Andrea descendit du taxi rue Riquet et regarda sa montre pour la énième fois.

Elle pesta. Elle était en avance. Trop en avance.

Elle avait eu beau ranger ses affaires, prendre son temps pour se préparer et faire même le ménage et les courses ! Rien n'y faisait. Il était 18h40 et Colette ne l'avait invitée à dîner que pour 20 h.

Elle marcha quelques temps le long des quais mais finalement n'y tint plus. Elle entra le digicode dont elle se souvenait encore et poussa la lourde porte de l'immeuble.

Cette odeur de bois, cette végétation... elle s'en rappelait comme si c'était hier. Elle sourit et pressa inconsciemment le pas.

Arrivée au deuxième étage, son cœur battait la chamade. Elle sonna.

Il y eut d'abord un bruit de pas puis celui de la clé qu'on tourne dans la serrure et enfin la porte s'ouvrit, laissant apparaître Colette.

Andréa réalisa alors qu'elle avait cessé de respirer. Elle sourit, inspirant à nouveau.

Mais la porte se referma presque entièrement sur elle. Seul subsista le visage de Colette dans l'entrebâillement de la porte.

« Qu'est-ce que tu fais là ?

Andréa la fixa une seconde perplexe puis choisit finalement l'humour sarcastique qui était une de ses spécialités.

- Euh je te rappelle que tu m'as invitée répliqua-t-elle.

- Non je veux dire ... tu as une heure d'avance.

- Tu sais que je suis très ponctuelle répondit Andréa avec son plus beau sourire.

Mais Colette n'ouvrait toujours pas la porte.

« Tu n'es jamais à l'heure Andréa. »

Ok donc elle avait affaire à la Colette version inspectrice des impôts : visage fermé et bouche sévère. Andréa perdit son sourire.

« Je peux entrer ?

- Je.. j'ai plein de choses à préparer Andréa ! Je suis en train de faire la cuisine, je ne suis pas habillée, rien n'est fait encore. »

Il y eut un silence puis Andréa reprit la parole.

- Ok j'ai compris. Tu as l'air tellement ravie de me voir que je ne vais pas te déranger plus longtemps ! répliqua sèchement Andréa en tournant les talons.

« Andréa ! »

Colette la rattrapa à la 5ème marche de l'escalier.

« Ne sois pas stupide, viens lui dit-elle en lui prenant la main.

- J'avoue que ce n'est pas l'idée que je me faisais de ton accueil résista Andréa.

- Pardon, je suis désolée d'avoir réagi ainsi. C'est juste que … je ne suis pas vraiment prête.

- Je vois ça » se moqua Andréa indiquant sa tenue du menton.

Colette ne put se retenir de rire à son tour. Elle portait un vieux survêtement avec un tablier par-dessus.

Elle fit signe à l'agent d'entrer.

« Je ne t'attendais pas de sitôt.

- Je sais murmura Andréa en se retournant, mais ... je n'en pouvais plus d'attendre. »

Leurs regards se croisèrent et leur proximité engagea une nouvelle tension.

Colette referma la porte derrière elle brisant ce court moment.

« Donne-moi deux secondes, j'ai à faire en cuisine. »

Andréa parcourut des yeux l'appartement, qui avait à peine changé. Se trouver là lui rappela tout un tas de souvenirs d'un seul coup. Elle n'aurait jamais pensé y revenir un jour.

Elle trouva Colette dans la cuisine, courant de nouveau dans tous les sens. Appuyée contre la porte de la cuisine, elle la regarda un instant, attendrie.

« Je termine juste ça comme ça, ça va au four. Après il faut que je m'occupe de la viande, que je fasse cuire le tout.. Je ne sais pas que ça va donner hein, c'est la première fois que je fais ce plat, j'espère que ça va te plaire… »

Andréa la laissa continuer son monologue et amusée, l'observa se battre avec la commande du four.

Elle posa les mains sur ses épaules.

« Colette, c'est moi ok ? Arrête de stresser.

La jeune femme se redressa et fit face à Andréa qui la regardait avec tendresse.

« Pardon. Je .. je ne sais pas pourquoi je réagis comme ça. dit-elle en se passant la main sur le front. C'est idiot parce que c'est toi, que tu me connais mais … continua-t-elle en s'agitant.

- Mais ?

- Mais ça me stresse encore plus ».

