DISCLAIMERS : Je ne possède évidemment rien, les deux univers dans lesquels cette histoire prend place étant la création de Bryan Fuller et Steven Moffat
BLA BLA DE L'AUTEURE : Je ne sais pas trop où cette histoire va nous mener. Enfin si, en terme de scénario, je sais exactement puisque tout est écrit, mais je ne sais pas trop quel est le potentiel de cette histoire. Alors voilà, j'ai huit chapitres en réserve, mais, à la rigueur, je pourrais transformer cette histoire en OS, à vous de voir.
Mais pour l'instant, j'espère que ce chapitre vous plaira :
ENJOY !
Chapitre 1 : How do you feel about the violin ?
« Reste en dehors des problèmes, autant que possible. Ne fait pas d'expérience personnelle avec le matériel de chimie. Ne joue pas au plus intelligent avec les professeurs. Et essaye de ne pas insulter tes pairs. Au moins pendant la première semaine. »
Sherlock n'esquissa pas le moindre geste pour indiquer à son frère qu'il avait compris. Mycroft attendit quelques secondes, observant le visage du plus jeune dans l'inquiétude d'y lire quelque intention malhonnête puis renonça, se laissant aller sur le dossier du siège en cuir. Quand Sherlock entendit le soupir du conducteur, il sut que la conversation à sens unique était terminée et il sortit de la voiture. Sans un regard en arrière, le jeune homme se dirigea vers le coffre de la BMW, cadeau du gouvernement, hissa sa lourde valise hors du véhicule et la laissa retomber sur la terre couverte de graviers. Mycroft ne sortit pas de l'habitacle, à la grande satisfaction de son petit frère qui, oubliant volontairement l'étape des "au revoir", tourna les talons et suivit le chemin qui montait en pente douce vers l'Académie Privée A.C. Doyle, tirant son bagage derrière lui. Il entendit vaguement le bruit caractéristique d'un crissement de pneu mais il n'y prêta pas attention. Tout le bonheur qu'il pouvait ressentir à l'idée de s'éloigner de son frère était annulé par la perspective de la longue année qui l'attendait.
L'Académie Doyle était une école privée réputée d'Angleterre. Elle accueillait les rejetons de l'élite du pays, voire du monde. Se côtoyaient ici enfants de diplomates, d'ambassadeurs, de célébrités en tout genre, pour peu qu'ils aient suffisamment d'argent pour couvrir les frais d'inscription (auxquels venait toujours s'ajouter une généreuse donation) ou qu'ils aient suffisamment de prestige pour que ce dernier vienne dorer davantage le blason de l'école déjà éblouissant. Et les élèves les plus appréciés étaient ceux qui avaient les deux. Sherlock ne faisait pas partie de ceux-là, seul son nom lui avait ouvert les portes. Il était là en tant que petit frère de Mycroft Holmes, ancien élève et peut-être le seul à être entré dans cet établissement sans argent ni parent. En effet, l'ainé des Holmes avait pu décrocher une place simplement due à ses exploits de jeunesse dans divers domaines qui l'avaient propulsé au rang de Grand Espoir de la nation britannique. Espoir satisfait, d'ailleurs, puisqu'aujourd'hui, avant même ses vingt-cinq ans, il occupait l'un des postes les plus importants au sein du gouvernement de ce pays.
Sherlock ne s'était jamais donné la peine de se lancer vers de pareils objectifs mais son frère avait ouvert la voie et le plus jeune avait aujourd'hui sa place dans cette école huppée. Non qu'il en soit ravi. Il détestait même cet endroit. Il avait l'impression de sacrifier des années de sa vie, entouré d'idiots. Il n'y avait dans cet établissement que deux catégories de personne. Les Mycroft, qui avait bien conscience de leur importance et de leur place au sein de la société et dont l'égo n'avait d'égal que l'ambition. Et les fils-à-papa qui n'étaient là, semble-t-il, que pour jeter l'argent par les fenêtres et qui, ayant déjà leur avenir assuré dans la boite de papa, passaient l'année à courir après la popularité et à tyranniser les plus fragiles ou les plus différents. Encore une fois, Sherlock ne correspondait à aucun des deux profils. Il était là parce qu'il n'avait pas de raison d'être ailleurs, bien que rien de ce que l'école avait à offrir ne l'intéressait. Il passait juste les années, jugeant inutile de gaspiller son énergie à entrer en guerre contre ses parents ou son frère.
« Salut, l'taré. »
Sherlock ignora sans grande difficulté l'idiot qui venait de passer devant lui et continua son chemin à travers le hall, slalomant au milieu de la nuée d'élèves qui venaient d'arriver pour la rentrée. Exceptionnellement pour le premier jour, le secrétariat, normalement situé dans un petit bureau de l'aile administrative, avait été délocalisé dans la cafétéria afin de pouvoir mieux endiguer le flot de nouveaux venus. C'était là que Sherlock se dirigeait, s'arrêtant derrière la queue d'uniforme noir. Il patienta quelques minutes avant de pouvoir faire face à Mme Vakner, directrice adjointe, qui venait donner un coup de main aux secrétaires débordées.
« Ah, Monsieur Holmes, fit-elle les lèvres pincées. »
Ce n'était pas le grand amour entre ces deux-là. Le comportement de Sherlock exaspérait la femme qui avait tenté de le renvoyer à de nombreuses reprises. Mais, depuis que Mycroft avait pris ses quartiers au gouvernement et aidait la reine à choisir ses chapeaux, le benjamin de la famille était, pour ainsi dire, intouchable. Tant qu'il ne tuait personne, rien ne pouvait le faire expulser. Et encore, ceux qui avaient connu l'ainé Holmes n'avait aucun mal à penser qu'il pouvait aisément couvrir un meurtre lors de sa pause repas.
« Voici votre emploi du temps et une copie du règlement intérieur de l'établissement. Essayez de le lire, cette année. Vous pourrez aller chercher vos livres à la bibliothèque. »
L'élève saisit négligemment les papiers qu'on lui tendait mais fut interrompu alors qu'il se retournait.
