AMOUR D'OCTOBRE

Chapitre 1 :

Il essuya une fois de plus ses mains sur son jean, les sentant moites. Il s'efforça de respirer calmement mais il commençait à bien se connaître : lorsqu'il se trouvait dans un tel état, lorsque la nervosité avait réussi à le gagner, plus rien ne pouvait la vaincre.

Il se leva tout de même pour aller jusqu'à la fontaine à eau et se força à boire deux plein gobelets même s'il n'en éprouvait pas le besoin. Il savait que dans quelques heures, sa sourde angoisse allait se muer en un insidieux mal de crâne et il cherchait à se laver l'esprit en prévision.

Il fit quelques pas dans le hall exigu et essaya de prêter plus d'attention à l'écran de télévision qui retransmettait les images du plateau. Le sourire aussi éclatant que forcé de la jeune actrice qui se faisait interviewer le fit regretter une fois de plus d'être venu.

Qu'était-il venu faire dans cette galère ? Les mondanités, les futilités…. Tout ce qu'il exécrait.

Mais son éditeur avait insisté. Une bonne promotion passait nécessairement par les plateaux de « Sans aucun tabous ».

« Beaucoup donneraient cher pour y être invité. » lui avait rappelé Duchêne. « Tu ne peux pas laisser passer cette occasion. Bien écrire, ça ne suffit plus aujourd'hui. Il faut savoir se vendre. Il faut que tu te prêtes au jeu. Tu ne mesures pas l'impact que ça aura sur les ventes ! Sans compter que De Gaste adore tes livres. C'est lui qui a insisté pour t'avoir dans son émission. »

Plus que l'aspect marketing, c'était ce dernier argument qui l'avait convaincu. Il se foutait bien de l'opinion de De Gaste, en vérité. Que son livre soit bon ou mauvais, de toute façon, tant que cela parlerait de sexe et de rapport sado-maso, il savait que cela intéresserait l'animateur. Il n'avait pas non plus spécialement l'homme. Son émission n'était certes pas mauvaise, il lui arrivait même de la regarder à l'occasion mais il n'aimait ni le ton résolument mondain et parisien des invités, ni le genre dandy du présentateur aux phrases assassines si l'on avait le malheur de ne pas partager ses opinions. Il était dur d'aller contre sa volonté tellement son aura et son influence dans le milieu étaient grandes. Il n'ignorait pas que s'il avait refusé de faire la promotion de son livre dans son émission, l'homme n'aurait pas manqué de balancer à l'antenne une petite remarque acerbe.

Mais n'était-il finalement pas encore plus risqué de venir se ridiculiser sur le plateau ?

Lui, plutôt introverti de nature, si pudique, réservé, peu à l'aise en public, que venait-il faire dans cette émission ? Il allait être si mal à l'aise !

Un véritable suicide médiatique…

Il s'imaginait déjà, se tenant raide, bredouillant ses réponses, prenant un air coincé aux questions provocantes de l'animateur.

Que pouvait-il y faire ? Il était né comme ça, il n'avait pas cette capacité d'adaptation, cette faculté à prendre tout avec le sourire et à répondre avec détachement aux questions sur sa vie sentimentale et sexuelle.

Il finit par en sourire. De Gaste allait être déçu. Il allait se montrer véritablement uncool.

Son habituelle migraine qu'il redoutait tant n'eut pas le temps de se manifester qu'il fut introduit sur le plateau par une hôtesse. Une sourde colère contre lui-même, contre ce cirque auquel on l'obligeait à prendre part avait remplacé son appréhension. Il fut accueilli par les applaudissements enthousiastes du public du studio. De Gaste arborait un sourire chaleureux. Il était apparemment l'écrivain à la mode…. Ces gens-là n'avaient visiblement rien compris à qui il était !

Comme à travers une brume épaisse, il prit le siége qu'on lui indiquait et se tourna vers le journaliste.

« Camus Deverseau, je suis très heureux de t'accueillir ce soir. Depuis le temps que je voulais t'avoir dans mon émission…. Voilà, c'est fait. Alors pour commencer, pour dissiper tous les malentendus, quel est ton lien de parenté avec l'écrivain Albert Camus ?

