Hey toi !
J'ai écrit toute une note concernant cette fanfic' sur mon compte wattpad, donc si ça t'intéresse, va voir là-bas, parce que je ne répèterai pas tout ici, mais ne t'inquiète pas, c'est pas important si tu ne la lis pas.
Tout d'abord, c'est sympa de venir lire cette fanfiction, j'espère qu'elle te plaira. N'hésite pas à laisser une review, j'aimerai savoir ce que tu penses de la fic'.
Maintenant, je la ferme, et bonne lecture !
Je détestais ces matins, où quelque chose venait me tirer du sommeil. Je n'aimais pas me réveiller, c'était un retour à la réalité trop brutal. J'avais toujours préféré le rêve au monde réel. En partie parce que je trouvais que les mondes imaginaires qui fleurissaient dans ma tête étaient captivants. Mais sans me faire d'illusions, je savais bien que la raison qui faisait que j'aimais tellement les rêves était que, pendant une période, je pouvais juste oublier tous les problèmes qui pourrissaient mon existence, prétendre qu'ils n'existaient pas, et c'était le plus beau cadeau que l'on pouvait me faire. Le moment où mon réveil se mettait à sonner était le pire de ma journée. Toutes les merdes que j'avais accumulé, des mauvais souvenirs à la dépression, de l'anxiété à tout ce que je détestais chez moi, tout me retombait dessus d'un coup, et plus d'une fois je m'étais retrouvé en retard en cours parce que j'avais préféré jeter mon réveil à travers la pièce, avant de me rouler en boule dans mon lit pour pleurer à mon aise.
Les matins où un petit malin venait klaxonner dans ma rue, où un voisin se décidait enfin à tondre sa pelouse, ces jours-là où je me réveillais bien trop tôt, je ne pensais pas à pleurer. Je m'énervais, je criais, et dans un sens, c'était mieux. C'était peut-être horrible, mais je préférais gâcher la journée des autres avec ma mauvaise humeur plutôt que de devoir sentir à nouveau cet immense vide dans ma poitrine qui venait me rappeler à quel point ma vie craignait. A quel point j'étais seul. Je pouvais faire pire que râler pour oublier. Evidemment qu'il y avait pire. Mais si j'y pensais, je risquais de recommencer, et je ne voulais pas retourner en thérapie.
Des pneus crissaient sur du gravier, dehors. Si j'écoutais attentivement, je pourrais réussir à deviner à quelle distance se trouvait cette voiture de cauchemar. Mais ce ne serait pas nécessaire. La maison voisine à la mienne était en vente depuis deux mois, un couple l'avait visité il y a peu. De toute évidence, elle leur avait plu, et il venait s'installer de manière permanente. J'espérais juste qu'ils n'avaient ni animaux, ni enfants en bas âge, je ne pourrais pas supporter d'entendre des gamins crier et un chien aboyer. Je me retournai dans mon lit, espérant réussir rapidement à me rendormir, lorsque ma mère passa devant ma chambre, jetant, comme d'habitude, un regard curieux vers mon lit. Mes yeux ne se fermèrent pas assez vite, elle fit un pas à l'intérieur et sa voix ne tarda pas à résonner dans la pièce.
« C'est bien que tu sois réveillé Gerard, j'ai besoin d'aide pour nettoyer la cuisine. »
Je lui répondis par un grognement, résistant à l'envie de lui balancer mon oreiller au visage. Pourquoi personne ne se disait jamais que, peut-être, on pouvait encore se permettre de dormir à cette heure-là ? Je ne savais même pas quelle heure il était, mais si ma mère demandait mon aide, ça voulait dire que Mikey n'était pas encore levé, et d'habitude, il se réveillait toujours avant moi. Il était donc bien trop tôt. Je donnerais n'importe quoi pour m'endormir aussi facilement qu'un bébé, pour qu'en fermant les yeux je replonge dans un de ces rêves bizarres que je faisais. Juste pour ne pas avoir à sortir de ce lit pour faire face à cette réalité de merde.
