Le mètre ruban siffla en s'enroulant. Un bruit dérangeant et effrayant, surtout quand ça se passe près de l'oreille. Sans compter le mouvement d'air qui poussait le duvet de la nuque à s'hérisser un court instant. Dean haussa les sourcils et regarda son père. Ça ne valait pas l'autocollant qu'ils avaient eu, dans un passé lointain, indiquant la mesure tous les dix centimètres avec des nombres en bleu, agrémentés de petits nuages.

- Tu as bien grandi, Dean, lui certifia John.

Il le dit sans même faire l'effort de sourire, Dean se raccrocha au bien. Puis son père parlait souvent d'être grand, assez grand pour s'occuper de Sam, assez grand pour s'occuper de lui-même… Il savait que ça n'avait d'abord pas à voir avec la taille. Mais s'il grandissait, il pourrait être plus fort, il pourrait faire mieux, faire plus. Apprendre plus aussi. Etre grand pour « être grand ». Il se comprenait.

Plus vite il sera grand, plus vite il sera chasseur. Il pourra vraiment aider. Plus besoin de permission, plus besoin de couvre-feu, plus besoin d'affronter les regards suspicieux.

Il croisa les doigts, déterminé.

Et tout aurait pu très bien aller.

Enfin, aller dans son sens.

Sam, en mauvaise graine, avait -semble-t-il- très bien poussé dans son engrais magique alimenté à la mauvaise humeur contestataire. À ses quinze ans particulièrement. Normal, c'est la puberté. Normal, c'était une espèce d'épi de maïs rebelle. Il n'y avait pas à chercher. Et quand les tailles furent enfin stabilisées, que Sam ne pouvait plus s'élever davantage, sûrement à son grand dam, il était proche des deux mètres. Naturellement.

Dean était grand, qu'on ne s'y trompe pas, quand il sortait au bar il se sentait grand. À côté de son paternel il était presque égal, tout comme dans les tâches, presque égal. Il chassait aussi, mais il ne planifiait jamais des affaires qui avaient trop d'ampleur selon son père. Il fallait bien vérifier ses connaissances palier après palier, il reprendrait le flambeau avec Sam par la suite.

D'ailleurs à cette époque, à côté de Sam, Dean faisait tâche. Ou à côté de Dean, Sam faisait tache, difficile de savoir, tant ils s'accordaient mal. Il portait souvent des chaussures de marche en plus, avec semelles épaisses. Tout pour faire chier. Dean en compagnie de Sam devenait le plus petit, voire même, et cela l'étonnait toujours, le petit. Il compensait sans s'en apercevoir avec une démarche plus lourde et appuyée, un caractère plus affirmé en présence d'inconnus. Il prenait toute la place.

- Sam tu as encore pris plusieurs centimètres, non ?! C'est incontrôlable.

Dean était inconsciemment réconforté par les remarques de John, oui c'était incontrôlable, non ce n'était pas forcément bien. Et Sam, acide à souhait répondait qu'il était le plus grand de la classe, tout en fixant son frère, comme s'il avait l'impression que c'était ce dernier qui lui balançait ces mots. Dean s'en foutait, la plupart du temps, il était content que Sam ait grandi, même si c'était parfois un peu trop pour son égo.

Il conservait toujours sa gueule de gosse révolté. C'était pas comme si ça lui avait fait gagner un air adulte. Seulement de la carrure. Amusé, il le regardait bomber son torse et prendre une posture fière face au père. Un peu inquiet ensuite de la tournure des évènements au fil des discussions, qui se transformaient systématiquement en disputes.

Et un jour Sam partit. Il ne sut pas vraiment comment le prendre sur le coup, il savait qu'il y songerait plus tard, beaucoup plus tard, quand il n'aurait plus la force ou l'envie de reporter ce cas de conscience.

En attendant, se disait-il, il fallait se montrer à la hauteur.