Bonjour à tous et à toutes !

Je vous fais partager aujourd'hui une mini-fiction de cinq chapitres, entièrement écrits, basée sur une aventure des Weasley imaginée durant le cinquième tome de la saga.

Disclaimer : Tous les personnages appartiennent à J.K. Rowling, je ne fais que les reprendre pour prolonger l'univers.

Cet écrit avait été réalisé dans le cadre d'un Echange de fictions de Noël organisé par le forum de HPFanfiction, à partir d'une fiche de préférences de la personne qui nous était attribuée, nous devions imaginer une fiction sous n'importe quelle forme et la délivrer à notre désigné le 24 Décembre au soir en guise de cadeau de Noël. La personne m'ayant personnellement répondue, je poste dès à présent ce texte sur ce site et sur celui de HPF.

J'espère que votre lecture sera agréable ! Et Joyeuses Fêtes de fin d'année !


« Chapitre I : Jour J »

L'aurore serait bientôt aux portes de l'Angleterre. Son semblant de halo rouge commencerait doucement à réchauffer l'horizon arrondi des terres creusées de vallons dans une grande partie du comté de Devon. Les collines s'empresseraient alors de relâcher toute la chaleur accumulée durant le jour précédent pour faire disparaître le gel blanc de leur surface : le compte-à-rebours avant la prochaine froidure nocturne qui tomberait aux alentours de six heures du soir venait d'être lancé. À l'abri de leurs faces encore cachées du soleil levant, les derniers aventuriers de la faune à ne pas hiverner rentraient avec urgence dans leurs terriers de poussière, rendus durs par la pétrification des marécages proches. Là, ils attendraient avec impatience le retour d'un temps plus clément en se confectionnant un nid douillet et une fourrure résistante à toute épreuve au-dessus de leur peau cuirassée de graisse.

En temps normal, les hivers demeuraient plutôt malsains sur les terres britanniques. L'air lourd d'humidité provenant du rivage océanique, tout proche, provoquait pluies et vents chargés d'embruns piquants de glace. Pourtant, la trêve hivernale de la fin de l'année 1995 ne semblait pas se conformer à cette habitude. On aurait dit qu'un véritable dôme hermétique couvrait les têtes, très haut et invisible, ne permettant qu'à des quotas très limités de brises de s'enfoncer dans le pays. Résultat, les jours de plus en plus courts se déroulaient dans un froid sec et mordant, sans une rafale violente mais une simple atmosphère glaciale qui blanchissait les herbes et craquelait les branches grêles des arbres noueux, disposés le long des rares habitations perdues entre les collines du village semi-sorcier de Loutry Sainte Chaspoule.

La demeure brinquebalante, qui se dressait telle une pyramide étrange au milieu des marais saisis par le gel, se démarquait à peine du noir profond de la nuit hivernale. Comme aux alentours, aucun bruit ne s'élevait de cette tour difforme et biscornue si ce n'était le doux ronronnement des flammes dans l'âtre des diverses cheminées de la maison. Les quatre ou cinq conduits dépassant des tuiles ou des tôles recrachaient une fumée grisâtre dans l'air, le polluant de leur odeur bien chargée en soufre qui semblait alors se disperser dans le froid tel une nappe de brouillard brillante.

Ce n'était pas un calme profond et total mais un de ceux que l'on pouvait trouver dans des maisonnées fauchées par un sommeil efficace et pratiqué à poings fermés. Le miracle de cet hiver rude : il parvenait à tout figer sur son passage, y compris l'agitation débordante des têtes rousses résidant dans ce Terrier dressé hors de la terre. Les heures d'inconscience étaient plus lourdes qu'à l'accoutumée tant les corps s'épuisaient du manque de lumière naturelle et subissaient l'engourdissement de leurs membres.

Certains êtres, comme le dernier garçon de la famille Weasley, avaient dépassé depuis longtemps le stade de gigoter sous les monceaux de couvertures pelucheuses pour se procurer un peu chaleur : ils ne désiraient pas risquer l'engelure en faisant glisser un pied en dehors de la zone alimentée par le chemin de leur sang bouillant dans leurs veines. Les bras de Morphée enserraient si bien Ron dans son étreinte confortable que plus aucun ronflement disgracieux ne traversait ses sinus et, fort heureusement, car, dans le silence des lieux, le moindre bruissement paraissait démultiplié. En témoignait le raffut que le plus ancien de leurs hiboux, Errol, créait quelque part dans la maison, dans sa cage rouillée. Ce hibou avait toujours été une plaie en plus d'être un serviteur, loyal, certes, mais plus que douteux dans la qualité de ses performances. Son tapage nocturne avait fini par devenir, au fil des années, un trait caractéristique des nuits de la famille Weasley. Chaque enfant avait rempli une de ses insomnies de ce capharnaüm rassurant. Seulement, ce fond sonore comportait aussi ses désagréments...

