Si quelqu'un lit, j'aimerais qu'il laisse une review (parce que je trouve ce texte vraiment bizarre et j'aimerais avoir des avis).
Elle m'a abordée dans un camp de la Croix-Rouge, peu après… Après. Elle ne devait avoir qu'une trentaine d'années. Je l'ai trouvée jolie. Elle était blonde, j'aurais aimé être blonde, moi aussi.
-Alexandra Wyndham?
Elle me souriait, mais son regard était tourné vers Akira. J'ai compris qu'elle savait.
-Alex, ai-je rectifiée. Vous connaissiez ma mère?
-Taylor?
Elle a hésité, je l'ai bien vu.
-Oui, je la connaissais.
Elle m'a tendu une main chaude, un peu rêche. J'ai eu un léger recul avant de la serrer, j'ignore pourquoi.
-Cecily Myers, s'est-elle présenté. Et vous… Vous devez être madame Sano?
Akira a acquiescé en lui souriant, bien plus à l'aise que moi.
-J'étais une amie de Taylor et je suis disposée à devenir la tutrice d'Areku.
Elle s'entêtait à me surnommer ainsi.
-Je n'en doute pas, a fait Cecily après un court instant.
Elle m'a souri à nouveau comme elle l'aurait fait avec un petit enfant. J'avais presque seize ans, je n'étais plus un bébé et je sentais le piège.
-Pourquoi? Vous êtes travailleuse sociale?
-Oh, non.
Je détestais ce sourire.
-Je suis une agente du Shield. Du Sword, pour être plus précise.
-Du quoi?
-Du Sword, répéta-t-elle. Nous nous occupons de tout ce qui concerne la vie extraterrestre.
-Vous… tentai-je. Vous connaissiez ces montres?
Son expression devint un peu plus triste.
-Je n'ai pas le droit de tout te raconter, mais oui. Cependant, nous avons tout fait pour tenter d'empêcher cette catastrophe.
Tout aillait trop vite. Je ne comprenais pas. Ils savaient…? Comment? N'avaient-ils réellement aucune idée de ce qui allait arriver?
-Je ne comprends pas, dis-je simplement.
J'avais vécu trop d'émotions pour être capable d'en encaisser d'autres sur le moment. Akira s'est rapprochée de moi, fixant Cecily en chien de faïence.
-Ce n'est pas le moment, a-t-elle déclaré de cette voix très douce et très forte. Je prendrais soin d'Areku.
-Je ne peux pas vous laisser, a protesté Cecily avant de me regarder enfin. Alex, je suis venue te parler de ta mère.
-Ma mère?
Je ne pouvais pas lier les mots de Cecily avec l'image de Taylor. Je ne pouvais pas. C'était impossible.
-Oui, a fait Cecily, tout doucement. Marika Svensson.
Je ne m'attendais pas à ce que ce soit elle. C'était une adolescente, et elle ressemblait à toutes les autres filles de son âge. Elle correspondait à la description donnée par une infirmière. Un plâtre dissimulé dans la manche d'une veste rouge, des cicatrices sur la joue droite et des cheveux noirs teints, assise avec une femme asiatique. Je savais déjà qu'elle n'avait que quinze ans, mais je m'attendais à… Je ne sais pas. Surveiller une enfant par paranoia, quelle mission gratifiante.
Elle a porté sur moi un regard méfiant dès que je me suis approchée, révélant l'éclat de glace qui brisait la symétrie de son visage- d'accord, c'est inutilement poétique, mais c'est ce que je voyais : de la givre sous les marques qui avaient creusé sa joue, résultat d'une pluie de verre et de débris. Elle avait les yeux d'un brun mordoré, probablement ceux du père. Elle ressemblait finalement peu à sa mère.
-Vous connaissiez ma mère?
-Taylor?
Je me suis rendu compte de mon erreur lorsqu'une lueur de surprise est apparue dans son regard. Savait-elle qu'elle avait été adoptée? J'espérais que oui.
-Oui, me suis-je empressé de préciser. Je la connaissais.
J'ai tendu la main en me présentant. Elle n'a pas cessé de me dévisager avec méfiance tout en la serrant. Ce serait difficile d'obtenir sa confiance, si toutefois j'avais encore une chance qu'elle me l'accorde.
-Et vous, vous devez être madame Sano?
