temps, mais une chambre était encore allumée. Intrigué, Karkat avait jeté un coup d'œil et il l'avait vu.
Il était debout dans sa chambre, semblait chercher une occupation quelconque. Il avait la peau plutôt blanche et des cheveux noirs comme les siens. Il devait avoir à peu près le même âge que lui, et son visage était orné de deux grands yeux bleus innocents cachés derrière des lunettes aux verres carrés. Il était un peu maigre, assez chétif, mais son corps n'était pas désagréable à regarder pour autant. Malgré l'heure tardive, il n'avait pas l'air si fatigué et semblait au contraire plein d'énergie. Karkat en était un peu jaloux, lui qui avait tant de mal à se réveiller le soir et à s'endormir la journée, le manque de sommeil causant ensuite un état de fatigue presque permanent — ce qui, d'après son grand frère, serait la source de sa mauvaise humeur « hautement problématique. »
Pour en revenir à l'humain aux yeux tout bleus, Karkat, sans s'en rendre compte, avait fini par rester l'observer jusqu'à ce qu'il aille se coucher ; et même après, il l'avait regardé dormir un moment. Il faut dire que c'est un comportement assez typique chez les vampires. Lorsqu'ils trouvent une proie qui les intéresse, ils ne peuvent plus penser à autre chose. Ils sont comme captivés, et ne seront pas tranquilles avant d'avoir planté leurs crocs dans leur chair et goûté à leur sang.
Karkat, bien sûr, avait déjà connu cela plusieurs fois. Il n'est pas vraiment nécessaire que leur proie soit à leur goût pour qu'ils se décident à boire le sang d'un humain, et lorsque la soif est là, n'importe qui ferait bien l'affaire. Mais voilà, c'est toujours plus attrayant quand, en plus, la personne vous plaît. S'il y a une attirance physique, déjà, c'est tout de suite un plus. Mais si comme dans le cas présent, avec ce garçon à la peau blanche et aux yeux bleus, l'attirance était encore plus forte, un sentiment indescriptible, une sorte d'instinct qui vous pousse vers cette personne comme on vous pousserait d'une falaise sans vous laisser le temps de comprendre ce qui vous arrive… Si c'est ce genre d'attirance qui vous prend, alors boire le sang de la personne en question ne devient plus seulement un plaisir incommensurable : cela devient une nécessité.
Toutefois, Karkat n'était pas pressé. Il n'avait pas vraiment soif, son dernier « repas » remontant à seulement une semaine quand il pouvait facilement tenir un mois sans être réellement assoiffé — et au moins deux de plus s'il se résolvait à supporter la soif. Il ne voulait pas non plus s'y prendre tout de suite. Comme un chat qui voudrait jouer avec sa souris avant de la dévorer, il voulait observer le garçon encore un peu. Ce n'était pas chose aisée. Il avait beau ne pas avoir soif, il avait quand même envie de boire son sang. Mais il était curieux. Ce garçon l'avait intrigué il semblait différent des autres humains que Karkat avait vus. Les autres se contentaient de suivre un quotidien inchangé, sans jamais sortir de leur routine habituelle. Lui avait l'air totalement insouciant. Ou était-ce juste de l'inconscience ? Il restait la plupart du temps dans sa chambre, n'en sortant que pour aller au lycée ou bien lorsqu'il devait descendre manger avec son père. Il semblait vivre seul avec lui, poussant Karkat à se demander ce qu'était devenue sa mère. Ayant lui-même perdu ses deux parents très jeune et vivant seul avec son frère aîné et le lusus qu'ils avaient apprivoisé pour garder la maison, il s'était fait la réflexion que c'était peut-être une forme de compassion qui le poussait à s'intéresser à cet humain. Ou alors, il avait juste envie de boire son sang. Allez savoir.
Cette nuit-là, le garçon humain avait fini par aller se coucher plus tôt que les autres soirs. Karkat était resté encore une heure environ, l'observant dormir dans l'espoir qu'il finisse par se réveiller malgré tout, mais une fois certain que ça n'arriverait pas, il avait finalement décidé de s'en aller. La nuit venait à peine de commencer — il n'était même pas minuit — mais il préféra tout de même rentrer chez lui. Il n'y avait pas grand-chose à faire dehors mis à part observer les humains ou se balader au hasard.
Une fois de retour à son domicile, Karkat avança avec la plus grande précaution jusqu'à la porte d'entrée. Rentrer chez lui n'était jamais une tâche facile ; le moindre faux pas pouvait le mener à une rencontre qu'il préfèrerait bien éviter. Croiser son lusus, en soi, était déjà bien pénible, et si par malheur cela arrivait, il en aurait pour une bonne demi-heure avant de pouvoir calmer la bête à coups de faucille sur la tête et d'œufs de poisson lancés pour l'amadouer. Inutile de dire qu'il préfèrerait s'en passer. Mais le pire, le pire, serait de tomber sur son frère. Karkat ne voulait MÊME PAS y penser tellement l'idée lui glaçait le sang.
Karkat poussa doucement la porte et se faufila à l'intérieur. Retenant son souffle, il jeta un coup d'œil vers le salon. Aucun signe d'un des deux habitants. Avec un peu de chance son frère serait sorti, mais il valait mieux ne prendre aucun risque. Les conséquences étaient trop importantes pour qu'il puisse se le permettre. Son lusus, en revanche, s'absentait plus rarement, surtout s'il était seul : il fallait bien quelqu'un pour garder la maison, avec tous ces dangers autour… On n'est jamais à l'abri d'une attaque d'un lusus sauvage ou d'un autre groupe de vampires. C'est le risque lorsque l'on fait partie d'une espèce aussi violente. Mais Karkat ne s'en plaignait pas ; au contraire, il admirait et respectait les vampires pour leur cruauté et leur instinct de meurtre. Il était fier de faire partie d'une race aussi digne, et si sa position dans la hiérarchie vampirique avait été meilleure, il aurait probablement entretenu l'espoir de rejoindre les rangs de l'armée impériale un jour.
Le jeune garçon monta les marches de l'escalier une à une, le plus lentement possible pour ne pas les faire craquer. Il fallait juste qu'il atteigne sa chambre. Une fois dedans, il serait tranquille. Son lusus n'y rentrait jamais à moins qu'il n'y sente un danger. Quant à son frère… eh bien, tant qu'il n'avait rien à se reprocher, il ne venait généralement pas l'embêter de lui-même. C'était même devenu une sorte de jeu entre eux — le côté amusant en moins. Tant que Karkat parvenait à l'éviter, son frère le laissait en paix. S'il n'était pas assez discret et se faisait remarquer, en revanche, il pouvait dire adieu à sa tranquillité pour les prochaines heures.
Karkat abaissa lentement la poignée de sa porte et la tira doucement vers lui, l'ouvrant juste assez pour s'y faufiler avant de la refermer peut-être un peu trop rapidement — mais peu importe : il était dans sa chambre, à présent. Un long soupir s'échappa d'entre ses lèvres, lui faisant au passage réaliser qu'il avait retenu sa respiration tout ce temps. Il se laissa tomber sur sa chaise de bureau, allumant son ordinateur tout en tirant vers lui un paquet de bonbons entamé, fourrant une poignée d'oursons gélatineux dans sa bouche. Il ferma les yeux et laissa sa conscience dériver un instant tandis que le goût sucré à souhait envahissait son palais. Si Karkat Vantas avait un point faible, c'était bien les sucreries. Il pourrait tuer pour sa dose quotidienne de sucre, non, vraiment. Ses amis trouvaient ça bizarre, préférant un bon steak saignant pour leur part.
Ce n'était pas que Karkat n'aimait pas la viande ; il trouvait juste les choses sucrées plus satisfaisantes. Les vampires n'avaient que peu besoin de ce genre de nourriture, le sang volé aux humains couvrant assez bien leurs besoins nutritifs, mais beaucoup mangeaient tout de même au moins l'équivalent d'un repas par jour, par simple plaisir gustatif. Ça, et aussi parce que manger leur évitait de trop penser à leur soif de sang.
Karkat ne connaissait pas les détails de l'Histoire de son peuple, mais comme tous les autres vampires, il n'était pas ignorant des lois vampiriques de base. La première et la plus importante était de ne pas laisser les humains découvrir leur existence. Cette règle fondamentale n'est pas propre qu'à son espèce. Toutes les créatures de la Nuit savent d'instinct que leur survie dépend de l'ignorance de l'espèce humaine ; la question ne se pose même pas en réalité, et aucun d'entre eux n'irait volontairement briser cette loi. Karkat s'était toujours demandé ce qui arriverait si jamais quelqu'un allait révéler leur existence aux humains. Ce n'était pas si grave en soi, car il savait aussi que leurs dirigeants avaient les moyens de rattraper la situation — effacements de mémoire et autres manigances démoniaques — mais le coupable serait probablement puni pour leur avoir donné du boulot en plus, non ? Remarque, si une chose égale la cruauté de son espèce, c'est bien sa fainéantise. Si le condamné se cachait bien, ils pourraient tout aussi bien laisser tomber au bout d'un moment et même finir par l'oublier.
Pas que ce soit réellement important, en fait.
