Bonjour, bonsoir. Konnichiwa, konbanwa. Je peux le faire avec d'autres langues, aussi...

Je me présente, humble (hum!) auteure, avec cette histoire. Donc, je ne vais pas faire le blabla comme c'est ma toute première fanfic, j'en ai écrit plusieurs. Sur papier. Qui sont dans un carton. Carton qui se trouve dans ma chambre.
En revanche, c'est la seconde que je poste sur le net (non, ne cherchez pas la première, elle se trouve sur un blog ^^), et je m'attaque cette fois au fandom de SLG qui est foisonnant de bons personnages à utiliser/torturer/analyser.

J'espère que ce premier chapitre vous plaira, et que vous apprécierez mon Anna (elle ne vient pas d'Arendelle, promis, j'ai limité l'immigration venant de là-bas). Ce chapitre est pauvre en action, mais comme on dit, ce n'est que le début, et très vite vous vous rendrez compte que le rating M mis en place est tout à fait justifié (viol, torture physique/psychologique, manipulation...), le titre fait d'ailleurs référence au Syndrome de Stockholm.

Le disclaimer habituel qui ne reviendra qu'une fois : les personnages de SLG appartiennent à leur sadique créateur, Mathieu Sommet. Je ne touche pas d'argent sur cette histoire... Néanmoins, j'accepte le paiement par crêpe au nutella. ^^

Bref, en un mot comme en mille, bonne lecture, je vous retrouve en bas!


Elle sourit, appréciant le paradoxe qu'offrait la juxtaposition de la mer flamboyante et des hideuses grues du port de Bangkok. Çà et là des marins et des ouvriers s'affairaient, bougeant des caisses, hurlaient en thaï et offraient un spectacle animé qui réjouissait les yeux curieux de la touriste qu'elle était.

Le vent marin se leva un instant, emmêlant ses longs cheveux blonds sablés et elle ferma ses yeux marrons quand un rayon de soleil un peu traitre se nicha dans son regard.

Plutôt petite pour une occidentale, atteignant difficilement la taille habituelle qu'on attendait des françaises, elle râlait assez souvent contre son presque mètre soixante-trois. De plus, son petit-ami Sébastien dépassant le mètre soixante-quinze, elle avait l'habitude de se sentir petite. Heureusement, ces vacances en Thaïlande entourée de personnes plus ou moins de la même taille lui faisait un bien fou. Le vent faisait bouger son tee-shirt un peu ample qu'elle avait enfilé ce matin, utile pour cacher ses quelques petites rondeurs de malbouffe étudiante, bien que les repas thaïlandais tendent à effacer petit à petit ses petits kilos en trop.

Tandis que l'étudiante rangeait son appareil photo, sa mère arriva dans son dos pour la câliner, tout sourire :

- Alors ma chérie, tout va bien ?

- Oui, maman.

- Ton père et moi avons repéré une petite boutique sympathique par là-bas.

- M'man, ce sont des attrape-touristes…

- Je sais. Mais ils ont des colliers en coquillage trop mignons… Nous pourrions en rapporter pour ta tante, non ?

- On n'a pas assez de souvenirs ?

- On n'a jamais assez de souvenirs. Et tes photos ?

- Je viens de prendre la mer. Mon album sera bien rempli, je le présenterais aux professeurs à la rentrée. J'ai déjà choisi mon thème : les paradoxes culturels. C'est un sujet assez bateau, mais ça peut plaire non ? Si je peux avoir une note supplémentaire pour mes partiels…

- Oui, c'est super. Je suppose. C'est toi la photographe en herbe ma puce. Tu veux rentrer à l'hôtel ?

- Hum… Pas encore. Je n'ai pas encore réussi à prendre la photo que je voulais, en fait. Je crois que je vais aller faire un tour dans les khlongs, histoire d'avoir une vue des quartiers dits traditionnels. J'ai bien aimé prendre le hors-bord là-bas, ça rendait vraiment cool. Je vais voir si je ne peux pas avoir d'autres clichés dans ce genre, et si possible avec des humains.

- Je ne suis pas très tranquille de te laisser te balader dans Bangkok seule le soir. Ton père t'accompagnera.

- Maman, j'ai vingt-quatre ans, pas six. Je peux me débrouiller toute seule. Surtout que je ne sais pas combien de temps je vais mettre à trouver le cliché que je veux. Tu ne veux pas avoir une petite soirée en tête à tête avec papa ?

- Nous sommes en vacances en famille, Anna.

- Et alors ? Ça vous empêche d'avoir une seule soirée en amoureux ? M'man, ce n'est pas parce que je n'ai pas réussi à amener mon chéri que je dois vous empêcher d'être ensemble. Je ne suis plus un poupon qu'on surveille.

La mère d'Anna eut un doux sourire :

- Non, tu n'es plus un poupon. Mais tu restes mon petit bébé d'amour !

- Maman, pitié !

- Quoi ? Si tu ne reviens pas tôt à l'hôtel, tu ne pourras pas parler à Seb sur internet.

- Je lui laisserais un message via les réseaux sociaux. Allez, files maman, p'pa t'attend. Je ferais attention, et je serais de retour pour vingt-et-une heure, promis.

- Bon… Si tu restes dans le coin et que tu ne rentres pas tard, je ne peux que m'incliner. Quand tu rentreras, nous irons au cours de danse de vingt-deux heures, d'accord ?

- Rien que pour voir papa se trémousser sur de la musique traditionnelle, je serais à l'heure. A tout à l'heure, maman.

Après une accolade, la trentenaire alla rejoindre son mari. Anna soupira alors que le vent marin fouettait son visage, rafraichissant l'atmosphère dont la chaleur partait en même temps que le soleil.