« Monsieur Holmes. L'uniforme n'est pas facultatif. N'aller pas vous dégoter une retenue le premier jour. »
Le sourcil levé de l'élève en disait long sur l'efficacité de la menace. Sans attendre de réponse de la part de la directrice adjointe, Sherlock tourna les talons et quitta la salle bondée. Il décida de poser ses affaires encombrantes avant d'aller chercher les manuels pour cette année. Il jeta un rapide coup d'œil à son emploi du temps et trouva l'information qu'il désirait. En dessous de son prénom étaient indiqués sa classe et le numéro de sa chambre. 221. Il remonta donc le courant des élèves pressés et surexcités pour se diriger vers le bâtiment de l'internat. Il monta péniblement sa valise jusqu'au deuxième étage et s'arrêta devant la chambre 21. Il tourna la poignée et fit pivoter la porte pour découvrir une pièce déserte. Il y avait deux lits, deux armoires, deux bureaux, comme dans n'importe quelle autre chambre de l'Académie Conan Doyle mais son camarade de chambre n'était de toute évidence pas encore arrivé. Avant d'entrer, Sherlock jeta un regard au petit panneau à droite de la porte en bois.
221
HOLMES Sherlock – LECTER Hannibal
Sherlock était convaincu que ce dénommé Lecter Hannibal n'était pas là l'année dernière. C'était assez rare que des élèves arrivent en cours de cycle. Sherlock, comme son camarade de chambre, était en deuxième année de lycée. Hors, statistiquement, la quasi-totalité des premières inscriptions à l'Académie concernaient la première année de Lycée ou la première année de Collège.
Le jeune homme réfléchit un instant à ce que cela lui apprenait de son futur camarade de chambre. Il pouvait y avoir plusieurs explications à une arrivée en cour de cycle. La première, un déménagement de la famille mais cela était peu probable. En effet, l'Académie Conan Doyle étant un internat duquel on ne revenait que pour certaines vacances, personne n'inscrivait son enfant ici pour le rapprocher. Si vraiment ils avaient fait changer d'école leur fils sous prétexte qu'ils déménageaient, ces parents ne l'auraient pas placé dans un internat de ce genre. La deuxième possibilité était que Lecter était précédemment scolarisé dans une école moins prestigieuse et qu'un changement social ou financier de ses parents lui ait ouvert les portes de cette école. C'était envisageable, mais nettement moins probable que la dernière solution : Lecter avait été viré de son précédent établissement et c'était pourquoi il avait dû en trouver un nouveau en cour de cycle. Sherlock songea qu'avec un peu de chance, le garçon serait un peu moins ennuyeux que la moyenne.
Laissant là ses déductions, le jeune homme entra dans la chambre et posa sa valise au pied d'un des deux lits. Il ressortit ensuite et, après avoir refermé la porte derrière-lui, se dirigea vers la bibliothèque. Il y avait un peu moins de monde que dans la cafétéria mais c'était tout de même difficile de se déplacer. Il parvint finalement à atteindre le centre de la foule, offrit un rapide hochement de tête au documentaliste qui était pratiquement la seule personne ici avait laquelle il entretenait des relations cordiales et parvint à recueillir les différents ouvrages qui le concernait. Il s'extirpa ensuite bien vite de l'endroit pour regagner la solitude relative de sa chambre. Toujours aucune trace d'un deuxième garçon. Sherlock déposa pêle-mêle ses livres idiots sur la table et ouvrit sa valise en grand. Il sortit avec un peu d'humeur son ridicule uniforme et commença à l'enfiler. Il s'agissait d'une chemise blanche, d'un pull avec en col en « V » gris clair accompagné de liserés jaunes, un cravate de ces deux couleurs et enfin, une veste ainsi qu'un pantalon de costume noirs. L'élève enfila le pantalon et la chemise, et compléta sa tenue par la cravate à peine nouée qui reposait négligemment autour de son coup. Il ignora royalement la veste et le pull et quitta la chambre pour rallier l'une des multiples salles de réunion de l'établissement, où se tenait le rassemblement de début d'année. Il était déjà un peu en retard mais cela ne suffit pas à lui faire presser le pas. A l'inverse, il savoura l'ambiance des couloirs de plus en plus désert, jusqu'à ce qu'il arrive enfin devant la salle dédiée aux premières. Il ouvrit la porte sans plus de cérémonie, ignorant le regard réprobateur du professeur qui fut interrompu au milieu de son discours, et se laissa négligemment tomber sur un siège un peu en retrait.
Alors que des adultes venaient à tour de rôle pour débiter d'ennuyeux discours, Sherlock regarda autour de lui. Il n'y avait qu'un nouveau visage. Cela devait être le fameux Hannibal Lecter. Il était petit, avec de cours cheveux blond et des yeux très doux qui cachaient mal son anxiété. Il se tenait un peu à l'écart mais moins que Sherlock ce qui signifiait deux choses, premièrement, il n'était pas très à l'aise avec le principe de socialisation, deuxièmement, il ne voulait pas se mettre à l'écart et espérait de toute évidence se faire des amis ici. Son costume qui n'avait pas été fait sur mesure indiquait qu'il n'était pas là grâce à son argent, on pouvait donc supposer qu'il était là grâce à son nom.