Comme celui de masquer le léger grincement d'une porte mal huilée mais encore suffisamment légère pour ne pas déchirer le calme tel un couvercle de tombe qui s'ouvrirait pour la première fois depuis un siècle. Ou encore, l'inconvénient de surplomber les chuchotements discrets de deux comploteurs professionnels se glissant à tâtons dans la chambre de leur frère, une de leurs cibles favorites.

Le premier garçon jeta un coup d'œil par-dessus son épaule afin de s'assurer que son double le suivait bien dans la pénombre ambiante. Assuré de sa présence, il désigna du menton la forme massive et assoupie sous les couvertures avant de placer ses mains en coupe, comme quémandant l'aumône. Son complice acquiesça et y déposa précautionneusement deux billes noires en caoutchouc aussi grosses que des balles de ping-pong et en conserva le même nombre entre ses propres pognes. Finalement, les jumeaux Weasley se séparèrent et, pliés à angle droit, rejoignirent furtivement un côté du lit chacun. Par-dessus le corps endormi de leur cadet, ils se jaugèrent une dernière fois et hochèrent simultanément : tout était parfaitement rodé, ne restait plus qu'à procéder à la farce.

Malgré l'obscurité, le sourire qui fendit les deux visages pâles sembla les éclairer aussi sûrement que la lueur d'une lampe torche moldue placée sous leurs mentons. La malice alimentait aussi bien leurs yeux que leurs mauvaises intentions. D'un coup vif, ils lancèrent les billes noires dans les airs avant de se reculer prestement pour se coller dos au mur du fond et obtenir, ainsi, une vue imprenable sur le spectacle. Ils recouvrirent leurs oreilles de leurs mains alors que la première déflagration retentissait et projetaient des couleurs bariolées sur les murs ternes. Des sifflets stridents couronnaient le tout et traçaient des lignes brillantes au-dessus du matelas soudainement agité pour aller alimenter le nuage de nouvelles explosions.

Dans son lit, Ron battait des bras et des jambes en poussant des cris peu masculins. Les explosions artificielles, à seulement quelques centimètres de son crâne, l'avaient réveillé en sursaut du quelconque rêve qui peuplait son sommeil. Des cendres rougies et brûlantes retombaient près de sa tignasse rousse parcourue d'épis. Le jeune garçon tenta de s'en débarrasser du mieux qu'il put avec une panique digne de la meilleure des frénésies. Son ombre difforme gesticulait à l'image d'un pantin désarticulé sur le mur derrière lui, plaquée sur la toile des feux d'artifices miniatures qui commençaient seulement à faiblir.

Heureusement pour Ron, le spectacle pyrotechnique de ses frères s'interrompit bientôt. Les flammèches incandescentes restantes s'effondrèrent en taches carbonisées et friables sur la parure de laine tricotée. Puis, plus rien... Excepté le fou-rire hystérique de ses deux grands-frères, meublant désormais la quiétude, souvenir lointain désormais. Des larmes d'amusement perlaient à la lisière de leurs yeux déjà rendus humides par la beauté des explosions dont ils étaient à la fois créateurs et spectateurs.

Interdit et droit comme un piquet dans son lit, Ron tentait de récupérer une respiration normale et d'apaiser le pouls totalement dingue qui soulevait douloureusement ses tempes. Lors d'une expiration plus profonde que les autres, le jeune homme s'affaissa presque entièrement au-dessus de ses longues jambes. Puis, il explosa à son tour.

- Par Merlin ! Qu'est-ce que c'était que ça ?!

- Un prototype de feux d'artifices à la demande, lui répondit Georges de sa voix étranglée par le rire.

- Des feux d'artifices ? répéta Ron. Ma parole, vous êtes complètement barges !

- Eh ! Il faut bien qu'on teste nos prototypes !

- On est désolés, ajouta Fred. Qu'est-ce qu'on y peut si tu es la parfaite cible ?

- Vous auriez pu me tuer !

- Évidemment que non ! Quelques poils roussis tout au plus ! se défendit de nouveau Fred.

- J'ai entendu dire que le crâne rasé revenait à la mode chez les sorciers ces temps-ci, ajouta Georges.

- Ah ! Oui, oui, tu as raison ! Je ne sais pas si ça lui irait, par contre...

- À tester... Mais il ne te laissera jamais approcher de sa tête !

- Peut-être qu'avec des feux d'artifices plus puissants conçus exprès pour ça...

- Ah ! Oui, à voir, à voir...

Excédé par les divagations de ses frères et, il n'en aurait pas démordu, par leur tentative de meurtre, Ron frappa du poing sur le mou de ses draps, manifestation bien lamentable de sa colère.

- Ça suffit ! J'en ai assez de vous deux ! Sortez de ma chambre !