L'autre règle fondamentale, et celle qui nous intéresse ici, se rapproche assez de la première : ne pas se nourrir plus que besoin, pour ne pas éveiller trop de soupçons chez les humains. Besoin et envie étant deux choses bien distinctes, et de la même manière qu'un humain se retrouvera souvent à manger plus que nécessaire par simple plaisir et non par réelle faim, un vampire pourrait sans problème boire chaque jour un bon litre de sang sans jamais être malade ou rassasié. Seulement, ils ont beau être très peu nombreux en comparaison avec le nombre d'humains sur Terre, cela n'empêche pas que si chaque vampire existant décidait d'aller « chasser » tous les soirs, même des créatures aussi stupides et primitives que les humains finiraient par se douter que quelque chose ne va pas.
Il n'y a pas vraiment de quota exigé cependant, et tant qu'ils ne dépassent pas les bornes, les vampires font généralement comme il leur plait. Personne ne surveille réellement non plus. Les jeunes vampires apprennent dès leur plus jeune âge à contrôler leur soif, et c'est là que la nourriture peut aider. Le plus souvent, la viande rouge est ce qui fonctionne le mieux, mais Karkat trouvait les choses sucrées bien plus rassasiantes à son goût. Et les autres pouvaient aller se faire voir s'ils n'étaient pas contents.
Son ordinateur enfin allumé (il fallait toujours un temps fou à cette antiquité pour se mettre en marche et le jeune vampire aurait sans doute déjà donné trois ou quatre bons coups de pieds dans la machine à ce stade s'il n'était pas sur son petit nuage sucré), deux fenêtres s'ouvrirent à l'écran. Karkat soupira, observant ce qu'il reconnut immédiatement comme des fenêtres de conversations du nouveau programme de chat qu'il avait installé la veille. Il en attrapa une au hasard — l'autre harceleur attendrait, peu importe qui il était.
- twinArmageddons [TA] began trolling carcinoGeneticist [CG] at 00:22 -
TA: hé kk.
TA: qu'e2t-ce que tu faii2 chez toii au22ii tôt ?
TA: oh attend2, ça y e2t
TA: t'a2 enfiin comprii2 à quel poiint ton exii2tence étaiit une honte enver2 toute2 le2 créature2 exii2tant 2ur terre, et tu t'e2 déciidé à nou2 épargner ta vue en re2tant cloiitré chez toii.
CG: DES FOIS JE ME DEMANDE VRAIMENT POURQUOI JE CONTINUE DE T'ADRESSER LA PAROLE.
CG: JE CROIS QUE TU AS RAISON QUAND TU DIS QUE JE SUIS MASO. IL FAUT VRAIMENT AIMER SOUFFRIR POUR TE SUPPORTER. REGARDE, TU N'ES MÊME PAS PHYSIQUEMENT EN FACE DE MOI EN CE MOMENT ET POURTANT TU ARRIVES À PROVOQUER SUFFISAMMENT DE DÉGOÛT EN MOI POUR REMPLIR LES ÉGOUTS DE TOUTE UNE PLANÈTE. BRAVO, SOLLUX.
CG: ET POUR RÉPONDRE À TA QUESTION, JE SUIS RENTRÉ PARCE QUE FERME TA GUEULE.
TA: toute cette haiine enver2 moii, 2eiigneur, j'en pleureraii2 pre2que 2ii je n'étaii2 pa2 déjà trop occupé à riire tellement tu me faii2 piitiié.
TA: plu2 2ériieu2ement, kk, t'a2 regardé le fiichiier que je t'aii envoyé hiier ?
CG: CONTRAIREMENT À CE QUE TU AS L'AIR DE PENSER, J'AI D'AUTRES CHOSES À FOUTRE QUE PASSER MA PUTAIN DE VIE DEVANT MON ORDINATEUR.
TA: conneriie2.
CG: VA TE FAIRE ENCULER.
TA: c'e2t une propo2iitiion ?
TA: parce qu'on en a déjà dii2cuté
TA: t'e2 2ympa maii2 t'e2 pa2 vraiiment mon genre.
CG: OH BON SANG.
CG: TU VAS VRAIMENT RESSORTIR CETTE MÊME BLAGUE MITEUSE À CHAQUE FOIS QUE JE DIRAI ÇA ?
CG: PARCE QUE ÇA COMMENCE À ÊTRE D'UN PUTAIN DE LOURD.
TA: je la re22ortiiraii autant que je pourraii parce que je 2aii2 que ça te faiit chiier.
CG: JE TE HAIS.
TA: je 2aii2.
TA: bon, maiintenant tu va2 peut-être pouvoiir regarder mon putaiin deux fiichiier
TA: ou tu compte2 encore faiire ton gamiin et contiinuer cette dii2cu22iion ju2qu'à ce qu'on 2oiit tou2 le2 deux à court d'iin2ulte2 ?
CG: MÊME SI L'IDÉE DE DÉVERSER MA HAINE SUR TOI JUSQU'À CE QUE MES DOIGTS SAIGNENT SUR MON CLAVIER À FORCE D'ÉCRIRE ET QUE L'ABOMINATION QUI TE SERT DE CERVEAU SOIT RÉDUITE EN UNE BOUILLIE IMMONDE INCAPABLE D'AUTRE CHOSE QUE DE PLEURER SUR L'ERREUR QUE FUT TA VENUE AU MONDE SERAIT TOUT SAUF DÉPLAISANTE, IL SE TROUVE QUE LE GOÛT PARADISIAQUE DES SUCRERIES QUE JE VIENS D'AVALER ME REND D'UNE HUMEUR SUFFISAMMENT BONNE POUR QUE JE PUISSE RESSENTIR UN SEMBLANT DE PITIÉ À TON ÉGARD.
CG: TU PEUX REMERCIER L'INVENTEUR DES OURSONS GÉLATINEUX.
TA: je croii2 que le faiit même que tu puii22e2 aiimer ce2 2aloperiie2 prouve à quel poiint ton cerveau à toii e2t défectueux.
TA: tu t'e2 jamaii2 diit que c'étaiit peut-être à cau2e deux cet excè2 deux 2ucre que tu dormaii2 2ii mal la journée ?
CG: FOUTAISES.
CG: ET MES PROBLÈMES D'INSOMNIE NE TE REGARDENT PAS.
TA: oh allez te vexe pa2.
CG: JE SUIS PAS VEXÉ ET JE T'EMMERDE.
CG: JE VAIS REGARDER TON FICHIER, ALORS FAIS-MOI PLAISIR ET VA TE FAIRE FOUTRE AILLEURS DEUX PUTAINS DE MINUTES. FAUT D'ABORD QUE JE RÉPONDE À L'AUTRE CONNARD QUI ME HARCÈLE DEPUIS QUE J'AI ALLUMÉ L'ORDINATEUR.
TA: quii ça
CG: GAMZEE. QUI D'AUTRE.
TA: t'avaii2 deux conver2atiion2 deux lancée2 et t'a2 quand même choii2ii deux me parler à moii en premiier ?
TA: putaiin mec je 2uii2 ému.
TA: ton amiitiié me touche même à traver2 l'écran.
CG: PREMIÈREMENT, FERME-LA.
CG: DEUXIÈMEMENT, SI J'AVAIS SU QUE TE PARLER ME DONNERAIT AUTANT ENVIE DE ME FRAPPER LA TÊTE CONTRE LE MUR LE PLUS PROCHE TELLEMENT TON EXISTENCE MÊME ME FAIT PERDRE TOUT ESPOIR EN NOTRE BELLE RACE, J'AURAIS COMMENCÉ PAR L'AUTRE DROGUÉ.
CG: TROISIÈMEMENT, LA SIMPLE PENSÉE QU'UNE QUELCONQUE PARTIE DE MOI PUISSE TE TOUCHER DE N'IMPORTE QUELLE MANIÈRE POSSIBLE ME RÉPUGNE AU PLUS HAUT POINT, AUSSI JE VAIS M'EMPRESSER DE FERMER CETTE FENÊTRE DE CONVERSATION ET D'EFFACER CE LOG, EN ESPÉRANT QUE TU NE M'ADRESSES PLUS JAMAIS LA PAROLE ET QUE CETTE DISCUSSION FINISSE PAR QUITTER DÉFINITIVEMENT MA MÉMOIRE UN JOUR.
TA: ok à plu2.
CG: CRÈVE.
- carcinoGeneticist [CG] ceased trolling twinArmageddons [TA] at 00:37 —-
Karkat fourra une nouvelle poignée de bonbons dans sa bouche avant de passer à la deuxième fenêtre de conversation, un petit sourire satisfait sur les lèvres. Sollux Captor avait toujours été un bon ami et leurs discussions avaient toujours un effet positif sur son humeur.
Le deuxième gêneur risquait d'être un peu plus compliqué à gérer, cependant. Karkat aurait probablement besoin d'une bonne dose de sucre pour ne pas faire voler son ordinateur à travers la fenêtre sous le coup de l'exaspération.
- terminallyCapricious [TC] began trolling carcinoGeneticist [CG] at 00:22 —-
TC: HeEeEeEeEy, kArKaT ! :o)
TC: J'éTaIs jUsTeMeNt eN TrAiN De pEnSeR QuE Ce sErAiT VaChEmEnT MiRaCuLeUx qUe mOn fIlS De pUtE De mEiLlEuR AmI Se cOnNeCtE cE sOiR.
