L'étrange cycle des humains malchanceux

- Le S.H.I.E.L.D. a quoi ?

Tony et Rhodey étaient en train de boire leur coup hebdomadaire dans un petit bar de la 7ème avenue, à New York, quand le regard du génie tomba sur un encart de journal, tenu par un autre client, sur lequel on pouvait lire en lettres capitales : « Bye bye, S.H.I.E.L.D. ! »

Tony sauta sur le journal, l'arracha des mains de son propriétaire malgré les protestations de Rhodes, et le remplaça par un billet de cent dollars en lançant à la victime, effarée :

- Prends-toi un triple whisky, tu oublieras vite ce qui vient de se passer.

Tony déploya le journal et lut l'article à haute voix :

« D'anciens membres de la célèbre organisation de protection civile connue sous le nom de S.H.I.E.L.D. ont été entendus hier, devant la commission sénatoriale, pour répondre de diverses accusations parmi lesquelles nous pouvons notamment citer : abus de confiance, mise en péril des populations, destruction de biens publics, espionnage et terrorisme, entre autres. De toutes les interventions des divers membres entendus, la plus électrique fut sûrement celle de Natasha Romanoff, membre active du S.H.I.E.L.D. depuis plusieurs années, connue sous le nom de « Veuve Noire », et faisant également partie de la fameuse équipe des « Avengers »... »

Il devint soudain muet et lut la fin de l'article pour lui-même, tandis que l'homme à qui il venait de prendre le journal se demandait toujours s'il devait aplatir son poing sur Tony ou l'embrasser.

- Dis-donc mon pote, ça te file pas des boutons de lire ce genre de torchon ? lança finalement le milliardaire, dégoûté, à sa pauvre victime. Rends-moi mes cent dollars, escroc.

- Ecoute, Tony, je sais que c'est pas évident à avaler, mais il faut se rendre à l'évidence : Fury n'avait pas les épaules suffisantes pour gérer une organisation aussi tentaculaire, tenta de raisonner Rhodes.

- Il faudra me couper les oreilles avec du fil dentaire pour que j'accepte d'avaler ces salades, dit Tony en pointant le journal du doigt. Attends, tu vas quand-même pas me dire que ces mecs, qui apprennent plus de choses sur toi en un coup d'oeil que ta propre mère en toute une vie, ne sont pas capables de se rendre compte qu'une bande de nazis psychopathes, à la solde de Dieu sait quel clown mal rasé, est en train de parasiter son propre système !

Tony prit son verre de soda d'un geste rageur, avant d'ajouter :

- Depuis soixante ans !

Rhodes pinça les lèvres et hocha la tête en soufflant par le nez, tandis que Tony finissait son verre d'un trait et le reposait sèchement sur la table.

- Quoiqu'il en soit, il n'y a pas grand chose à faire, dit le colonel en se penchant davantage vers Tony. Steve a l'air d'avoir les choses en main, on devrait lui faire confiance.

- Ouais, c'est ça, faisons confiance au Captain. Après tout, c'est pas comme s'il avait préféré m'envoyer subir l'anniversaire d'une gamine insupportable plutôt que de l'aider à trouver une solution à ce merdier.

Le regard de Tony croisa celui d'une petite fille, tranquillement en train de siroter un milk-shake avec sa famille, et qui avait fait tomber sa paille en entendant ce qu'il venait de dire.

- Si tu veux pas entendre de gros mots, trésor, tu devrais dire à tes parents de pas t'emmener au bar.

Ces derniers tournèrent la tête et toisèrent le milliardaire avec une pointe de mépris. Juste une pointe, promis. Rhodey s'inclina vers eux et s'excusa avec un sourire gêné, avant de revenir à Tony :

- Franchement, si j'avais été à sa place, tu aurais sûrement été la dernière personne à qui j'aurais demandé de l'aide, Tony – tu es trop imprévisible pour ce genre de trucs.

- Mouais, grogna Tony en reniflant bruyamment. Bon, c'est pas tout ça, mais je ferais mieux de rejoindre Pepper avant qu'un autre de mes héliporteurs à trente milliards de dollars pièce ne lui tombe subitement dessus.

Il se leva et laissa un pourboire fastueux, ignorant la moue ennuyée et le regard réprobateur de son ami. Son armure Mark XLIII l'attendait tranquillement dehors et il sauta dedans sans demander son reste.

Slalomer entre les buildings de New York lui rappelait toujours des souvenirs désagréables. A chaque carrefour, il craignait de rencontrer une autre de ces bestioles immondes venues de l'espace, ouvrant une gueule farcie de rasoirs de trois mètres de long et propulsant ses passagers Chitauri sur les façades des immeubles comme des pellicules grasses et répugnantes. Mais les six derniers mois avaient été particulièrement bénéfiques pour Tony. Son petit problème d'insomnie et son altercation avec Trucbidule Killian avaient été largement contrebalancés par l'évolution de sa relation avec Pepper.