Mais ma mère n'était pas quelqu'un de facile à vivre, elle reviendrait. J'étais grillé, elle avait vu que j'étais réveillé, il n'y avait plus d'échappatoire. Alors, dans un nouveau grognement, je me résignai à l'inévitable et me glissai, non sans difficultés, en dehors de mon lit. Sa voix m'accueillit joyeusement dès mon entrée dans la cuisine.
« Gerard ! Finis ton petit-déjeuner, j'ai besoin de ton aide au plus vite, cette pièce est vraiment dégoutante. »
Je ne pris même pas la peine de regarder la « saleté » qu'elle me désignait, parce que je savais très bien que je ne verrais rien d'autres que les carreaux blancs qui recouvraient les murs de notre petite cuisine. Dans un soupir, je m'affalai sur ma chaise et plongeai ma cuillère dans mon bol. Je n'avais même pas faim. Je n'aimais pas manger. Des fois, quand je mangeais seul, je parvenais à faire 'disparaître' la nourriture que ma mère m'avait laissé. Je ne me sentais pas mieux, après tout, j'avais besoin de me nourrir. Mais, pour un temps, je pourrais arrêter de penser à ce que je mangeais, et aux conséquences.
« Maman ? »
Je croisai son regard brièvement avant de me replonger dans la contemplation de mes céréales détrempées.
« Oui, Gerard ? »
« Est-ce que… tu pourrais arrêter de me regarder manger ? S'il-te-plaît ? »
« Oh… Uh- bien sûr. »
Du coin de l'œil, je la vis se retourner vers le comptoir. Quel crétin je pouvais être. Je n'étais pas suffisamment bizarre comme ça ? Une boule dans la gorge, je me forçai à avaler ce qui restait dans mon bol, me retenant de tout dégueuler dans l'évier dix secondes plus tard. En entendant la cuillère toucher le fond du bol, ma mère se retourna et me jeta presque au visage une paire de gants.
« Au travail maintenant ! »
Passer mon entière matinée à frotter du carrelage, essuyer du bois et asperger l'évier n'était clairement pas la meilleure manière de commencer la journée. Dès que je pensais avoir terminé, ma mère jetait un rapide coup d'œil et me pointait une nouvelle tâche imaginaire. Elle ne sembla satisfaite du résultat qu'aux alentours de midi, au moment même où Mikey se décidait à pointer son nez. Moi qui espérait pouvoir retourner un peu dans ma chambre avant le déjeuner, je n'avais plus aucune chance.
« Mikey, tu es enfin réveillé ! On va pouvoir manger… »
Elle ne releva pas le fait que Mikey n'avait même pas pris son petit déjeuner, mais vu la tête de ce dernier, il était évident qu'il aurait adoré pouvoir sauter le déjeuner également. Le repas en famille se passa dans un silence étrange, entrecoupé toutes les minutes par ma mère, qui essayait sans succès de faire débuter la conversation. Je ne parlais jamais à table. Je ne parlais presque pas, en fait. Mikey était suffisamment bavard pour deux. Habituellement, il ne se faisait pas priver pour mener la discussion, et ma mère était plus que ravie de l'alimenter. Ils faisaient parfaitement la paire tous les deux.
Mais aujourd'hui, Mikey se contentait de cogner sa fourchette contre le bord de son assiette, le regard dans le vague. Il prenait rapidement une bouchée de son plat quand notre mère le regardait, mais sinon, il n'avalait rien. Ma mère finit finalement par s'en rendre compte, elle pouvait être très perspicace (bien que se rendre compte que son fils n'est pas dans son assiette relève plus de la logique que de la perspicacité. Je pensais même qu'elle s'en serait rendue compte dès son entrée dans la cuisine, comme moi. Est-ce que j'étais une meilleure mère que ma propre mère ?).
« Mikey, quelque chose ne va pas ? »
Mon petit frère se mit à rougir, et je ne compris pas pourquoi, et d'après son regard, il devait également se poser la question. Peut-être que l'idée d'avoir été pris sur le fait le gênait…
« N-non, tout va bien. »
« Menteur. »
Deux visages bien trop semblables se tournèrent en même temps vers moi avec un air de surprise dans les yeux, que je décidai d'ignorer. Je détournai le regard après avoir jeté un bref coup d'œil vers Mikey, avant de reprendre :
« Tu es tout pâle. Plus que moi. Tu n'es jamais pâle. »
Je ne rajoutai plus rien ensuite, laissant ma mère s'inquiéter pour Mikey et en faire des tonnes, pendant que je finissais mon assiette en fixant le mur. Je continuai d'écouter ce qu'elle racontait d'une oreille distraite, captant par intermittence quelques bribes de phrases. J'aimais bien me déconnecter de la réalité de cette manière, c'était vraiment relaxant. C'était comme dormir, mais en étant réveillé. Ce qui était un paradoxe… Mais je me comprenais.