TC: Et tE VoIlà, tOuT DrOiT SoRtI De nUlLe pArT.
TC: Si c'EsT PaS Un pUtAiN dE mIrAcLe çA.
TC: HoNk. :o)
TC: CoMmEnT çA Va, bRo ?
CG: HÉ CONNARD, J'AI UNE INFO POUR TOI. JE SUIS EN LIGNE NEUF SOIRS SUR DIX. ÇA N'A RIEN D'UN MIRACLE.
CG: D'AILLEURS LES MIRACLES N'EXISTENT PAS, ET TA CRÉDULITÉ EN CES RAMASSIS DE CONNERIES ME RAPPELLE COMBIEN ÊTRE AMI AVEC TOI EST UNE HONTE INCOMMENSURABLE.
CG: ET JE VAIS BIEN. SI ON OUBLIE LE FAIT QUE MA MISÉRABLE VIE EST UN ENFER QUE MES PUTAINS D'INSOMNIES RÉCURRENTES ME CONDAMNENT À SUBIR DES JOUNÉES ENTIÈRES EN PLUS DES NUITS ET QUE CHACUNE DE MES DISCUSSIONS AVEC LES ENFOIRÉS DE PREMIÈRE QUI ME SERVENT D'AMIS ME RAPPELLE À QUEL POINT J'AIMERAIS SAUTER D'UN PONT POUR METTRE FIN À CETTE PLAISANTERIE QUI ME SERT D'EXISTENCE. MERCI DE DEMANDER.
TC: De rIeN MeC, c'EsT ToUjOuRs uN PuTaIn dE PlAiSiR De vOiR QuE Tu vAs bIeN.
TC: HoNk ! :o)
CG: CONTENT DE VOIR QUE MA SOUFFRANCE T'AMUSE.
CG: BREF, JE VAIS SUREMENT REGRETTER DE POSER LA QUESTION, MAIS PUISQUE LA SOIRÉE S'ANNONCE DÉFINITIVEMENT POURRIE DE TOUTE FAÇON, AUTANT LA GÂCHER JUSQU'AU BOUT.
CG: TU VOULAIS QUOI.
TC: EsT-Ce qU'Un fIlS De pUtE A BeSoIn d'UnE rAiSoN pOuR pArLeR à SoN mEiLlEuR aMi ? :o)
TC: MaIs pUiSqUe tU En pArLeS, j'AvAiS BiEn uNe PuTaIn De QuEsTiOn À tE pOsEr.
CG: ABRÈGE, GAMZEE. COMME SI C'ÉTAIT PAS DÉJÀ ASSEZ SOÛLANT DE DEVOIR TE LIRE AVEC TA PUTAIN DE MANIE D'ALTERNER MAJUSCULES ET MINUSCULES. ET DE DEVOIR ATTENDRE LES DIX PUTAINS DE MINUTES QU'IL TE FAUT POUR ÉCRIRE CHAQUE PUTAIN DE PHRASE EN APPUYANT TON DOIGT SUR CETTE PUTAIN DE TOUCHE MAJ UNE LETTRE SUR DEUX COMME LE PUTAIN DE DEMEURÉ QUE TU ES.
TC: Ok aLoRs vOiLà.
TC: J'Ai cE PuTaIn dE PrObLèMe aVeC Le fRiGo qUe tU M'As aIdé à iNsTaLlEr cHeZ mOi lA DeRnIèRe fOiS.
CG: OH SEIGNEUR. QUOI *ENCORE*.
TC: Je vOuLaIs pAs eMbêTeR MoN FiLs dE PuTe d'AmI AvEc çA, mAiS Y'A CeTtE PuTaIn dE LuMièRe qUi fAiT DeS SiEnNeS.
TC: DeUx hEuReS QuE J'EsSaIe dE RéGlEr çA, mAiS Tu sAiS QuE Je sUiS PaS DoUé cOmMe tOi aVeC LeS ApPaReIlS MiRaCuLeUx...
CG: C'EST QUOI LE PROBLÈME AVEC LA LUMIÈRE, ELLE S'ALLUME PLUS ?
TC: Si, sI, eLlE S'AlLuMe.
TC: ElLe eSt mAgNiFiQuEmEnT AlLuMméE, cOmMe uN PuTaIn dE MiRaClE QuI M'éBlOuIt à cHaQuE FoIs qUe jE L'OuVrE. :o)
TC: Le sOuCi BrO C'EsT Qu'ElLe s'éTeInT.
CG: QUOI COMMENT ÇA ELLE S'ÉTEINT.
TC: BeN OuAiS, aU DéBuT J'AvAiS PaS Vu
TC: MaIs qUaNd jE FeRmE Le fRiGo, cEtTe fIlLe dE PuTe s'éTeInT.
TC: J'Ai eSsAyé dE FeRmEr pLuS ViTe, mAiS Je cRoIs qU'ElLe fInIt pAr s'éTeInDrE QuAnD MêMe. :o(
CG: ...
CG: GAMZEE.
TC: OuI, kArKaT ?
CG: JE VAIS TELLEMENT T'EXPLOSER LA TRONCHE LA PROCHAINE FOIS QUE JE TE VERRAI QUE TA STUPIDE PEINTURE DE CLOWN RESTERA IMPRIMÉE À JAMAIS SUR TA FACE D'ABRUTI FINI.
CG: BIEN SÛR QUE LA LUMIÈRE S'ÉTEINT QUAND TU REFERMES LE FRIGO, ESPÈCE D'ENFOIRÉ DE CONNARD SHOOTÉ AU FAYGO !
TC: Oh
TC: OoOoOoH
TC: PuTaIn jE Me fErAi jAmAiS à tOuS CeS MiRaClEs qUe jE DéCoUvRe pArToUt.
CG: TU PEUX TE LES FOUTRE OÙ TU PENSES TES PUTAINS DE MIRACLES À LA CON !
CG: J'ARRIVE PAS À CROIRE QUE JE CONTINUE DE PERDRE MON TEMPS AVEC UN ABRUTI COMME TOI ! ÇA N'A RIEN D'UN MIRACLE, CRÉTIN ! C'EST JUSTE DU PUTAIN DE BON SENS !
TC: C'EsT DeS pUtAiN dE mIrAcLeS, bRo.
TC: Et c'EsT D'Un pUtAiN De mAgNiFiQuE, tOuT CoMmE CeTtE PuTaIn d'AmItIé mIrAcUlEuSe eNtRe nOuS. :o)
CG: ÇA C'EST CLAIR QUE C'EST BIEN UN MIRACLE QUE J'AIE RÉUSSI À TE SUPPORTER TOUTES CES ANNÉES SANS ALLER M'ALLONGER SOUS UN TRAIN POUR METTRE UN TERME À CES CONVERSATIONS DÉBILES QUE TU M'OBLIGES À AVOIR AVEC TOI ! BORDEL !
TC: C'EsT Ce qUe jE Me tUe à tE RéPéTeR, mEc.
TC: DeS PuTaInS De mIrAaAaAaClEs !
TC: HoNk ! :o)
CG: VA TE FAIRE FOUTRE.
- carcinoGeneticist [CG] ceased trolling terminallyCapricious [TC] at 00:51 —-
À défaut de son ordinateur, c'est la pile de livres posée sur son bureau qui fut victime d'un geste de colère pure et vint finir par terre, au beau milieu de la pièce, tandis que Karkat poussa un cri de rage non contenu. Il avait beau s'y attendre, chacune de ses conversations avec Gamzee Makara se terminait en le laissant encore plus frustré et exaspéré qu'avant. Il savait bien que ce n'était pas la faute de son ami, alors il continuait à lui parler malgré tout, mais parfois il avait vraiment du mal à se retenir d'aller jusqu'à chez lui pour lui mettre son poing dans sa figure de clown. Et ce n'était même pas une insulte, puisque que Gamzee se peignait littéralement le visage tous les jours pour ressembler à un clown.
Mais bon, Karkat avait fini par être habitué à voir son ami planer constamment aussi haut qu'un cerf-volant. Et c'était peut-être mieux, au final. La dernière fois qu'il l'avait vu complètement sobre… non, Karkat ne voulait pas se souvenir de ça. Pas du tout. Nope.
Changement de sujet.
Justement, il avait de quoi s'occuper l'esprit avec le truc envoyé par Sollux. Parcourant les dossiers sur son ordinateur, il ouvrit le fichier ~ath avec la forte conviction que quoi que son ami lui ait envoyé, les chances que cela endommage son ordinateur devaient avoisiner les 200%. Mais de toute façon, il n'avait rien d'autre à faire ce soir-là.
...
Lorsque Karkat parvint enfin à faire redémarrer son ordinateur à peu près correctement, les premiers rayons du soleil commençaient déjà à percer au travers des nuages. Sollux avait décidément fait du beau travail avec ce virus. La moitié de ses fichiers avaient été effacés définitivement, et il pouvait dire adieu à un bon tiers des fonctions basiques de son ordinateur.
Sollux Captor était vraiment un bon ami. C'était du moins ce que pensait Karkat Vantas et ce que penserait n'importe quel autre vampire normal en les observant. Pour de simples humains, ce genre d'amitié-rivalité serait probablement incompréhensible, mais les humains ne comprennent jamais rien de toute façon.