- Pour quelqu'un qui vient de contribuer à nos brillantes recherches, il n'a vraiment pas l'air enthousiaste ! Hein, Fred, qu'il n'a pas l'air enthousiaste ?

- Du tout, du tout !

Le cadet des frères Weasley roula les yeux au ciel et se laissa retomber sur ses oreillers en grognant de rage. Le monceau de couverture vint recouvrir sa tignasse désordonnée. Le garçon voulait reprendre sa nuit de sommeil et se remettre, par la même occasion, de ses émotions fortes. Une tape sur son dos le fit pousser un nouveau râle mécontent. Les jumeaux se penchèrent près de la forme.

- On oubliait : Bill vient de réveiller tout le monde. Enfin... Sauf toi. Ça, on s'en est chargés !

- Maman veut tout le monde prêt dans une demi-heure ! On cite : « et que ça saute ! » !

Les bras de Ron relâchèrent les draps et un souffle résigné aplatit la carrure du cadet des Weasley un peu plus contre le matelas : drapeau blanc, il se rendait.

Avec un rire narquois, les jumeaux repartirent d'où ils étaient venus sans se priver de claquer fermement la porte dans leur dos. Quoi ? Il fallait bien s'assurer que Ron ne se rendormait pas, ou leur mère leur en ferait voir de toutes les couleurs ! Et bien plus brillamment que tous leurs prototypes de feux d'artifices réunis. Ginny leur jeta un œil affligé dès qu'ils apparurent dans le couloir. D'un même mouvement, ils lui proposèrent une grimace longuement travaillée. Elle leva les yeux au ciel et rejoignit les étages inférieurs d'où émanait une bonne odeur de cuisine qui alléchait les babines affamées de la tribu. Une fois sa longue chevelure de feu disparue dans l'escalier, les jumeaux s'offrirent une poignée de main fière et s'échangèrent des félicitations enjouées.

La voix impérieuse de leur mère retentit dans le Terrier.

- Fred ? Georges ? Est-ce que Ron est réveillé ?

Les jumeaux se considérèrent d'un œil brillant avant de suivre le même chemin que leur petite sœur.

- Oui ! clamèrent-ils en cœur.


Tap tap tap tap.

Les nombreux escaliers taillés dans de multiples bois du monde couinaient, craquaient et grinçaient, dépendant de la variété, sous l'intense passage des plantes de pieds qui les parcourait. Une effervescence toute particulière s'était emparée du Terrier labyrinthique, dressé hors de la terre, sitôt que le petit-déjeuner en famille eut été achevé. La nervosité ambiante avait bientôt empêché les langues de se délier autour de la table garnie qui se vidait peu à peu pour nouer les estomacs. Un silence tendu à couper au couteau avait alors entouré les têtes rousses et remplacé leurs exclamations joyeuses. La vaisselle en avait alors profité pour répandre ses cliquetis de faïence tandis que la magie du père de famille, ayant décidé d'aider sa femme adorée, la débarrassait de la vieille nappe à carreaux rouges et blancs. Quelque chose se préparait en ces lieux à n'en pas douter.

En fait, le drôle de chatouillis euphorique qui roulait contre la paroi intérieure des ventres provenait indéniablement de là : l'expédition que tous étaient sur le point de réaliser pour ce qui ressemblait faussement à une première fois. Les mains moites tremblaient à la fois d'impatience et d'appréhension. Elles se pressaient autant qu'elles peinaient à boucler les dernières valises qui les accompagneraient dans le transport. Car, effectivement, cette génération de Weasley, pour la seconde fois de son règne, avait décidé de se lancer dans l'inconnu et de se laisser séduire par une terre étrangère, hérissée de montagnes et couvertes d'immenses lacs mystérieux. Une terre qui avait déjà su emporter le cœur de l'un d'eux depuis quelques années, comme les tombeaux d'Égypte avaient ensorcelé Bill.

La famille s'était cotisée et serré la ceinture autant que possible dans l'attente de ce jour. Enfin, il était arrivé. Tous allaient rendre visite à Charlie, le second fils d'Arthur et de Molly, en Roumanie.

Le départ approchait à grands pas et, fidèle à elle-même, Molly arpentait frénétiquement la tour branlante qui lui servait de foyer chaleureux, scannant chaque parcelle de ses yeux de lynx, guidée par son sixième sens affûté de mère. Sa voix tonitruante avait sonné l'alerte quelques minutes plus tôt, et, alors que l'urgence commençait seulement à retomber dans les chambres, la matrone des Weasley s'engageait enfin dans celles-ci pour la vérification. Elle connaissait sa tribu mieux que personne et son étonnement aurait été grand si, par un miracle quelconque, aucun d'entre eux n'avait réussi à oublier une babiole hors de son paquetage malgré son importance primordiale. L'enivrement de l'aventure et la joie des véritables vacances approchantes causaient beaucoup de dégâts dans les derniers préparatifs affolés : ils avaient le don de coller des œillères à une majorité d'entre eux, et ce, avec une force digne d'une colle magique ! Aussi, Maman veillait-elle toujours au grain, en passant derrière chacun d'eux.