Passionnée par la photographie depuis son plus jeune âge de par feu son grand-père paternel photographe pendant la Seconde Guerre Mondiale, Anna poursuivait des études de photographie à Paris, sa ville natale. Elle n'était pas une élève modèle, ni ultra-douée dans ce qu'elle faisait, mais la plupart des gens appréciaient la justesse de ses clichés. Son petit-ami Sébastien, étudiant dans la réalisation aimait beaucoup sa façon de prendre les photos et ils collaboraient souvent dans leurs projets pour l'université.

En vacances en Thaïlande avec ses parents depuis près d'une semaine, la jeune femme s'amusait à photographier tout ce qui lui passait devant l'objectif, recherchant l'esthétisme, la beauté et l'insolite dans cette capitale si touristique. Et elle en profitait aussi pour se détendre, prendre du temps pour elle et laisser, le temps de deux semaines, sa vie étudiante de côté.

La soirée était douce à Bangkok, et puisqu'elle se tenait loin des quartiers touristiques, elle parvenait même, en se concentrant, à apercevoir une ou deux étoiles. Après un dernier cliché de la mer du Golfe de Thaïlande, magnifique en ce mois de juillet, Anna se décida enfin à aller dans les khlongs, ces petits quartiers rappelant un Venise des plus pauvres et délabrés. Elle y avait déjà été avec ses parents, ils avaient même acheté du poisson à un pêcheur local mais elle voulait vraiment prendre en photo ces quartiers authentiques et pleins d'émotions.

Des thaïlandais lui sourirent quand elle passa, elle les salua avec gentillesse et pénétra dans un khlong, peu illuminé malgré la tombée de la nuit. Observant d'un œil attentif les alentours, Anna chercha quel cliché prendre. Rien ne venait, elle devrait attendre, chasseresse patiente… Elle aimait comparer l'art de la photographie à la chasse, cette attente du moment propice, ce bonheur quand on capturait enfin une expression ou une émotion. Se prendre quelques instants pour un fauve traquant sa proie lui donnait une impression un peu espiègle d'elle-même, lui rajoutait un grain de folie, ce grain de folie des artistes qui la guidait parfois, comme le prouvait le triskel tribal tatoué sur le devant de sa clavicule.

Un mouvement sur sa gauche attira son regard une bonne demi-heure plus tard. Une petite fille, n'ayant certainement pas plus de dix ans, tirait avec beaucoup de mal un sac apparemment lourd. Petite, elle faisait peine à voir, avec des cheveux raides et sales et le ventre un peu rebondi signe de malnutrition et carences alimentaire. Anna s'approcha d'elle et demanda dans un anglais approximatif :

- Moi aider ?

L'enfant sembla comprendre, son regard s'illumina et elle hocha timidement la tête. La jeune femme lui sourit gentiment et attrapa le sac –très lourd sac, elle en grimaça- puis suivit l'enfant dans les dédales en sombre état des khlongs. Arrivées à une cabane un peu détachée du reste et en piteux état, la petite fille lui fit signe qu'elle pouvait poser son fardeau, ce qu'elle fit avec joie. L'enfant alluma une lumière précaire puis fit en voyant l'air interrogateur de la touriste :

- Maison moi.

Anna écarquilla les yeux. Cette enfant vivait dans cette bicoque insalubre et vide de tout ? Elle désigna l'enfant :

- Papa ? Maman ?

- Papa travail. Maman et bébé. Bébé, moi partir. Pas d'argent.

L'étudiante comprit avec douleur que la famille de l'enfant ne pouvait plus s'occuper d'elle à cause du bébé à naître. Elle soupira :

- Ici toute seule ?

- Oui.

- Tu as un bon anglais.

- Moi travail ambassade. Nettoyage. Entendre beaucoup anglais. Chef apprendre à moi.

En un sens, c'était beau et émouvant. Cette petite n'avait certainement pas encore atteint la dizaine d'année qu'elle était déjà plus mature que la majorité des étudiants qu'elle connaissait. Elle devait à peine toucher de quoi vivre, mais elle avait au moins un travail, elle semblait débrouillarde et dégourdie. Avec des bases en anglais, peut-être pourrait-elle plus tard postuler comme femme de chambre dans un hôtel, et avoir donc un meilleur salaire. Observant cette touchante juxtaposition d'innocence et de maturité, Anna se dressa mentalement un arbre des possibles pour cette enfant. Puis elle se présenta :

- Moi Anna.

- Anna ?

- Oui, Anna.

- Moi Sia. Sia.

- Sia. C'est trop mignon, comme nom…

Discutant sommairement, la française aida Sia à déballer son sac (qui contenait entre autre quelques briques vivant à consolider un mur un peu branlant). Sia était vraiment vive d'esprit pour son âge, elle comprenait ses phrases rapidement et quand elle découvrait un mot, elle demandait à ce qu'Anna le répète plusieurs fois afin d'en mémoriser les sons. Très vite, leur discussion tourna en un cours de langue, en anglais puis en français, à l'aide de dessins tracés dans la poussière –Anna se découvrit un talent pour le pictionnary. Puis après avoir bien sympathisé avec la thaïlandaise, elle montra son appareil photo :

- Photo ?

- Hum ?

- Je peux ? Toi en photo.

Sia hocha la tête. Anna la plaça près de la lumière afin de profiter d'un bon jeu d'ombre. Le regard mature de l'enfant contrastait avec ses traits fins, comme si l'âme d'un immortel se trouvait dans ce petit corps chétif. Et rien que pour cela, la photo serait magnifique, si elle réussissait à capturer la pureté de l'enfance souillée par la dure vie de la pauvreté… Se plaçant et réglant son objectif, Anna eut un petit pincement au cœur. Voir cette pauvre enfant seule, devant subvenir seule à ses moyens, sans amour autour d'elle était assez dérangeant, et elle espérait que son cliché donnerait à n'importe qui envie de s'inscrire à une association proposant de parrainer un enfant défavorisé.