Quelque chose clochait avec lui. Il ne correspondait pas du tout au profil d'élève qui se ferait renvoyer d'un établissement. Sa timidité, son sourire facile, son écoute polie, cela ne collait pas. Trois possibilités, alors. Soit il était très doué pour cacher son jeu, soit Hannibal n'avait pas été renvoyé mais avait simplement des parents qui avaient augmenté subitement leur rang social, soit il y avait un autre nouveau. Soit Sherlock s'était trompé dans ses déductions. Ce qui n'arrivait pas. Il passa le reste de l'après-midi à observer le blond, essayant de deviner quelques informations. Depuis le début de la réunion, il n'avait réussi qu'à glaner un ou deux détails. Le garçon s'appelait James ou John Watson, il avait des parents médecins, sa mère avait une petite grippe mais ce n'était rien d'inquiétant selon son père, il avait un frère qui venait juste de larguer sa petite amie et qui avait des problèmes d'alcool, il était plus doué qu'il en avait l'air en sport et désirait entrer dans l'équipe de rugby de l'école. Rien que de très évident. S'il avait à présent la preuve que ce garçon n'était pas Hannibal, il ne savait toujours pas pourquoi il venait d'arriver en milieu de cycle ce qui, en langage Sherlockien, était une défaite. Voire une forme déguisée d'humiliation. Mais cela eut au moins l'avantage de lui faire passer le temps et la fin de la réunion arriva plus tôt que prévu. C'est avec une joie toute relative que Sherlock se glissa entre les élèves pour quitter la salle, mais, avant qu'il n'ait eu le temps de traverser la distance qui le séparait de la porte, un garçon lui bloqua le chemin.
« Qu'est-ce que tu fous là, le taré ? »
Sherlock croisa le regard d'Anderson et il soupira. Il n'avait vraiment aucune envie de perdre son temps avec cet idiot. De tous les tyrans que le dernier des Holmes avait réussi à se mettre à dos depuis qu'il était ici, son vis-à-vis était loin d'être le pire mais il était certainement le plus irritant. Il était agaçant sans être véritablement dangereux. Juste ridicule, en réalité. Bien qu'Anderson voulait se donner des airs de mec cool et décontracté, il était évident qu'il appartenait à la catégorie Mycroft et que jamais il ne mettrait sa scolarité en danger pour quelques raisons que ce soit. De plus, il ne ferait rien ici, au milieu des professeurs, seul. Alors Sherlock l'ignora et le doubla par la droite. Mais Anderson lui saisit le bras pour l'arrêter.
« Je t'ai posé une question, le taré ! Qu'est-ce que tu fous là ? Tu n'as toujours pas compris que personne ne voulait de toi ici ? Et dire que tu te crois intelligent.
-Anderson, Anderson. On ne t'a jamais appris à ne pas t'en prendre aux plus forts que toi. Ne soit pas ridicule, tous les deux, on sait bien que tu ne feras rien, que tu n'es pas assez courageux pour passer à l'action. Alors arrête de me faire perdre mon temps, idiot. »
Sherlock allait continuer son chemin mais Anderson raffermit sa prise sur son bras, la rendant presque douloureuse. Il se pencha vers l'autre garçon et lui souffla à l'oreille :
« Crois-moi, cette année ne va pas se passer comme la dernière, Holmes. Tu vas bientôt regretter d'avoir mis les pieds ici, au milieu des gens normaux, espèce de taré. »
Voyant du coin de l'œil un professeur s'approcher, Anderson relâcha sa prise et se glissa vers un groupe d'élève un peu plus loin. Sherlock n'attendit pas plus longtemps et quitta la pièce, traversant plusieurs bâtiments pour rejoindre sa chambre. Là, il découvrit que, si la pièce était toujours vide, de nouvelles affaires avaient été ajoutées aux siennes. Ravi, Sherlock ferma la porte et détailla les alentours. Il commença par la penderie. Il y avait là des costumes haute-gamme, de toute évidence sur mesure. Les griffes qu'on pouvait y trouver n'était pas celles vers lesquels se tournait un nouveau riche, encore balbutiant dans le monde de l'élite. Cela renforçait sa thèse du renvoi plutôt que celle d'une promotion sociale fulgurante. On pouvait aussi remarquer que les affaires étaient méticuleusement rangées, par catégorie puis par couleur. Aucune manche, aucun cintre, aucun morceau de tissu ne dépassait. A ce niveau-là, ce n'était pas être consciencieux. C'était être maniaque. Sherlock pouvait déjà pressentir le clash qui n'allait pas tarder à arriver entre les deux garçons à l'hygiène de vie si différente. Le cadet Holmes referma l'armoire et se tourna vers le bureau du nouveau. Les livres étaient parfaitement organisés par domaine, par taille et par hauteur, ce qui encensé sa déduction précédente. En plus des livres de cours, Sherlock y découvrit des ouvrages très pointus et complexes sur des sujets très divers, allant de la philosophie aux sciences, en passant par l'histoire et l'art. Rien qui n'était au programme de cette année. Lecter n'était peut-être pas un bon élève, mais il devait surement être cultivé. Le choix des ouvrages, en effet, montrait une vrai connaissance des thèmes abordés, ce n'était pas simplement pour se donner un genre.
Sherlock jeta ensuite un coup d'œil à l'emploi du temps du nouveau. Ils avaient tous les cours obligatoires en commun, mais le garçon s'intéressa davantage aux options. Lecter avait pris option musique, comme Sherlock, ce qui allait de soi vu ses lectures. En sport, il avait pris escrime, révélant un esprit combatif voire agressif mais surement empreint d'un sens aigu de la noblesse. Il pouvait aussi voir que, une fois par semaine, il avait rendez-vous avec le psychologue scolaire. Une telle fréquence ne pouvait indiquer que de graves troubles. Sherlock se demanda si cela avait un lien avec son renvoi ou sa propreté excessive. Ou les deux.
Le cadet Holmes détacha enfin les yeux du bout de papier pour observer un carnet posé au centre du bureau. Il l'ouvrit et découvrit des pages entières recouvertes de croquis de visages et d'une écriture fine et élégante, légèrement penchée, toute de pleins et de déliés. Les mots n'étaient pas en anglais, cependant. Sherlock ne connaissait pas ce langage mais, s'il avait dû parier, il aurait avancé qu'il appartenait au groupe des langues baltes orientales. Or, aujourd'hui, seules deux langues de ce groupe était encore couramment connues, le letton et le lituanien qui étaient tous deux étroitement liés à la Lituanie. En feuilletant le carnet, Sherlock trouva également quelques lettres encore cachetées, adressées depuis une ville qu'il ne connaissait pas, en France, venant d'un certain Robertus Lecter.