« Aucun. »

L'animateur s'esclaffa de sa plaisanterie, croyant peut-être être le premier à la faire et enchaîna :

« C'est vrai que tes parents t'ont prénommé 'Camus' en hommage à l'écrivain ? »

« C'est tout à fait ça. C'était l'auteur que ma mère préférait. »

« Tu étais donc prédestiné à faire ce métier à ton tour ! »

Camus se tut. La constatation n'appelait apparemment pas de réponse et il trouvait de toute façon le raccourci un peu grotesque. L'animateur poursuivit d'ailleurs :

« Alors ton nouveau livre est sorti il y a une semaine aux éditions Duchêne et il s'intitule : « Les rives du désespoir ». C'est joyeux comme titre ! Je fais le résumé ? »

« Oui »

« Alors l'histoire débute en Hongrie assez tragiquement avec le suicide incompréhensible de Georg. Georg a 50 ans, c'est un chef d'orchestre renommé et il vient de terminer la composition de ce qui est certainement l'œuvre de sa vie, un concerto pour violon sur lequel il travaille depuis des années. Au moment où il semble avoir tout réussi, c'est comme si sa vie n'avait plus d'intérêt, comme si cette musique sur laquelle il a peiné si longtemps était l'achèvement de sa vie. Avant de se jeter dans le Danube, Georg a un flash back qui nous explique pourquoi cette œuvre lui tenait tant à cœur. Trente ans auparavant, Georg est l'élève d'un chef d'orchestre tyrannique et obèse et lors d'une répétition, le jeune homme rencontre Camille, une jeune violoniste. Il en tombe évidemment éperdument amoureux mais cette fameuse Camille aime déjà follement Ivan, un violoniste génial et narcissique, un peu alcoolique sur les bords. Elle est en admiration devant ce Ivan et Georg malgré tous ses efforts, ne parvient même pas à exister à ses yeux. Il n'a pas le talent d'Ivan, contrairement à lui c'est un besogneux et c'est là qu'il décide d'écrire ce concerto pour Camille. Il n'est jamais satisfait de ce qu'il a fait et il assiste en spectateur impuissant à la descente aux enfers de celle qu'il aime qui vit une histoire passionnée et violente avec Ivan, ce qui va la conduire aux portes de la folie. Je ne donne pas plus de détail sur l'intrigue pour laisser les téléspectateurs la découvrir mais c'est un roman captivant et très noir avec des personnages tourmentés comme dans tous tes écrits. »

« C'est vrai. »

« C'est ton quatrième livre et c'est amusant de constater qu'on retrouve à chaque fois les mêmes thèmes : la folie, le désespoir, la solitude, la mort, la passion amoureuse… Quand est-ce que tu vas écrire une histoire positive avec une happy end ? »

Camus sourit légèrement de façon convenue et il répondit même s'il était convaincu du contraire :

« Peut-être dans mon prochain roman… »

« Combien de temps t'a pris l'écriture de ce livre ? Tu as fait vite, non ? »

« Mon dernier livre est sorti il y a 8 mois, j'ai enchaîné avec l'écriture de celui-ci. »

Camus appréhendait de devoir parler des personnages de son livre qu'il ne voulait pas réduire à quelques adjectifs. Une fois ses écrits mis sous presse, il n'en pensait plus rien, tout devenait confus dans sa tête et il lui pesait de devoir s'exprimer dessus, même s'il y était contraint, pour en faire la promotion. Mais De Gaste, bien documenté et ne débitant pas pour une fois que des platitudes, semblait au contraire passionné par l'ouvrage qu'il vulgarisait avec réussite. Et il était de toute façon préférable que l'interview se concentre sur son livre plutôt que sur sa vie privée.

L'animateur se mit à parler avec emphase des péripéties du trio qui constituaient l'essentiel du bouquin. Camus se contenta de répondre laconiquement, se traitant intérieurement d'idiot de se montrer si peu bavard et de n'avoir rien de plus à ajouter.

« Passons à l'interview : 'La peste ou le choléra' »

Le jingle retentit tandis que Camus constatait que ses mains étaient toujours aussi moites. Tant qu'il ne serait pas sorti du plateau, il n'arriverait de toute façon pas à se détendre.

« Première question : Si tu devais choisir entre l'extrême droite et l'extrême gauche, pour qui tu voterais ? »

« L'extrême gauche. » répondit Camus sans trop avoir à réfléchir.