De temps à autre, ses deux mains claquaient fortement l'une contre l'autre, comme si elle tentait de souligner le rythme presque musical de ses savates raclant le sol boisé et grinçant. Mais le but le plus logique demeurait probablement celui d'éloigner ses enfants de l'endormissement qui risquait de les saisir dans leur douce euphorie, y compris l'aîné qui la suivait à la trace. Bill était revenu, exprès, en Angleterre pour partager le départ avec tous les siens. Pour l'instant, il n'avait réussi à se rendre utile qu'en servant de larbin de seconde main, dans le sillage de Molly...

Seulement, le grand roux aimait à se dire que sa présence auprès de sa mère ajoutait une seconde « garantie » pour les plus jeunes, au cas où un petit détail aurait échappé à son instinct maternel. Mais voilà, rien n'échappait jamais à cette femme et le premier fils de la fratrie se retrouvait relégué au rang de porte-bagage, un peu malgré lui. Ses bras se chargeaient un peu plus à chaque chambre visitée et c'était lorsque Molly lui fourrait une nouvelle pile de linge d'hiver bien lourd entre ces derniers, sur le tas sous lequel il croulait presque déjà, que le plus grand frère des Weasley saisissait le poids qu'une fratrie comme la leur pouvait peser sur les épaules de leurs parents.

Docile et dévoué comme il l'était, Bill ne pipait pas un mot pour autant. Ses pieds trépignaient sur place, s'appliquant à retrouver un équilibre à la limite du précaire, puis à suivre sa mère qui fonçait droit devant au pas de charge en faisait résonner son souffle lourd d'anxiété contre les murs. Son tempérament de maman poule ne l'aidait pas dans ce genre de situation, surtout ajouté à son désir maniaque de tenir son ménage en ordre. Certes, Molly aurait pu utiliser la magie pour s'épauler dans cette tâche de dernière minute et, par la même occasion, soulager son aîné du fardeau qui menaçait de l'ensevelir à tout moment. Mais, au fond, la matrone des Weasley devait éprouver une certaine fierté à voir ce jeune homme lui rendre ce service, aussi inutile soit-il en réalité. Bill le lui rendait bien d'ailleurs quand, régulièrement, il lui rappelait de respirer à fond alors que l'énervement la submergeait devant l'incapacité de ses semblables à boucler une valise sans en oublier la moitié à côté. Elle tonitruait alors contre lui d'un « Oh ! Écoute ! » et repartait de plus belle, non sans s'être légèrement rassérénée.

Alors qu'ils approchaient de la chambre de Percy, un sourire radieux éclaira le visage rond de Molly. Il était l'exception qui confirmait la règle. On ne trouvait jamais rien à lui reprocher dans son organisation, y compris dans ces moments de frénésie presque douloureuse. Les quelques mètres carrés à la disposition du troisième fils de la famille Weasley devaient probablement être les plus propres de la maison, pour ne dire pas les plus « nickel ». Et même si Bill, tout comme Charlie d'ailleurs, n'avait jamais vraiment été bordélique de nature, il n'avait jamais réellement compris comment on pouvait s'accommoder d'un univers aseptisé comme celui-là. À côté, les espaces de l'hôpital sorcier de Sainte-Mangouste ressemblaient à une décharge publique infestée de puces. Et leur mère le savait.

Percy les attendait, prêt pour l'inspection d'avant départ. Il fit un pas en dehors de la pièce et se plaça près de la porte en attendant que Molly ait fait son tour. Elle ne rentra même pas. Comme d'habitude, son regard acéré ne trouva aucun désordre à accrocher pour aiguiser sa fureur. Sa joie fut telle que ses deux pognes bien en chair écrasèrent quelque peu les joues creuses de l'ancien Préfet-en-Chef de Poudlard, leur conférant une rougeur qui ne quitterait pas sa peu blanche avant un certain temps, tant l'air mordant de froid s'appliquerait à l'y tatouer. Dans son vieux costume vert foncé et ligné de traits blancs et marrons, à la manière d'un tissu écossais traditionnel que le professeur McGonagall aurait pu revêtir, le jeune homme exposait une apparence hors-norme, comme s'il essayait beaucoup trop fort de ressembler à quelqu'un qu'il n'était pas. Il ne manquait plus qu'une cravate pour couronner le tout et, avec sa mallette rectangulaire de cuir abîmé, et on aurait dit qu'il s'apprêtait à partir pour le Ministère. Heureuse, Molly époussetait volontiers ses épaulettes.