Le jeune homme remit tous les documents à leur exacte place et alla s'allonger sur son lit. Un lituanien aussi maniaque que cultivé avec de la famille en France intégrant cette école suite à une expulsion… Peut-être que ce début d'année n'allait pas être si ennuyeux que cela, après tout. Au moins le temps qu'il découvre tous les secrets de son camarade de chambre.
Hannibal observait silencieusement la femme qui s'activait devant lui. Cela faisait une bonne heure que le jeune homme était assis dans ce bureau, parfaitement immobile. Comme chaque rentrée des six derniers établissements qu'il avait fréquenté, la journée –ou, en l'occurrence, l'après-midi- débutait par un rendez-vous avec le psychologue détaché pour l'établissement. Et, chaque rentrée, Hannibal endurait, stoïque, le flot de banalités faussement sympathiques, de tentatives de création de relations amicales, de mots réconfortants vide de sens. Hannibal n'avait pas besoin d'être réconforté. C'était les adultes qui avaient besoin de donner un sens à leur vie en se convainquant qu'ils étaient utiles d'une manière ou d'une autre. Et, bien souvent, ils ne l'étaient pas. Le garçon était prêt à parier qu'il connaissait mieux les méandres de la psychologie humaine que la très jeune docteur Bloom. Mais au moins, la femme était polie, ce qui était à peu près le seul bon point qu'elle pouvait espérer marquer auprès du lituanien.
Quand, au bout de deux heures d'entretiens stériles, le docteur Bloom –quoiqu'elle insistait pour être appelée Alana- mit enfin un terme à leur rendez-vous, Hannibal se leva lentement, rattacha le bouton de sa veste de costume, serra la main de son vis-à-vis et prit congé. Un rendez-vous par semaine. La fréquence avait augmenté depuis qu'il avait mis le feu à la chambre d'un élève de son ancien école. Il devait songer à mettre fin à cette escalade de violence s'il ne voulait pas être interné en hôpital psychiatrique avant sa majorité. Hannibal contempla l'idée mais haussa ensuite mentalement les épaules. Il était bien trop intelligent pour se faire ainsi avoir. Cependant, l'image du visage fermé et insondable de Dame Murasaki lui revint en mémoire. Au moins, cette fois-ci, il essayerait. Il essayerait de ne pas se faire renvoyer tout de suite. Pour elle.
Hannibal prit donc une profonde inspiration, lissa un pli inexistant de sa cravate et sortit de la quiétude de la salle d'attente de l'aile administrative pour se mêler à la masse humaine. Il navigua habilement entre les étudiants de tous âges, les professeurs et les membres du personnel, prenant grand soin de n'être bousculé par personne. Il n'avait pas de problème en soi avec les contacts physiques mais ce n'était pas une raison pour se laisser malmener. Il quitta le bâtiment principal et traversa l'une des nombreuses cours pour rejoindre le lieu où il avait posé ses affaires. Cela avait été le premier point négatif que le jeune homme ait vu à propos de cet établissement. Les chambres n'étaient pas individuelles. Dans toutes ses autres écoles, elles l'avaient été. C'était même un point important dans la sélection de l'établissement qui allait recevoir la généreuse donation du riche Robertus.
Dans ce cas précis, les trop nombreuses frasques d'Hannibal avaient acculé son oncle qui n'était plus aussi sélectif à présent. En effet, cela devenait chaque fois plus difficile de trouver une école pour le fils de feu!le compte Lecter, au point de devoir aller les chercher en Angleterre. A présent, n'importe quel établissement privé avec un minimum de réputation faisait l'affaire dans la quête désespérée de trouver une école au dernier de la noble famille.
C'était donc la première fois qu'Hannibal aurait à partager sa chambre, depuis l'orphelinat. Dans un premier temps, Dame Murasaki avait vivement protesté au nom de son neveu, insistant sur le fait qu'une école moins prestigieuse mais qui offrait plus d'intimité était préférable, notamment vu les terreurs nocturnes du garçon. Robertus avait écouté les arguments mais n'avait pas plié. Il voulait une bonne école pour le fils de son frère et l'Académie Conan Doyle était une possibilité inespérée. Et comme c'était officiellement lui qui était l'unique tuteur du garçon, il était seul décisionnaire. Hannibal avait donc passé une bonne partie des vacances d'été chez le psychiatre pour que ce dernier trouve une médication pour ses cauchemars et après qu'on en eut trouvé une efficace –ou du moins une dont le patient feignit l'efficacité, fatigué d'être constamment drogué- les démarches administratives d'inscription avaient complétées et l'adolescent avait bouclé sa valise.
Et le voilà, quelques jours plus tard, à devoir partager sa chambre avec quelqu'un. Quelqu'un de plutôt… désorganisé, à en croire les livres posés en vrac sur le bureau et le bagage à moitié défait qu'il avait vu trainer au milieu de la chambre quand il y était aller pour poser ses propres affaires avant d'aller voir le docteur Bloom. Hannibal se fit mentalement la morale. Il fallait qu'il agisse convenablement cette fois. Il ne voulait pas désespérer davantage son oncle et sa tante. Ce fut donc avec calme et ouverture d'esprit qu'Hannibal se rendit à la chambre 221 où il supposa que son futur camarade devait s'être rendu après la réunion de présentation à laquelle lui-même n'avait pas pu assister. Il ouvrit la porte de bois sombre et découvrit aussitôt l'autre garçon.
C'était un jeune homme de son âge, un peu plus grand et plus fin, avec des cheveux sombres qui tombaient sur son front en boucles désordonnées, assombrissant un peu des yeux d'un bleu perçant. Il était négligemment allongé sur son lit et, bien qu'il ait parfaitement vu Hannibal entrer, il ne se donna pas la peine de se lever ni de saluer le nouveau venu. Cependant, le lituanien ne fit aucune remarque, ayant sa promesse de rester non-violent bien en tête. Il se contenta d'avancer de quelques pas et vit immédiatement que son carnet de croquis avait été légèrement déplacé de quelques centimètres sur la droite, et que son emploi du temps, épinglé sur le bureau, n'était pas aussi droit qu'il le devrait. L'un des avantages à être aussi ordonné et méticuleux était qu'on remarquait tout de suite ce genre de chose. Quelqu'un avait fouillé dans ses affaires. Et même s'il n'aimait pas les conclusions hâtives, il avait déjà une petite idée quant à l'identité du curieux. Ne laissant rien paraitre de ces pensées sur son visage, Hannibal s'avança dans la pièce et s'assit sur son lit.