Karkat se laissa tomber sur son lit. Il avait envie de dormir. Ses paupières lui faisaient mal et ses pensées commençaient à s'embrouiller. Et pourtant…
Pourtant il ne dormirait probablement pas de la journée. Il le sentait, savait reconnaître à l'avance quand l'insomnie le frapperait. Il avait eu une bonne dizaine d'années pour s'habituer, après tout. Dix ans que ces crises apparaissaient par moments, assez aléatoirement et sans raison apparente. Il n'avait rien contre le fait de ne pas pouvoir dormir — enfin, à part que passer toute une journée éveillé s'était rapidement révélé d'un ennui mortel — non, le problème était cette fatigue permanente. Il voulait dormir. Il voulait pouvoir fermer les yeux et se laisser sombrer pour ne se réveiller que le lendemain soir, totalement reposé. Même lorsque les crises étaient moins fortes, il se passait rarement un jour sans qu'il ne finisse par se réveiller au moins une fois durant son sommeil.
Il repensa au garçon humain.
Ce garçon qui avait toujours l'air plein d'énergie et dont le sourire quittait rarement le visage. Il n'avait probablement aucun souci, lui. Il avait un père avec qui il s'entendait visiblement bien — en tout cas, mieux que Karkat et son frère, ça c'était certain. Il avait aussi probablement beaucoup d'amis. Il avait bien l'air de ce genre de personne qui attire naturellement les autres à lui gentil avec tout le monde, aidant toujours ceux qui ont besoin d'aide…
Peut-être, à la limite, avait-il des problèmes dans ses études. Vu son air insouciant, Karkat ne serait pas étonné qu'il soit de ceux qui attendent la dernière minute pour réviser avant un examen et finissent par se planter quoi qu'ils fassent. Mais c'était probablement là toute l'étendue de ses problèmes. Une vie paisible, banale. Et ça continuerait probablement ainsi.
Karkat boirait son sang. Il boirait son sang, mais au final, ce serait tout. Cinq minutes de frayeur, et une petite fatigue le lendemain. Il oublierait tout de l'évènement ; Karkat lui ferait oublier. Il n'aurait probablement pas beaucoup de remords à effacer sa mémoire. Une fois son sang bu, son obsession pour lui disparaîtrait. Il redeviendrait un humain comme les autres et Karkat finirait par l'oublier à son tour. Il avait bien oublié tous les précédents après tout. Et c'était mieux ainsi ; s'attacher à un humain n'apporterait rien de bon.
Pas que Karkat en ait eu envie de toute façon. Les humains sont la raison pour laquelle les vampires ne sortent pas la journée, principalement à cause de leurs ailes. Ils peuvent pour la plupart dissimuler les cornes sur leur tête et avec du maquillage et des lentilles de couleur, la peau grise et les yeux jaunes ne seraient plus un problème, mais pour les ailes, c'est plus difficile. Si Karkat devait ressentir quelque chose envers l'espèce humaine, ce serait plus proche de la haine qu'autre chose.
Enfin, ça, plus l'irrésistible envie de leur sauter à la gorge pour boire le délicieux liquide parcourant leurs veines — la seule chose surpassant les sucreries au goût de Karkat, les dépassant de loin. Et il était sûr que le sang du garçon humain serait particulièrement délicieux. Il en avait l'eau à la bouche rien que d'y penser. Oh, comme il avait envie de planter ses crocs dans la peau fine et claire de sa nuque, de sentir le liquide chaud sur ses dents, sur sa langue ; le sentir couler enfin dans sa gorge et réchauffer tout son corps tandis que son goût envahirait son palais…
Il savait déjà comment il allait s'y prendre — il avait eu tout le temps d'y penser ces derniers jours. Il commencerait par l'embrasser. Il les embrassait toujours au début : c'était plus simple après, une fois que les substances aphrodisiaques contenues dans sa salive avaient fait leur effet dans leur organisme. Sollux lui avait confié toujours attendre un peu avant de les « calmer », mais Karkat avait du mal à le comprendre. Pourquoi les laisser résister plus que besoin quand un simple échange de salive suffisait à les rendre assez dociles pour qu'ils tendent d'eux-mêmes leur cou ?
Il l'embrasserait donc. Il espérait agir assez vite pour le surprendre. Il n'aimait pas quand ils criaient. Quand ils avaient peur, essayaient de s'enfuir ou de lutter. Il trouvait toujours ça un peu vexant. Il n'allait tout de même pas les manger ! (Presque pas.) Non, lui, il le prendrait par surprise, lui ferait perdre toute envie de résister. Il prendrait bien son temps après ça. Il ferait durer le plaisir le plus possible, jusqu'à ne plus pouvoir se retenir. Alors seulement, il plongerait ses crocs dans sa chair, il boirait son sang et ce serait PAR-FAIT.
Il avait vraiment hâte de goûter à son sang. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu autant envie du sang d'un humain en particulier et il aurait sans doute déjà craqué s'il ne s'ennuyait pas autant — et si observer le garçon aux yeux bleus n'était pas aussi distrayant.
...
Deux semaines s'étaient écoulées depuis que Karkat avait repéré le garçon humain. Ce soir-là, comme tous les précédents, il était sorti dès la nuit tombée. Aussitôt hors de sa chambre, il regretta de ne rien avoir enfilé de plus chaud, mais il ne voulait pas risquer une confrontation avec son frère en retournant à l'intérieur. Il n'aimait pas vraiment l'hiver. Il détestait le froid, n'aimait pas la neige, et ne supportait pas les décorations lumineuses que les humains accrochaient au mois de décembre et qui illuminaient les rues plus que d'ordinaire, l'empêchant de se balader aussi librement que les autres mois à cause du risque d'être vu. Mais il aimait que la nuit tombe plus tôt durant cette saison. Il pouvait ainsi sortir plus tôt et observer les humains plus longtemps.
Le garçon était déjà rentré chez lui lorsque Karkat se posa sur le toit de la maison voisine. Assis à son bureau, il tapotait sur son clavier d'ordinateur. Il discutait probablement avec un de ses amis en ligne. Karkat avait assisté à cela plusieurs fois. L'humain écrivait sur son clavier et s'arrêtait par moments, plissait légèrement ses yeux derrière ses lunettes, puis se mordait nerveusement la lèvre inférieure l'espace de quelques secondes avant de finalement trouver quoi répondre, son visage s'illuminant alors d'un grand sourire. Parfois, il lui arrivait de rire tout seul. Karkat aimait bien le voir rire (dommage qu'il ne puisse pas entendre le son de sa voix à travers la vitre ; il aurait bien aimé savoir ce que ça aurait donné). C'était quelque chose que les vampires ne faisaient pas souvent, du moins pas ceux qu'il connaissait, mais cet humain semblait passer son temps à rire.
Aujourd'hui encore son sourire ne quittait pas ses lèvres. Karkat aurait aimé pouvoir lire ce qu'il écrivait ; il aurait sûrement pu discerner les mots, même à cette distance, si le bureau du garçon n'avait pas été contre le mur, perpendiculaire à la fenêtre. D'un autre côté, il n'aurait pas pu voir le visage de l'humain s'il avait été placé autrement, ce qui aurait été dommage.
Une rafale de vent un peu plus forte fit frissonner le jeune vampire qui ramena presque automatiquement ses genoux vers sa poitrine, repliant ses ailes contre son dos et massant vigoureusement ses bras dans une tentative vaine de les réchauffer. Il ne resterait probablement pas bien tard, ce soir-là. Il observerait juste l'humain un peu plus longtemps, encore quelques minutes…
À qui pouvait-il bien écrire, sur son ordinateur ? Des amis ? De la famille ? Il ne l'avait jamais vu inviter qui que ce soit chez lui. En fait, il savait quoi, au juste, de sa vie ? Ouais, voilà, rien. Même pas son prénom, en y repensant. Les choses qu'il avait découvertes en l'espionnant étaient plus subtiles. Il savait qu'il remuait très légèrement les lèvres quand il regardait ses films préférés, probablement qu'il en connaissait les répliques par cœur. Il savait aussi que, quand il avait des soucis avec ses devoirs, il se prenait la tête entre les mains et se laissait tomber sur son lit, l'air de dire « ça suffit, j'abandonne ! », mais exactement cinq secondes plus tard (Karkat s'amusait toujours à les compter dans sa tête), il se relevait et retournait à son bureau pour réessayer. Il savait que, quand un bruit le faisait sursauter, ses épaules se tendaient et il se mordait l'intérieur de la lèvre quelques secondes à peine — probablement sans le réaliser lui-même — et lorsqu'il se rendait compte qu'il n'y avait rien, il poussait un soupir de soulagement et se frappait légèrement le front du poing, comme pour se punir d'avoir eu peur pour si peu.
Relever ce genre de détails s'était avéré vraiment distrayant, même si Karkat ne l'avouerait probablement pas. Malgré tout, il avait déjà décidé qu'il n'attendrait pas bien plus longtemps avant d'y mettre un terme. Il commençait à avoir faim, et surtout, il ne voulait pas prendre le risque de s'attacher à lui.
Il passerait à l'action dès le lendemain soir.
...
La soirée s'annonçait plutôt bonne. Il ne faisait pas trop froid, le ciel était dégagé, et la lumière de la lune venait caresser ses ailes fines tandis qu'il parcourait le ciel en direction de la maison du garçon. Il n'avait pas dormi de la journée, mais cette fois, c'était surtout d'impatience — et peut-être un peu d'appréhension.
