Disclaimer : Levi et Eren sont la propriété de Hajime Isayama

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"N'importe où! n'importe où! pourvu que ce soit hors de ce monde!"
(Le Spleen de Paris, Baudelaire)


Lucien se regarda dans le miroir. Lui, ses cheveux noirs, ses yeux gris, son corps trop petit et trop fin, sa peau pâle, ses traits délicats, presque féminins, et cette impression constante de ne pas appartenir à ce monde. Il n'y avait rien de spécial aujourd'hui. On était un mardi, il était neuf heures du soir, Lucien n'avait rien de différent comparé à hier.

Rien, excepté le fait qu'aujourd'hui était son anniversaire, et qu'il avait maintenant dix-huit ans.

Il ne s'était pas vraiment attendu à quelque chose de particulier le matin de ses dix-huit ans. Sa mère était venue, l'avait embrassé sur le front, lui avait donné son cadeau. Des patins neufs étaient maintenant au pied de son lit.

Mais, peut-être, avait-il espéré que quelque chose change. Cette sensation qu'il n'avait pas sa place ici. Celle qu'il avait depuis ses onze ans, et qu'il avait attribuée au fait d'être un adolescent. Pourtant, il se tenait devant le miroir, il avait dix-huit ans, et rien n'avait changé.

Il était seul dans la maison. Sa mère était infirmière de nuit, et était partie il y a une heure maintenant. Elle ne reviendrait que demain matin très tôt. Lucien ne lui en voulait pas. Lorsqu'il était plus jeune, il avait parfois été en colère. Maintenant qu'il était plus grand, il comprenait. Il se sentait parfois seul, mais rien qu'un film plus ou moins intéressant puisse lui faire oublier.

Il aimait sa mère. Elle avait toujours tout fait pour qu'il ait tout ce dont il avait besoin, alors qu'ils n'avaient jamais eu beaucoup de moyens. A seize ans, il avait commencé un travail à temps partiel pour l'aider, peu importe sa véhémence.

Rien, il n'y avait rien de spécial. Alors pourquoi avait-il l'impression qu'il manquait quelque chose ? C'était incompréhensible.

Décidant qu'il ne pouvait pas rester debout devant le miroir plus longtemps, il se retourna. Il ne pouvait pas rester ici. Il avait besoin de sortir. De s'échapper des murs de la maison.

Il jeta ses nouveaux patins dans un sac à dos, avec ses clés, son porte-monnaie et son portable. Il s'habilla chaudement, et sortit.

Il arriva à la patinoire quelques minutes plus tard. Il y avait au moins un avantage à vivre dans une ville aussi petite que Wilburton : rien n'était jamais loin.

Elle était fermée, bien sûr, mais Lucien avait les clés. Le gardien le connaissait bien, et il savait que Lucien venait parfois le soir. Il lui faisait confiance.

Il entra. Il y avait quelque chose d'un peu surréaliste à regarder la patinoire vide. Lucien hésitait presque à allumer la lumière. Seulement, s'il ne le faisait pas, il ne verrait rien. Cela serait trop dangereux. Il décida d'allumer uniquement celles sur les murs autour de la glace, illuminant ainsi seulement la patinoire, et non le reste de la salle.

La lumière se reflétait sur la glace de façon un peu magique. Lucien resta debout à regarder la surface blanche pendant quelques secondes. Finalement, il cligna des yeux et se décida à bouger.

Lucien posa son sac sur un banc, et enfila ses patins. En quelques minutes, il fut près. Il posa son pied sur la glace, poussa, et se laissa glisser.

Lucien aimait patiner. Il aimait glisser sur la glace, entendre l'air chanter dans ses oreilles, la sensation de liberté que cela lui procurait. Lorsqu'il sautait, il pouvait s'imaginer pendant quelques secondes qu'il volait. Lorsqu'il patinait, il n'y avait rien d'autre que lui et la glace. Il n'y avait pas d'université, pas de faux amis, pas de rires moqueurs, et surtout, il n'y avait plus cette sensation qui lui disait qu'il ne devrait pas être ici. Lorsqu'il était sur la glace, c'était comme si celle-ci l'acceptait. Aussi étrange que cela pouvait être.

Il tourna, sauta, dansa sur la glace pour un temps indéfini. Les secondes et les minutes n'avaient plus d'importance. Il ne faisait attention qu'à ses pieds sur la glace, son équilibre, et les notes invisibles qui sonnaient dans sa tête.

Lorsque ses jambes lui crièrent qu'elles ne pouvaient pas continuer, lorsque sa respiration se fit erratique et sifflante, seulement là, il s'arrêta. Droit, au milieu de la patinoire, il fit une révérence aux tribunes vides.

Ou c'est ce qu'il pensait.