Elle-même venait de décider d'amener la petite-fille dans un restaurant une fois le cliché pris, il s'agissait d'une question de morale et d'honneur, elle ne pouvait pas simplement prendre sa photo et partir comme si de rien n'était. Se concentrant, telle une magicienne tentant de capturer une âme, elle prit la photo puis la vérifia.

Le cliché était magnifique et lui donna presque envie de pleurer : c'était là la photo qu'elle attendait toute la soirée. Fière de son travail, la jeune femme sourit à Sia :

- Manger ?

- …Manger ?

- Toi et moi. Je ne vais pas te laisser toute seule, ma chérie. Viens.

Les yeux de Sia s'illuminèrent de bonheur. Elle attrapa la main que lui tendait la française et elles sortirent, Anna tentant de se remémorer l'emplacement d'un petit restaurant pas cher dans le coin. L'enfant, manifestement transportée de joie à l'idée d'avoir un vrai repas et qu'on s'occupe d'elle commençait à babiller des phrases en anglais comme elle le pouvait, la remerciant.

Et tout alla très vite.

Trois hommes s'abattirent sur elles avec violence, arrachant la petite Sia des bras d'Anna. Les deux femmes se débattirent férocement, Sia mordit même avec passion l'avant-bras d'un de leur assaillants mais un coup fortement porté sur la mâchoire de la caucasienne lui fit voir des étoiles avant que le noir ne l'engloutisse.

La dernière chose qu'elle entendit fut les cris de Sia mêlés à ceux des trois hommes.


Sa tête lui faisait mal quand elle se réveilla et elle ouvrit les yeux sur un monde sombre et flou. Le sol tanguait et elle entendait vaguement des gémissements de terreur. La lucidité revenant peu à peu, elle se redressa et perçut le sol de métal froid sous ses mains, le mur lisse contre son dos.

Déroutée, angoissée, Anna se demanda où elle se trouvait. Ses yeux s'habituaient doucement à l'obscurité, et le roulis de l'endroit lui apprit bientôt qu'elle se trouvait, elle ainsi qu'une bonne vingtaine de femmes, dans la cale d'un navire. La peur la prit à la gorge, elle se mit à trembler légèrement, ne comprenant rien. Son cœur s'accéléra de crainte, en quelques secondes elle redevint la petite fille effrayée par le monstre sous son lit qui espérait encore que sa maman vienne la sauver.

Un souffle apeuré fit écho au sien, tâtonnant de la main la jeune femme attrapa un bras frêle, et sa voix chevrota :

- Si-Sia ?

L'enfant marmonnait en thaïlandais, visiblement terrorisée par leur situation. Anna l'attira contre elle pour la prendre dans ses bras, murmurant sans y croire :

- Ne t'inquiète pas, Sia, on va s'en sortir… Tout va bien se passer, je te le jure, on va s'en sortir…

Elle n'y croyait pas elle-même, avait peur devant l'inconnu qui s'étendait devant elles. Mais pour Sia, elle devait au moins avoir l'air forte.

Pourquoi l'avait-on enlevée ? De par ce qu'elle entendait, elle était entourée de thaïlandaises, alors pourquoi avait-on enlevé une touriste ? Et ses parents, dans quels états étaient-ils ? Combien d'heures avait-elle dormi ? Tant de questions tournaient dans son esprit, reflet de son angoisse.

Elle avait faim, elle avait froid, elle avait un début de nausée à cause de la houle, tant et si bien qu'elle ignorait si elle avait le mal de mer ou qu'elle avait le cœur au bord des lèvres de frayeur.

L'inconnu la terrifiait aussi. Qu'allait-on leur faire ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Des larmes silencieuses se mirent à couler le long de ses joues tandis qu'une idée fixe germait petit à petit dans sa tête.

Elle allait mourir.

Les minutes s'égrenèrent, les heures passèrent, lentes et se remplissant insidieusement de peur. Rapidement, certaines femmes tombèrent malades, ne supportant pas le roulis des vagues ni l'air vicié de la cale sombre et humide. Les odeurs de vomissures se firent vite sentir, accentuant la nausée de toutes. Anna finit par plaquer sa main sur sa bouche, cherchant inconsciemment à empêcher ses haut-le-cœur de rendre son dernier repas pourtant loin. La respiration de Sia à ses côtés se faisait sifflante et grelottante, accompagnant les gémissements de leurs compagnes d'infortune.

Cela dura ce qui sembla à Anna une éternité. Elle ne cessait de murmurer des paroles pour rassurer l'enfant dans ses bras, mais elle-même terrifiée n'entendait plus ce qu'elle disait.

Aveugle, l'odorat obstrué par l'odeur abominable de la maladie, ignorante de son avenir proche, Anna se perdait dans des réflexions étranges et sans queue ni tête. Désormais, elle regrettait tant de chose ! Elle n'avait pas suffisamment de « je t'aime » à ceux qui comptaient pour elle, elle aurait aimé réussir ses rêves, gagner un concours de photographie, parcourir le monde pour immortaliser sur pellicule sa grande beauté…

Elle aurait aimé avoir des enfants et les prendre en photo, avoir un mariage de rêve avec Seb –ou un autre homme, juste pouvoir porter ces magnifiques robes de princesse blanches, vivre tout simplement sa vie et les petites choses du quotidien lui manquaient déjà. Rien que manger lui manquait, elle avait si faim !