Il se posa sur le toit qui l'avait accueilli ces dernières semaines et observa un peu la chambre. Il n'allait pas agir tout de suite. Il attendrait que le père de l'humain soit couché. Il n'avait jamais vu son gardien entrer une seule fois dans la chambre du garçon, l'apercevant seulement à la fenêtre du salon, mais il ne voulait prendre aucun risque.
Comme tous les soirs, le garçon était à son ordinateur. Karkat avait déjà décidé qu'il attendrait le moment où l'humain se mettrait devant un film plutôt que de l'interrompre en pleine conversation. Ce serait plus simple pour lui effacer la mémoire ensuite ; il penserait simplement s'être endormi devant son film. Minuit venait à peine de passer quand, enfin, le moment arriva. Karkat fixa l'humain, le vit s'installer sur son lit, face à son écran d'ordinateur. Les yeux du jeune vampire ne le quittèrent pas une seconde.
C'était le moment. Le caillou qu'il avait gardé serré dans sa main tout ce temps vint s'abattre contre la fenêtre de la chambre, faisant sursauter le garçon. Le regard hésitant, il avança jusqu'à elle, prêt à ouvrir la vitre pour chercher l'origine du bruit. Karkat sentit ses muscles se tendre, son rythme cardiaque s'accélérer. Le garçon ouvrit sa fenêtre et Karkat arrêta de respirer. Passa sans s'en rendre compte sa langue sur ses lèvres. Il n'en pouvait plus. À présent qu'il y pensait, la faim le tiraillait, tordant son ventre et embrouillant ses pensées, tandis que son cerveau ne lui dictait plus qu'une seule chose : FONCE !
Karkat fonça.
En un éclair et un puissant battement d'ailes, il se retrouva face au garçon, le poussant vers le milieu de la pièce pour pouvoir lui-même entrer à l'intérieur. Il ne lui laissa que le temps de l'apercevoir rapidement avant de le saisir par le col de son t-shirt, l'attirer à lui avec juste assez de force pour que leurs têtes ne s'entrechoquent pas, et il plaqua ses lèvres contre les siennes. Immédiatement, il les mordilla doucement. Il aurait joué avec ses lèvres un peu, mais il devait agir vite. L'humain eut la réaction désirée : il ouvrit sa bouche sous le coup de la surprise et Karkat n'attendit pas une seconde avant d'en profiter.
Un pas en arrière, des doigts se serrant sur un bras pour l'empêcher de reculer, sa langue rentrant en contact avec la sienne… et c'était gagné. Le garçon s'immobilisa. Karkat ferma les yeux. Un instant, quelques secondes à peine, et une langue timide répondit doucement au baiser volé. Karkat lâcha son bras, passa ses mains autour de sa taille, sous son t-shirt pour caresser le bas de son dos. Sa peau était douce, parfaite, comme il en avait rêvé. Sa langue était chaude contre la sienne, osa s'aventurer un peu. Entra en contact avec un croc, hésita. Continua.
Karkat fit glisser une main sur son ventre, remontant jusqu'à sa poitrine, s'arrêtant au niveau du cœur qui battait déjà aussi fort que le sien. De l'autre main, il vint caresser doucement les mèches de cheveux tombant sur sa nuque, pressant un peu pour attirer davantage son visage au sien, et le garçon gémit dans sa bouche — il gémit ! — et Karkat décida que ça y est, c'était bon, il n'en pouvait plus.
Lâchant ses lèvres après y avoir passé un dernier et rapide coup de langue, il croisa un fragment de seconde les pupilles bleu océan du garçon. C'était définitif : il adorait vraiment ses yeux. Mais ce n'était pas le moment de se perdre dans ses prunelles. Il se baissa jusqu'à son épaule, jusqu'à sa nuque, inspira profondément et — oh bon sang il sentait tellement bon. Il pressa ses crocs sur sa peau fine, faisant tressaillir le garçon qui poussa une exclamation de surprise lorsqu'il la caressa du bout de sa langue. Sa main toujours posée contre sa poitrine, il pouvait sentir son cœur battre à un rythme effréné. Un sourire s'étira un instant sur les lèvres du vampire, puis il mordit.
Le cœur du garçon rata un battement. Celui de Karkat fit de même.
Son sang.
Son SANG.
Un long gémissement de plaisir retentit dans les oreilles du vampire et rapidement il réalisa que c'était le sien. Son corps s'était déconnecté de son cerveau au moment où le liquide chaud avait glissé sur sa langue. À ce niveau, il ne pouvait plus parler de délicieux. C'était plus que ça. C'était plus que tout ce qu'il aurait pu imaginer. C'était la perfection, et Karkat était l'élu qui avait le privilège d'y goûter. C'était le paradis et il venait d'atterrir sur le plus beaux de tous les nuages.
Comment quelque chose d'aussi bon, d'aussi addictif… Comment était-ce seulement possible ? Karkat dut planter ses ongles dans son propre torse pour se maintenir éveillé et ne pas oublier de compter les gorgées. Il était pratiquement certain d'en avoir pris une de trop sans l'avoir réalisé, mais ne s'en préoccuperait que plus tard. Il gémit à nouveau, ses doigts pressant légèrement contre la poitrine du garçon, pas assez pour que ses ongles légèrement griffus percent sa peau mais suffisamment pour y laisser des marques, et il ramena son autre main jusqu'aux cheveux en bataille mais tellement doux de l'humain. Humain dont la respiration s'était intensifiée, dont le cœur s'était de nouveau emballé. Humain pas si humain que ça finalement, lui apprirent les deux oreilles duveteuses apparues sur le haut de sa tête.
Attendez. Quoi ?
Karkat recula d'un bond, regrettant presque immédiatement son geste dès lors que le sang cessa de couler dans sa bouche. Mais ses yeux grands ouverts, il vit qu'il n'avait pas rêvé. C'étaient bien des oreilles animales qui remuaient sur la tête du garçon, leur base cachée par les mèches de cheveux de la même couleur noire. Et il y avait la queue dans son dos — noire également, à la pointe blanche. Mais Karkat s'attarda davantage sur les oreilles. Oreilles de quoi, d'ailleurs ? Pas de chien. De chat ?
Non. Il les reconnaissait à présent.
De renard.
« Putain. De bordel. De merde. »
L'humain — non, pas humain ! il était tout sauf humain ! — lui jeta un regard confus, ses joues toujours rouges, toujours debout au milieu de la chambre.
« T'es… t'es un kitsune ? »
Le garçon hocha vivement la tête, l'air toujours un peu perdu.
« J'y crois pas, souffla Karkat. J'y crois putain de pas. Je… Tu pouvais pas le DIRE ?
— Je… quoi ? »
Karkat dut s'arrêter un moment ; c'était la première fois qu'il entendait le son de sa voix. Elle n'était pas différente de ce qu'il avait imaginé, tout ce temps… Non, ce n'était pas le moment, là.
« Merde, et moi j'ai bu son sang. C'est pas toxique, au moins ? Putain, dis-moi que c'est pas toxique. Bordel, j'espère que c'est pas le cas parce que je veux vraiment pas crever pour une raison aussi débile. "Ci-gît Karkat Vantas, vampire le plus con de l'Histoire, mort d'une putain d'intoxication alimentaire parce qu'il était pas foutu de vérifier la comestibilité de ses proies". Chier, vous vouliez que je le sache comment, moi, que c'était un putain de renard ? »
Il lança un regard accusateur au garçon, qui fronça les sourcils, l'air embêté.
« T'aurais pas pu me prévenir, toi, enfoiré ?
— Quoi ? Tu m'as pas laissé le temps ! Fallait pas me sauter dessus comme ça ! Bon sang, ça m'a fichu une de ces trouilles ! »
Il cessa de parler et dévisagea Karkat de la tête aux pieds, avant d'arrêter son regard sur ses ailes.
« Tu es… une sorte de vampire ?
— Pas une sorte. Je suis un vampire.
— Ouah, c'est la première fois que j'en rencontre un ! Je savais pas que les vampires avaient des cornes ! Ni la peau grise ! Enfin, je savais pas que les vampires existaient tout court ! Est-ce que tu… Oh mon Dieu, tu viens de boire mon sang ? »
Il plaqua sa main sur sa nuque, essuyant le liquide rouge de ses doigts — Karkat ne put s'empêcher de se lécher les lèvres. Il en avait toujours le goût sur son palais et n'était pas totalement rassasié.
« Tu m'as vraiment sucé le sang ! Est-ce que… est-ce que je vais devenir un vampire ?
— Hein ? Non ! Bien sûr que non, abruti ! T'as regardé trop de films ! En plus, comment est-ce qu'un renard pourrait se transformer en vampire, c'est n'importe quoi ! Réfléchis, un peu !
— Oh, c'est vrai… héhé… »
Il caressa la pointe d'une de ses oreilles du bout des doigts, l'air gêné. Visiblement, son apparence ne le mettait pas très à l'aise.
Karkat ne savait pas quoi faire. Il n'avait pas prévu tout ça. Il n'avait pas prévu le fait de parler au garçon, de discuter avec lui — bien sûr il avait encore moins prévu que ledit garçon s'avèrerait être tout sauf humain.