Il souhaita vivement que les questions suivantes ne lui demandent pas une réflexion trop poussée, son cerveau lui semblait anesthésié.

« Préférerais-tu être emprisonné pour un meurtre dont tu es innocent ou libre mais coupable ? »

Camus réussit à sourire avant de répondre presque au hasard : « Je préfère être libre. » ce qui laissa à penser que sa réponse était le fruit d'un raisonnement hautement philosophique.

L'interview se poursuivit sans trop le mettre en danger jusqu'à la question finale :

« Préférerais-tu avoir dans ton lit un homme obèse et très laid ou bien une très jolie jeune femme ? »

De Gaste, comme la plupart des journalistes, n'ignorait pas son homosexualité. Camus ne cherchait pas à la cacher à tout prix mais il ne souhaitait pas non plus en faire étalage. Ca ne concernait que lui, c'était sa vie privée. Il se força néanmoins à répondre sans y mettre trop de mauvaise volonté et sans s'appesantir sur la question et les raisons de son choix.

« Une jolie femme… »

« Ce n'était pas précisé dans la question qu'il doit se passer quelque chose dans le lit ! » fit remarquer un des invités.

Ils éclatèrent tous de rire et Camus se força à sourire.

Son tour était terminé et l'invité suivant, une vieille chanteuse sur le retour lui succéda tandis qu'on lui demandait de rester sur le plateau.

Il respira plus calmement. Il n'avait pas été extraordinaire mais il avait sauvé les meubles.

Il essaya de se fondre dans le décor du mieux qu'il put, s'obligeant à esquisser un sourire lorsque les autres riaient aux éclats, pensant au taxi qui le ramènerait chez lui une fois l'émission terminée. Il se verserait ensuite un whisky qu'il savourerait dans son canapé en écoutant de la musique dans le calme de son appartement.

Il écouta d'une oreille distraite les réponses de la chanteuse. Elle avait indéniablement du métier et s'en sortait mieux que lui, faisant preuve d'humour et tentant de charmer l'animateur.

Il e mit à la détailler pour passer le temps.

Des cheveux colorés et une coupe qui n'allait pas à son âge, un visage trop maquillé et une expression figée par le lifting… Il réprima une grimace. Il détestait décidément ce milieu même si c'était celui qu'il côtoyait le plus souvent.

L'interview de la vieille chanteuse touchait à sa fin et une musique retentit, annonçant l'invité suivant. Camus fit jouer les articulations de ses doigts pour les détendre.

« Et maintenant, nous accueillons deux héros de la dernière coupe d'Europe de Rugby : Denis Ladrey et Emilio Miriakis ! »

Deux grands gaillards apparurent sur le plateau, vêtus avec simplicité. Le premier avait une carrure impressionnante, des cheveux bruns coupés à la brosse. Il semblait un peu embarrassé, ne sachant comment se comporter et quoi faire de sa grande carcasse jusqu'à ce que l'animateur ne s'avance vers lui. Le second avait les cheveux blonds, bouclés presque longs. Il paraissait plus petit et plus frêle en comparaison mais cette impression trompeuse s'estompa bien vite lorsque le jeune homme s'approcha de lui à son tour pour lui serrer la main. Il était au moins aussi grand que lui, ses épaules étaient larges et sa poigne ferme.

Camus ne s'intéressait pas vraiment au sport mais le nom du deuxième homme ne lui était pas inconnu. Il avait dû l'entendre à la radio lors des informations, sans doute.

Tandis que le dénommé Denis répondait avec bonhomie et un fort accent du sud aux premières questions de l'animateur, Camus reporta toute son attention sur son blond coéquipier.

La mâchoire carrée, le nez droit, les lèvres charnues, les traits réguliers, il répondait à tous les critères de beauté des magazines. Il l'aurait aisément imaginé ventant les mérites d'un parfum. Seuls ses grands yeux bleus lui donnaient un air candide que les froids mannequins n'avaient pas.

Il dut s'apercevoir que Camus le regardait et en fut peut-être incommodé car il se mit à fixer à son tour l'écrivain. Camus détourna le regard de De Gaste se mit de toute façon à s'adresser à lui :

« Et toi, Emilio que tout le monde appelle Milo tu es né sur une petite île de la méditerranée. Tu es donc d'origine grecque. Vous aviez déjà vu un Grec blond aux yeux bleus, étonnant, non ? »

Camus pensa que non, effectivement, et Milo sourit sans répondre.