Sa faim couplée à sa nausée la rendait malade, sa faiblesse l'effrayait, tout l'effrayait, ce n'était qu'un cauchemar sans nom dont elle espérait se réveiller bien assez tôt.

Elle commençait à s'endormir, affamée, assoiffée et fatiguée plus que tout quand un long cri de terreur la réveilla en sursaut. Une des leurs hurlait, pleurait sans qu'elle ne puisse comprendre pourquoi puisqu'elle ne parlait pas thaïlandais. Sia se mit à son tour à pleurer dans ses bras et les femmes s'éloignèrent de l'une des leurs précipitamment. Anna demanda d'une voix un peu rauque :

- Pourquoi pleurer ?

- Femme morte.

- C'est pas vrai, putain…

L'angoisse monta d'un cran. Irrationnellement, Anna prit peur d'être la prochaine. Evidemment, peut-être cette femme était déjà malade, mais la peur était plus forte que la raison. On laissa le cadavre dans un coin de la cale, les femmes se serrant pour se rassurer et se tenir chaud. Certaines semblaient totalement muettes de frayeur, d'autres tentaient de s'occuper des autres, de rassurer le groupe.

Et le temps s'étiolait, toujours aussi lent, toujours aussi effrayant. Sans jour ni nuit, sans repère, elles se rapprochaient toutes de la folie.

Puis on ouvrit une porte en haut, les aveuglant de lumière. Les rangs se resserrèrent, Anna agrippa Sia, prête à la défendre bec et ongle. Des hommes hurlèrent sur elles et Anna vit ses compagnes se lever pour sortir, abandonnant le cadavre. Elle suivit le mouvement, toujours autant dans l'incompréhension la plus totale. Sortir de cette cale lui envoya une bouffée d'air frais, il faisait manifestement jour dehors et rien que le bruit du vent marin et l'odeur saline lui arrachèrent un sourire : est-ce que le calvaire était fini ? On les mena dans une cabine et elle découvrit enfin le visage de ses colocataires d'infortune. Toutes étaient belles, mignonnes et la moyenne d'âge semblait être une vingtaine d'année, sans compter Sia.

De la soupe et de l'eau leur furent distribués et toutes mangèrent et burent avec l'énergie du désespoir, mais cela apporta de nouvelles interrogations à la française : pourquoi s'occupait-on d'elles ? Elles n'allaient pas mourir ? Et l'éternelle question : pourquoi les avoir enlevées ? Anna ne comprenait pas. Elle offrit la moitié de son bol à Sia, attirant le sourire d'une des autres femmes :

- Vous êtes gentille.

Anna s'étonna de la voir fluente en anglais :

- Vous parlez anglais ?

- Je suis hôtesse d'accueil au Grand Hôtel Pattaya, donc oui je parle anglais. Vous êtes américaine ?

- Non, je suis française.

- Vous devriez manger, ils vous tueront à l'arrivée sinon, ou vous ne survivrez pas au voyage.

- Vous savez ce qui se passe ? Pourquoi on est là ? Qu'est-ce qu'il va nous arriver ?

- Nous allons être vendues. C'est pour ça qu'ils nous nourrissent.

- Mais…

- Moi je compte m'enfuir. Je ne veux pas finir en esclave.

- Vous savez où nous allons ?

- Pas du tout. Chine, Russie, Amérique ? Il y a tellement d'endroit où le trafic d'êtres humains peut être dissimulé… Mais je vais m'enfuir. Je vais m'enfuir.

La thaïlandaise semblait se raccrocher à cette idée comme à une bouée de sauvetage. Anna se tut, incertaine. Elle allait être vendue ? Elle n'arrivait pas à concevoir l'idée, se voyant déjà en soubrette ou en fabriquante de chaussures dans un pays quelconque. Bon sang, vingt ans de sa vie volant en éclat face à cette déclaration… Ce genre de situation, c'était toujours le genre de chose qu'on ne pensait arriver qu'aux autres, Anna se serra contre Sia, défaite.

On les ramena dans la cale, nettoyée et débarrassée du cadavre. En un sens, leurs ravisseurs faisaient attention à elles, car la présence d'une morte aurait contaminée les « produits de consommation » qu'elles étaient devenues.

Et le voyage reprit, le noir revint, la peur se fit plus forte encore. En fait, savoir son avenir offrait à Anna une branche à laquelle se raccrocher, l'inconnu était un peu moins inconnu même s'il restait plus que flou et terrifiant.

Anna ne savait toujours pas combien de temps passait dans la cale, alors pour ne pas perdre à nouveau tous ses repères, elle s'inventait un matin et un soir : elle se forçait à dormir, ou tout du moins à somnoler, pour elle la nuit, et lorsque se « réveillant », elle décidait qu'il s'agissait du jour. Rassurée d'avoir de nouveau un moyen de mesurer, contrôler quelque chose, elle put compter les jours, éloignant la folie et la terreur.

Il se passa deux de ses jours avant que les nausées du mal de mer ne reprennent le groupe de jeunes femmes, au sixième jour il y eut une tempête dehors, tout du moins elle le supposa tant le bateau tangua si fort ce jour-là, rallongeant son jour et écourtant sa nuit. Dans ses bras, Sia était de plus en plus faible et elles perdirent une autre thaïlandaise ce jour de tempête probablement d'un infarctus, la jeune femme ayant fait une crise de panique.