« Bonsoir. Je m'appelle Hannibal, je suis nouveau, ici.
-Je sais. »
La réponse était sèche, cassante. Le jeune homme ne s'était même pas donné la peine de lever les yeux. C'était parfaitement impoli.
« Je me doute, puisque mon nom est marqué sur la porte.
-Alors pourquoi tu prends la peine de dire ce que nous savons tous les deux.
-Par politesse. »
Le plus grand haussa les sourcils, montrant ainsi le peu de cas qu'il faisait de la politesse. Cela agaça prodigieusement Hannibal.
« Mais je pense que je n'aurai pas le droit au même égard. Bien, si dire bonjour n'est pas quelque chose que tu aimes faire, je pense que je pourrais vivre avec. Simplement, je suis convaincu qu'il serait mieux pour nous deux que la prochaine fois que tu chercheras quelque chose dans mes affaires, tu demandes simplement. Qui sait, peut-être que je pourrai t'aider à trouver ? »
Là, l'adolescent étendu tourna la tête vers Hannibal, surpris.
« Allons, tu ne croyais quand même pas que je n'allais pas m'en rendre compte. Je sais où je pose mes affaires. Ils s'avèrent que j'ai une excellente mémoire. Non que j'en ai besoin dans ce cas précis puisque chaque chose est à sa place. Donc, oui, je sais que tu as regardé mon carnet, mon emploi du temps, et mon armoire. J'espère que tu as trouvé ce que tu cherchais. »
Le dénommé Sherlock se redressa et se hissa sur un coude, faisant à moitié face à Hannibal, les yeux légèrement plissés mais la mine intéressée :
« Comment tu peux savoir pour l'armoire ?
-C'est évident, il me semble. Tu n'as pas vaguement regardé mon carnet, tu l'as pris en main, tu l'as ouvert, tu as fouillé. Certainement pour essayer de deviner qui je suis. Or, tu as l'air de te croire très intelligent. Maintenant, en partant du principe que tu as raison sur ton compte, et donc, que tu es un minimum intelligent, il semble évidant que, pour apprendre à me cerner, tu as regardé dans mon armoire. Les vêtements en disent long sur quelqu'un. De plus, étant donné que je n'ai qu'un lit, un bureau et une armoire, si j'avais voulu amener des objets personnels, il y aurait eu de grandes chances que je les mette dans l'armoire. Il est facile, alors, de supposer que tu as déjà regardé là-dedans. Et alors, cela valait-il le coup ? As-tu découvert quelque chose de stupéfiant à mon sujet ? Vas-tu m'apprendre que je suis en réalité un tueur en série ?
-J'ai trouvé deux, trois trucs. »
Hannibal vit une lueur étrange briller dans les yeux de Sherlock. Du défi. L'adolescent voulait prouver qu'il était le plus intelligent. Un jeu dans lequel Hannibal était prêt à s'engager.
« Oh mais je t'en prie. Eclaire-moi. »
Lentement, les lèvres du plus grand s'étirèrent en un large sourire. Il prit une inspiration, bloqua l'air un moment, et se lança enfin.
« Rien de bien pertinent, je le crains, mais j'ai quand même quelques détails. Tu es lituanien, d'une famille dont la noblesse remonte au moins à un siècle. Cependant, tu viens de France où tes parents ont emménagé il y a de cela plus ou moins quatre ans. Tu as été viré de ton ancien établissement, surement à cause de graves problèmes comportementaux. Et ce n'était pas la première fois que cela arrivait. Tu es intelligent, ou du moins cultivé. Musicien à tes heures. Du piano, je dirais. Tu pratiques le Kenjutsu assez régulièrement. »
Hannibal regarda son vis-à-vis en silence, pendant un moment.
« D'accord. Mais ce n'est pas cela qui est important.
-Comment ?
-Tout ce que tu viens de dire, ce n'est pas important. Et ce, pour deux raisons. Premièrement, ce n'est pas important parce que ça ne t'apprend rien de réel sur moi. J'habite en France, je me suis déjà fait virer, et je sais manier un sabre. Et alors ? Avec ces informations-là, tu n'as ni cause, ni conséquence. Autant dire que cela ne sert à rien. Et ce n'est pas important, dans le sens où ce n'est pas cela qui t'importe toi. Tu veux prouver que tu es intelligent, ce qui compte donc c'est d'expliquer comment tu le sais. Alors vas-y, plutôt que d'énoncer des faits que nous connaissons tous les deux. Explique le raisonnement pour que je puisse acclamer ton intelligence. »
Sherlock resta longuement interdit, totalement déstabilisé. Il ne s'était pas du tout attendu à cette réaction. Ses déductions rencontraient toujours de l'agacement, de la colère, de l'étonnement, de l'admiration, de la peur, mais jamais de… l'indifférence. Il se reprit cependant et expliqua, quoi qu'il était plus concentré sur les réactions de son camarade plutôt que sur ses propres dires.
« Pour le lituanien, tu sais déjà.
-Le carnet.