« Tu es le troisième enfant d'une famille nombreuse. Combien as-tu de frères et sœurs ? »

« 3 frères et 3 sœurs. » répondit l'intéressé d'une voix grave et agréable.

De Gaste eut un petit mouvement de tête et le public applaudit comme s'il s'agissait d'un exploit.

« Tes parents sont plutôt pauvres et ils décident de venir s'installer dans le sud de la France lorsque tu as 3 ans. Ton père est ouvrier agricole et avec tes frères, tu commences à jouer au rugby avant de faire parti du club de ta ville. La suite, on la connaît tous, Milo Miriakis c'est 35 sélections et 277 points marqués en équipe de France. Respect ! »

Le public l'ovationna de nouveau, le rugbyman eut un petit sourire et le présentateur poursuivit par une série de questions assez banales auxquelles le jeune sportif répondit avec modestie, s'exprimant avec des mots simples. Il semblait être un gentil garçon, un peu trop franc et naïf. Une cible privilégiée pour De Gaste et ses acolytes, pensa Camus mais son coup de pied magistral lui valait apparemment d'être épargné, le faisant instantanément passer du statut de plouc notoire débarqué de sa province sans manières et sans trop de culture à celui de champion humble et intouchable.

« Si vous êtes ici ce soir, Milo et Denis, c'est pour nous présenter le très célèbre désormais calendrier de votre club, que voici ! Comme chaque année, vous avez posé nus. Comment ça se passe ? Est-ce qu'on vous demande de vous épiler car vous êtes tous imberbe ou presque ? On vous maquille ? »

Les deux rugbymen se regardèrent et Denis répondit :

« Ben non, y'a pas de consignes. Y'en a c'est naturel et d'autres qui s'épilent régulièrement pour les blessures, c'est plus facile à les soigner dans un match, comme ça. »

« On est maquillé à cause de l'éclairage » poursuivit Milo « Pour ne pas que la peau brille trop »

De Gaste prit un air gourmand et demanda à Denis :

« Tu es quel mois ? »

« Juin »

L'animateur tourna les pages à la recherche du premier mois d'été et montra l'image à tous. Il y eut quelques remarques grivoises. La vieille chanteuse se crut obligée de commenter la belle photo en noir et blanc du postérieur de son voisin et l'homme, visiblement pas à son aise, rougit légèrement. C'était assez inattendu de la part d'un tel colosse et cette incongruité fit sourire Camus, compatissant pourtant à sa gêne.

« Et le mois d'octobre qui fait aimer le rugby à toutes les femmes… » annonça De Gaste.

Milo esquissa un sourire lorsque sa photo s'afficha en grand sur l'écran central.

« Vous savez que j'ai plein d'amis homosexuels qui vont acheter le calendrier. Ca vous fait quoi de devenir des idoles pour les gays et de se faire mater par des hommes ? »

« Si notre calendrier plait, c'est tant mieux. Il s'adresse aux femmes comme aux hommes » expliqua Milo avec calme.

Denis n'avait pas tiqué non plus à la question et Camus, crispé par le sujet qui le concernait particulièrement, les en remercia par la pensée. Au moins faisaient-ils preuve d'ouverture d'esprit ! Lui qui avait toujours pensé que les sportifs n'étaient que de grosses brutes machistes…

Malheureusement pour lui, De Gaste se souvint tout à coup de son existence et lui tendit le calendrier toujours ouvert à la page d'octobre.

« Camus, tu apprécies, je suppose. Ca te fait quel effet ? »

L'écrivain sursauta légèrement puis baissa les yeux machinalement sur la photo, espérant qu'il ne soit pas obligé de répondre à la question plutôt provocante.

La pose était bien évidemment fort sensuelle. Un corps d'athlète aux proportions parfaites, la peau ambrée sous la lumière artificielle, les muscles mis en valeur par l'éclairage. Les boucles rebelles du sportif étaient sagement ordonnées sur la photo comme s'il avait les cheveux mouillés. Elles se détachaient parfaitement sur le fond blanc, leur donnant un aspect irréel. Une véritable statue représentant Apollon.