- Allez, allez ! Ne traîne pas ! Va rejoindre ton père, Percy chéri !

Le roux à la chevelure bouclée acquiesça et redressa fièrement le menton en se pavanant dans le couloir, vers le salon, au rez-de-chaussé, où le point de départ avait été assigné. Bill le suivit du regard sans ciller. Cette attitude le désarçonnerait toujours. En fait, leur frère semblait toujours devenir plus austère à leur égard à chaque nouveau jour que Merlin créait. Ses ambitions l'enivraient au point de l'aveugler et de le faire se prendre pour plus grand qu'il n'était. En un mot, cela ne lui réussissait pas. L'aîné en aurait presque eu le besoin impérieux de le remettre à sa place, car, techniquement, aucun des autres qui vivaient encore ici à ses côtés au quotidien ne pouvait le faire : quand Charlie et lui étaient partis, Percy demeurait le plus âgé de tous. Cela contribuait également à le gorger de confiance et Bill aurait donné beaucoup pour le faire redescendre sur terre...

- Bill !

Un claquement sec tira l'aîné de se rêverie. Il tourna brusquement la tête. Sa mère le devançait d'au moins deux portes et lui faisait signe de la suivre avec impatience.

- J'arrive, maman. J'arrive.

Un éclat de rire à deux voix s'éleva d'en-dessous.

- On dirait que quelqu'un se fait mener...

- … à la botte !

Ne pouvant réfréner son sourire d'amusement, Bill osa jeta un œil prudent par-dessus la rambarde de son palier, directement dans le trou infini de l'enchevêtrement impossible du labyrinthe des escaliers. Les jumeaux se trouvaient là, en plein milieu de l'un d'eux, à se donner du coude dans les côtes en se divertissant de son nouveau statut de larbin personnel de « maman ».

- Eh ! leur cria-t-il. Si ça vous amuse tant que ça, venez donc vous joindre à la fête !

- Non, merci ! réfuta catégoriquement Fred.

- Ça nous suffit largement d'ici ! compléta Georges.

- Comme vous voudrez. Mais...

La voix de l'aîné de la fratrie se durcit sous l'effort. Il tâtonna à la recherche d'une nouvelle prise sur son fardeau moins fatigante pour son dos et ses bras. Il soupira.

- Dites-moi au moins que vous avez bouclé vos valises ?

Les jumeaux se jaugèrent en penchant la tête et, d'un même mouvement, revinrent vers Bill avec un rictus mauvais sur leurs traits.

- Non ! mentirent-ils.

Le plus âgé des roux, bien que conscient du mensonge, roula les yeux au ciel en soupirant une nouvelle fois. Finalement, il rassembla tout le courage qui lui avait valu sa place à Gryffondor et rattrapa la boule furieuse en tablier jauni et chandail fleuri qu'était sa mère dans les dernières pièces de l'étage qu'il restait à inspecter avant le grand départ.

Ravis de leur coup, les jumeaux s'esclaffèrent. Ils étaient à deux doigts de se féliciter d'une nouvelle poignée de main bien méritée quand, soudain, leurs gloussements malicieux s'affaiblirent. Percy venait d'apparaître à leur niveau, dans l'escalier menant aux chambres des plus jeunes de la fratrie, et posa sur eux un regard intense. Les trois frères partagèrent un court moment lourd de tension dans un silence oppressant avant de reprendre leurs occupations respectives : oisives et moqueuses pour les uns, hautaines et strictes pour l'autre.

L'ancien Préfet-en-Chef aux cheveux bouclés décida d'ignorer avec zèle ses cadets. Il avait à faire. Plus précisément, comme Molly le lui avait demandé, Percy rejoignait son père, chef-meneur de l'expédition de ce matin, pour l'assister dans le dur labeur qui les attendait. Seulement, tandis qu'il atteignait la chambre de Ginny, le jeune précieux fut témoin d'une scène insolite, faite de cris et d'énervement. Ron, affalé contre le chambranle de la porte, subissait vraisemblablement la furie de la deuxième et unique femme de la maison. Sans doute avait-il dû dire quelque chose de contrariant et d'incompréhensible tant ses joues se gonflaient d'un croissant bien gras et doré mâché laborieusement. Ginny, quant à elle, perdait visiblement la bataille contre sa malle de voyage d'écolière qui vomissait par-dessus bord des tonnes d'affaires. Elles avaient dû être bien rangées au départ de l'entreprise, mais ne ressemblaient plus qu'à un monceau indistinct à force d'avoir été manipulées dans tous les sens. Résultat, ce qui n'était qu'une minuscule poussière dans l'engrenage du paquetage s'était transformé en cas de force majeure.

Très remontée, la jeune fille jetait des regards noirs à Ron. Elle le maudissait pour qu'il ne songe même pas à proposer son aide. Leur mère pouvait débarquer d'un instant à l'autre et jeter les foudres sur eux en leur reprochant de ne pas savoir se préparer en temps et en heure. L'enjeu était grand.