Elle se donnait l'apparence d'une femme dans la vingtaine, une femme rousse aux yeux bruns, la peau un peu trop blanche mais aux traits asiatiques. Elle pouvait revêtir n'importe quelle apparence, si les légendes étaient justes.
-J'étais une amie de Taylor et je suis disposée à devenir la tutrice d'Areku, a-t-elle affirmé en souriant, transformant volontairement son prénom.
Elle m'avait observée discuter avec sa protégée, sans intervenir, avec ce sourire derrière lequel je voyais le rictus qu'aurait fait un chien pour tenter d'intimider un adversaire. J'ai refusé de détourner le regard.
-Je n'en doute pas.
J'ai reporté mon attention sur Alex.
-Pourquoi? m'a demandé celle-ci, légèrement effrontée. Vous êtes travailleuse sociale?
-Non.
Mentir aurait peut-être été préférable, mais je ne voyais pas comment, ni même pourquoi, à ce stade.
-Je suis une agente du Shield. Du Sword, pour être plus précise.
-Du quoi?
-Du Sword. Nous nous occupons de tout ce qui concerne la vie extraterrestre.
Elle m'a dévisagée, horrifiée.
-Vous… Vous connaissiez ces montres?
Je savais à quoi elle pensait. La mort de Taylor aurait-elle pu être évitée?
-Je n'ai pas le droit de tout te raconter, mais oui. Cependant, nous avons tout fait pour tenter d'empêcher cette catastrophe.
Le regard d'Alex s'est brouillé.
-Je ne comprends pas, lâcha-t-elle du bout des lèvres.
Sano s'est alors interposée entre elle et moi. Elle semblait furieuse.
-Ce n'est pas le moment, a-t-elle tenté de me persuader. Je prendrais soin d'Areku.
-Je ne peux pas vous laisser, l'ai-je contredite, mettant fin à sa tentative de me charmer, avant de tenter d'attirer l'attention de la jeune fille. Alex… Je suis venue te parler de ta mère.
-Ma mère? a-t-elle répété, toujours dans ce brouillard.
-Oui. Marika Svensson.
Tout avait des allures de fin du monde. Akira, à mes côtés, a continué à parler, mais je n'entendais plus. Je fixais la ville en soi, je regardais ces immeubles brisés en deux, ces rues encombrées de voitures abandonnées et de débris, cet endroit qui ne serait plus jamais comme avant.
-Qui est Marika? ai-je demandé en tentant de surmonter le silence.
Cecily s'est tournée vers moi. J'ai remercié le ciel qu'elle me parle enfin en adulte.
-Elle est ta mère biologique, Alex.
-N'est-elle pas morte?
-Aucune idée. Il y a presque huit ans qu'elle est portée disparue.
-C'était une extraterrestre ou quoi?
Cecily a marqué une pause.
Le silence a été très, très long.
-Sérieusement?
Je riais, à présent, incapable de réagir autrement. J'ai entendu dire que le rire agissait parfois comme catharsis, que des soldats de la Deuxième guerre mondiale riaient au milieu de bombardements. Je pensais à Marika et je riais sans pouvoir m'arrêter malgré la douleur. J'ai fini par m'évanouir. Était-ce la souffrance, la fatigue, l'émotion, je ne sais pas.
À mon réveil, nous étions toutes les trois au chalet.
C'était la seule entente qu'Akira et moi pouvions trouver : nous serions toutes les deux les tutrices d'Alex. La yokai avait tout planifié à l'avance. Elle me détestait mais elle s'accommodait de ma présence.
Le chalet était situé dans le comté de Greene, dans les monts Catskill. Il aurait pu sortir d'un magazine de décorations. C'était un endroit très beau pour moi qui vivait auparavant sur l'héliporteur.
Même avant le réveil d'Alex, Akira s'est faite une hôtesse étrangement accueillante. Elle cuisinait sans un mot.
-Tu n'es pas obligée, lui ai-je dit. Je peux me nourrir seule.
-Les enfants se portent mieux si leurs parents arrivent à s'entendre, a été sa seule réponse.
-Alex est une adolescente.
-Est-ce une tentative de ta part d'avoir le dernier mot?
Elle souriait sincèrement, cette fois.
-Elle a passé le stade psychologique de l'enfance, me suis-je corrigé. Et nous ne sommes pas ses parents.
-Nous ne sommes peut-être pas ses parents, mais nous serons quand même ce qui représentera pour elle une famille.