Ils vivaient désormais tous les deux dans les appartements situés au derniers étages de la tour Stark, et si Tony bricolait encore beaucoup, son armure n'avait aujourd'hui plus le moindre pouvoir pour l'empêcher de profiter pleinement du temps passé avec sa petite-amie. Les souvenirs de l'attaque extra-terrestre furent la chose la plus difficile à outrepasser ; son ami Bruce Banner lui avait conseillé une excellente psychologue, Eleonor Bridge, qui l'avait aidé à se débarrasser, une bonne fois pour toute, de ses crises d'angoisse.

Alors qu'Iron Man remontait la longue avenue menant à sa tour, Jarvis l'interpella :

- Monsieur, la police de New York fait état d'un flux d'énergie anormal en provenance de Central Park.

- De l'énergie ? Sous quelle forme ?

- Selon le rapport des agents arrivés sur place, il s'agirait d'un phénomène naturel spontané non répertorié. « Une boule de feu qui n'arrête pas de grossir et rapetisser en remontant les principales artères à faible allure», pour reprendre leurs mots exacts. Selon mon analyse, et d'après le peu d'informations à ma disposition, il est probable que le phénomène soit doté de conscience, monsieur.

- Allons bon, grommela Tony en déviant sa course avec les répulseurs de ses paumes. Pas de repos pour les héros, hein ?

Il arriva sur place en moins d'une minute. Jarvis fit automatiquement passer le HUD de l'armure en mode vision thermique, et Tony put instantanément repérer la boule de feu à travers l'épais feuillage des arbres. Curieusement, le phénomène n'avait pas encore causé d'incendie, ce qui renforçait l'hypothèse de l'existence d'une conscience. Iron Man descendit à travers la cime des arbres, cassant quelques branches au passage, et se posa au sol dans un bruit métallique quand il fut à environ trois mètres en face de la chose.

Ce n'était pas une boule de feu. C'était un globe électro-luminescent duquel s'échappait une flopée d'étincelles rougeoyantes et, à première vue, inoffensives. Le HUD repassa en mode normal et indiqua que la température et la taille de l'objet fluctuaient entre un mètre pour cent degrés Celsius, et trois mètres pour quatre cent degrés Celsius. L'orbe flottait tout juste dix centimètres au-dessus du sol, et s'était immobilisé dès qu'Iron Man avait mis pied à terre.

- Qu'est-ce que tu en penses, Jarvis ? Technologie alien ? Armement expérimental du S.H.I.E.L.D. ? Lutin malin ?

- D'après l'analyse des paramètres vitaux de l'objet, il semblerait qu'il s'agisse d'un humain, monsieur.

- Une variation d'Extremis ?

- Je ne pense pas, monsieur.

Soudain, le globe émit un puissant flash blanc, poussant Tony à se protéger les yeux avec sa main par réflexe, bien que l'armure le protégeât contre l'éblouissement. Quand il la rabaissa, l'objet était hors de vue. Iron Man activa ses propulseurs et reprit de l'altitude, regardant partout autour de lui dans un rayon de plus en plus large au fil de sa montée.

- Jarvis, est-ce que tu le vois ? demanda Tony, son pouls s'accélérant sous le sentiment d'urgence.

- Il se dirige vers le sud-ouest, monsieur. Sa vitesse est phénoménale : s'il continue comme ça, il aura atteint Washington dans une demi-heure.

- Alors il n'y a pas de temps à perdre. Pleins gaz !

Iron Man accrut le flux d'énergie dans ses répulseurs et se rua à la poursuite du globe mystérieux. Il ne passa en Mach 1 que quand il quitta les limites de la ville, soucieux de ne pas briser les vitres des bâtiments sur son passage – le maire de New York lui avait déjà refilé une sacrée facture l'an dernier, inutile d'en rajouter.

Au bout de quelques minutes, il finit par rattraper le fuyard, qui, curieusement, respectait le tracé des routes, slalomant entre les voitures avec une étonnante facilité, allumant leurs phares à son passage. La priorité d'Iron Man était de diriger l'objet vers une zone non peuplée. Il se rapprocha de lui aussi près qu'il put, faisant du rase-motte au-dessus des voitures, et laissa Jarvis analyser sa structure moléculaire pour qu'il sache quel genre d'arme employer face à lui. En attendant les résultats de l'analyse, et puisqu'il s'agissait, apparemment, d'un humain, Tony essaya de communiquer avec lui :

- Iron Man à bougie farceuse, Iron Man à bougie farceuse. Veuillez arrêter de souiller le bitume avec vos étincelles et rangez-vous immédiatement sur le bas-côté sans faire d'histoires.

Malheureusement pour Tony, l'objet ne semblait pas très coopératif. Il passa de l'autre côté de la route et repartit en sens inverse. Iron Man redirigea brusquement ses répulseurs vers l'avant et bascula en arrière, rebroussant ainsi chemin pour continuer la poursuite, évitant les poteaux de signalisation en faisant moult tonneaux et cabrioles.

- Alors Jarvis, ça vient ?

