24 Novembre 2000
Un pied jeté loin devant l'autre. L'air froid circulait rapidement dans mes poumons et rendait ma respiration difficile. Je sentais la sueur brûler ma peau, et mes cheveux collaient à mon front humide. Cette chaleur intérieure mêlée au froid extérieur me donnait des vertiges, et ma vue commençait à se brouiller ; les réverbères se transformaient en de vulgaires tâches lumineuses dansant sous mes yeux. Ma main, fermement tenue, devenait de plus en plus moite.
Continuant ma course folle, je risquais un œil vers celle qui m'entraînait dans la nuit, à savoir ma grande sœur. Cette dernière semblait s'épuiser également, les yeux mi-clos et la bouche entr'ouverte. Ses cheveux violets attachés un peu n'importe comment s'agitaient furieusement dans la brise nocturne.
J'étais épuisée. Je trébuchai sur un petit caillou et Anko me rattrapa in extremis. Je levai la tête vers son visage un peu rond, déformé par une moue agacée.
« C'est vraiment pas le moment d'être crevée, Sakura. Grouille-toi !
-Je n'en peux plus, grande sœur, me plaignis-je. Porte-moi sur ton dos !
-Putain t'es lourde ! »
Elle me jeta rapidement sur son dos et se remit à courir. Puis ce fut la libération ; nous escaladâmes avec difficulté le grillage solide, nous écorchant à plusieurs endroits. Je retenais un sanglot lorsqu'un morceau de grillage se plantait dans mon genou. Anko soupira, agacée. Elle me tint encore plus fermement avant de retomber maladroitement sur le sol.
J'étais dehors. Dehors ! Je repris rapidement mon souffle et me remis à courir avec Anko. Je regardais avec de grands yeux l'univers autour de moi. Moi qui pensais que ça ressemblait à ce qu'on voyait à la télé, en réalité c'était beaucoup plus maussade et ennuyeux à observer. Mais c'était le Paradis, l'Enfer, je l'avais derrière moi à présent. Quelques dizaines de pas plus tard, nous étions dans une petite ruelle mal éclairée et enfin nous nous arrêtâmes.
« Nos chemins se séparent ici, petite sœur. »
Je m'attendais à cet instant-là. Nous allions nous séparer, et cette pensée arracha un sanglot à la petite fille que j'étais. Mes yeux picotaient, mon nez était humide et mon front brûlant.
« Pourquoi Anko.
-Je ne pourrais pas m'occuper de toi, je dois prendre mon propre chemin. Reste là, sagement, et le bonheur viendra à toi.
-Et si quelqu'un me frappe ?
-Tu fais ce que je t'ai montré. Vu ?
-Oui...
-Je t'aimerais toujours très fort, ma petite Sakura. Sois heureuse et je le serais aussi. On se retrouvera. »
Elle me prit subitement dans ses bras, et je crus entendre l'ombre d'un sanglot. Quelques secondes et ma sœur me lâcha, se leva et m'accorda un ultime sourire. Je la vis disparaître dans l'obscurité et me tassai un peu plus contre le muret d'une maison abandonnée.
Je pleurais. De peur, de tristesse, de joie aussi. Durant peut-être une demi-heure, ou plus, ou moins. Je commençai dangereusement à sombrer dans un sommeil quand le son grave d'une voix me fit sursauter.
« T'es qui toi ?
-J-Je... »
Je ne voyais pas son visage, seulement une tignasse grise et un masque. Soudain, il me prit sur son dos et se mit à marcher. Etait-il méchant ... ? Je lui tendis un papier que je sortis de ma poche. Il le lit en silence, puis soupira.
« Putain, c'est qui le con qui s'est arraché de là avec toi ?
-La conne, monsieur, couinai-je avant de me rendre compte de mes paroles.
-...T'es un sacré numéro, toi, ricana-t-il. J't'amène au bar, tu restes avec moi. Tu verras, là-bas il y a une très gentille maman qui t'attends. Roh la tête qu'elle va faire quand elle va voir ça... »
Maman ?
