Chapitre 1

La neige avait doucement recommencé à tomber sur Punk Hazard. Sanji, aidé de Brook, s'affairait à placer des blocs de pierre en cercle afin de dresser un feu de camp en vue d'un délicieux repas qu'il projetait de préparer. Après quelques va et vient, il s'arrêta et regarda autour de lui, vérifiant que ses amis étaient bien tous là sans exception. L'ennemi était vaincu et ils allaient fêter cela dignement comme l'avait exigé leur capitaine. Mais comment envisager une telle chose si l'un des leurs manquait à l'appel ?

A plusieurs reprises, le jeune homme leva la tête, s'interrompant dans ses activités pour sonder les environs à la recherche de ces silhouettes si familières qu'il affectionnait tant. Son œil d'un bleu profond parcourait les moindres recoins du paysage qui s'offrait à lui, et chaque fois qu'il se posait sur le visage d'un être aimé, il manifestait son soulagement par un léger sourire.

Il répéta ce rituel, comptant et nommant mentalement chaque membre de sa famille de façon quasi frénétique, comme s'il craignait être la victime d'une illusion rassurante qui l'aurait ensuite abandonné devant une réalité terrible et cruelle.

Cette manie, il l'avait vu s'aggraver depuis les évènements de Sabaody. A ce souvenir, des images, comme des fulgurances, traversèrent son esprit. L'ombre du Grand Corsaire, ses paroles homéliques prononcées par une voix étonnamment douce mais mélancolique, et sa main, immense, s'abattant telle une faux sur ses victimes. Puis le vide et le silence. L'angoisse devant l'absence. Et la rage face à son impuissance le menant à la limite de la folie.

Sanji secoua vigoureusement la tête pour mettre un terme à cette douloureuse réminiscence. Sa pire expérience après son agonie sur le rocher…

Pour la énième fois, Sanji s'attela à la tache qu'il s'était incombé, avant de réitérer ses recherches. Brook, qui avait observé le petit manège du cuistot en silence, remarqua alors que ce dernier s'était raidi. Sanji demeurait immobile, pareil à une statue de glace. Il semblait être en attente, ou plutôt comme absorbé dans une profonde méditation. Brook devina que le cuistot faisait usage de son haki de l'observation. Mais il osa tout de même l'interrompre.

- Qu'y-a-t-il Sanji-san ? demanda Brook. Tu sembles si préoccupé…

- Où est Chopper ? répondit Sanji dans un souffle.

A ces mots, Brook se mit à chercher le petit renne du regard. Il n'était nulle part.

- Où est-il ? insista Sanji. Sa voix trembla légèrement, ce qui n'échappa pas au musicien.

Depuis l'épisode de Thriller Bark, Brook avait appris à cerner la personnalité de Sanji. Il comprenait son désir obsessionnel de protéger ses amis du danger. Une attitude qu'il partageait avec une certains manieur de sabres. Mais dans le cas de Sanji, cela l'inquiétait, voire, l'effrayait, car ce désir était accompagné d'un sens du sacrifice exacerbé impliquant une acceptation totale de la mort. Un comportement extrême dont il avait été déjà témoin et qu'il ne souhaitait pas voir se renouveler. Brook se fit donc un devoir de le rassurer.

- Il ne doit pas être bien loin ! Je l'ai vu il y a peu se dirigeant vers le bateau de la Marine.

Sanji continuait de chercher Chopper avec son haki, mais une douleur lancinante à sa jambe droite l'empêchait de se concentrer correctement.

- Le bateau de la Marine, tu es sûr ?

Malgré ses efforts, Brook ne put que constater que l'inquiétude du cuistot grandissait.

Au loin, résonnait les voix de Franky et de quelques soldats de la Marine en pleine réparation du tanker que le cyborg avait lourdement endommagé durant son combat contre Baby 5 et Buffalo. Ils étaient encouragés dans leur labeur par Usopp qui s'évertuait à donner le rythme avec un sifflet tout en agitant des éventails. C'est alors qu'une clameur plus grande surpassa le tumulte ambiant.

- Assassiiiiiiiin !

Sanji reconnu immédiatement la voix de Chopper et il tourna la tête en direction de sa provenance. Lorsqu'il aperçu le médecin, s'agitant comme un beau diable, il laissa échapper un soupir de soulagement, puis se demanda ce qui avait bien pu le mettre dans un état pareil. Il s'approcha, suivi de Brook.

- Au meurtre ! hurla Chopper

- Mais de quoi tu parles?! questionna Luffy

Le chapeau de paille, jusque là en pleine conversation avec Barbe Brune, fixait toute son attention sur le petit renne dont le visage marqué par la détresse le surprenait grandement.

- C'est Laaaaw !