-Oui. J'y ai aussi trouvé une lettre venant d'un certain Robertus Lecter postée depuis la France, mais ce n'est pas suffisant pour dire qu'il y habite avec toi. Mais mêlé à d'autres indices… Tu as des cahiers Clairefontaine, une papeterie française, l'étiquette sur ta valise pour l'aéroport est en français, le réveil indique dix-huit heures et non six heures de l'après-midi. Et au moins quatre ans car, dans tes livres, j'ai reconnu celui sur la dualité onde-corpuscule et sa réalité mathématique. C'est une édition limitée qui est sortie il y a quatre ans, uniquement en France et qui n'a jamais été réédité, de plus, l'usure de la couverture tend à laisser supposer qu'il a en effet cet âge. Pour la noblesse, il suffit de regarder ta chevalière. H comme Hannibal. On pourrait penser qu'elle a été faite pour toi. Mais, vu l'âge de cette bague, je dirai plutôt que tu as été nommé d'après le premier propriétaire de la bague. Pratique courante chez les vieilles familles nobles. Et cette bague a, au moins, un siècle bien que je pencherais pour beaucoup plus. Maintenant, passons au reste. Tu arrives en milieu de cycle et l'explication la plus probable est un renvoi de ton ancien établissement. Cela, couplé aux séances hebdomadaires chez la psychologue scolaire et à ta maniaquerie de la propreté, montre clairement une piste. Troubles du comportement. Ensuite il y a tes mains. Les callosités, plus exactement. Elles sont caractéristiques du maniement intensif d'une arme. Pas l'escrime, ce sport ne laisserait jamais de telles marques. Non, cela pouvait être soit du Kenjutsu, soit du Bo-jutsu, soit du Jo-jutsu. Le Kenjutsu est le plus répandu et un pommeau en métal marquera plus la peau qu'un manche en bois. Ce sont aussi tes mains qui m'ont renseigné pour le piano. Tes livres laissent supposer une connaissance profonde de la musique. Personne n'avancerait autant dans la théorie sans au moins un rapport avec le pratique. Ce n'est pas un instrument à corde, tel que la guitare ou le violon par exemple, tu n'as pas de callosité sur le bout des doigts. Pareil pour les percussions, tu n'as pas les marques d'une telle pratique. Cela laisse les instruments à vent, ou bien le piano. J'ai dit cette seconde option en supposition. Mais réfléchie. Le piano est majoritairement plus répandu. De plus, si j'étais maniaque au point de ranger mes livres selon le système de Classification Décimale Universelle, je n'apprécierais pas forcément d'emmener un instrument à ma bouche. Voilà comment j'ai su. »
Hannibal prit son temps pour considérer son vis-à-vis. Tout n'était pas juste. Premièrement, le lituanien n'était pas vraiment maniaque. Il aimait que les choses soient organisées mais il pouvait supporter sans problème le désordre et la saleté. Ensuite, il jouait du clavecin. Mais c'était un instrument si peu répandu, aujourd'hui, qu'il n'était pas étonnant de le confondre avec le piano. Et pour finir, ses parents n'avaient pas déménagé en France. Mais tout le reste était étonnement juste. Hannibal ne pouvait nier qu'il était impressionné. Mais impressionné ne signifiait pas vaincu.
« A mon tour ? »
Sherlock fut de nouveau déstabilisé devant le manque de réaction du nouveau mais il hocha quand même la tête.
« Parfait. »
Hannibal rajusta sa position et fixa son regard étonnement rouge dans celui bleu de Sherlock :
« Tu as un père. Ou un grand frère. En vérité, qu'il soit de ta famille ou non n'a aucune forme d'importance. Tu as une figure paternelle dans ta vie qui est écrasante. Un génie qui dépasse le tien, qui t'oblige à rester dans son ombre. Tu te sens constamment idiot et c'est pourquoi tu essayes si désespérément de prouver que tu es intelligent. Derrière tes airs surs et supérieurs, tu doutes. Constamment. Tu essayes de te convaincre que tu ne veux pas te faire d'ami, mais en vérité tu ne sais pas te faire ami. Et pourtant, tu rêves de quelqu'un qui puisse acclamer ton intelligence, te répéter que tu n'es pas idiot. En fait, tu voudrais quelqu'un qui t'admire autant que d'admires cette figure qui t'écrase. Mais c'est justement ce besoin irrépressible d'être le plus intelligent qui t'ostracise complétement et qui rendra une telle quête de reconnaissance impossible. Et, au fond de toi, tu sais parfaitement que tu es voué à être seul et malheureux. Tu essayes d'oublier cela en te convainquant que ce n'est pas grave et, en faisant cela, tu t'isoles encore plus. Quel triste cercle vicieux. »
Les deux garçons se jaugèrent longuement du regard. Sherlock avait un air mauvais sur le visage, les yeux assombris, Hannibal, lui, était toujours ainsi imperturbable bien qu'il ressentait surement le même agacement et le même égo un peu irrité que son vis-à-vis. Finalement, le plus grand reprit la parole d'un ton boudeur, presque puéril :
« Ce n'est pas de la science. C'est de la psychologie de comptoir. Rien qui ne relève de l'intelligence.
-Peut-être, mais cela n'en reste pas moins vrai. »
De nouveau, les deux jeunes hommes se firent face, les yeux légèrement plissés, essayant de voir une faille chez l'autre.
« Je vais, moi aussi, m'essayer à la psychologie de comptoir, si tu le permets.
-Mais fait, je t'en prie.
-Une partie de ce que tu penses de moi s'applique à toi. Tu veux être le plus intelligent dans la pièce. Sans avoir les capacités de déductions dont j'ai fait preuve, tu as voulu établir une supériorité sur moi. Tu veux être celui en contrôle de la situation. C'est pourquoi, alors que tu as clairement vu en entrant que je ne m'intéressais pas à toi, tu as forcé une présentation, afin de m'obliger à interagir de la manière dont tu le souhaitais. Tu essayes de devancer mes répliques en les introduisant, ainsi, tu sembles être celui qui donne la parole, qui encourage et encadre la conversation, alors que tu ne fais que m'inciter à dire ce que j'ai déjà explicitement l'intention de dire. Tu prends bien soin à ne pas réagir car cela serait avouer que j'ai quelques pouvoirs que ce soit sur toi. Tu agis de manière amicale et sympathique simplement pour cacher un caractère manipulateur et, surement aussi, un égo joliment développé. On pourrait penser que je suis mal placé pour juger là-dessus. Oui, je suis orgueilleux. Et je peux être manipulateur quand j'ai un but à atteindre. Mais toi, tu ne l'es pas à raison. Tu veux manipuler, influencer pour te sentir puissant, juste pour ça. Être supérieur. Je veux être le plus intelligent, tu veux être le plus puissant. »
Sherlock s'attendait à voir une forme d'agacement, voire de colère sur le visage face au sien, ou encore cette indifférence étrange, mais, de nouveau, les réactions du nouveau le surprirent. Hannibal sourit.