Rapidement, il fut interrompu dans ses pensées.
« Je m'appelle John, au fait. John Egbert. T'as dit que ton nom c'était…
— Karkat.
— Karkat, répéta-t-il. C'est bizarre.
— Moins bizarre qu'un renard qui vit dans une maison d'humains. »
Le garçon tressaillit à cette remarque, tentant à nouveau de cacher ses oreilles avec ses mains. Karkat roula des yeux, trop occupé à réfléchir de son côté pour être agréable. Qu'est-ce qu'il devait faire ? Il venait quand même de boire du sang de yôkai… Les vampires étaient censés boire uniquement du sang humain, ou en tout cas il n'avait jamais entendu parler de vampire qui se nourrissait de sang d'une autre créature. Il considéra un instant rentrer chez lui et demander conseil à son frère, mais grimaça aussitôt à cette idée. Non, il préférait éviter ça.
« Euh… dis, tout va bien ? »
Karkat sursauta, et fixa le garçon en clignant des yeux.
« Hein ?
— Tu… T'as l'air préoccupé…
— Oh, tu crois ? »
Il avait dû répondre un peu plus méchamment qu'il ne l'avait voulu, car le garçon-renard se mordit la lèvre inférieure. Tant pis pour lui, pensa Karkat avant de continuer.
« J'aurais dû le voir venir, c'était pas possible que quoi que ce soit se passe bien dans ma vie. Dès que je crois que je vais avoir un peu de chance, faut que quelque chose arrive pour me gâcher la soirée ! Qui que ce soit qui décide là-haut, ils doivent bien se marrer en voyant ma tronche ! Oh, regardez, c'est Karkat, si on allait pourrir sa pathétique existence ? Comme si j'avais pas assez de problèmes comme ça ! Tu sais quoi ? Si je crève ce soir, ce sera peut-être mieux ! Au moins j'aurai plus à subir cette vie de merde !
— Euh, mais… je crois pas que mon sang soit toxique ! s'exclama John.
— Ah, parce que t'en sais quelque chose, peut-être ?
— Je… Non, t'as raison, j'en sais rien. Est-ce que mon sang avait un goût bizarre ? »
Karkat allait répondre mais se ravisa. Il n'allait quand même pas lui dire que son sang était la meilleure chose qu'il ait jamais goûtée sur cette Terre, et que s'il n'avait pas cette peur d'être vraiment empoisonné, il se jetterait probablement sur lui sans attendre, ne serait-ce que pour prendre les quelques gouttes qui perlaient encore sur sa nuque. Non, il n'allait certainement pas dire ça.
« C'était… un peu différent, répondit-il finalement.
— Oh. Mince, t'as peut-être raison alors… Bon sang, j'espère que non ! Tu te sens bien ? Tu veux t'allonger ?
— Je vais bien, pas la peine de paniquer ! » grogna Karkat.
Il passa une main sur son front, écartant les mèches de cheveux rebelles qui tombaient dessus et essuyant la sueur qui commençait à y perler. Il avait beau dire ça, il était tout de même un peu inquiet. Et surtout, il ne savait pas bien ce qu'il devait faire du garçon. Était-ce seulement possible d'effacer la mémoire d'un yôkai ? En fait, même si c'était possible, est-ce que c'était nécessaire ? Ce n'était pas comme si c'était dans son avantage de révéler l'existence des créatures de la Nuit aux humains…
Tandis qu'il hésitait, un autre détail le frappa.
« Attends, tu… tu arrives à parler et à bouger, ça veut dire que… ma salive a pas fait effet ?
— Ta… quoi ?
— Ma salive ! Les vampires utilisent leur salive pour rendre leurs proies inoffensives. Renseigne-toi un peu, bon sang ! Pourquoi tu crois que je t'ai embrassé, pour tes beaux yeux ? T'étais pas censé pouvoir bouger pendant au moins vingt bonnes minutes !
— Comment tu voulais que je sache ça ! J'en sais rien, peut-être que je suis immunisé ?
— Ouais, peut-être… »
Karkat réfléchit un instant. L'hypothèse était plausible, et il savait déjà que peu de créatures étaient sensibles aux pouvoirs des vampires (et inversement, les vampires ne craignaient généralement pas les autres espèces), mais le problème n'était pas là.
« Mais si ça t'a pas affecté, pourquoi tu m'as laissé te mordre ? »
Karkat aurait pu dire avec précision à quel moment l'information avait atteint le cerveau du garçon. N'importe qui aurait pu, vraiment. Rien qu'à ses yeux s'écarquillant, à sa bouche s'ouvrant en grand ou au rouge vif qui avait coloré ses joues dans la seconde. Il ferma sa bouche, la rouvrit, sembla vouloir bafouiller quelque chose mais sans grand résultat.
« Je, c'est… c'est pas… Je veux dire…
— Quoi ?
— J'en sais rien ! J'imagine que… c'était pas si désagréable, et… je me suis laissé entraîner ? »
Karkat haussa un sourcil, croisant les bras et dévisageant l'autre curieusement.
« T'es… vraiment bizarre, dit-il finalement.
— Quoi ? C'est toi, tu me sautes dessus comme ça ! Enfin bon, on peut arrêter de parler de ça ? S'il te plaît ! C'est assez perturbant comme situation, d'avoir un vampire dans sa chambre, pas besoin d'en rajouter !
— Tu veux savoir ce qui est perturbant ? hurla Karkat. Le mec dont je viens de boire le sang est un putain de renard ! Ça, c'est perturbant ! »
John prit soudain un air paniqué, et courut jusqu'à Karkat pour plaquer sa main sur sa bouche.
« Ne crie pas si fort ! chuchota-t-il. Tu vas réveiller mon père ! »
Karkat voulut répondre qu'il hurlait s'il en avait envie ou qu'il n'avait pas à lui donner d'ordres, mais son bon sens le rattrapa de justesse. Ce serait effectivement mauvais que le gardien du garçon débarque. Cela ne l'empêcha pas de repousser John d'un mouvement du bras, montrant les crocs. Ils se turent un instant, guettant d'éventuels bruits de pas. Quand au bout d'une trentaine de secondes rien ne vint, les deux garçons soupirèrent.
« Ton père, c'est aussi un renard ? demanda Karkat.
— Non, il est humain. Ce… C'est pas vraiment mon père, en fait. Il s'occupe de moi depuis que je suis bébé, j'ai pas connu mes vrais parents. »
Karkat fronça les sourcils. Cette histoire était plus qu'étrange, mais il ne demanda pas de détails. Parce que ça ne le regardait pas, déjà, et aussi parce qu'il s'en foutait. Et il avait plus important à penser pour l'instant.
Ils restèrent en silence, Karkat toujours hésitant sur ce qu'il devait faire, John toujours gêné au milieu de la pièce. Au bout d'un moment, ce dernier reprit la parole.
« Hé…
— Quoi ?
— Est-ce que… Est-ce que je peux les toucher ? »
Il désigna son dos d'un mouvement de tête et Karkat poussa un petit « oh » en comprenant de quoi il parlait. Ses ailes. Bien sûr. Ce n'était pas tous les jours qu'on croisait une créature ailée. Il fronça les sourcils, méfiant.
« Pourquoi ?
— Pour rien, je suis curieux, c'est tout !
— Si ça t'amuse. Tant que tu ne touches pas à mes putains de cornes…
— Pourquoi, ça fait quoi ?
— C'est pas tes affaires ! ragea le jeune vampire.
— Oh, d'accord, pardon… »
Un sourire se traça sur les lèvres du garçon, et Karkat sentit ses joues se réchauffer sans bien comprendre pourquoi. John avança doucement jusqu'à lui et Karkat déplia son aile gauche, pivotant légèrement sur le côté pour le laisser s'en approcher, non sans une certaine réserve. Il n'était pas très à l'aise avec le fait de laisser son aile à la merci de n'importe qui. Ses ailes étaient probablement la partie la plus vulnérable de son corps et son instinct lui criait de reculer, mais il décida de ne pas y prêter attention. Le renard n'avait pas l'air bien dangereux, après tout.
Lorsque les doigts du garçon effleurèrent la membrane fine de son aile, il dut faire un grand effort pour se retenir de lui sauter à la gorge et de déchiqueter sa peau jusqu'à ce que mort s'ensuive. John avait beau faire preuve de toute la délicatesse possible, appuyant à peine, tout ce que Karkat avait en tête, c'était qu'il lui suffirait d'une fraction de seconde pour briser son aile comme une tige en plastique, et il n'aimait pas ça du tout.
« C'est tout doux ! dit John en riant doucement. Comme des ailes de chauve-souris ! Enfin, j'ai jamais touché de chauve-souris, mais je suis presque sûr que ce serait la même sensation ! »
Pendant qu'il parlait, la queue dans son dos ondulait légèrement. Karkat se demanda s'il pouvait la contrôler ou si ses mouvements étaient indépendants de sa volonté. Il tendit la main, pris d'une soudaine envie de voir si la fourrure était aussi douce qu'elle en avait l'air.
C'était le cas.
John tressaillit, mais ne protesta pas. Karkat prit son silence pour une invitation, et alla caresser une de ses oreilles. La fourrure y était plus épaisse et rêche que sur sa queue mais n'en restait pas moins agréable au toucher. Il remonta ses doigts jusqu'à la pointe, puis fit glisser son pouce sur la membrane intérieure dépourvue de poils. Aussitôt, le garçon se mit à gigoter en riant.
