« Sibylle, vous n'êtes vraiment pas raisonnable. Combien de fois vous ai-je dit de faire attention à votre foie ! Je ne peux pas toujours vous aider… » Grommela Madame Pomfresh.

« Pas trop fort… Je sens que je vais avoir une… vision… »

« Mais bien sûr, la vision de votre lit surtout. Allez, avalez-moi ça, et dormez maintenant. Si des élèves vous découvraient ici… »

La vieille infirmière eut un mal fou à faire entrer le breuvage dans la gorge de sa collègue mais enfin celle-ci se laissa faire et perdit aussitôt conscience. Elle allait s'endormir dans un sommeil à peu près réparateur. Une fois que la vieille femme l'aurait allongée. Elle aurait sans doute dû faire cette manipulation avant de l'endormir. Peut-être. Mais elle n'en pouvait plus de ses gémissements sans aucun sens.

Parfois, elle ne comprenait pas. Combien de fois s'étaient-elles d'ailleurs disputées à ce propos. Combien de fois lui avait-elle répété à quel point c'était mauvais pour son foie, pour son cœur ? Combien de fois lui avait-elle demandé, agacée, ce que ça pouvait bien lui apporter ? Combien de fois avaient-elles échangé des noms d'oiseaux ? Pompon ne savait même plus.

Et pourtant, à chaque fois, elle la ramassait, quelque part dans un couloir parce qu'un préfet l'en avertissait, voire Dumbledore lui-même. Elle allait même la voir dans sa tour pour la soigner directement à son appartement. Ça n'était pas parce qu'elle n'écoutait pas ses conseils qu'elle n'allait plus la soigner, c'était son devoir. Et puis il fallait bien que ses élèves aient cours le lendemain, et pour ça, ils avaient besoin de leur professeur. Même si l'infirmière ne voyait pas très bien ce qu'elle pouvait leur apporter, enfin ça n'était pas son problème. Elle se contentait de la booster aux potions anti-dépression et herbes contre la gueule de bois, c'était bien suffisant. Son travail s'arrêtait là.

Le reste n'était pas de son ressort et elle ne tenait pas particulièrement à savoir la raison pour laquelle Sibylle Trelawney s'obstinait à boire plusieurs flasques de xérès quand elle n'allait pas bien. Pompon soignait le corps mais elle n'avait malheureusement aucun pouvoir sur l'esprit, et cette bonne femme l'horripilait.

Pour une scientifique comme l'infirmière, chaque problème avait sa solution, son onguent, même s'il n'était pas aussi malléable que les siens. Et si elle comprenait aisément les peines de cœur de ses chers élèves, elle n'arrivait pas à trouver une motivation suffisante au professeur de divination pour qu'elle se soûle presque chaque soir.

Elle noyait un chagrin, c'était certain, mais lequel ? Elle avait une place de professeur alors que selon Pompon elle n'aurait jamais dû l'obtenir, étant données son manque de capacités, de plus, elle n'avait sûrement pas de peine de cœur, alors quoi ? Non, vraiment, l'infirmière ne voyait pas. Elle avait fini par en conclure que Sibylle aimait se donner un charme dramatique, elle aimait boire et elle ne faisait que se chercher des excuses. Cela devait donner plus de profondeur au personnage qu'elle s'était construit.

Il y avait peut-être quelque chose qui lui échappait. Après tout, elle ne comprenait déjà pas comment on pouvait baser sa vie sur l'abstrait, les forces surnaturelles qu'on ne comprenait même pas, les interprétations dans des ingrédients qui n'avaient sûrement pas cette fonction à l'origine. Alors pourquoi comprendrait-elle qu'on se soûle à en perdre la raison ?

La vieille femme retourna à ses affaires. Elle avait d'autres sombrals à fouetter et notamment une décoction contre les maux de tête qui n'allait pas attendre des heures qu'elle daigne s'en occuper. Si elle ne s'y mettait pas tout de suite, le chaudron entier allait être perdu et il n'en était pas question. Sûrement pas à cause d'une écervelée de cinquante balais.

Elle retourna à son office, dans lequel elle n'acceptait personne hormis le directeur de l'école bien sûr. Ici, elle préparait tous ses onguents, ses potions, et ses décoctions. Elle faisait macérer des plantes dans un chaudron près de la fenêtre pour qu'elles aient la lumière de la lune. Elle en faisait suer d'autres sur le feu de la cheminée. Elle avait une étagère sur laquelle étaient rangés des dizaines d'ingrédients, de pots prêts à être utilisés.

Pompon adorait son métier. Elle pouvait y passer ses journées et ses nuits. Soigner par les plantes et la magie, être guérisseuse, était sans doute le plus beau métier du monde. Bon, sauf quand elle devait se coltiner la vieille chouette de la Tour Nord.

D'ailleurs, elle entendait du mouvement dans la salle des soins. Pourvu que ça ne soit pas un élève qui se réveillait. Il verrait alors le professeur de divination étendue dans un lit et l'infirmière n'était pas sûre que cela fasse bonne impression. Elle se précipita dans la pièce pour voir ce qui s'y passait.

« Mais… mais qu'est-ce que vous me faîtes ? Vous avez recraché votre potion ou bien ? »

« Je veux rentrer dans ma tour. Je sens que je pourrais faire de grandes choses ce soir. Mon troisième œil s'agite. Il demande mon interprétation… » Marmonna Sybille en tentant de se relever.

« Mais comment avez-vous bien pu faire pour vous réveiller après la dose d'hippogriffe que je vous ai administrée… » Resta bouche bée l'infirmière.

« Mon troisième œil, je vous le dis, il s'agite ! Il se rend compte de choses qui nous dépassent ! » Cria en réponse la concernée.

« Mais taisez-vous, par Merlin, vous allez réveiller mes autres malades ! Vous êtes complètement folle ma parole ! »

« Je ne suis pas folle, mais vous n'êtes qu'une vieille pie décharnée qui ne comprendra jamais mon don ! »

« C'est ça, allez donc me faire votre interprétation dehors, allez, du balai. Je ne veux plus vous voir. Et ne vous avisez pas de renverser une de mes plantes au passage ! » La mit dehors la guérisseuse.

Le professeur continua de marmonner en se cognant aux lits sur son chemin. Elle réveilla ainsi Marcus Flint, encore endormi après une blessure à un entraînement, un élève qui avait reçu un sort de métamorphose par mégarde, ainsi qu'une élève de troisième année venue pour des menstrues difficiles. Tout ce petit monde gémissait, le joueur de Quidditch gueula même qu'il était là pour se reposer et non pas pour qu'on lui casse les pieds, ce qui réveilla une autre partie des malades.

Non, vraiment, elle ne comprenait pas comment elle avait pu se réveiller. Et elle refusait de croire que cela soit le fait de ses fichus dons qui n'existaient pas. En tout cas, elle le jurait, c'était la dernière fois qu'elle l'acceptait dans son infirmerie !