« Ger- »
Je voulais monter dans ma chambre. Peut-être que si je demandais à maman, elle me laisserait sortir de table sans les attendre, je n'en pouvais plus de patienter pendant que Mikey refusait de finir son assiette. Depuis quand être malade justifiait le fait de laisser trainer sa nourriture ? Si je l'avais su avant, je me serais fait passer malade bien plus souvent…
« Gera- »
Quel jour on était aujourd'hui ? Je pourrais me rendre au Comic Store, j'avais l'impression que ça faisait une éternité que je n'y étais pas allé, et je ne voulais pas perdre mon statut de client privilégié simplement par flemme et négligence. Dès que j'aurais retrouvé mon portable, j'étais certain de découvrir une avalanche de sms, tous venant de Johnnie. Il s'inquiétait tellement facilement, il pensait toujours que mes absences se justifiaient par ma décision d'aller acheter mes comics dans un autre magasin.
« GERARD ARTHUR WAY, VEUX-TU BIEN ARRÊTER DE M'IGNORER ?! »
Je faillis tomber de ma chaise lorsque la voix aigüe de ma mère résonna dans la cuisine. Elle avait crié mon nom tellement fort que j'aurais probablement réussi à l'entendre si j'étais installé sur le vieux toboggan rouillé, au fond de notre jardin. Surpris, et aussi, je devais l'avouer, quelque peu effrayé, je croisai son regard, sans parvenir à refermer la bouche. Je devais ressembler comme deux gouttes d'eau à un poisson.
« Ferme la bouche, tu ressembles à un poisson. »
Et voilà. Je secouais la tête comme pour me remettre les idées en place et n'oubliais surtout pas de fermer ma bouche, avant de me forcer à relever de nouveau la tête pour pouvoir faire face à ma mère.
« Quoi ? »
« Je voulais juste te dire que je sortais. J'emmène Mikey voir un médecin, puis nous irons sûrement faire quelques courses… Si tu as encore faim, il y a du pâté dans le frigo, tu n'aurais qu'à te faire un sandwich, ou un truc du genre… »
« Je n'aurais pas faim. »
« On ne sait jamais. » répliqua-t-elle en roulant des yeux. « Essaie de ne pas faire exploser la maison pendant notre absence. »
Elle se voulait drôle, mais ça ne l'était pas. J'étais trop enfoncé dans mes pensées pour réagir à ce qu'elle racontait, si ce n'était pas important.
« Et… Gerard ? »
« Hum ? »
« Je t'aime. »
« Je t'aime aussi, maman » répondis-je machinalement dans un soupir.
Avec un léger sourire aux lèvres, elle vint déposer un baiser sur mon front. Avant de sortir enfin de la cuisine, elle ébouriffa mes cheveux. C'était à mon tour de rouler des yeux.
Je restai un peu dans la cuisine. Mon bol avait disparu, je ne savais pas où, je ne savais pas quand. J'attendais le moment où la porte claquerait derrière ma mère et Mikey, et où j'entendrais les roues de la voiture crisser sur le gravier. Ce qui ne tarda pas à arriver. Mikey me lança un « à plus tard » depuis la porte d'entrée, auquel je ne répondis pas. Il dû se passer encore une dizaine de minutes avant que je ne me décide à faire quelque chose.
Je me trainais presque jusqu'à ma chambre, me cognant contre les coins de portes. Ça m'arrivait fréquemment quand je me perdais dans ma propre tête.