-Mais…
-C'est moi qui décide. Tu es dans ma maison, ici, Cecily.
C'était la première fois qu'il prononçait mon nom. ''Elle'' avait à présent les traits d'un homme de mon âge, un asiatique. Un peu mince peut-être, mais toujours beau. J'ai mis un moment à m'apercevoir qu'il usait de charisme sur moi.
-Ne préfères-tu pas ce visage? m'a-t-il demandé en riant.
J'ai préféré refuser de répondre. D'accord. Il aurait le dernier mot, cette fois-ci. Et s'il préférait s'occuper de sa maison seul, peu m'importait, au final.
En fin d'après-midi, lorsqu'il a déclaré vouloir aller faire les courses, j'ai pourtant insisté pour l'accompagner. Je craignais un peu de laisser Alex seule, au cas où elle se réveille, mais mon envie de voir les environs l'a emportée. Le supermarché le plus près était à une dizaine de minutes de route.
-J'aime la solitude, s'est-il excusé.
Ma présence s'est avérée accessoire -il choisissait lui-même ce qu'il voulait sans tenir compte de mon avis- et cette sortie n'aurait pas eu la moindre importance si ce n'était qu'à cette occasion, Akira en avait profité pour me présenter comme sa fiancée et Alex comme sa fille à qui voulait l'entendre. Essayait-il de m'aider ou se moquait-il simplement de moi? J'ai fini par décider d'acquiescer.
Alex n'avait pas l'air moins déboussolée, lorsqu'elle s'est réveillée, le lendemain matin. Sa joue pâlissait et son plâtre lui avait déjà été retiré, à peine trois jours après se l'être cassé. Elle n'a pas demandé où nous étions, elle n'a pas posé de questions à Akira sur sa nouvelle apparence, elle n'a pas voulu en savoir davantage sur moi, sur Marika ou encore sur elle. Elle a simplement demandé à manger.
Akira lui a servi une assiette débordante de pâtes au fromage. Une tentative de réconfort, sans doute, le yokai ayant un fort lien émotif avec son pays natal et me nourrissant de riz et de poisson depuis trois jours.
-Pourquoi as-tu quitté le Japon, Akira? n'ai-je pas pu m'empêcher de demander.
Il a relevé les yeux.
-J'ai suivi une épouse.
-Tu t'es déjà marié? a demandé Alex, interloqué.
-Deux fois. Deux femmes.
Il m'a jeté un regard évocateur en souriant.
-La première était japonaise. La deuxième était métisse et se sentait américaine.
Oui, il était séduisant.
-Elle a été déçue, a poursuivi Akira. Elle a trouvé une Amérique trop blanche pour qu'elle s'y sente à sa place. C'était plutôt inhabituel, à l'époque, mais elle a refusé d'avoir des enfants. Elle ne voulait pas leur imposer le même fardeau.
Il s'est tourné vers Alex.
-Et puis j'ai rencontré Taylor, un peu avant ma naissance. Je pensais avoir trouvé ma troisième épouse, mais elle en a décidé autrement.
Elle s'est redressée sur sa chaise, stupéfaite. Akira a coupé court à ses questionnements.
-Je ne sais pas si je l'aimais. Probablement. Elle n'était pas particulièrement jolie, et je n'avais pas d'affection particulière envers les femmes blanches, mais ta mère était spéciale. Remarquable, même. Elle voyait les choses telles qu'elles étaient vraiment.
À la fin de sa tirade, il a de nouveau pivoté vers moi, faisant usage de tout son charme. Il souriait encore, révélant des dents de canidé sous ses lèvres, il me fixait et ses pupilles brunes se teintaient d'un éclat d'un bleu artificiel, de la fourrure rousse comme les cheveux de son avatar féminin chatoyant sous sa peau. J'étais terrifiée par son pouvoir et fascinée par son étrange beauté.
Me détestait-il autant qu'il l'avait laissé entendre? Ou étais-je spéciale, à ses yeux, pour ce que je voyais?
-Et elle n'est pas la seule, semble-t-il.
Il savait donc. Étais-je pour lui réellement cette potentielle future femme? Cette pensée était-elle si terrible?
