Chapitre 1 :
La vie nous réserve parfois d'étranges surprises. Je suis assis dans le salon de Dudley et il m'offre le thé. Il a laissé la télévision allumée. Je me demande si ce n'est pas pour combler d'éventuels blancs dans notre conversation. Je regrette déjà d'avoir accepté son invitation. J'aurais dû trouver une excuse, n'importe laquelle. Le mariage d'un ami. Une réunion de travail. Une maladie contagieuse. Bref, n'importe quoi. Je ne pensais pas conserver des liens avec les Dursley. Je n'ai d'ailleurs revu qu'une seule fois l'oncle Vernon et la tante Pétunia. Revu est un bien grand mot puisqu'ils ont fait semblant de ne pas me reconnaître. Mais Dudley semble avoir besoin de me voir, une fois par an, au moment des vacances d'été. Une fois par an, ce n'est pas une exigence démesurée. Je dois même avouer qu'une fois ce moment passé, j'en suis plutôt content. Je suis conscient que c'est gênant pour Dudley de m'inviter chez lui. Quoiqu'il fasse, le passé ressurgit et c'est un obstacle que ni lui ni moi ne pouvons surmonter. Cependant, il essaie et je lui en suis reconnaissant. A lui tout seul, il se bat pour que je ne sois pas complètement orphelin. Il se bat contre ses parents, qui ne comprennent pas son obstination, et il se bat contre moi, qui préférerais qu'il abandonne. Pourtant, année après année, début juillet, il m'envoie une lettre. Un petit carton d'invitation sur lequel il glisse quelques mots. Je les garde tous, je ne sais même pas pourquoi.
Bref, je suis installé sur le canapé de Dudley, un peu crispé. Je suis habillé en moldu, un costume simple et sombre. J'ai l'impression d'être à un enterrement. Je m'entraîne à sourire d'un air naturel en regardant la télé d'un œil distrait. Dudley prépare le thé dans la cuisine. Je l'entends qui jure lorsqu'une tasse lui échappe et se brise sur le sol. Il a l'air aussi nerveux que moi et je me demande une fois de plus pourquoi il s'entête. Puis je me souviens que c'est pour moi qu'il le fait. Alors je recommence à travailler mon sourire. J'ai l'impression que ma bouche est en plastique. Elle reste figée dans un rictus qui est à l'inverse de ce que je veux montrer. Je l'entends qui pose les tasses dans les soucoupes. Il est un peu brusque et je me demande s'il ne va pas en casser une autre. Mon regard se reporte sur la télévision. Encore des publicités. Céréales soit-disant diététiques. Soda énergétique. Barre chocolatée. Je comprends que Dudley ait du mal à maigrir. L'émission commence, un concours culinaire apparemment. Je jette un coup d'œil discret à ma montre. Dudley semble s'être perdu dans sa cuisine. Je relève la tête et mon regard en croise un autre. Bien connu. Des yeux gris, froids. Un visage fin. Un nez pointu. Des cheveux d'un blond presque blanc. J'en reste bouche bée. Il parle mais je ne parviens pas à saisir le sens de ses mots. Je mets plusieurs longues secondes à assimiler la scène. Drago Malefoy n'est pas en face de moi. Drago Malefoy passe à la télévision. Dans une émission de téléréalité moldue.
- Ca va, Harry ?
Je sors difficilement de ma stupeur. Malefoy a disparu de l'écran, remplacé par une présentatrice quelconque. Je me tourne vers Dudley. Il me regarde d'un air préoccupé.
- Quelque chose ne va pas ? On dirait que tu as vu un fantôme...
Je ne sais pas quoi répondre. Je regarde à nouveau l'écran. On y voit des dizaines de candidats face à des plans de travail, des ingrédients étalés devant eux, qui s'activent comme des abeilles dans une ruche. Je me demande un instant si je n'ai pas rêvé. Puis je l'aperçois une nouvelle fois. Même si on le voit de loin, impossible de me tromper. Je reconnais sa silhouette fine qui s'agite parmi les autres.
- Tu connais cette émission ? s'enquiert Dudley d'un air perplexe.
Il essaie visiblement de me ramener à la réalité. J'essaie de faire un effort et détache mon regard de la télévision.