« Arrête, ça chatouille ! »
John se dégagea, toujours en riant. Karkat ne put s'empêcher d'esquisser un début de sourire en le voyant, mais il se dépêcha de l'effacer.
« Alors ces trucs apparaissent toujours comme ça sans prévenir ou est-ce que tu peux quand même le contrôler ?
— Tu veux dire, mes oreilles ? Hm… J'imagine que je peux choisir de les faire apparaître, mais généralement c'est involontaire. Quand je subis une émotion un peu trop forte, j'ai comme le réflexe de revenir à mon autre forme, du coup certaines parties apparaissent sans que je m'en rende compte... Enfin, ça m'était plus arrivé depuis des années, normalement je fais gaffe…
— Putain, et tu vas quand même en cours avec les humains et tout ? T'as jamais peur que ça t'arrive devant plein de monde ?
— Je t'ai dit, d'habitude je fais plus attention ! se vexa-t-il.
— Ouais, n'empêche que je trouve ça bizarre. Je sais que vous les yôkai vous vous mêlez souvent aux humains, mais de là à vivre avec eux... Enfin, j'imagine que c'est pas mes putains d'affaires.
— Pourquoi, c'est bizarre ? Vous faites comment, vous ? Oh, est-ce que vous dormez dans des cercueils dans des vieux manoirs abandonnés, comme dans les films ?
— Bien sûr oui, et le soir on se réunit tous pour danser autour d'un feu de camp avant de nous transformer en chauves-souris pour aller terroriser les villageois, et une fois qu'on a bu leur sang on se dépêche de rentrer avant de nous faire griller par la lumière du soleil. Oh, et parfois on s'en va combattre des loups-garous puis on fait la fête sur leurs cadavres, et quand vraiment on n'a rien d'autre à faire on…
— Tu te fiches de moi, c'est ça ?
— T'as mis le temps à t'en rendre compte. »
John fit la moue. Karkat soupira et chercha des yeux un endroit où s'asseoir. Il se décida pour la chaise de bureau du garçon. En le voyant faire, John alla prendre place sur son lit pour se retrouver à la même hauteur que lui.
« Sérieusement, reprit Karkat, tu sais vraiment rien ? Rien du tout ?
— Non ! Tout ce que mon père m'a dit, c'est qu'il m'avait trouvé et qu'il m'avait élevé parce que j'avais pas de parents. Et qu'il fallait pas que je laisse les autres découvrir ce que j'étais. J'ai pas cherché à en savoir plus.
— T'es pas curieux ?
— Bien sûr que si, mais… j'ai peur que si je demande à mon père, il croie que j'ai envie de retrouver ma vraie famille. Ou au moins, rencontrer d'autres kitsune comme moi. Mais pour moi, c'est lui ma seule famille, et ce sera toujours le cas ! Seulement… c'est vrai que des fois, je me dis que ce serait chouette de pouvoir parler à quelqu'un sans avoir à lui cacher ce que je suis. J'ai toujours l'impression de mentir à mes amis. En fait, à part mon père, tu es… la première personne qui découvre qui je suis vraiment. »
Karkat l'écouta parler sans rien dire. Finalement, il s'était peut-être trompé en pensant qu'il n'avait aucun problème. Il vit John se gratter l'arrière de la tête en riant nerveusement, visiblement assez gêné de ce qu'il venait de dire.
« Désolé, d'étaler ma vie comme ça… c'est juste que j'ai personne avec qui parler de ça d'habitude !
— C'est pas une raison pour me forcer à t'écouter gémir, grogna Karkat.
— Héhé, allez, j'ai dit que j'étais désolé. Dis, si t'as rien d'autre à faire, tu voudrais pas m'en dire plus sur les vampires ?
— Pourquoi, t'as l'intention d'écrire un roman là-dessus ? Je te propose le titre : "Va chier, connard, j'ai pas que ça à foutre."
— Sois sympa ! Je suis curieux, et puis les vampires, c'est trop la classe internationale ! Haha, si Dave savait que j'avais vu un vampire en vrai, il serait tellement scié qu'il en ferait tomber ses lunettes de soleil à coup sûr ! Oh, Dave, c'est mon meilleur ami.
— Rien à foutre. »
John roula des yeux mais ne se départit pas de son sourire. Le vampire poussa un long soupir. Visiblement, l'autre jeune homme n'avait pas l'intention de lâcher l'affaire.
Karkat ne l'avouerait pas, mais il ne trouvait pas la discussion si pénible qu'il le laissait entendre. Cela faisait un moment à présent qu'il avait bu le sang du renard et il ne sentait rien d'anormal qui laisserait croire qu'il était réellement empoisonné, aussi il commençait à être un peu moins stressé. Et puis, au fond, pouvoir discuter avec le garçon qui l'avait obsédé pendant trois semaines sans qu'il n'ose espérer pouvoir ne serait-ce qu'entendre le son de sa voix un jour était une chance. Qu'il ne soit en réalité pas vraiment humain n'était qu'un détail — à choisir, ce serait probablement même mieux.
« Ok, j'vais répondre à tes questions, mais donne-moi un truc à bouffer. N'importe quoi fera l'affaire. Quelque chose de sucré, si possible.
— Euh… d'accord. Je vais voir ce que je trouve, attends. »
Il ne posa pas de question et sortit de sa chambre, poussant la porte sans la fermer. Karkat l'entendit vaguement descendre l'escalier tout doucement. Il n'avait pas voulu le dire, mais d'avoir dû interrompre son repas ainsi, il n'était pas totalement rassasié. Et avoir John si proche de lui, son odeur, le souvenir du goût de son sang… Tout ça l'empêchait de réfléchir correctement. S'il pouvait se concentrer sur autre chose, ça lui éviterait peut-être de vouloir sauter à la gorge du gamin toutes les trente secondes.
John revint deux minutes plus tard, les bras chargés de ce qui ressemblait à des fruits.
« J'ai rien trouvé de mieux, désolé. J'aime pas trop les trucs sucrés, alors à part quand mon père fait des gâteaux, y'a pas grand-chose chez moi.
— Tu rigoles ? Tain, tu fais chier… Passe-moi ça. »
Il déposa les fruits sur le bureau et retourna s'asseoir sur le lit en face. Karkat les observa un par un avant d'attraper une banane, déchirant la peau du fruit d'un coup de griffe habile avant de se tourner à nouveau vers le renard.
« Bon, tu veux savoir quoi ?
— Est-ce que la lumière du jour vous brûle ?
— Non, c'est qu'une légende. On sort pas la journée parce que, hé, peau grise, ailes de chauve-souris, tout ça. Pas vraiment discret.
— Et pour les gousses d'ail ? Les crucifix ?
— Des conneries. Et on se transforme pas en tas de cendre avec un pieu dans le cœur non plus. »
Karkat marqua une pause le temps de couper un morceau du fruit et de le fourrer dans sa bouche, passant un petit coup de langue sur ses doigts pour les nettoyer au passage. Il entendit John déglutir un peu bruyamment et haussa un sourcil, mais préféra ne pas faire de commentaire.
« On n'est pas non plus immortels. Dès qu'une créature vit un peu longtemps, ces abrutis d'humains s'imaginent tout de suite qu'elle a la vie éternelle. Juste parce qu'on vit quelques centaines d'années de plus qu'eux, ça veut pas dire qu'on échappe aux putains de lois de la nature ! »
John l'écoutait parler sans l'interrompre, ses yeux brillant de curiosité et ses lèvres étirées en un sourire naturel. Karkat n'était pas bien sûr de savoir s'il voulait le frapper pour faire disparaître ce sourire, ou bien se jeter sur lui et boire son sang jusqu'à ne plus pouvoir. C'était également bizarre de se dire que, quelques minutes plus tôt, il était en train d'embrasser ces mêmes lèvres avec passion. D'ordinaire, il n'avait pas vraiment l'occasion de taper la discute avec les gens qu'il embrassait.
D'ordinaire, il n'avait pas envie de leur parler après avoir bu leur sang. Une fois son appétit calmé, il se désintéressait presque aussitôt de ses proies. Pourquoi pas cette fois ? Parce qu'il s'était arrêté avant d'avoir calmé sa soif ? Parce que la personne en question n'était pas humaine ? Parce que son sang était d'un putain de délicieux ?
Ou parce qu'après toutes ces journées passées sans pouvoir fermer l'œil, à chercher par n'importe quel moyen comment tuer son ennui, il avait fini par être désespéré au point que n'importe quel crétin à lunettes qui le distrairait suffisamment pour qu'il oublie à quel point il détestait sa vie ferait l'affaire ?
En fait, il s'en fichait. Il continuerait de parler avec John parce qu'il en avait envie, point. Son cerveau pouvait aller se faire voir avec ses questions à la con. Par contre, si n'importe qui lui demandait, il jurerait le contraire. Il avait une image à entretenir, tout de même !
« Est-ce que les loups-garous existent aussi ? demanda John.
— Ouais, mais c'est des enfoirés de première ! grogna Karkat. Aussi débiles que des clebs, tout juste bons à aller chercher le journal et à donner la patte !