« Nous devrions bien nous entendre, alors. »
Sans rien ajouter, le lituanien se leva de son lit et se dirigea vers la porte.
« Ne serait-ce pas l'heure à laquelle les repas sont servis, ici ? »
Sherlock comprit l'invitation implicite du garçon. Il hésita un moment mais finit par hausser les épaules et par se lever, ouvrant la voie pour guider le nouveau jusqu'à la cafétéria. Hannibal suivit docilement son nouveau camarade de chambre jusqu'à la cantine de l'établissement. Il découvrit alors un large espace bruyant, remplis d'adolescents surexcités qui gesticulaient en tous sens, accompagnant leur cris de grands gestes. Le jeune noble contempla un moment ses congénères avant de se diriger, à la suite de Sherlock vers l'endroit où les plats étaient proposés.
Après une queue particulièrement longue, Hannibal arriva enfin au comptoir et choisit une simple salade et un yaourt qu'il posa sur son plateau. Une fois prêt, il avisa une table pour quatre personnes, excentrée et accolée à un mur, et alla y prendre place. Sherlock le rejoignit, posant son propre plateau en face. Il se laissa tomber sur la chaise et, ignorant totalement la nourriture, il observa indiscrètement son vis-à-vis dont l'attention était centrée sur la salade dans son assiette.
« Tu n'aimes pas beaucoup cet endroit. »
Ce n'était pas une question. Simplement une affirmation lancée par le lituanien sans même lever les yeux.
« Je n'aime pas ce genre d'endroit.
-Les rassemblements d'élites ou les établissements scolaires ?
-Les deux. Pour les mêmes raisons.
-La nécessité d'obéir à la norme, la discrimination systématique de la différence.
-Tu comprends de quoi je parle.
-Oui.
-Mais tu ne partages pas cet avis.
-Non. Je veux dire, il est vrai que ces endroits répondent à ces critères, mais je trouve ça très amusant de jouer selon les règles.
-Donc tu vas beaucoup t'amuser ici.
-Avec un peu de chance, mais je n'aime pas les écoles.
-Laisse-moi deviner. Tu n'apprécies pas que des gens se pensent en droit de te donner des leçons. »
Hannibal ne répondit pas mais eut un petit rictus qui ressemblait étonnement à un sourire. Les deux jeunes hommes commençaient peu à peu à apprécier la présence de l'autre. Ils la trouvaient… stimulante. Ils continuèrent à manger –enfin, plus exactement, le plus grand observa, immobile, le plus petit manger- dans un relatif silence vu le lieu dans lequel ils se trouvaient mais furent interrompu par une présence qu'Hannibal trouva immédiatement agaçante. C'était un élève qui devait avoir peut-être un ou deux ans de plus qu'eux. Avec ses cheveux coupés-courts, son corps musclé aussi haut que large, son nez écrasé et son air mauvais, il semblait être la caricature du sportif aussi populaire qu'idiot. Si Hannibal n'avait aucune idée de la personne à qui appartenait l'ombre qui venait soudain de se projeter sur leur table, Sherlock, lui, la connaissait très bien.
« Qu'est-ce que tu veux, Carl ?
-Toi, l'taré, tu parleras quand je t'y autoriserais. Anderson est venu me voir, tout à l'heure. Comme pour beaucoup de gens ici, ta présence l'agace. Et je n'aime pas qu'on agace mes potes. Donc tu vas aller le voir, là-bas, et tu vas t'excuser d'exister. »
Sherlock soupira profondément. Carl Powers, c'était autre chose qu'Anderson. Pas le genre d'élève à se mettre à dos parce que le genre d'élève à pousser les autres dans les escaliers ou à les tabasser à l'arrière du gymnase. Cependant, Sherlock ne put s'empêcher d'être un petit peu étonné de la situation. Il ne savait pas que Carl était ami avec Anderson, encore moins au point de s'occuper des ennemis de l'autre idiot. Sherlock allait répondre quand la voix calme, presqu'amicale, d'Hannibal se laissa entendre :
« Nous étions au milieu d'une conversation intéressante, entre amis, et, sans la moindre forme de courtoisie, tu nous as interrompu et dérangé. Je déteste être dérangé. »
Sherlock jeta un regard à Hannibal. Il y avait quelque chose d'étrange chez ce jeune homme. Sherlock s'y connaissait en tyran scolaire et autre monstre social, il en était bien souvent la proie et la victime mais pourtant, malgré toutes les insultes et tous les coups qu'il avait pu recevoir, jamais il n'avait senti autant de menaces et autant de danger que dans la phrase qui venait d'être prononcé « Je déteste être dérangé ». Cependant, les mots en eux-mêmes n'avaient rien d'agressif ou de blessant, pas plus que l'attitude de celui qui les avait prononcé, qui n'avait absolument pas bougé et qui était toujours assis à sa place. Mais Sherlock était prêt à le parier, dans cette grande jungle qu'était le monde scolaire, Hannibal était un prédateur bien plus puissant que Carl. Et il aurait été bien que ce dernier ait le même instinct que le cadet Holmes, cela aurait été en effet plus sage d'arrêter là la discussion et d'aller vite se réfugier au milieu de ses amis. Mais Carl n'était pas Sherlock et il regarda avec mépris celui qui venait de parler :
« T'es nouveau, toi. Je sais pas pour qui tu te prends mais je vais t'apprendre deux trois trucs sur cet établissement qui pourraient grandement améliorer ton séjour ici. Le première et le plus important, retiens bien qu'ici, tu n'es rien de plus qu'une merde qui devrait se la fermer devant ses ainés. »
Hannibal afficha un sourire sincère, qui était bien plus choquant que ne l'aurait été un rictus de haine, puisqu'il n'avait strictement rien à faire dans cette situation. Cependant, le jeune lituanien affichait une mine sereine et amusée alors qu'il s'adossait un peu mieux contre sa chaise, prenant du recul par rapport à Carl comme s'il voulait mieux l'examiner :