Seulement, quelque peu aveugle à la crise de nerfs qui menaçait, Ron se frappa la poitrine du poing et avala difficilement sa viennoiserie. Il exprima, ainsi, mieux son idée :

- Peut-être que tu devrais en retirer. Parce que là, ça ne rentre pas.

- Merci de souligner l'évidence, Ron ! C'est fou ce que ça m'aide !

- Je ne... Et bien si tu n'es pas contente ! Débrouilles-toi toute seule !

Tout aussi affligé que sa sœur par cette inutilité flagrante, Percy posa sa propre mallette au sol et dégaina sa baguette de son habit de jeune homme précieux. Ginny se sentit bientôt glisser du couvercle sur lequel elle s'était agenouillée : il se redressait. La valise se débarrassait progressivement de son poids et la faisait basculer vers le sol où elle s'effondra. Ses pupilles olives s'écarquillèrent de rage tandis qu'une majorité d'affaires s'envolaient hors de son paquetage minutieusement choisi.

- Percy ! J'ai besoin de tout ça ! Remets-les à leur place ! Je ne partirai pas sans ces...

Un regard impatient de la part de l'ancien Préfet-en-Chef l'obligea à se taire. Ses vêtements fuyards se repositionnaient harmonieusement en piles équilibrées dans le fond de la malle d'écolière. Les quelques babioles supplémentaires se logèrent dans les trous restants, chacune attendant dans les airs que la précédente se fut installée pour de bon. Une fois l'arrangement fait, le couvercle se referma vivement et deux cliquetis sonores bouclèrent les sangles au maximum de leurs capacités.

Le paquetage se positionna sur la tranche de son propre chef, anse vers le haut. Une lévitation experte vint soulever l'ensemble du parquet de la chambre et le conduisit vers le couloir là où Percy ramassait ses propres affaires pour descendre le tout au salon, avec lui.

Ginny se releva et eut un sourire narquois en constatant l'ébahissement de Ron. La qualité du geste magique et l'attitude inhabituellement conciliante de son frère lui clouaient le bec.

- Merci, Percy.

Le roux aux cheveux bouclés haussa les épaules. Cela n'était pas grand chose pour lui. Sans rien ajouter, il disparut de la vue de tous avec les bagages qui commençaient déjà à se miniaturiser pour le transport.

De nouveaux grincements déchirèrent alors le calme. Molly finissait sa tournée d'inspection en claquant toujours mains et pieds. Une pile humaine de vêtements la suivait à la trace. Apercevant Ron, elle en extirpa un pull en laine grise, tagué d'un « R » majuscule de couleur marron sur le plastron, et l'enfila sans ménagement par-dessus la tête de Ron, qui ne portait alors qu'une simple tunique écrue.

- Tiens ! Mets-ça ! Par Merlin, je me demande bien comment vous fonctionneriez sans moi ! Tu n'avais pas l'intention de partir comme cela, Ronald ? Te rends-tu compte du froid qu'il doit faire en Roumanie ! C'est l'est de l'Europe ! Tu veux attraper froid, c'est ça, Ronald ?!

- Eh ! Moi, au moins, j'ai fini d'emballer mes affaires hier soir ! Pas comme Ginny !

- Et toi, Ginny chérie ? Tout est prêt ? s'adoucit-elle.

- Oui, Maman.

- Quoi ? C'est tout ? Tu ne vas rien lui dire de plus ?! s'insurgea Ron.

- Oh ! Ne fais pas l'enfant, Ronald ! Et... Oh ! Bill va donc aider ton père, tiens !

La matrone des Weasley se tourna vers son aîné et, d'un coup de baguette, le débarrassa de son fardeau immense.

- On mettra tout ça dans nos valises à nous, quand on vous rejoindra ce soir.

- Vous ne venez pas avec nous ? demanda Ginny.

- Ton père n'a pas pu se libérer plus tôt du Ministère ! Moi, je l'attends ! Quant à Bill, il s'est proposé pour nous accompagner ce soir ! Vous aurez donc le temps de prendre vos marques là-bas avec Charlie bien avant nous !

Soudain, une voix, encore peu entendue depuis que l'alarme avait été sonnée au tout petit matin encore invisible dans l'horizon noir des collines du comté de Devon, retentit depuis le lieu du point de départ du Terrier. Arthur Weasley, réajustant les pans de son grand manteau vert bouteille autour de lui, prenait le relais.

- Est-ce que tout le monde est prêt les enfants ? Il est bientôt sept heures !