Côtoyer pendant une « semaine » un cadavre la rendait malade. Tout autour d'elle était glauque, entre les pleurs, l'aura fataliste qui s'élevait du groupe, l'odeur atroce de la chair en décomposition… Se sentir aussi faible lui faisait peur, leurs ravisseurs ne les nourrissaient pas tant que cela, à peine suffisamment pour les garder en vie…

Il y eut une nouvelle escale, on les ramena dans la cabine et on leur fournit un repas plus consistant que les jours précédents. Et Anna vit le regard de la femme ayant prévu de s'enfuir se faire de plus en plus déterminé. Pendant tout le repas, elle tenta de lui faire comprendre du regard d'attendre, qu'elle ne s'en sortirait pas en pleine mer, et que si son évasion ratait, elle risquait de se faire torturer ou pire, tuer… Mais la thaïlandaise n'en avait cure, manifestement décidée à mener à bien sa fuite avant qu'elles n'arrivent à leur destination finale.

Rien n'y fit. Dès qu'on les ramena dans la cale, l'hôtesse d'accueil se débattit avec force, créant la zizanie dans le groupe. Elle réussit, Anna ignorait comment, à mordre jusqu'au sang l'un de leurs surveillants et prit la fuite dans le bateau. Le reste des hommes poussa les autres femmes à retourner dans la cale à grand renfort de cris et Anna espéra, espéra très fort que la thaïlandaise trouverait une cachette et réussirait à s'enfuir hors du navire, lui donnant l'espoir qu'à son tour elle pourrait peut-être recouvrer sa liberté, sa vie d'avant…

Juste avant de rentrer dans la cale, l'étudiante entendit un coup de feu sec, suivit de près du son d'un corps tombant dans l'eau. Elle ferma les yeux, comprenant ce qui était arrivé à la pauvre fugueuse.

Elle avait été tuée.

Les autres femmes semblèrent le comprendre aussi, car toutes se rapprochèrent les unes des autres, groupe désormais solidaire et prêt à une soumission totale : leurs ravisseurs ne semblaient pas hommes de compassion.

Etrangement, le reste du voyage se passa presque bien. Sur huit de ses jours, tout le groupe s'unit, veilla sur chacun des membres, malgré la barrière de langue avec Anna. Elles se tenaient chaud et se rassuraient mutuellement, et ce jusqu'à ce qu'on les débarque de nuit dans un port qui semblait quelque peu familier à Anna. D'autres hommes les prirent en charge, armés eux aussi et la jeune femme écarquilla les yeux quand l'un d'entre eux siffla avec un fort accent du sud, manifestement agacé :

- 'tain, la cargaison avait encore du retard ! Le boss va nous buter, il faut qu'on se magne !

En France ! Elle était de retour en France ! Ainsi, on les avait enlevées pour le compte d'un mafieux en France ! Et au vu de l'accent de l'homme, elle se trouvait certainement à Marseille… Revoir sa patrie offrit une vague de chaleur dans tout son être et des larmes de joies menacèrent de couler : au moins était-elle chez elle, au moins était-elle revenue.

On les emmena en camionnette dans un bâtiment un peu délabré et elles furent séparées, pour le plus grand malheur d'Anna qui ne voulait pas lâcher Sia –ils durent se mettre à deux pour les séparer, car l'enfant ne désirait pas non plus être écartée de celle qui la rassurait.

Et un autre cauchemar débuta. Des hommes la déshabillèrent de force, sans faire attention à ses cris et à sa violente défense, la peur revenant plus forte encore et la sensation de leurs mains graisseuses sur elle lui donnant la nausée.

Aucun mal ne lui fut fait, néanmoins augmentant son incompréhension. Une fois nue, un jet d'eau tiède la frappa de force, manquant de la noyer.

On la lava, frottant vigoureusement et sans douceur sa peau sans qu'elle ne comprenne ce qui lui arrivait et une fois propre, ou tout du moins, moins sale qu'à son arrivée, Anna fut jetée dans une pièce, cheveux trempés et grelottante elle fut rapidement rejointe par ses compagnes de croisière en cale et accueillit Sia dans ses bras. On leur apporta des vêtements, des joggings et tee-shirts blancs trop grands pour elles, chacune s'habilla rapidement et en silence avant qu'un homme à l'air patibulaire n'entre dans la pièce accompagné de deux sbires :

- Le boss m'a demandé de faire un premier choix à lui envoyer, et je pourrais garder les autres. Il m'a dit qu'il voulait les trois plus jolies… Hum… Vous allez embarquer elle, elle et… la petite fille. Il a commandé une petite fille.

Sia agrippa Anna de toutes ses forces et la jeune femme montra les crocs quand les deux hommes s'approchèrent, feulant presque à cause de sa voix rauque de ne pas avoir servi :

- Vous… Vous ne la toucherez pas…

Le chef sursauta :

- Merde, tu parles français ? Putain les gars, ils ont embarqué une touriste ! Qu'est-ce qu'on va faire ?

L'un des deux hommes haussa les épaules :

- On a qu'à l'embarquer avec la gosse, puisqu'elles veulent pas être séparées. On a déjà du retard, on va pas en prendre en plus à se battre contre une grognasse. Le boss la butera quand on arrivera, ça lui fera plaisir.

- Oh, parfait. Rappelez-lui qu'il me doit treize pour cent de leur prix, hein ? En espérant que le Vendeur de tapis réussisse à en tirer un bon prix, le boss est dur en affaire.

- On lui dira. Allez, on les embarque !

Tandis que les autres femmes étaient amenées ailleurs, partant vers un avenir dont Anna n'avait vraiment pas envie d'entendre parler, les deux gros bras la trainèrent, elle accompagnée de Sia et de deux autres thaïlandaises, dans un petit fourgon bleu, portant de la publicité pour un électricien, certainement une couverture pour le trafic illégal que les deux hommes entretenaient.

A ce moment, Anna fut tentée de s'enfuir.