Je n'irais pas au Comic Store. Pas aujourd'hui, je n'étais pas d'humeur. Je n'avais envie de rien. Je pourrais passer ma vie, allongé sur le parquet au beau milieu de l'entrée, à penser encore et encore, ça ne ferait aucune différence. Je pleurerai parfois, évidemment, parce que le vide dans ma poitrine me ferait mal à nouveau, puis je me calmerai, je penserai encore, contournant les souvenirs perturbants et blessants, et je mourrais. Et peut-être que ce jour-là sera le plus beau de toute mon existence.
Surpris par l'absence de luminosité dans ma chambre, je faillis tomber après être entré dans une chaise. Le chemin jusqu'à ma fenêtre fut compliqué, vu que je ne faisais attention à rien et que j'oubliais toujours où se trouvait ce foutu interrupteur. Il n'y avait que moi pour ne pas retenir ce genre d'informations.
Mais finalement, les volets se retrouvèrent ouverts, la lumière pâle du soleil illumina ma chambre, faisant briller les larges murs blancs et me forçant à plisser les yeux avant de finalement pouvoir m'habituer à la nouvelle luminosité de la pièce. Les mains sur les hanches, j'envisageai désormais mes différentes options.
Mon regard passait entre ma guitare et mon précieux, magnifique piano. Je m'ennuyais. J'avais besoin d'une pause. Dans ma tête, une vraie pause allait toujours de pair avec musique. Vu que les pauses des gens normaux, qui se traduisaient davantage par des siestes, ou juste une journée de repos au milieu d'une vie bien remplie, ne me convenaient pas.
Si ma mère avait été là -ce qui aurait été hautement improbable, même si elle n'était pas sortie avec Mikey, elle savait bien que je détestais qu'elle rentre dans ma chambre- elle m'aurait littéralement poussé vers la guitare. Je n'étais pas très doué avec cet instrument, je me trompais constamment. Jouer un morceau complet avec elle relevait du miracle, aussi bien à mes yeux qu'à ceux de ma mère. Alors, quand j'en avais marre de faire une fausse note, de casser pour la énième fois une corde, je me rabattais sur le piano. Et là, tout allait bien. C'était une autre forme de plaisir, de relâchement, bien différent du sommeil ou des pensées.
Et là, à faire glisser mon regard alternativement entre la guitare et le piano, j'avais l'impression d'être dans un de ces jeux vidéo, ceux où n'importe quels choix avaient une conséquence. Du genre, flèche gauche : guitare, flèche droite : piano. Sans surprise, je m'installai prestement devant les touches de ce dernier. Je laissai mes doigts léviter quelques secondes au-dessus du clavier, comme si j'hésitais à... Hésiter à quoi ? Jouer d'un instrument que je connaissais parfaitement ? Le contexte était plus que parfait : j'étais enfin seul, personne ne viendrait m'écouter jouer, je pouvais faire ce que je voulais en toute liberté.
Je me retrouvai tout de même à jeter quelques regards anxieux autour de moi, avant de me décider à commencer à jouer. Immédiatement, ce fut comme si un poids énorme s'était retiré de mes épaules, et j'avalai malgré moi une grande goulée d'air. Mes doigts dansaient sur les touches, c'était comme si je contrôlais à la fois tout, et rien. Mes yeux se fermèrent tout seul, et je continuais, de plus en plus vite, je me balançais légèrement d'avant en arrière, et c'était magique. Je finis même par chanter, autant que les bribes de phrases sans connexions logiques que je prononçais puissent être considérées comme une chanson.
Un moment j'avais l'impression que je jouais depuis des heures, et l'instant d'après, c'était comme si seulement une poignée de secondes s'étaient passées depuis que je m'étais assis. Le seul son qui résonnait dans les environs était la musique qui s'échappait de mon piano, mêlée à ma voix. Je continuais à chantonner sans vraiment faire attention.
C'est alors que je crus entendre un bruit différent. Comme un claquement. Je me tus, écoutant encore, sans pour autant arrêter de jouer, ou ouvrir les yeux. Et le bruit recommença. Essayant de détecter sa provenance, je tournais la tête sur le côté, et mes paupières se soulevèrent immédiatement. Je poussai un petit cri que j'étouffai rapidement tandis que mes doigts retombaient violemment sur les touches, mettant fin à la mélodie.
Il y avait quelqu'un à ma fenêtre.