Des applaudissements retentirent dans la salle vide, rebondissant sur les murs et le plafond. Lucien se crispa, cherchant des yeux d'où venait le bruit. Une ombre se détacha des autres, et il put distinguer la silhouette d'un jeune homme.

« C'était impressionnant, lui dit l'inconnu, et la lumière se reflétait dans ses yeux, de telle façon qu'il était impossible de distinguer leur couleur.

— Qu'est-ce que tu fais là ? Grogna-t-il, en retour, prêt à s'enfuir si besoin. (Un coup de patin pouvait faire très mal.)

Le jeune homme haussa des épaules.

— C'était ouvert, » expliqua-t-il, innocemment, comme si cela pouvait excuser d'être entré sans permission.

Lucien fronça des sourcils, et glissa vers l'entrée de la patinoire, là où se tenait l'inconnu. En se rapprochant, il vit qu'il était plutôt grand, à la peau hâlée et cheveux en bataille.

Maintenant qu'il était proche, il pouvait voir que les yeux de l'inconnu oscillaient entre le vert et le bleu. Océan, pensa-t-il. Ils brillaient, et Lucien décida qu'il ne pouvait pas continuer à l'appeler l'inconnu, et qu'il l'appellerait donc Yeux Clairs.

L'inconnu se poussa de l'entrée pour le laisser passer. Lucien fit quelque pas sur le sol avant de se baisser pour détacher les lacets d'une de ses chaussures, puis l'enleva.

« Pourquoi es-tu entré ? Demanda-t-il, un patin à la main, près à se défendre.

Les yeux de l'inconnu suivirent sa main droite, celle qui tenait le patin, et il eut l'air un peu moins à l'aise, malgré le sourire malicieux qui recourbait légèrement le coin de ses lèvres. Lucien se félicita intérieurement.

— La curiosité, j'imagine, Yeux Clairs lui offrit comme réponse. Je ne comptais pas rester, mais je t'ai vu, sur la glace, et j'ai changé d'avis. »

Lucien leva les yeux vers lui. Ce type était étrange.

Il ne répondit pas. Il enleva son deuxième patin, remit ses chaussures. Il rangea ses affaires dans son sac, et se leva pour partir. Il était déjà onze heures trente, il était temps qu'il rentre.

Yeux Clairs le suivit à l'extérieur. Lucien aurait probablement dû avoir peur de lui. Il faisait sûrement vingt-cinq centimètres de plus que lui, et semblait musclé. Pourtant, lorsque Lucien croisait ce regard océan, il ne pouvait imaginer une seule seconde que le jeune homme puisse lui faire du mal.

Il contempla la rue sombre, et imagina sa maison vide. La cuisine froide, le canapé inconfortable, sa chambre silencieuse. Soudainement, rentrer ne semblait plus si attirant. Il se tourna vers l'inconnu.

« Allons au McDo, je ne veux pas rentrer. Tu payes. »


C'est ainsi qu'il se retrouva assis devant un inconnu, dans un fast-food dégoutant, à minuit, avec une boite de frites, offerte par ce fameux Yeux Clairs.

L'inconnu était silencieux. Lucien se demandait pourquoi. Il était surpris. Le brun avait l'air d'être quelqu'un qui devait parler beaucoup. Il regardait la nuit par la fenêtre, sans un mot.

« N'as-tu jamais pensé à partir ? Lui demanda soudainement Yeux Clairs.

Lucien le fixa, ses grands yeux océan, sa peau dorée, ses épaules larges, sa mâchoire masculine. Il ne connaissait rien de lui.

— Où ça ? Voulut-il savoir.

L'inconnu haussa des épaules.

— Je ne sais pas, admit-il, loin d'ici. Autre part.

Lucien le regarda quelques instants. Il y avait une passion dans ses yeux océan qui trahissait son envie de partir. Peut-être Lucien n'aurait pas dû être étonné que l'inconnu lui pose cette question. Il décida qu'il pouvait avouer la vérité.

— Oui, admit-il, à peine plus fort qu'un chuchotement. Tout le temps. »

Le silence retomba. Lucien s'attendait à plus. A ce que Yeux Clairs lui pose des questions. Pourquoi, pas exemple ? Mais, il n'aurait pas pu répondre. Comment pouvait-on expliquer la sensation de ne pas appartenir à ce monde ?

« Ce soir, je m'en vais, l'informa l'inconnu. Je peux prendre quelqu'un. Viens avec moi.

Lucien le regarda comme s'il venait d'une autre planète. Pourtant, sa proposition lui paraissait bien trop attirante. Il avait terriblement envie de dire oui.

— Je ne peux pas, dit-il plutôt.

L'inconnu le fixa. Ses yeux étaient verts maintenant. Comme deux émeraudes.

— Tu ne peux pas, ou tu n'oses pas ?