Même si on ne voyait en fin de compte pas grand chose, l'image lui parut infiniment érotique et ce corps si harmonieux lui sembla d'une indécence folle. Ses cuisses musclées, surtout, attiraient irrésistiblement son regard. Il s'était trompé. Il n'avait rie d'un Playboy de magazine. Il dégageait quelque chose d'indéfinissable et de terriblement sexy. Peut-être justement parce que ce n'était pas calculé… Le charme naturel.

S'il avait été seul, il aurait sans doute admiré plus longuement l'image mais il en détacha rapidement les yeux.

Il était embarrassé de devoir donner son avis sur le physique d'un autre homme, sans aucun doute hétéro. Il se doutait que cela mettait les autres mal à l'aise. S'il reconnaissait apprécier le spectacle, certains redoutaient peut-être qu'il leur fasse une proposition ou qu'il se jette sur eux. Comme s'il les salissait rien qu'en les regardant, comme s'il allait s'imaginer faire des choses avec eux en les voyants nus… Il n'ignorait pas que hors du milieu parisien et intellectuel dans lequel il évoluait, l'homosexualité était encore mal perçue. Et encore plus dans les vestiaires sportifs !

« Oui, c'est très beau. » finit-il par convenir, éludant volontairement la deuxième partie de la question comme le silence qui régnait montrait qu'on attendait une réponse de sa part. Il n'ajouta rien de plus.

On lui demandait juste de donner son opinion sur une sorte d'œuvre d'art. Le point de vue était purement esthétique et en aucun cas sexuel.

« Merci ! » fit Milo ayant l'air sincère et nullement gêné.

Camus le dévisagea. Il ne s'attendait certes pas à se faire insulter mais il se demanda quand même si l'homme avait capté les allusions de De Gaste.

« Je t'offre le calendrier. » annonça De Gaste, soudain grand seigneur.

Camus eut du mal à desserrer les mâchoires pour remercier. Ce qu'on allait retenir de son passage dans l'émission ce serait le message : « Cet homme est gay ».

Pendant qu'il ruminait, De Gaste s'adressait aux deux sportifs. Milo riait, dévoilant une superbe dentition. Son rire grave ne manquait pas de charme. Pas étonnant, finalement que cet homme soit considéré comme un sex symbol…

Mais il en fallait plus à Camus qu'un beau physique, qu'une image de papier glacé pour l'émouvoir, contrairement à ce que De Gaste avait l'air de penser.

Il avait hâte d'en finir avec tout ça mais De Gaste ne lui donna pas congé.

« Puisque vous faites fantasmer beaucoup de gens avec votre calendrier, Milo et Denis, on va faire une interview 'sex symbol' ! »

Camus ne prêta qu'une oreille distraite à la série de questions portant pourtant sur des détails absolument essentiels de la vie du genre : « Un sex symbol utilise-t-il du déodorant tous les jours ? » jusqu'à ce que l'animateur ne demande aux deux sportifs :

« Est-ce que vous prenez systématiquement une douche après avoir fait l'amour ? » et ne décide de poser ensuite la question à Camus.

L'écrivain se sentit bouillir intérieurement. Il n'était pas venu ici pour parler de sa vie sexuelle assez pathétique, en vérité !

« Est-ce que ça a un intérêt réel que je réponde ? Ca intéresse vraiment quelqu'un de savoir ça ? » demanda-t-il de façon assez sèche.

De Gaste prit sa réponse comme une critique de la pertinence de ses questions. Il fut immédiatement sur la défensive.

« C'est un moyen comme un autre pour que les téléspectateurs apprennent à vous connaître. Les questions sur la vie quotidienne ou privée révèlent souvent plus la personnalité des gens que de longs portraits. Et d'ailleurs, ta réaction le prouve. Pourquoi ça te gênerait de répondre, sinon ? »

« Je devrais me forcer à répondre comme tout le monde avec détachement, comme si ce genre de question était parfaitement normal ? Est-ce que si je ne me douche pas, les gens vont moins aimer mon livre ? Ou l'acheter parce que je suis quelqu'un de propre ? Sous prétexte de ne pas être catalogué comme coincé ou vieux jeu, pourquoi il faudrait répondre avec le sourire à toutes les questions indiscrètes et stupides? »

« Très bien, très bien. On n'oblige personne à se conformer à quoi que ce soit. Il n'y a pas de malaise. » répondit l'animateur, vexé apparemment, mais manifestant une volonté d'apaisement. « Il me semble simplement que quand on vous donne l'opportunité de faire la promo d'un bouquin ou d'un disque par le biais d'un média qui a autant d'audience, c'est la moindre des choses de jouer le jeu de répondre aux questions.