Je fixai l'inconnu de ma place, sans esquisser le moindre geste vers lui. Il y avait un garçon de l'autre côté de ma fenêtre. Il avait presque collé son nez contre la vitre, et son poing était levé contre la paroi, comme s'il hésitait à frapper à nouveau. De cette même main, il me fit un petit signe, un léger sourire apparaissant sur ses lèvres. Comme un idiot, je me retrouvai à regarder derrière moi, comme s'il y avait eu quelqu'un d'autre dans ma chambre. Je ne me retournai pas immédiatement vers la fenêtre. Il ne pouvait pas y avoir un mec derrière ma fenêtre, ce n'était pas quelque chose que les gens normaux faisaient. Après tout, il n'était peut-être qu'une sorte d'hallucination. J'espérais qu'il le soit. Si j'étais fou, beaucoup de choses dans ma vie pourrait s'expliquer bien plus facilement.
Je me retournai, l'esprit plus clair, persuadé qu'il n'y aurait rien.
« WHAT THE F- » m'exclamai-je en remarquant que le garçon était toujours là, me fixant en retour avec beaucoup de curiosité et d'amusement.
Ses lèvres bougèrent, mais je n'entendis qu'un léger son étouffé. Ses sourcils se froncèrent face à mon incompréhension, et un air frustré commença à planer sur son visage, me faisant sourire malgré moi. Il agita sa main libre dans tous les sens, comme s'il essayait de me faire à nouveau comprendre quelque chose, sans succès. J'entendais presque des rouages tourner dans mon cerveau, désespérant de traduire les agissements de cet étrange garçon. Il leva les yeux au ciel, et je compris enfin.
J'ouvris la fenêtre sans réfléchir aux conséquences. Il pourrait très bien être un voleur, ou un meurtrier particulièrement jeune. D'accord, ce genre de dangers publiques ne se faisaient pas remarquer en toquant aux fenêtres de leur cible. Mais peut-être que celui-ci aimait les grandes entrées théâtrales, comme Sherlock Holmes. Je faillis lui refermer la fenêtre sur le visage. Sa voix me ramena à la réalité et me força à croiser son regard.
« Hey ! »
« Qu'est-ce que tu fais à ma fenêtre ? »
« J'ai sonné à la porte, mais personne n'est venu ouvrir… »
Peut-être que c'est parce que personne ne voulait t'ouvrir. J'aurais aimé lui répondre ça, mais ce n'aurait pas été honnête, en plus d'être inutilement méchant. Je l'étais souvent, d'ailleurs. Encore un de mes nombreux problèmes. Être méchant…
« Ça n'explique pas ce que tu fais à ma fenêtre… »
« Quoi, ce n'est pas évident ? »
Je guettais ses expressions faciales. Il semblait exaspéré, encore plus qu'avant, comme si la réponse était tellement évidente que même un chien saurait la trouver. Il n'arrêtait pas de lever les yeux au ciel, et son sourire avait disparu.
« Non. Et je continue de me demander pourquoi il y a un foutu inconnu à ma fenêtre. »
Il parut déçu par ma réponse. Il croyait vraiment que ses actes étaient logiques alors.
« Je t'ai entendu jouer du piano. Alors je me suis dit que, soit quelqu'un avait oublié d'éteindre sa radio, soit cette maison n'était pas totalement vide. Je me suis contenté de suivre la musique, et me voilà. »
« Tu continues à changer de sujet, tu ne réponds toujours pas à la question. »
« Quelle question ? »
Je roulais des yeux. Qu'est-ce qu'il pouvait être exaspérant, ce gosse !
« Qu'est-ce que tu fiche à ma fenêtre ? »
« Je suis venu t'apporter des cookies ! »
Je ne m'y attendais pas à celle-là. Avec difficulté, il se pencha sur le côté et disparut de mon champ de vision pendant un cours instant. Quand il se redressa, il posa un plat sur le rebord de ma fenêtre, rempli de cookies sous papier cellophane. J'étais surpris à un point que mes yeux me faisaient mal, tant je les écarquillais. Je sentis le regard du garçon inconnu sur mon visage, mais je ne le voyais plus vraiment, j'étais reparti dans ma tête. Qu'est-ce qu'il se passait, merde ? Ce n'était pas normal qu'un gars qu'on n'avait jamais vu vienne toquer à votre fenêtre pour vous offrir des biscuits !