Le grand départ avait sonné. Molly avait forcé les cinq enfants, à quitter le Terrier en premier en compagnie de Bill et de leur père, à enfoncer les bonnets sur les têtes et à resserrer les cache-nez autour des visages à la peau fragile. La tribu n'avait jamais été mieux préparée à affronter le froid du petit matin d'hiver rude qui embrumait l'horizon. Seulement, une chose n'en empêchait pas une autre, et rien ne les avait entraînés à suivre Bill, leur père, et leurs immenses enjambées dans les collines pentues des marécages de Loutry Sainte Chaspoule, le seul village où chaque demeure semblait seule au monde. Tout en gravissant les monts à la manières d'aventuriers montagnards et escaladeurs de l'extrême, des ongles gantés pour seules pioches, la majorité des roux défaisait fermetures et boutons dans l'ascension pour se laisser rafraîchir par le vent glacial dans les descentes infernales.

Cavalant devant comme un fringant jeune homme, Arthur Weasley se retournait régulièrement sur sa tribu depuis les sommets et jaugeait le temps que tout ce beau monde mettrait à grimper jusqu'à lui. Quand le premier courageux, Bill, arrivait presque à son niveau, le paternel roux reprenait sa marche énergique à la conquête de la colline suivante. Ils ne devaient pas traîner ! Déjà, un mince fil rouge embrasait l'horizon un peu moins sombre qu'à leur départ du Terrier. Aucun retard ne serait toléré que ce fusse par un Portoloin ou par des supérieurs du Ministère, même avec une condition exceptionnelle pour bonne excuse ! Aussi, Arthur se décida à encourager ses troupes. Sa passion pour la vie ne connaissait plus de limites depuis l'attaque dont il avait été victime, un peu plus tôt dans l'année, et de laquelle il portait encore quelques séquelles bien rouges. La moindre de ses actions se teintait d'une joie toute particulière qui agaçait, parfois, et surtout dans ces circonstances, le reste de sa famille. L'énergie ne semblait plus jamais lui manquer. Ce qui n'était pas le cas de ses enfants à peine tirés de leurs lits...

- Allons, allons ! Dépêchons ! Le Portoloin va partir sans nous, les enfants !

À bout de souffle et frôlant la surchauffe thermique, Ron écarta vivement son écharpe de laine rouge et or de son cou bleui par l'effort. Il tira la langue et tenta de soulager le tiraillement dans ses mollets. Si les vacances en Roumanie ressemblaient à cela, il ne donnait pas cher de sa peau !

Les jumeaux n'en menaient pas plus large que lui. Ils le dépassèrent pourtant en une avancée laborieuse et lamentable. Eux avaient compris qu'il ne fallait pas s'arrêter dans l'ascension.

- Par Merlin, où sont-ils allés le mettre ce Portoloin ? souffla Georges. C'est la Coupe de Quidditch une nouvelle fois !

- Moi je te dis que c'est en Roumanie, lui répondit Fred. En Roumanie qu'ils ont été le mettre !

- On ne va pas aller jusqu'en Roumanie à pieds, hein ? paniqua Ron.

- Vous me faites pitié, franchement, soupira Percy qui avait déjà un pied sur le sommet du mont. Aller en Roumanie à pieds ! N'importe quoi !

- Moque-toi ! Je te signale que tu es autant en retard sur Bill et Papa que nous ! rit Ginny.

- Je vous l'ai dit : j'ai pitié ! Je vous attends par simple bonté de cœur !

- Épuisé, Georges se laissa presque retomber contre le flanc frais de la colline. L'herbe glacée aurait fait un parfait matelas de repos au point où ses muscles en étaient.

D'un élan furtif, Fred bondit soudainement et fit mine d'agripper le mollet de Percy. Celui-ci pailla mauvaisement et trébucha. Il glissa sur son séant et, incapable de se rattraper, prit malgré lui le reste de la colline comme une piste de luge. Ginny secoua la tête tandis que les garçons se partageaient un rire sincère et bruyant.

- Il ne l'a pas volé ! se réjouit Ron.

- Bien joué, Fred !

- Ah ! Ah ! Ah ! retentit la voix ironique de l'ancien Préfet-en-Chef.

- Quelle répartie pour un futur employé du Ministère !

- Bien envoyé, Georges !

La moquerie gentille sembla redonner du baume au cœur aux braves escaladeurs retardataires. On aurait dit qu'une force sacrée les soulevait soudain et insufflait une efficacité sans pareille à chacun de leurs pas. Elle les mena jusqu'au sommet de la colline que Percy venait de dévaler. Ils s'y rassemblèrent pour le jauger de haut, au sens littéral du terme, tandis qu'il se redressait péniblement et inspectait les dégâts terreux sur son pantalon écossais.

- Vous êtes franchement bêtes !

L'amusement des troupes parvint jusqu'aux oreilles du paternel roux, déjà posté au sommet du dernier mont à gravir. Il sentait bien que son équipage d'expédition se dissipait plus que nécessaire et enfonça ses doigts dans sa bouche pour siffler l'avancée.