« Tu sais, on dit souvent que la perversion est dans l'œil de celui qui regarde. Tu penses que tu considères les autres comme de la merde pour éviter d'avoir à faire face au fait que, toi-même, tu ne vaux guère mieux que cela ? »
Carl ne prit même pas le temps de manifester vocalement sa colère. Il se contenta de saisir brusquement le yaourt d'Hannibal et tenta de lui écraser sur le visage. Prompte, le lituanien parvint aisément à saisir le bras de son ainé bien avant qu'il ne finisse son mouvement. Pourtant, Carl avait exercé suffisamment de pression sur le pot pour que l'opercule se détache et que le yaourt se répande sur la table et, en partie, sur la manche de la veste de costume hors de prix d'Hannibal. Le plus jeune des deux opposants baissa lentement les yeux vers son vêtement et vit les grumeaux blancs s'écouler paresseusement le long de son bras avant de tomber par terre. La scène se figea un moment alors que, peu à peu, le visage d'Hannibal perdait son air bienveillant pour se parer d'un masque insondable d'inexpressivité. Lentement, le lituanien se leva, tenant toujours Carl par le bras, le gardant en respect. Assez rapidement, toutes les conversations dans le réfectoire cessèrent et chaque élève se retourna pour voir Carl Powers, nageur de l'équipe de l'Académie, neveu du coach sportif, tyran foncièrement réputé, faire face au petit nouveau. Le plus âgé des deux tenta de bouger mais le plus jeune resserra la prise si bien que Carl grimaça de douleur et s'immobilisa pour ne pas aggraver sa souffrance. La scène s'éternisa un peu puis Hannibal, d'un ton sympathique et ouvert qui jurait violemment par rapport à la situation et à son manque d'expressivité faciale, souffla calmement des mots qui retentir pourtant dans toute la cafeteria :
« Tu sais, Carl, des actes horribles ont été commis pour moins que ça. »
D'un geste que personne ne vit venir et qui, par sa rapidité, tranchait avec son calme apparent, Hannibal saisit Carl par le menton, obligeant douloureusement ce dernier à le regarder dans les yeux.
« Tu voulais que Sherlock s'excuse d'exister ? J'ai une meilleure idée. Si toi tu me remercier de te laisser exister ? Qu'en penses-tu ? »
La respiration de Carl s'accéléra rapidement. Il essaya un instant de se dégager, apeuré, mais il croisa le regard étrangement rouge de son vis-à-vis et ce qu'il y vit le glaça. Il s'immobilisa, incapable de faire le moindre geste. Mais qui était ce gosse ?
« Monsieur Lecter ! »
Tout le réfectoire se tourna vers Mme Vakner qui venait d'entrer.
« Je vois que vous ne perdez pas de temps. Ce genre de comportement et de menace n'est pas toléré dans cet établissement. Veuillez me suivre immédiatement. »
Hannibal ne bougea pas, les yeux toujours fixés dans ceux de sa proie, s'assurant qu'elle avait bien retenu la leçon.
« Monsieur Lecter ! Vous aggravez votre cas ! »
Lentement, pour montrer qu'il n'avait pas la main forcée, Hannibal relâcha sa prise et Carl fit rapidement une dizaine de pas en arrière pour s'éloigner. Le lituanien lui sourit aimablement avant de se tourner vers la directrice adjointe et de s'avancer poliment vers elle. Mme Vackner et M. Lecter quittèrent ensemble la grande cafeteria, entendant derrière eux toutes les conversations reprendre d'un coup.
Sherlock regarda du coin de l'œil Carl sortir rapidement de la cantine, observa en silence la table couverte de yaourt et se leva avant de partir. Il n'avait plus rien à faire ici. Sur le chemin jusqu'au dortoir, il se repassa la scène dans sa tête. Assurément, Hannibal était un garçon bien plus dangereux qu'il ne l'avait cru au premier abord. Bien plus intéressant, surtout. Peut-être que cette année, il allait enfin pouvoir tolérer son camarade.
Avec un vague sourire, Sherlock regagna la chambre 221, ferma la porte derrière lui et se laissa tomber sur son matelas. D'un geste machinal, il saisit son violon qui reposait sous son lit, le sortit de son étui, attrapa l'archet entre ses longs doigts fins et commença à jouer des airs étranges et improvisés avec l'instrument dont la mélodie suivait le cours de ses pensées. Les minutes passèrent tandis que la nuit se faisait plus sombre et insondable derrière la fenêtre. Enfin, au bout d'une heure et demi, la porte s'ouvrit de nouveau pour laisser entrer Hannibal qui n'avait absolument pas l'air de quelqu'un qui venait juste de se faire réprimander pour avoir agressé un élève. Sherlock stoppa la course de son archet alors que le lituanien s'avançait pour s'assoir sur le borde de son lit :
« Alors ? Viré ?
-Non. Je représente trop d'argent pour qu'on me vire à cause d'une petite bousculade. »
Sherlock eut un petit sourire. Il replaça son violon dans l'étui et se redressa pour faire face à son camarade de chambre :
« Dans ce cas, bienvenue à l'Académie, Hannibal Lecter.
-Merci bien, Sherlock Holme. »
Voilà pour ce premier chapitre de cette "expérience". Expérience parce que, pour moi, Sherlock (de par son intelligence) et Hannibal (de par sa complexité) sont parmi les personnages les plus durs à écrire et à retranscrire avec fidélité. Alors, je ne sais pas trop ce que ce premier chapitre vaut.
N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, et surtout, signalez-moi si vous pensez que ça vaut le coup que je continue l'histoire ou si elle se porte très bien en OS.
CPDB