Elle était de retour en France, et elle eut l'égoïste pensée de vouloir partir seule, laissant Sia et les deux autres femmes. Après tout, d'après la réaction de celui chargé du trafic d'êtres humains, elle était une erreur, son absence ne changerait donc pas grand-chose… Mais les armes portées à la ceinture de ses nouveaux ravisseurs l'en dissuadèrent. Elle ne voulait pas mourir bêtement sur un coup de tête, devait attendre le bon moment.

On devait la livrer à un boss.

En un premier temps, elle ne voulait pas savoir pour quelles raisons un homme aurait « commandé » des femmes. Enfin, elle s'en doutait mais espérait de tout son être se tromper voire essayait simplement de ne pas y songer, après tout ce n'était peut-être que pour du travail au noir en couture ou autre. Ensuite, avec un peu de chance cet homme n'habitait pas loin de Paris, ce qui en cas de chance de fuite, serait beaucoup plus simple pour elle. Et enfin, peut-être que par le plus grand des hasards, ce « boss » n'était pas intrinsèquement méchant et, si elle lui promettait de ne jamais rien dire sur lui ou son trafic, peut-être qu'il la laisserait partir. Qu'importait Sia ou ses compagnes de croisière involontaires, elle voulait juste rentrer chez elle.

Cette pensée n'était que folie, sa raison le lui hurlait, mais c'était là un mince espoir auquel elle voulait se raccrocher.

La traversée à bord de la camionnette bleue débuta alors, inconfortable et longue. Ecoutant la radio, Anna apprit qu'elle avait passé près d'un mois dans le bateau la ramenant à Marseille. Cette nouvelle l'affola quelque peu, ses parents devaient être dévastés de sa disparition. Si seulement elle n'avait pas voulu rester seule… Mauvais moment, mauvais endroit peut-être mais ses ravisseurs n'auraient jamais attaqué si son père avait été présent.

L'enfant en elle qui appelait vainement ses parents ne semblait pas résigné à disparaitre, et Anna tenta malgré ses sombres pensées et son cœur serré d'angoisse de trouver une place confortable pour se reposer, Sia agrippée à elle. Elle plaignait aussi les deux autres femmes thaïlandaises, qui ne comprenaient pas la situation, ne parlant pas français, elles devaient avoir autant peur qu'elle durant la traversée en bateau.

Somnolant, elle avait la tête emplie d'interrogation. Qui était ce « boss » ? Un mafieux ? Un tueur ? Un quelconque chef d'entreprise un peu plus riche que la moyenne ? Tout cela à la fois ? Elle ne savait pas à quoi s'attendre, et plus que la peur de ne jamais rentrer chez elle, de ne plus jamais serrer dans ses bras sa famille, ses amies et Seb, cet inconnu l'angoissait.

Le voyage dura environ une dizaine d'heures, et la jeune femme s'étonna de la prudence et de la politesse des truands qui les conduisaient à leur destination. Ils faisaient très attention au code de la route, s'arrêtaient relativement souvent aux stations essences pour prendre des pauses et leur achetaient des snickers et autres friandises, maigres repas mais tellement meilleurs que l'affreuse bouillie au riz qu'elle avait mangé en quantité astronomique ce mois dernier pour tenir dans la cale insalubre du cargo. Les deux hommes leur avaient aussi donné des couvertures chaudes, bref ils avaient créé un peu de confort et elle leur en était reconnaissante. Tous ces signes semblaient la conforter dans l'idée que leur « boss » n'était pas si méchant que cela…

La tension de fin de voyage les réveilla toutes dans la soirée du lendemain de leur arrivée en France, Anna risqua un œil, voulant connaitre leur destination. Les panneaux indiquant la porte de Clignancourt et les sorties du Périphérique lui firent l'effet d'un jet d'acide dans l'estomac : est-ce que le destin se moquait d'elle ? En un sens, elle avait effectué son voyage de retour de vacances, certes plus tôt et il avait duré plus longtemps, mais au moins était-elle de retour près de chez elle, cela lui facilitait les choses. Ne restait plus qu'à espérer qu'on la laisserait partir, même si inconsciemment elle savait au plus profond d'elle-même que cet espoir était de plus en plus vain et stupide.

On les débarqua dans le dix-huitième arrondissement, dans un endroit sombre et peu accueillant. Elles furent amenées dans un immeuble à l'air décrépi et Anna fut surprise en voyant l'intérieur tout à fait sympathique, chauffé et décoré à l'ancienne, avec beaucoup de dorure et de grandes tentures rouges moirées. D'immenses miroirs donnaient un effet riche à l'entrée, comme dans un hôtel de luxe, tant et si bien qu'Anna se demanda où elle venait d'arriver. Les deux hommes les menèrent dans une loge et enfin, un trentenaire maghrébin entra, l'image même du marchand tout droit sorti d'Aladdin.

Anna ne le connaissait pas. Si elle l'avait connu, elle aurait su que cet homme était appelé dans le milieu du crime le Vendeur de Tapis, ce grâce à sa capacité de vendre tout et n'importe quoi : armes, drogues, êtres humains, organes, jeux vidéo, livres, fruits et légumes… La légende voulait qu'à l'âge de douze ans, il ait vendu sa mère à une grande marque de chaussure pour qu'elle travaille au Vietnam.

Mais tout cela, la française l'ignorait et donc observait le petit homme avec un intérêt curieux, se demandant si c'était lui le « boss » des deux autres hommes. Manifestement oui, et elle sentit un léger espoir gonfler dans sa poitrine, il semblait étrange, mais pas méchant…

L'homme se frotta les mains :

- Oh, de bien jolies femmes. Si vous avez pris les plus belles, je suppose que le lot devait être pas mal… Mais bon, traiter ici est plus intéressant qu'avec les crétins de Marseille, ça rapporte plus. Je devrais avoir un bon prix, normalement… Ah, mais qu'est-ce que c'est que ça ? Pourquoi y a une blanche ?