— L'université (il n'avait pas envie d'y aller), mes amis (quels amis ?), mon boulot (qu'il n'aimait pas), ma mère (elle n'avait pas besoin de lui)… je ne peux pas partir.

Yeux Clairs lui sourit tristement.

— Si tu le dis, accepta-t-il. Mais si jamais tu changes d'avis, je pars à trois heures, cette nuit. Rejoins-moi devant la patinoire. »

Yeux Clairs se leva, vérifia son portable, et commença à marcher vers la sortie.

« Hey, c'est quoi ton nom ? L'interpella Lucien avant qu'il ne sorte.

— Je te le dis si tu te décides à venir! » Lui répondit Yeux Clairs, avec un clin d'œil.

Lucien fronça du nez et fit la moue. Ce n'était pas juste, c'était du chantage!


Une fois chez lui, dans sa chambre, l'étrange rencontre semblait avoir été un rêve. La seule preuve que tout avait été réel, était le petit dessin d'un tournesol gribouillé par l'inconnu sur une serviette. Et les mots : 3 heures.

Lucien regarda son réveil. Il affichait une heure trente. Il s'assit sur son lit. Ses yeux balayèrent sa chambre. Ils revinrent au réveil. Une heure trente-et-un. Ils se posèrent sur la serviette. La question de l'inconnu résonnait dans sa tête. N'as-tu jamais pensé à partir ?

Non, il ne fallait pas y penser. Il ne pouvait pas. Mensonge. Il y avait trop de choses qui le retenaient ici. Quoi, vraiment ? Il tenait à la vie qu'il menait maintenant. Dans cette petite ville perdue ?

Et il s'en rendit compte. Il n'y avait rien qui le retenait. Il se leva sans attendre plus longtemps. Il sortit un sac de son placard, puis se tourna vers sa chambre.

Là, une question se posa. Comment faire tenir toute sa vie dans un sac ? Il hésita. Il mit toute une trousse de toilette, accompagné de lessive de voyage. Il ne pouvait pas vivre salement. Il ajouta quelques vêtements, une paire de chaussures, en plus de celles qu'il avait aux pieds. Son passeport, tout l'argent qu'il avait, son ordinateur, son iPod. Un cahier et des stylos. Une photo de lui et sa mère. L'arrache-cœur, Le Monde de Charlie en livres. Ses patins.

Il arrangea sa chambre. Le peu qu'il y avait à arranger. Il prit un bout de papier et un stylo. Il ne savait pas vraiment quoi écrire à sa mère. Mais c'était important, il fallait qu'il le fasse. Il s'appliqua, et tenta de mettre tout ce qu'il ressentait pour elle. Ce n'était pas facile. Il n'avait jamais été très doué pour exprimer ses sentiments.

Lorsqu'il sortit de chez lui, il était deux heures et demi. Il marcha jusqu'à la patinoire, l'esprit encore plein de doutes. Et si l'inconnu s'était moqué de lui ? S'il était déjà parti ? S'il se révélait être un pervers ? Il était à peine plus vieux que lui, mais l'âge ne voulait rien dire.

Malgré tout, l'inconnu était là, adossé au mur du bâtiment, une cigarette à la main. Il tourna la tête vers lui lorsque Lucien s'approcha. Il lui fit un grand sourire, et ses yeux océan s'illuminèrent. Quand Lucien fut à sa hauteur, il posa son sac au sol.

« Je ne pensais pas que tu viendrais, avoua l'inconnu.

— Moi non plus, concéda Lucien. Je ne sais même pas vraiment pourquoi je viens, en réalité.

— Peut-être parce que cette ville est aussi vide que le désert du Texas, et nous ne sommes même pas au Texas ? » Proposa l'inconnu.

Lucien ne put se retenir. Il rit. Ce n'était même pas drôle. Mais à cette blague, c'était comme si toute la tension qui s'était accumulée ces dernières heures venait de le quitter. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas rit ainsi, et lorsqu'il se calma, il se sentait bien. Il était détendu, finalement.

L'inconnu le regardait avec des yeux brillants d'émerveillement. Lucien s'assit à côté de lui. Il n'avait toujours pas touché à la cigarette qui se consumait lentement entre ses doigts.

« Tu ne la fûmes pas ? Demanda-t-il.

L'inconnu suivit son regard posé sur le bâtonnet.

— Non, répondit-il, regardant la cigarette comme s'il était surpris de la voir entre ses doigts, qu'il ne savait pas comment elle avait fini ici.

— Pourquoi l'allumer alors ? Voulut-il savoir.

— J'aime regarder la fumée s'envoler, murmura l'inconnu, un peu distant, comme s'il se rappelait de lointains souvenirs.

Lucien lui jeta un regard en coin. L'inconnu suivait bien les volutes du regard.