J'ai senti Alex s'étonner encore et ai tourné la tête. La givre était plus visible que jamais et semblait presque lumineuse, comme sur une fenêtre éclairée par le soleil au petit matin. Son étrange tissage couvrait la pommette et s'étalait le long de ses cicatrices, se courbant autour de son œil et du côté droit de sa mâchoire. Les lignes les plus importantes s'achevaient autour de l'épaule. J'ai baissé les yeux. Elle en avait aussi un peu plus haut que le coude, là où s'était brisé l'os, et de petites, ici et là, mais celles-là fondraient.
J'ai cligné des yeux à plusieurs reprises, sans réussir à faire disparaître cette vision. Alex en a parue ravie.
-Que vois-tu? m'a pressée cette dernière avec fascination.
-Rien du tout.
Akira a éclaté d'un rire sonore dans lequel j'ai entendu des notes plus aigües, comme le jappement d'un petit chien.
-Yuki-onna, a fait Alex. Femme des neiges, littéralement. C'est une créature de mon folklore.
Alex a touché sa joue.
-Elle est froide, a-t-elle murmuré.
Akira souriait encore. Il semblait heureux. À partir de cet instant, il a préféré ''Yuki'' à ''Areku'' dont il affublait auparavant Alex.
La vie a retrouvé une allure de normalité. J'affinais mes réponses, tentant de deviner les questions qu'Alex me poserait inévitablement, mais elle n'avait encore rien demandé.
Akira nous parlait du Japon, de ses coutumes et de ses légendes. Il disait, dans ces mots, qu'il voulait que sa famille connaisse le pays d'où il venait. Alex ne rétorquait pas, elle caressait sa joue glacée en silence, un tic qui devenait récurrent, chez elle. Au contraire, elle tentait d'apprendre- peut-être sa manière de réagir au choc? Akira a commencé à lui montrer une nouvelle étiquette, tenté d'apprendre les hiragana, la première écriture apprise par les enfants japonais. Elle réussissait mieux que moi.
-Tu vois, m'a-t-elle dit, un jour, au diner. Ça, c'est Areku.
Tout en parlant, elle a plongé les doigts dans son bol de soupe et a sorti des nouilles ramen qu'elle a coupées en morceaux pour former des symboles sur la table.
-Je dirais bien que c'est impoli, est intervenu Akira, mais je n'ai jamais vu personne faire ça.
Alex l'a ignoré, avant de continuer avec Yuki, Akira et Sano.
-Tu m'impressionnes, ai-je du avouer.
-J'apprend vite, s'est contenté de répondre Alex.
J'ai noté cette phrase dans ses particularités et m'apprêtais à poser une autre question quand Akira m'a interrompue.
-C'est du gaspillage, a commenté le yokai, semblant vexé.
-Désolée, a fait Alex, haussant les épaules.
-Et Cecily, peut-il se dire en japonais?
Akira s'affairait à ramasser les bouts de nouilles sur le comptoir. Il a relevé la tête.
-Seshiri. Mais je trouve que Cecily est un prénom plus délicat.
C'est la première fois que j'ai compris les raisons de son drôle de comportement : il jouait. Un peu comme aux échecs, qu'on ne voit venir ou pas le coup final, il jouait avec Alex et avec moi, tout comme avec Taylor et ces deux femmes, comme des pions auxquels il s'attachait. Était-ce normal, lorsqu'on était immortel, ou était-il fou?
Sans un mot de plus, il s'est mis à manger les bouts de nouilles, ce qui a dégouté Alex.
J'ai fait part de ma théorie à Alex, le soir, dans sa chambre. Je n'y étais jamais entrée. La sienne aussi ressemblait à une chambre d'hôtel malgré les signes évidents de sa présence.
-Je le savais, a-t-elle dit calmement.
Sa joue et son coude luisaient doucement d'orangé, à cause de la lumière de la lampe de chevet.
-Tu le connais depuis longtemps?
-Quinze ans, en théorie. Il a toujours été là, mais il est rarement intervenu dans ma vie. Il… Elle était comme une tante un peu lointaine.
Elle a souri à demi.
-J'ai compris vite qu'il était étrange. Il restait parce que c'était dans ses intérêts. Il y a des kitsunes amoraux, qui n'hésitent pas à voler ou à tuer- que vaut un objet matériel ou une vie qui s'éteindra de toute façon dans une petite trentaine d'années? Il n'est pas ainsi, mais il n'est pas humain pour autant. Il fait ce qu'il veut et non ce qu'il doit ou croit devoir. C'est un joueur, Akira, et toi et moi le fascinons.
J'ai pris un instant pour considérer ces mots, si semblables aux miens.