Anna raffermit sa prise sur Sia, affrontant le regard mécontent du Vendeur qui continuait à râler :

- Il avait dit que… Bah, pas grave, tant que ça a un vagin, ça lui convient.

L'un des deux gros bras lui répondit :

- Elle est française, c'est juste qu'elle voulait pas lâcher la gosse et qu'on avait pas le temps.

- Au pire, je peux lui vendre comme cible. On trouve toujours un prétexte pour vendre. Parce qu'il en voudra pas, elle a un trop gros nez, trop maigre et pas assez bien proportionnée. Et sinon, j'arriverais bien à la refiler à un réseau, il y a plein de nouveaux pigeons qui n'y connaissent rien et peuvent se faire arnaquer facilement. Vous en avez pris soin ? Parce qu'elles ont pas l'air très bien, je ne peux pas vendre des produits abimés !

- Tu connais les réseaux thaïs, les voyages sont miteux. Parait qu'ils ont perdu trois filles pendant la traversée.

- Du gâchis. J'aurais voulu les remettre un peu sur pied avant de les présenter, leur faire faire un peu de sport, leur faire prendre un ou deux cours de français afin d'optimiser la vente, mais bon… Bah, Il s'en chargera, après tout on va pas leur demander de déclamer du Molière tout de suite. Et elles iront même pas dans la rue, hein ?

- Ouais boss.

- Au moins seront-elles au chaud. Mais faut que j'ajuste mes prix en conséquence.

Anna ferma douloureusement les yeux. Cet homme les déshabillait du regard et les observait comme on regarderait les dents d'un cheval, c'était répugnant et angoissant. Et surtout, son hypothèse la plus horrible venait d'être confirmée : elle allait être vendue à un réseau de prostitution. En un sens, elle espérait presque être vendue comme cible et mourir tout de suite, l'idée de devoir contenter un homme contre rémunération la révoltant.

Elle respectait ces femmes qui vendaient volontairement leur corps, après tout on disait bien qu'il n'existait pas de sots métiers, mais ces thaïlandaises ignoraient ce qui allait leur arriver, et cela la révulsait. Et le pire était pour Sia. Ce n'était qu'une enfant, elle n'avait pas à être ici ! Comment pouvait-il oser seulement songer à vendre une enfant comme prostituée ?

La dure réalité de la vie la rattrapait, lui donnant des vertiges. Elle se sentit coupable, coupable d'être née en France, d'avoir eu une enfance agréable alors que des enfants comme Sia, des femmes comme les deux autres vivaient dans la pauvreté et étaient enlevées pour servir de jouets sexuels à des vieux porcs pervers.

Et savoir, ou tout du moins se rendre compte qu'il existait réellement des personnes sans morale comme ce marchand brisait sa vision du monde, où elle pensait que les vrais méchants n'existaient que dans les livres et les films. Mais ils étaient aussi dans la réalité, et le plus angoissant était de penser qu'ils n'avaient pas forcément une étiquette sur le front.

C'est donc déboussolée et apeurée qu'elle vit entrer un homme, manifestement l'acheteur vu sa prestance.

De petite taille, il lui semblait même à vue de nez qu'elle le dépassait, il avait des traits fins et un rictus malsain accentué par la tenue d'une cigarette dans sa bouche. Il portait un haut de costume noir sur un jean, comme pour signaler qu'il était dangereux et qu'il se savait le chef puisqu'il était assez détendu pour être en jean. Enfin, une paire de lunettes noires empêchait ses interlocuteurs d'apercevoir son regard, le rendant mystérieux et inquiétant.

Il alluma sa cigarette et sa voix rauque surprit Anna :

- Donc, voici ma cargaison. Voyons tout ça…

Le Vendeur s'inclina plusieurs fois devant lui, serpent perfide et complaisant :

- Patron ! Je me demandais ce qui avait pu vous retarder, je…

- Je suis en retard ?

Le maghrébin dut sentir la menace dans sa voix car il se ratatina :

- Non non, bien sûr, vous n'êtes pas en retard, qu'est-ce que je dis, moi ? Je suis vraiment heureux de négocier avec vous, j'espère que tout va bien pour vous, dans votre famille comme dans votre travail, et…

- Abrège gamin, j'ai pas toute la soirée. J'ai du fric à aller collecter après cette négociation, et j'ai pas de temps à perdre.

- Oui oui oui, très bien, je comprends, vous êtes un homme occupé. Alors, voyons la marchandise d'aujourd'hui. Toutes provenant de Bangkok, comme vous le voyez elles sont de bonne qualité, la peau n'a pas de défaut et…

- Elles sont quand même maigres, gamin.

- Vous connaissez les thaïs, ils n'ont aucun respect pour la marchandise. Mais ce n'est rien, quelques repas suffiront à leur redonner des formes.

- Mouais, mais ça veut dire que je vais devoir les remplumer avant de les mettre au travail. Je présume qu'elles ne parlent pas français ?

- Non…

- Bon, c'est pas grave, elles vont apprendre sur le tas. Tatiana va leur apprendre le métier, elle est très pédagogue.

Le Vendeur soupira discrètement de soulagement et désigna Sia :

- J'ai même pensé à vous commander une petite fille, je me suis souvenu que vous en vouliez une la dernière fois.