- Torao ? Qu'est-ce qu'il a fait ?

Chopper n'eut pas le temps de répondre qu'un cri se fit de nouveau entendre, cette fois, émanant de Brook. Stupéfaits par le son strident qui venait de sortir de ce qui autrefois fut la bouche du squelette, Luffy et Sanji le dévisagèrent. Un torrent de larmes coulait de ses orbites alors qu'il s'excitait devant un tas informe gisant au sol.

- Je l'ai tué ! Je l'ai tué ! Moi aussi je suis un meurtrieeeer !

Intrigués, les deux hommes témoins de la scène regardèrent plus attentivement l'amas se trouvant aux pieds de Brook. C'est alors qu'il reconnurent le pauvre Kinemon, qui, après avoir été transformé en statue sous l'effet du gaz conçu par Caesar, était désormais fissuré de part en part à cause de l'imprudence du musicien qui l'avait fait tomber.

Devant ce spectacle, les deux pirates exprimèrent à leur tour leur effroi. Le sort du samurai venait d'être scellé, et ils ne pouvaient plus rien pour lui. Du moins le croyaient-ils jusqu'à ce qu'un tressaillement parcourant le corps de Kinemon fit craquer davantage la couche blanche altérée par le choc dans laquelle le pauvre bougre était emprisonné.

Quelle ne fut pas la surprise de nos trois compagnons lorsqu'ils assistèrent à la résurrection du renard de feu ! C'est donc tout naturellement que Sanji fêta l'évènement en envoyant valser le miraculé avec un magnifique coup de pied retourné, sous le regard horrifié de Brook.

- Mais enfin, Sanji-san, qu'est-ce qui te prend ?!

- Tu te moques de moi ?! rétorqua le cuistot. Tu viens de nous dire qu'il était mort ! Et là il est vivant !

- Mais est-ce une raison pour le frapper ? s'enquit le musicien.

- Ouais, bon... reflexe ! fut la seule excuse que Sanji trouva à dire.

Non loin de là, assis sur un rocher, Zoro contemplait la scène, le visage fermé. Si en temps normal les facéties de ses nakama l'amusaient, quand elles ne le consternaient pas, il n'en était rien en cet instant. Le regard fixé sur Sanji, il se remémorait les paroles de Tashigi. La colonel du G5 lui avait raconté l'intervention du pirate pour les sauver, elle et ses hommes, du gaz H2S, ainsi que son combat contre Vergo. Cette dernière évocation attisa la curiosité du sabreur et il s'était mis à lui poser d'autres questions sur le sujet.

Zoro avait remarqué que Sanji marchait d'une manière qui ne lui était pas habituelle, comme s'il endurait une gêne au niveau de sa jambe droite. Rien de très flagrant au première abord, sa démarche aurait paru tout à fait normale aux yeux de quelqu'un qui ne connaissait pas le cuistot. Ce qui n'était pas le cas de Zoro pour qui la différence était visible. Or, les révélations de la femme soldat n'avaient fait que confirmer ses craintes sur l'état de santé de Sanji.

Celui-ci était bel et bien blessé, il n'avait apparemment toujours pas consulté Chopper et voilà qu'il aggravait son cas en se démenant et en faisant l'idiot. Cette situation irritait grandement l'homme aux cheveux verts. Après le sermon qu'il avait fait à son capitaine sur les dangers du Nouveau Monde qui les attendaient et la nécessité d'être plus que jamais vigilant, il lui fallait désormais adresser le même discours à Sanji.

- Je te croyais plus sensé… pensa-t-il tout haut.

Malgré les nombreux cas de figure où le cuistot l'exaspérait, Zoro ne pouvait lui retirer ses qualités de combattant. Et force était de constater qu'en plus de son habileté, il était également doté d'un sens aigue de la stratégie et qu'il n'agissait jamais de manière inconsidéré lorsque l'heure de l'affrontement sonnait.

Depuis le début de leurs aventures, les deux compères avaient du faire face à des adversaires de plus en plus puissants et dangereux. Cependant, quels que furent les ennemis qui s'étaient dressés devant eux, Zoro avait toujours accordé sa totale confiance à Sanji. Clairement conscient de ses capacités, il savait qu'il pouvait compter sur le cuistot dans les moments difficiles. Il l'avait assez prouvé par le passé pour que le sabreur n'en doute plus. Mais il avait beau essayé de se maitriser, Zoro n'arrivait pas à endiguer l'appréhension que son entretien avec Tashigi et ses observations personnelles avaient déclenché. Il fallait y remédier et la seule solution à ce problème allait être le dialogue. Zoro fronça les sourcils à cette idée.

- Va pas être facile…

Et il se gratta la tête, l'air perplexe.