« Bon, alors, t'en veux ou quoi ? »
« Non. »
« Et ben, t'es un bavard toi. »
Je rencontrai ses yeux, et ne pus m'empêcher de sourire, alors que je ne trouvais même pas ça drôle. Il me sourit en retour, et ce fut à la fois merveilleux, perturbant et bizarre. Non, ce n'était pas ça… C'était… fascinant. Quand il souriait, tout son visage souriait en même temps, et il ressemblait à un petit garçon qui venait de faire une farce particulièrement fourbe. Son sourire était adorable, il m'obsédait tellement que je ne voyais plus que ça. Je ne réagis à l'étrangeté de la situation que lorsqu'il toussota pour attirer mon attention, et je me mis à rougir comme un con quand je compris que je fixais ses lèvres depuis deux bonnes minutes sans rien dire. Il ne sembla pas relever ma bizarrerie, et se contenta de poser son bras libre sur le rebord de ma fenêtre pour pouvoir y poser son menton plus confortablement. Il avait fait disparaître le plat avec les cookies sans que je ne m'en rende compte, et je décidais de ne pas poser de question sur ce fait.
Le garçon ne semblait pas décidé à partir, et ça me gênait atrocement. Je ne voulais plus le regarder, je promenais mon regard partout sauf sur lui en me balançant d'un pied sur l'autre. D'habitude, j'appréciais le silence, mais là, je ressentais l'étrange besoin de combler le vide.
« Pourquoi tu es venu me proposer des cookies ? »
« Tu aimes bien ce mot, dis donc... »
« Lequel ? »
« Pourquoi. »
« Et toi tu aimes bien ignorer mes questions. »
« On fait la paire… »
« Ça te tuerait de me répondre ? »
« Je suis en train d'emménager avec ma famille dans la maison d'à côté, et ma mère m'a demandé d'aller faire connaissance avec les voisins pour elle, pour clamer qu'on existe, tu vois… »
« Ce n'est pas l'inverse, normalement ? Les voisins qui viennent souhaiter la bienvenue aux nouveaux en apportant des petits cadeaux pas chers qu'ils auraient pris au hasard à la supérette de la station essence au coin de la rue… »
« J'en sais rien… Peut-être. Sincèrement, je m'en fous, je veux juste faire plaisir à ma mère pour qu'elle m'oublie au plus vite. »
J'hochai la tête alors que je ne comprenais rien. Tous ces délires sociaux, je ne savais vraiment pas comment ça marchait, et je trouvais ça profondément ennuyant. J'avais juste regardé un jour Mikey jouer aux Sims sur son ordi, et ses voisins s'étaient ramenés avec de la bouffe trente secondes après qu'il ait emménagé.
« Je ferais peut-être mieux d'y aller, si tu ne veux pas de cookies… »
Je ne pus retenir l'air déçu qui apparut sur mon visage à l'instant où il prononça ces mots. Heureusement, l'inconnu avait tourné la tête en parlant pour regarder derrière lui, et j'eus le temps de me reconstituer un visage inexpressif avant qu'il ne me refasse face. J'étais perturbé, j'arrivais à masquer mes émotions avec beaucoup de facilité, d'habitude, mais avec ce gars que je ne connaissais pas, c'était comme si toutes mes barrières tombaient en une seconde.
Je ne voyais même pas pourquoi je devrais être déçu, une part de moi espérait qu'il dégage depuis le début. Il était l'exemple type des personnes qui m'exaspérait. Dire que je n'avais qu'un seul exemple type était probablement un mensonge, je détestais la plupart des gens. Et après je me plaignais d'être trop seul. C'était ce que l'on appelait l'hôpital qui se foutait bien de la charité. En plus, je ne supportais pas cette expression.
Je me penchai au dehors lorsque le garçon esquissa le geste de sauter, et j'eus le temps de voir qu'il était monté sur une immense pile d'objets disparates qui trainaient continuellement dans notre jardin pour atteindre ma fenêtre, avant qu'il ne touche la terre ferme.