L'homme hocha la tête, appréciant l'attention :

- Bien vu. C'est vrai que j'ai certains clients qui aiment une petite séance pédophile. Et je ne dis jamais non au cul d'une gamine pré-pubère. Et… Bordel, qu'est-ce que c'est que ça ? J'avais dit que je voulais que de la thaï, qu'est-ce qu'une caucasienne fout là ?

- Euh… Ça c'est une erreur de la part du marché thaï, ils ont pris une touriste française dans le lot.

- Tch, erreur de débutants…

- Je suppose qu'ils ne voulaient pas d'histoire ?

- Ils auraient dû la tuer, gamin.

- Je leur ferais parvenir le message. Bref, mis à part cette grossière erreur de produit, nous avons donc deux thaïlandaises en bonne santé et une enfant, cela nous fait donc…

- La gamine a l'air de souffrir de malnutrition. Tu sais combien de temps sur son travail ça va me prendre de la remettre en état ?

Et la négociation continua.

Anna détourna le regard, passablement nauséeuse d'entendre des gens traiter des femmes comme de la marchandise. Les prix montaient et descendaient, et l'homme en noir semblait certain d'avoir le dernier mot, confiant et sûr de lui. Face à lui, le Vendeur ressemblait à un poisson hors de l'eau, voyant ses gains s'amenuiser au cours de la négociation. Quand ils semblèrent enfin arriver à un consensus, le nouveau propriétaire détailla la jeune française :

- Et sinon, pour elle. Qu'est-ce que tu me proposes, gamin ?

- Euh… Alors, je sais qu'elle n'est pas très jolie, mais elle est forcément en bonne santé.

- Elle n'intéressera pas mes clients. Et vu que c'est pour l'établissement que je fais mes courses…

- Oui, mais vous pourriez la garder pour vous. Après tout, il est toujours agréable d'avoir une personne près de soi sur qui passer ses nerfs en fin de journée, la frapper, lui casser des os… L'oncle Gino, à Florence par exemple, me passe assez souvent des commandes de chiens de toutes races, pour pouvoir les torturer quand il est en colère. Je trouve que ce serait un bon investissement pour ce produit.

- Un jouet punching-ball humain…

La jeune femme écarquilla les yeux de terreur. Il n'envisageait tout de même pas de… Non, elle préférait mourir immédiatement que d'être torturée par sadisme ou de servir d'anti-stress ! Elle ne voulait pas qu'on lui fasse du mal, elle n'était personne, elle voulait simplement… Ses pensées désordonnées sous la panique, elle tenta d'accrocher le regard de l'homme en noir et supplia d'une petite voix :

- Pitié… Je vous en supplie, tout mais pas ça…

Il s'approcha d'elle, son rictus s'agrandissant elle continua :

- S'il vous plait, je… Je ne devrais pas être ici, c'est… C'est une erreur, pitié libérez-moi… Je ne veux pas être torturée, j'étais… J'étais simplement en vacances avec mes parents, s'il vous plait… Je vous le promets, je ne parlerais à personne, je veux juste rentrer chez moi… Ne me faites pas de mal…

Des larmes se mirent à couler le long de ses joues :

- Libérez-moi… Je promets, je promets… Je ne veux pas mourir, je ne veux pas… Laissez-moi rentrer chez moi…

L'homme lui prit le menton et le releva, l'observant. Puis il tira longuement une latte de sa cigarette :

- Et donc, tu me la conseillerais comme jouet, gamin.

- Oui, comme vous pouvez le voir, elle supplie en plus. N'est-ce pas ce que vous recherchez ?

- Oh oui, gamin, c'est ce que je recherche…

Les pleurs d'Anna redoublèrent et il se détourna d'elle :

- Je la prends, gamin.

- Je suis certain que vous allez prendre du plaisir à la battre, Patron.

- Certainement pas, gamin. Battre quelqu'un, déjà c'est lâche, et c'est du gâchis quand c'est pas dans un contexte masochiste. Par contre, même s'il est accompagné d'un visage quelconque, un cul reste un cul. J'ai de la chance, j'avais besoin d'un nouveau jouet.

- Oui, vous avez de la chance que les thaïs se soient trompés. Sinon, pour le prix : une caucasienne, manifestement âgée d'une vingtaine d'année…

- Quel prix, gamin ? Je croyais qu'elle n'était qu'une erreur de cargaison ?

- Oui, je peux prendre en compte que…

- Alors tu vas me l'offrir gratuitement, pas vrai ? Ou alors, c'est toi que j'utilise comme nouveau jouet. Un cul reste un cul.

Le Vendeur blanchit vivement puis s'inclina avec précipitation :

- Evidemment qu'elle est gratuite ! Vous êtes mon meilleur client, et le client est sacré !

- Vois avec Tatiana à l'entrée pour le paiement, moi je dois filer. On se revoit une prochaine fois, hein gamin ?

- Oui, c'est toujours un plaisir de faire affaires avec vous, Patron.

L'homme à la veste de costume, le « Patron » parti, le Vendeur s'essuya le front :

- Pffiou, traiter avec lui est toujours une torture… Un jour, je vais y passer, j'en suis sûr !

Sur ce, accompagné de ses deux sbires, il s'en alla à son tour.

Et laissée seule avec Sia et les deux autres thaïlandaises, Anna sanglota de plus belle. Elle venait d'être vendue en tant que pute personnelle d'un mafieux, sa vie pouvait-elle devenir pire ?


Fin du chapitre premier. ^^

Le décor est installé, les pions avancés...

J'espère que vous avez apprécié, et que j'ai réussi à vous donner envie de me supplier de vous donner la suite (oui, suppliez-moi...).

Je vous fais de gros bisous, et je vous dis au prochain chapitre! Et surtout, joyeux Noël!