-N'as-tu pas peur?
-Oh, si. J'ai peur de tas de choses. Pas d'Akira, cependant.
Nous y étions.
-Qui était Marika?
-Elle était norvégienne, selon ce que je sais.
-Tu la connais ou pas?
-Je ne l'ai jamais rencontrée. Elle est née en Europe du Nord, dans les années quarante.
-Je crois que Taylor m'a adoptée en France.
-Oui. Je ne pense pas que Marika n'ai jamais quitté l'Europe. Elle n'a pas la possibilité de prendre l'avion.
Alex a levé un sourcil.
-Pourquoi?
-Ça ne t'étonne pas?
-Taylor est morte au cours d'une invasion alien, mon oncle est un esprit-démon japonais, ma tutrice travaille pour une agence gouvernementale secrète et je viens d'apprendre que ma mère est possiblement une extraterrestre. Plus rien ne m'étonne.
-Elle, hésitai-je. Il y a une trentaine d'années, le Shield a entendu parler d'elle et a cherché à l'approcher. Elle a tué tous les agents qui lui ont été envoyés et n'a jamais été jugée pour leurs meurtres. Elle a trouvé un moyen d'échapper à toute forme d'autorité, nous ne savons pas comment. Elle s'est peut-être affiliée à une organisation plus importante, ou bien elle est aujourd'hui morte.
Alex a pris la nouvelle avec un calme étonnant.
-Et elle n'était pas humaine?
-Non. Nous pensons que son héritage lui vient de son père, mais nous ne savons pas qui il peut être. Elle est plus forte que la moyenne, ai-je poursuivi. Elle va vivre plus longtemps, résiste à plusieurs maladies et guérit beaucoup plus vite. Elle aurait aussi montré des dispositions à la magie.
Elle a baissé les yeux sur son coude.
-C'est froid, là aussi. Tu vois quelque chose, Cecily?
-Non.
-Pourquoi Akira a-t-il parlé de yuki-onna?
-Je ne sais pas.
-S'il te plait, Cecily.
J'ai abdiqué.
-Je vois sur toi de la glace qui a refermé tes blessures.
-De la glace?
Elle a palpé sa joue à nouveau.
-Vraiment?
-Oui, vraiment.
J'ai tracé sur sa peau le tracé délicat de la givre pour lui montrer.
-C'est laid?
-Non, c'est vraiment très beau.
-J'ai vérifié sur internet. Une yuki-onna est dépeinte comme une femme très belle, à la peau blanche et aux cheveux noirs.
Elle a enroulé une mèche noire autour d'un doigt.
-Je suis juste brune, au départ, mais je voulais ressembler un peu à Akira, et c'est sûr que par rapport à une japonaise, ma peau parait pâle.
-Tu n'es pas une yokai, Alex.
-Non, probablement pas. C'est juste… Un repère comme un autre. J'ai l'impression que je te fais peur, a-t-elle enchainé.
-Tout a un côté terrifiant dans cette maison.
Elle m'a tendu la lampe de chevet. J'ai secoué la tête, niant, incrédule, avant de me rendre compte qu'elle plaisantait et de la prendre.
-Tu ne lui ressembles pas, si c'est ce que tu veux dire.
-À Marika?
-Oui.
-Sais-tu qui est mon père?
-Non, et je doute que quiconque à part elle puisse te le révéler.
Elle a touché sa joue, encore une fois.
-C'est drôle à dire... On a sorti tellement de fois ces fadaises, comme quoi il me faillait absolument un père pour mon développement... Ça ne m'a jamais manqué.
-Taylor te manque, elle?
Elle a fait signe que oui.
-Tout le temps. J'ai parfois l'impression qu'elle est encore là, puis je me souviens que c'est impossible. Mais je suis soulagée qu'Akira soit resté. Et je suis contente de t'avoir rencontrée. Malgré tout.
Akira a choisi ce moment pour entrer. Peut-être savait-il ce qu'il venait d'interrompre, peut-être pas.
-Il est presque minuit. Tu n'es pas couchée, Yuki?
-Je ne suis pas fatiguée, a rétorqué Alex.
-Tu le seras demain matin.
Je les ai écoutés se disputer en souriant doucement. Je n'étais pas la mère d'Alex ou la femme d'Akira et je peinais à nous considérer comme une famille, mais pour un instant, j'ai eu l'impression que c'était le cas.