« Ah mais t'es vraiment petit en fait. »
Il croisa mon regard, et je devinai qu'il se retenait de me lancer un « ta gueule » bien placé. Je me retins de glousser, me doutant que ça n'arrangerait pas la situation.
« Je m'appelle Frank, en fait. Frank Iero. »
« Et voilà, tu viens de tuer le suspense. »
« Quel suspense ? »
« Tu ne penses pas que ça aurait été cool que je ne sache jamais ton nom ? Je me serais retourné dans mon lit pendant des jours et des semaines à me poser la question, avant que finalement je vole ta carte d'identité tant la curiosité m'aurait rongé. »
Il sembla réfléchir quelques instants, les yeux levés vers le ciel, comme si c'était une question qui nécessitait un véritable débat, et une grande réflexion au préalable. Il le faisait pour de faux, évidemment, mais c'était mignon qu'il entre dans mon jeu comme ça. Même si c'était en partie vrai, ne pas savoir son nom et continuer à l'appeler l'inconnu n'aurait pas été une mauvaise chose. Je l'aurais probablement oublié au bout d'une trentaine de minutes et n'aurais jamais eu à lui parler à nouveau, mais maintenant que son visage était associé à une identité, je n'avais plus le choix. Dans ma tête, le garçon étrange qui se serait pointé à ma fenêtre pour m'offrir de la nourriture serait pour toujours Frank Iero. Et ça me faisait bien chier.
« Non. Je préfère savoir où finit ma carte d'identité. »
« C'est ton choix. Je présume que l'usage veut que je me présente aussi… »
« Ça me semble être dans l'ordre des choses, je ne peux décemment pas continuer à t'appeler le pianiste asocial. »
« Depuis quand tu m'appelle comme ça ? »
« Depuis maintenant. Bon, tu me donnes ton nom, oui ou merde ? »
« Alors tu peux te permettre d'esquiver mes questions, et moi je n'ai pas le droit ? »
Il me lança un regard qui signifiait clairement que non, ce n'était pas une possibilité. Mes lèvres s'esquissèrent en un mince sourire. C'était bizarre de sourire, je n'avais plus l'habitude. La moitié du corps complètement à l'extérieur, je ne le lâchais pas du regard en déclarant finalement :
« Gerard. Je m'appelle Gerard Way. »
« Gerard… ça fait vieux. »
« Parce que Frank, c'est mieux peut-être ? » répliquai-je, faussement outré.
« Oui. »
« Je ne trouve pas. »
Il me tourna le dos et commença à partir en ricanant, tandis que mes yeux le suivaient et que je continuais de sourire sans grande raison, les bras croisés sur le rebord. Alors que je m'apprêtais à fermer la fenêtre, il réapparut devant moi et me lança, d'un air à la fois malicieux et solennel.
« Tu joues très bien. Tu es un grand pianiste, Gerard. »
« Merci Frank. »
Il partit pour de bon, et je ne pouvais m'empêcher de le trouver naïf. Il ne devait pas avoir entendu beaucoup de personnes jouer du piano, s'il me qualifiait de grand pianiste après m'avoir à peine entendu depuis mon jardin.
La fenêtre fermée et l'étrange garçon finalement parti, je me réinstallai à mon piano. Il m'avait entendu jouer. Et ça me gênait atrocement. Je ne supportais pas que quelqu'un entre dans ma bulle de cette manière. Et si c'était déjà horrible quand ma mère ou mon petit frère s'avérait être à la maison pendant que je m'entraînais, savoir qu'un parfait inconnu, insupportable de surcroit, avait profité de ma musique me donnait l'impression que mon petit univers avait été détruit, puis piétiné et enfin éradiqué de la surface du monde.
Et pourtant, en posant mes doigts sur les touches comme si rien ne s'était passé, je me rendis compte que je n'avais pas arrêté de sourire. En faisant résonner les premières notes dans la maison vide, je prononçais même son nom, sans trop savoir pourquoi.
« Frank. Frank Iero. Frank… »
Je baissai mon regard vers mon clavier, essayant d'ignorer le flot de pensées et de questions qui se mélangeait dans mon crâne, et remarquai alors un détail.
Je portais encore mon pyjama. Celui avec une énorme part de pizza qui dansait sur le devant. Je ne pouvais pas avoir l'air plus con.