— T'en a déjà rencontré ?
— Non, mais j'en n'ai pas la moindre putain d'envie !
— Oh… Mais est-ce qu'ils…
— Bon écoute, j'suis certainement pas là pour te parler de ces connards de loups, alors si t'as plus de questions à me poser tu me le dis, que je me casse chez moi !
— Non, non, t'en vas pas ! J'suis désolé, j'en parlerai plus ! Reste encore un peu, s'il te plaît ? »
Il prit un air suppliant, ses yeux brillants et ses oreilles se repliant légèrement en avant, et… non, Karkat ne venait pas de trouver ça absolument adorable, pas du tout. Ce n'était pas non plus pour ça qu'il rougissait. Rien à voir.
« Ouais, t'as plutôt intérêt, grogna-t-il.
— Promis ! »
Karkat se mordit la lèvre, un peu honteux d'avoir cédé si facilement. Il avait lu dans un bouquin que les kitsune étaient plutôt doués pour manipuler les gens. Il ne savait pas bien si ce John était sincère ou si ses prunelles bleues innocentes n'étaient qu'une façade, mais après tout il n'avait pas grand-chose à perdre si ce n'était quelques heures de sa soirée. Il attrapa une pomme, croquant dedans à pleines dents — ou à pleins crocs dans ce cas-là — et posa de nouveau ses yeux sur John, qui avait l'air de réfléchir à quoi demander ensuite.
Il se décida finalement, après quelques secondes d'hésitation.
« Est-ce que vous tuez des humains ? »
Karkat écarquilla un peu les yeux mais se reprit aussitôt. John avait posé sa question tout doucement, murmurant presque, et il voyait bien à quel point le garçon-renard était tendu. Pris d'une légère impulsion sadique, il fit durer le suspense une bonne minute avant de répondre. Il le fixa gravement, droit dans les yeux, et John se figea sur place. Probablement qu'il s'était aussi arrêté de respirer.
Karkat ouvrit les lèvres, tout doucement et en prenant son regard le plus glacial. John déglutit, ses yeux grand ouverts et ses oreilles redressées sur sa tête, comme s'il s'apprêtait à fuir en courant dans la seconde.
Le vampire laissa quelques secondes de plus passer avant de finalement, finalement répondre :
« Nan. »
Les yeux de John s'ouvrirent en grand, et le temps que l'information remonte jusqu'à son cerveau, les lèvres de Karkat s'étaient déjà étirées en un grand sourire. Lorsqu'enfin il comprit, le renard poussa un grand soupir de soulagement.
« Purée, me fais pas peur comme ça ! gémit-il.
— T'aurais dû voir ta tronche ! ricana le vampire. C'était d'un putain de mythique !
— Ah ouais ? Tu ferais mieux de faire gaffe avec ça ! Personne ne peut me battre quand il s'agit de faire des blagues ! »
Ils se regardèrent droit dans les yeux, une lueur de défi dans le regard et, soudain, tous deux explosèrent de rire. Ils rirent plusieurs dizaines de secondes et quand enfin ils s'arrêtèrent, Karkat fut surpris de réaliser que c'était la première fois depuis longtemps qu'il riait de bon cœur comme ça. Sans avoir à se préoccuper de ce qu'on pensait de lui. Sans avoir à maintenir son image de dur. C'était… reposant, en quelque sorte.
...
Ils restèrent toute la nuit à discuter. John lui posa toutes sortes de questions sur les vampires et sur les créatures de la Nuit en général, et Karkat en retour l'écouta parler de sa vie, de ses amis, de ses goûts, ses films préférés, du mal qu'il avait eu parfois à garder son identité réelle cachée, de son sentiment de culpabilité de ne pas pouvoir mettre son meilleur ami dans la confidence… Il semblait ne jamais s'arrêter de parler, comme un de ces jouets à ressort qui, une fois leur clé à molette remontée, ne s'arrêtaient plus d'avancer jusqu'à être à plat. Mais Karkat ne trouvait pas ça si dérangeant. Il n'aimait pas parler de lui, préférait écouter les autres parler, lui raconter leurs problèmes. Il leur faisait la morale, les critiquait, se plaignait quand ils gémissaient trop. Il ne s'ennuyait pas, et c'était tout ce qu'il désirait.
Lorsque Karkat réalisa à quel point il était tard (les premiers rayons du soleil ne tarderaient probablement plus à apparaître), il sut qu'il devait se dépêcher de rentrer chez lui, sans quoi il se retrouverait bloqué dans la chambre du garçon — pas question de prendre le risque de sortir une fois qu'il ferait jour.
« Déjà ? s'écria John quand il lui dit qu'il était l'heure pour lui d'y aller.
— Quoi déjà, ça fait au moins cinq putains d'heures que tu me racontes tes conneries ! Une entière sur ce film débile !
— Hé !
— De toute façon, faut que j'y aille avant qu'il fasse jour. J'ai déjà trop traîné, si mon frère me chope en rentrant il va me passer un putain de savon et j'ai pas du tout, mais alors pas DU TOUT envie de ça, crois-moi !
— Oh… »
Karkat étira ses ailes, marchant déjà vers la fenêtre, quand John le saisit par la manche de son pull, un grand sourire sur les lèvres.
« Hé ! Tu reviendras me voir un de ces jours ? Enfin, un de ces soirs plutôt, héhé.
— Hein ? Pourquoi ?
— Pourquoi ? Euh… je sais pas, juste pour discuter ? On pourra regarder des films, ou quoi !
— T'as pas des amis pour ça ? » grogna Karkat.
Il regretta aussitôt ses paroles mais une fois prononcées, pas question de revenir en arrière. Il eut envie de se mettre une baffe. Il se détestait vraiment d'être comme ça, à ne laisser personne voir ses véritables émotions. Il portait ce masque depuis tellement longtemps maintenant, il n'était même plus sûr de savoir lui-même ce qu'il ressentait vraiment.
Et pourtant, John lui souriait — de son sourire de débile, avec ses dents un peu en avant, son air béat, ses joues un peu roses… Il lui souriait comme s'il voyait à travers lui. Et qu'il aimait ce qu'il y voyait.
Et son sourire s'agrandit un peu plus, ses yeux brillant de malice, tandis qu'il dit, le plus innocemment du monde :
« Mais… on est amis maintenant, non ? »
Karkat rougit. Il n'aimait pas avoir à employer ce mot (expression typique d'une espèce qui n'a qu'une couleur de sang) mais dans l'immédiat il devait être approprié. Il rougit, et quelque chose se serra ou se desserra dans sa poitrine. Il ne savait pas trop quoi. Juste qu'il n'avait jamais ressenti ça et au fond, ça lui faisait un peu peur. Il eut envie de partir, là, comme ça, de s'envoler et de laisser le garçon-renard derrière lui. Il resterait probablement dans sa tête un petit moment, mais il finirait bien par l'oublier, non ?
Ou alors, il pouvait arrêter d'être un connard d'abruti fini qui rate tout ce qu'il entreprend dans sa vie, et pour une fois, il pourrait essayer — rien qu'essayer, ça n'allait pas le tuer ! — de ne pas être ce trouillard qui refuse de parler aux gens pour ne pas se blesser.
« Ouais, marmonna-t-il en détournant les yeux. On est amis. »
Karkat avait vu John sourire maintes et maintes fois. Quand il l'espionnait du toit voisin, ou bien ces dernières heures à parler avec lui. Il l'avait vu sourire plus souvent que n'importe quelle autre expression, au point que s'il essayait de redessiner son visage dans sa tête en fermant les yeux, c'était avec un sourire qu'il le voyait. Comme si c'était son expression faciale de base.
Bref, il l'avait vu sourire plus de fois qu'il ne pouvait le compter et quelques secondes plus tôt, il aurait affirmé connaître par cœur le sourire du garçon. Il aurait probablement pu écrire une thèse avec pour sujet « Les dix mille façons de sourire de John Egbert ! »
Mais à cet instant, il réalisa à quel point il s'était trompé. Parce que le sourire que John lui fit alors, il ne l'avait jamais vu sur le visage du garçon. Il ne l'avait jamais vu sur le visage de personne. Il s'en serait souvenu, tout comme il n'aurait jamais pu oublier la sensation de réchauffement qu'il ressentit dans tout son corps en le voyant. Deux secondes plus tard, le sourire de John avait déjà quitté ses lèvres, et Karkat se rendit compte qu'il s'était arrêté de respirer.
Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais ne trouva rien. Baissa le visage pour que John ne le voie pas, parce que là, il était probablement plus rouge que le sang qu'il venait de boire.
Quelques secondes plus tard, il s'était envolé dans la nuit noire.
...
John Egbert était un garçon plus ou moins banal, si l'on passait le fait qu'il n'était en réalité pas tout à fait humain. Ce soir-là, il avait fait une rencontre qu'il n'était pas près d'oublier. Pas qu'il en ait eu l'intention de toute façon.
C'était la première fois qu'il rencontrait un vampire. La première fois que quelqu'un d'autre que son père le voyait transformé (même à moitié). La première fois qu'il avait un ami à qui il n'avait pas besoin de mentir. La première fois qu'il s'était fait embrasser. Et la première fois qu'il avait autant envie de revoir quelqu'un juste après l'avoir quitté.
Non, il n'allait certainement pas l'oublier.