Andréa ne put se retenir de rire devant le visage embarrassé de sa partenaire. Elle allait ajouter autre chose mais Colette recommençait déjà à s'agiter.

« Bon je mets ça à mariner, je rentre ça au frigo, ça à la vaisselle…

- Je peux aider peut-être ?

- Andréa ... On ne peut pas dire que la cuisine soit un lieu que tu fréquentes quotidiennement.

André lui lança un faux regard indigné.

- Visiblement toi aussi tu me connais ».

Colette sourit d'un air entendu et se débarrassa de son tablier ridicule.

« Bon je te laisse je vais me changer. »

Et elle disparut aussitôt.

« Mais et je fais quoi moi ? » se dit Andréa pour elle-même.

« Prends toi un verre cria Colette depuis la chambre comme si elle avait deviné ses pensées.

Andréa râla et ouvrit le placard. Elle se saisit d'une bouteille.

La voix de Colette retentit à nouveau : « Et pas d'alcool Andréa ! »

Celle-ci jura et repose bruyamment la bouteille là où elle l'avait trouvée.

« Super, je suis condamnée à un jus de pamplemousse » maugréa-t-elle en refermant le frigidaire.

Les minutes s'écoulèrent. Lentement, très lentement pour Andréa.

Assise sur le canapé, son verre à la main, elle tentait de mettre de l'ordre dans ses pensées.

Elle avait raté son entrée, gâché le début de soirée et ajouté une pression sur les épaules de Colette qui visiblement n'en avait pas besoin.

C'était complètement ridicule. Elle était venue ici des centaines de fois, avait vu Colette dans son vieux jogging, en pyjama, complétement nue même. Où était le problème ?

Et puis cette tension sous-jacente là. Pas sexuelle, oh non, elle aurait préféré.

Non plutôt comme un stress de premier rendez-vous ou de rendez-vous crucial qui va changer votre vie.

Etait-ce le cas là ?

Après tout, elles avaient dit qu'elles s'aimaient. C'était assez clair non ?

Alors pourquoi avait-elle la sensation que tout partait en vrille ? Ce n'était décidément pas ce qu'elle avait imaginé pour leur premier nouveau rendez-vous.

La voix du sujet de ses pensées interrompit ce flot de doutes.

« Tu me sers un verre ? J'arrive dans une minute.

Andréa poussa un soupir de soulagement.

« Pardon, hein, j'ai mis un peu de temps continua-t-elle de la salle de bain. On recommence d'accord ? Tu oublies la version négligée.

- J'aimais beaucoup ce vieux survêtement tu sais. »

Le rire joyeux de Colette résonna dans l'appartement et soudain l'abattement qu'elle ressentait quelques instants auparavant disparut.

Elle eut un sourire malicieux et se leva brusquement.

Colette apparut dans le salon une minute plus tard, toute apprêtée.

« Andréa ?

Aucune réponse. Personne dans la pièce.

« Andréa » réessaya Colette cette fois plus inquiète.

Quelqu'un toqua à la porte. Colette l'ouvrit d'un geste.

« Mais à quoi tu joues ? interrogea-t-elle

- On recommence non ? » répliqua Andréa avec ce timbre provocateur qui la caractérisait si bien.

Colette s'effaça pour la laisser entrer non sans un sourire aux lèvres.

Parvenue à sa hauteur, Andréa approcha son visage du sien.

« Bonjour murmura-t-elle

- Bonjour « répondit Colette un ton encore plus bas.

Et Andréa l'embrassa. Simplement, tendrement.

Elle se reculait déjà pour fermer la porte mais Colette la retint contre elle et répondit plus fermement à son baiser.

Cette fois-ci plus de doutes.

La sensation des lèvres sur les siennes, de cette odeur tant manquée, de ce corps chaud contre le sien.. Cette sensation là précise de se retrouver fut si brulante qu'elle les enflamma en quelques instants. Les bouches s'ouvrirent, les souffles se mêlèrent et le désir monta, impérieux.

Une porte fermée, un couloir traversé, des rires et des vêtements balancés plus tard, elles tombèrent sur le lit. Les sens parfaitement éveillés, leurs corps se souvenaient des gestes, du goût de la peau, des caresses. Elles se retrouvèrent pleinement, charnellement, le désir insatiable par tant de mois séparés.