Elle s'était crue amoureuse, lorsque le prince aux cheveux d'argent et aux yeux d'améthyste lui était apparu pour la première fois. Elle s'était vraiment crue amoureuse, et c'était sans doute la seule excuse qu'elle aurait jamais.
Elle le sait bien, la conduite de Robert ne sera jamais vue comme une justification à sa fuite dans les bras de Rhaegar. Mais elle sait comment est Robert, elle sait qu'il a déjà au moins une bâtarde à son actif et en aura d'autres, elle sait que le mariage ne l'empêchera jamais d'aller courir la gueuse, et elle sait aussi qu'elle en serait devenue folle.
Elle aurait été folle de voir son mari avec une maîtresse, mais curieusement Elia n'avait pas semblé s'en soucier.
« Je suis de Dorne, petite louve, nous voyons les choses différemment » avait rappelé la princesse solaire avec gentillesse. « Et puis, ce n'est pas comme si mon mari et moi nous aimions d'amour. »
Elle se rappelait combien elle s'était sentie supérieure, de pouvoir donner à un prince ce que celui-ci n'avait pas pu trouver avant. Elle s'était sentie si fière, alors, qu'un prince la trouve digne de lui et la couronne sa reine, quand bien même ce n'était que le temps d'un tournoi. Et tant pis si Robert n'avait pas apprécié, est-ce que lui se privait de tripoter les femmes de chambre, peut-être ?
Et puis, son beau rêve d'argent avait volé en éclats lorsque Lyanna avait réalisé que le prince dragon ne l'aimait pas.
Oh, il la trouvait sympathique. Il avait toujours été gentil avec elle. Mais il ne l'avait jamais vue comme son amante, même pas comme sa maîtresse, non, elle n'avait jamais été pour lui que la future mère de la seconde Visenya Targaryen. La fille qui lui donnerait le troisième enfant qu'il ne pouvait avoir de sa femme légitime.
Le dragon doit avoir trois têtes lui avait-il murmuré comme excuse, et si elle n'avait pas été si malade de sa grossesse, si les trois Gardes Royaux n'avaient pas été en travers de son chemin, elle se serait sauvée de la tour, sauvée pour Winterfell et Ned et Benjen.
Mais elle était trop faible et maintenant elle meurt en couches et elle voudrait haïr cet enfant qui lui déchire les entrailles pour naître mais elle ne peut pas. Elle a juste pitié pour lui, pour elle, pour cette petite Visenya qui n'a été conçue que pour satisfaire les lubies prophétiques d'un prince aussi fou que son père, même si cette folie se manifeste différemment.
Elle pousse un dernier cri et l'enfant jaillit hors d'elle dans un flux de sang presque incandescent, et elle hoquette alors que se tord dans son ventre quelque chose qui ne devrait pas se tordre et elle tente piteusement de se hisser sur ses oreillers quand l'accoucheuse annonce :
« Vous avez un fils, m'dame. »
Et elle éclate de rire, parce que c'est trop, ce pied de nez que les anciens dieux viennent de jouer à Rhaegar en le privant de la fille qu'il espérait tant pour lui substituer un fils, un garçon au crâne couvert de fins cheveux sombres gluants de sang et de l'eau du ventre et qui ne fait pas un bruit mais ouvre d'immenses yeux déjà gris comme s'il voulait voir le visage de sa mère avant que celle-ci ne l'abandonne dans le monde des vivants.
Parce que Lyanna ne se fait aucune illusion cette fois et sait qu'elle ne survivra pas à son premier et dernier accouchement, et la perspective la terrifie. Parce qu'elle sait que Robert tuera cet enfant simplement à cause de son père et se fichera de qui est sa mère, et elle veut que son bébé vive. Et elle ne peut pas le protéger.
Mais Ned en est capable, lui.
Mon petit loup. Au moins jusqu'à ce qu'il puisse se défendre. Promets-moi, Ned !
Et elle quitte le monde le sourire aux lèvres parce que Ned a toujours tenu les promesses qu'il lui a faites.