- Riez en avançant ! Nous n'avons pas le temps ! Le Portoloin est juste là ! Dépêchez-vous !

Enivrés par leur position, les jumeaux lancèrent une course candide en dévalant la pente à toutes jambes et profitèrent de leur élan pour remonter les derniers mètres en seulement quelques grands pas sautillants. Le reste de la troupe les suivit, exception faite de Percy, qui râlait toujours en traînant des pieds. En moins de deux, ils furent aux côtés du paternel roux, glorieux sous son regard fier et approbateur. Tout à côté, Bill qui avait mené la course en tête juste derrière lui, s'étouffait avec ses propres poumons remontés jusque dans sa gorge avec la quinte de toux sévère qui le terrassait.

Arthur lui administra une bonne tape dans le dos tandis que Percy rejoignait seulement la troupe, en se tenant néanmoins à bonne distance des jumeaux. Lui aussi avait peine à reprendre son souffle.

- Je croyais que le Portoloin était « juste là » ? questionna Ginny.

- Oh ! Il l'est ! Regardez-bien, les enfants ! Ça peut être n'importe quoi !

La curiosité força la jeune fille, tout comme ses frères, à plisser les paupières. Ce mont était différent des autres et avait tout d'une piste de départs ou d'arrivées de Portoloin : un peu moins élevé que ses semblables, ceux-ci offraient une cachette parfaite à ce plateau. L'herbe blanchie par le gel craquait sous leurs semelles et mouillait leurs chaussures au contact de la chaleur de leurs corps.

- Je ne vois rien, déclara la rousse.

- Papa, tu es sûr qu'on est au bon endroit, au moins ? demanda Fred.

- Maman, va nous tuer, rempila Georges.

En fronçant les sourcils, Arthur s'éloigna de sa troupe et observa les alentours avec inquiétude. Il soupira.

- Je ne... Pour être honnête, les enfants, je ne sais pas... Il me semblait bien que c'était ici, pourtant...

- Il est visiblement plus loin, déclara Percy. Il faut continuer à marcher !

- Bah voyons...

- Faites comme vous voulez, mais je ne manquerai pas ce Portoloin !

L'ancien Préfet-en-Chef quitta le groupe en marchant d'un pas déterminé, le menton encore une fois trop relevé. Ce qui était bien dommage, car, si seulement le jeune homme précieux avait su regarder où il mettait les pieds, il ne se serait probablement pas cogné dans le-dit Portoloin, caché par une bande d'herbes hautes et grasses, juste au début de la pente. Une nouvelle salve de rires s'éleva de la colline, cette fois, bien suivie par Bill et Arthur. La scène était franchement comique !

Le paternel rejoignit prudemment son troisième fils qui piétinait sur place en soufflant douloureusement. Il lui serra gentiment l'épaule.

- Et bien, Percy ! Merci ! Sans toi, nous aurions eu du mal à trouver ce Portoloin !

- Qu'est-ce que c'est ? s'enquirent les jumeaux en accourant, eux aussi fascinés par les simples objets du monde moldu.

- Une vieille boîte à outils moldue. On dirait même qu'elle est encore pleine ! s'extasia Arthur. Peut-être que je pourrais me servir...

- Papa, il est sept heures, le rappela Bill à l'ordre.

- Par Merlin ! Vite, les enfants ! Que tout le monde attrape la caisse !

Dans la précipitation, la joyeuse bande fondit sur la boîte en métal rouge défraîchi. À peine les mains furent-elles toutes posées que les aiguilles sur la montre moldue d'Arthur Weasley pointèrent sept heures tapantes.

Le monde se mit aussitôt à tourner en écrasant les cheveux roux contre les crânes de leurs propriétaires de la même façon que les herbes environnantes. Quelques cris d'adrénaline s'élevèrent de la masse tandis que le paternel attrapait la chemise de Bill pour l'obliger à reculer et, ainsi, éviter d'être pris dans le tourbillon du premier départ.

Bientôt, le cercle formé par les cinq frères et sœur Weasley sembla s'évaporer et ne laisser derrière elle qu'une surface un peu moins gelée qu'aux alentours. Voilà, le premier départ venait d'avoir lieu, dans les meilleures conditions et sans aucun heurt majeur. Ce soir, ce seraient à Bill et ses parents d'emprunter le même Portoloin pour la Roumanie, et rejoindre Charlie dans son village.

L'aîné sentit qu'on lui administrait une autre tape généreuse contre la poitrine.

- Il faut qu'on rentre ! Ta mère t'attend, et moi j'ai un Ministère où me rendre !


J'espère que ce premier chapitre vous a plu ! En attendant de vous retrouver très prochainement, je vous souhaite une bonne continuation ! N'hésitez pas à laisser une petite review, ça fait toujours plaisir !

M.A.D.