- Absolument pas. De quoi ça parle ?
Ma voix laisse transparaître ma surprise mais Dudley a l'air de trouver la question anodine et paraît même ravi d'avoir enfin trouvé un sujet de conversation normal.
- C'est de la téléréalité. La cuisine est à la mode en ce moment. Faut dire qu'ils ne savent plus quoi inventer...
Je reporte mon attention sur l'écran. Je cherche Malefoy du regard comme si j'avais encore besoin de me convaincre. Pourtant, à chaque fois que la caméra s'attarde sur mon vieil ennemi, ma surprise ne fait que grandir. Je sens que Dudley s'assoit lui aussi sur le canapé, à distance raisonnable de moi. Je me force à me tourner vers lui pour lui sourire. Je ne cherche plus à cacher ma stupeur, c'est inutile. Il poursuit son explication :
- C'est un peu sadique en fait. Le jury est composé de trois types censés s'y connaître en gastronomie et qui distribuent les bons et les mauvais points.
Il me tend une des deux tasses de thé avant d'ajouter :
- Les candidats doivent réussir des épreuves complètement démentes. Et s'ils échouent, le jury les attend au tournant avec des remontrances bien cinglantes. En gros, ils sont éliminés les uns après les autres.
J'acquiesce. Je vois tout à fait quel genre d'émission c'est. Exactement ce dont raffolent certains moldus. Ce n'est pas tant la cuisine qui les intéresse, mais les larmes, la tension et le stress des candidats, les critiques blessantes des jurés et la fausse compassion de la présentatrice. Ils se régalent de ce trop plein d'émotions qui mène tout droit à l'explosion.
- Le vainqueur gagne quoi ? finis-je par demander.
Dudley fronce les sourcils. Il ne sait pas trop.
- Un gros chèque je crois. Pour lancer leur affaire. Et des cours de cuisine dans un machin prestigieux... Tu sais, moi la cuisine, ça m'intéresse pas plus que ça. C'est juste la dégustation qui me passionne.
Je me surprends à rire. Sincèrement. Un vrai rire comme je n'en ai jamais eu avec Dudley. Brusquement, son gros visage s'éclaircit et revêt un air bon enfant que je ne lui connais pas. Je ne sais pas ce qu'il me prend, mais je le lui dis.
- J'ai reconnu un des candidats. Il était avec moi à l'école.
Dudley ne rit plus. Il a soudainement l'air aussi perplexe que moi, quelques secondes auparavant.
- Quelqu'un de ton école ? Tu veux dire, quelqu'un comme toi ?
Le mot sorcier ne fait pas parti du vocabulaire de Dudley. Un tabou de son éducation. Et de la mienne, en quelque sorte.
- Oui. Ne me demande pas ce qu'il fait là, je n'ai ai aucune idée.
- Il aime peut être la cuisine, suggère Dudley.
J'essaie d'imaginer Malefoy en passionné de cuisine, mais ça ne colle pas. J'aurais mis ma main à couper qu'il ne savait même pas faire cuire des pâtes. Lui aux fourneaux ? Non, c'est une tâche qu'il laisse aux elfes de maison... Ou, tout du moins, qu'il laissait. Je regarde à nouveau la télévision. Un candidat, en larmes, s'exprime face à la caméra. Ce n'est pas Malefoy, mais ça n'a plus d'importance. Je n'ai plus besoin de revoir son image pour être sûr de moi.
- Si tu veux, ajoute Dudley pour combler mon silence, l'émission va être rediffusée sur internet. Là, c'est la fin.
Il a raison, bien sûr. La personne qui pleure vient d'être éliminée.
- Tu y verras peut être le portrait de ton ami, achève-t-il.
C'est une bonne idée. Brusquement, je meurs d'envie de savoir si on y voit une présentation de Malefoy. Je l'imagine très mal dire la vérité...
- Je n'ai pas internet chez moi. Ça te dérange si je regarde ici ?
Lorsqu'il comprend enfin le sens de mon improbable question, Dudley a la même expression que le capitaine de l'équipe de Quidditch de France lorsque son équipe a remporté la coupe du monde. Ça me fait presque peur.