- Nous ne sommes pas restés en contact avec l'objet suffisamment longtemps pour que je puisse terminer l'analyse, monsieur.

- C'est pas vrai ! Bon, je préconise la solution miracle : on improvise.

Encore une fois, il rattrapa bien vite le globe. En raison du trafic assez dense, il ne pouvait pas risquer de l'attaquer avec ses répulseurs, ou quelque arme que ce fut. Son armure Mark XLIII avait les mêmes capacités préhensiles que la Mark XLII alors, il décida de séparer le gantelet de sa main gauche et de l'envoyer sur le globe pour voir s'il pouvait le saisir. Il était beaucoup plus difficile de manœuvrer avec seulement trois répulseurs, et il avait l'impression que sa main, désormais nue, pouvait se faire arracher à n'importe quel moment, mais il avait suffisamment d'expérience pour gérer cette situation sans problème.

Le gantelet autonome arriva à hauteur de l'objet, et referma ses doigts dessus. Quelle ne fut pas la surprise de Tony lorsqu'il constata que, non seulement ça avait marché, mais qu'en plus de cela le globe électro-luminescent s'était soudainement changé en homme. Le gantelet revint à Iron Man en tenant le suspect par l'épaule, avant que ce dernier ne l'empoigne de façon plus sécuritaire et qu'il aille se poser dans un champ à proximité.

Lorsqu'ils mirent pied à terre, l'homme, qu'il n'avait pas encore bien pu identifier, reprit instantanément sa forme d'orbe, et Tony le reprit aussitôt par l'épaule pour éviter qu'il ne se fasse à nouveau la malle.

- Allez, raconte, dit-il en lui soulevant les pieds du sol pour qu'il retrouve forme humaine. T'as pris une cuite, des mafieux russes t'ont proposé un remède miracle et toi, tout sourire, tu as accepté en les prenant pour des bons samaritains, c'est ça ?

L'homme qui se débattait au-dessus du vide avait tout l'air d'un joggeur, avec son survêtement gris et ses baskets bon marché. Il avait des cheveux roux et pas mal d'embonpoint, et surtout, il avait l'air terrifié.

- Me faites pas de mal ! chouina-t-il, agitant les bras dans tous les sens. Je sais pas ce qui m'arrive, je le jure !

- Analyse terminée, monsieur, lança soudain Jarvis dans le casque d'Iron Man. Il semblerait que le sujet assimile automatiquement et de façon inconsciente l'énergie bio-électrique qui émane de la Terre lorsque celui-ci se trouve à moins de vingt centimètres du sol, le métamorphosant en pôle électro-magnétique miniature et concentré. Il faudra soumettre le sujet à une batterie de tests pour savoir si ces effets sont dûs à une quelconque forme de pathologie extra-terrestre ou à un sérum semblable à celui d'Extremis.

- Allons bon, grommela Tony. Et qu'est-ce que j'en fais, moi ?

- Me faites pas de mal ! continuait de pleurnicher le joggeur, l'épaule toujours fermement maintenue par Iron Man qui le tenait à quarante centimètres au-dessus du sol.

- Je vais t'assommer si tu n'arrêtes pas tout de suite de gesticuler, l'artiste !

L'homme s'arrêta aussitôt de bouger mais continuait à pleurer et à renifler. Tony eut une idée.

- Allez, accroche-toi bien, on va faire trempette, lança-t-il avant de décoller sous les cris apeurés de son nouvel emmerd... ami.

Il chercha le point d'eau le plus proche, d'une profondeur suffisante pour que l'homme se trouve à au moins vingt centimètres au-dessus du sol. Ne désirant pas se prendre la tête, il fonça tout droit vers l'océan Atlantique, qui se trouvait à moins de dix kilomètres de là.

- Rassure-moi. Tu sais nager ? demanda Tony pendant le trajet.

- Heu, je sais faire la brasse...

- Parfait. Fais-moi donc une démonstration de tes talents pendant que je contacte un ami, hm ?

Une fois arrivés au-dessus de la mer, Iron Man laissa tomber son « hôte » et Jarvis transmit aussitôt un appel au docteur Banner. Celui-ci décrocha après quelques sonneries et dit d'une voix un peu lasse :

- J'espère que ce n'est pas encore à propos de ton histoire de cardio-training, parce que je t'assure que ça ne me fait pas rire.

- Ho, je me suis débrouillé. Non là j'aurais besoin d'un conseil à propos d'un type qui se change en luciole quand il pose les pieds au sol.

- Quoi ?

- Je peux te l'amener au labo ?

- Mais enfin de quoi tu parles ? Et puis je suis même pas chez moi, c'est la galère maintenant que le S.H.I.E.L.D., censé empêcher les gens de me retrouver, s'est fait démanteler.

- Alors passe à la tour Stark. Je peux envoyer une armure passer te prendre, si tu veux.

- J'imagine que ce sera plus sûr que le bus. Tu as de la chance que ta proposition m'arrange !

- Que ferais-tu sans moi, jeune vagabond !

- A tout à l'heure, Tony.