— Tu es putain de bizarre, déclara-t-il.

L'inconnu rit légèrement.

— Oui probablement, » confirma-t-il.

Lucien se sentait étrangement à l'aise avec lui. Pourtant, ils ne se connaissaient pas. Et il l'appelait toujours l'inconnu dans sa tête.

L'inconnu se leva, écrasa sa cigarette sur le bord d'une poubelle et y jeta le mégot. Lucien fut content de constater qu'au moins, il ne s'embarquait pas avec un (trop) gros dégueulasse.

« C'est ta dernière chance pour changer d'avis, le prévint l'inconnu.

— Je vais la passer alors, répondit Lucien. »

L'inconnu lui sourit, puis lui tendit une main. Il y posa la sienne. La main de l'inconnu était large, et la sienne si fine en contraste, qu'elle s'enroula autour de sa paume et de ses doigts. Il se sentit tiré, et se leva.

Ils marchèrent jusqu'à la voiture de l'inconnu. Lucien ne savait pas ce que c'était. Les voitures ne l'avaient jamais intéressées. Elle était noire, avec quatre places, et les sièges arrières étaient abaissés.

Il posa son sac dans le coffre, puis fit le tour de la voiture. L'inconnu lui ouvrit la porte, et Lucien fronça des sourcils.

« Qu'est-ce que tu fous ?

— Ma mère m'a appris à être un gentleman en toutes occasions.

— Je ne suis pas une fille, crétin.

Yeux Clairs rit.

— Non, c'est vrai. »

Lucien se glissa dans la voiture, et ferma la porte lui-même, jetant un regard noir à l'inconnu.

Il enleva son manteau, ses gants et son écharpe, et les jeta derrière. Yeux Clairs prit place à côté de lui, et démarra la voiture.

« J'espère que t'es pas un pervers, grommela Lucien,

— C'est un peu tard pour me demander ça, non ? » Fit remarquer l'inconnu.

Il fut bien obligé d'admettre que celui-ci avait raison.

Ils roulèrent pendant quelques minutes dans le silence complet, jusqu'à que Lucien décide qu'il ne pouvait pas continuer à appeler cet inconnu, l'inconnu ou Yeux clairs.

« Tu t'appelles comment ? Finit-il par demander.

— Eren, lui dit Yeux Clairs.

— C'est un joli prénom, marmonna-t-il.

Il le pensait.

— Merci, le remercia Eren avec un petit sourire. Et toi ?

Il eut un moment d'hésitation. Les mots de dévalèrent de ses lèvres avant qu'il puisse les retenir.

— Levi, déclara-t-il. Appelle-moi Levi.

Ce prénom lui était venu comme une évidence.

— Où veux-tu aller alors, Levi ?

— N'importe où, dit-il. Je m'en fous. »

Et pour la première fois de sa vie, avec ce pas-si-inconnu-que-ça nommé Eren, avec un nom qui lui semblait plus le sien que celui qu'il avait porté ces dix-huit dernières années, sur une route qui menait nulle part, il avait enfin l'impression d'appartenir à ce monde.


Maman,

J'imagine que la première chose qu'il faut que je dise, c'est que je suis désolé. Ce n'est pas ta faute. Ni personne d'ailleurs. Juste moi.

Lorsque tu rentreras, je serais parti depuis longtemps. Je ne me suis pas enfui avec une petite copine ni un petit copain, je n'ai pas été kidnappé. Je suis juste parti.

Je fais confiance à la personne avec qui je suis parti. Je ne peux pas dire de ne pas t'inquiéter, mais s'il-te-plait, n'en perds pas des heures de sommeil. Je m'en voudrais.

Si tu m'appelles, je ne te promets pas de répondre. Pas tout de suite. Mais je te jure de t'appeler.

Ce n'est pas une décision que j'ai faite à la légère. J'avais besoin de partir. Je ne pouvais pas rester plus longtemps à Wilburton. J'avais l'impression de suffoquer. C'était comme me noyer ici. Pardon si tu ne comprends pas ce que je veux dire. Mais je te promets, pour la première fois de ma vie, je pense sincèrement que tout ira bien.

Je reviendrai. Je ne peux pas te dire quand. Et je ne peux pas te promettre de rester ensuite. Mais je reviendrai.

Je suis désolé, je ne t'ai pas dis au revoir. Mais je ne pouvais pas attendre ton retour. Et si tu avais été là, je ne suis pas sûr j'aurais eu le courage de te laisser.

Je ne sais pas si tu peux comprendre, mais ce n'est pas grave. Je veux juste que tu saches que tu as toujours été une bonne mère, et ce n'est pas à cause de toi.

Fais attention à toi, et ne t'inquiète pas trop.

Je t'aime,

Lucien