Son ton légèrement moralisateur, comme s'il s'adressait à un enfant capricieux énerva davantage Camus. Une froide colère grondait en lui. Il se maîtrisa, adressant un regard noir à l'assistance mais ne rétorquant rien. Envenimer la situation en en rajoutant le ferait passer pour un grincheux et un emmerdeur.

La vieille chanteuse ricanait, semblant le trouver ringard au possible. Denis et la jeune actrice semblaient consternés pour lui. Milo était insondable et le regardait droit dans les yeux, peut-être plus amusé par la situation qu'en train de porter un réel jugement sur son attitude.

« Passons maintenant à l'invité suivant ! » annonça De Gaste, le visage fermé.

Ses coéquipiers quittaient le terrain en sueur. Il s'approcha du banc pour récupérer un ballon.

« Milo tu restes encore ? » lui demanda l'un de ses camarades.

« Oui, je vais tenter quelques tirs. »

« D'accord ! On se voit demain alors ! »

Milo sourit et lui fit un petit geste de la main. Le terrain se vida et il se sentit apaisé, fixant les poteaux avec détermination.

Sa réputation d'acharné du travail, il ne l'avait pas volée. Même maintenant qu'il était l'une des stars de son sport, il continuait à s'entraîner comme un débutant. Toujours plus précis, toujours plus rapide…. Il n'était jamais satisfait.

Tant qu'il n'aurait pas atteint son rêve indéfinissable, il garderait cette humilité. Et il était encore loin de ce qu'il espérait sans pourtant savoir de quoi il s'agissait. Remporter plus de tournoi ? Des trophées encore plus prestigieux ? Ce n'était pas encore ça.

C'était un accomplissement en tant qu'homme qu'il cherchait. Des réponses à toutes ses questions.

Il s'élança et son pied vint frapper le ballon qu'il avait placé avec minutie sur le petit tas de sable. Le ballon passa entre les deux poteaux en leur exact milieu. Il sourit, satisfait, et recommença plusieurs fois avec la même réussite.

Le vent était faible, c'était un jeu d'enfant. Le manque de difficulté l'ennuyait presque et il abrégea son entraînement.

Il avait de toute façon un livre à finir. Lui qui ne lisait pourtant jamais d'habitude….

Ce livre auquel il ne comprenait pas grand chose, à vrai dire mais il avait l'impression que cela le rapprochait de la vérité qu'il cherchait.

Cet homme aux cheveux auburn, cet écrivain qu'il avait croisé le samedi… Il avait la certitude que cet homme si savant en comparaison de lui-même, avait les réponses aux questions qu'il ne savait même pas formuler. Peut-être se trompait-il….

Comment de toute façon recroiser ce Camus alors qu'ils n'évoluaient visiblement pas dans le même univers ? Et que lui dire ?

La porte claqua alors qu'il s'escrimait depuis un moment avec le ruban de sa machine à écrire sans arriver à le replacer. Il sursauta, surpris, se retournant pour voir qui pénétrait chez lui de cette façon.

Un grand frison le parcouru lorsqu'il reconnut l'individu. Il avait un instant imaginé qu'il s'agissait d'un cambrioleur.

« Salut ! » dit l'homme, rejetant ses cheveux en arrière dans un mouvement élégant de la main, geste qui le séduisait encore quelques semaines auparavant jusqu'à ce qu'il comprenne à quel point tout était calculé dans son attitude. « Je venais te rendre tes clés et récupérer mes disques… »

« Vas-y, tout est dans le placard. » lui indiqua Camus, les doigts pleins d'encre.

Sacha se dirigea vers le meuble et l'ouvrit. Il fouilla quelques instants dans la pile de papiers qui s'y entassait. Camus le laissa faire sans rien dire.

Quoi qu'il y fasse, il était toujours troublé en sa présence. Même après plusieurs mois…

L'homme, aux longs cheveux blonds cendrés se sentant comme chez lui, tira sur un grand carnet à spirales et le feuilleta. Il poussa un sifflement admiratif.

« Dis donc ! Ils sont drôlement bien gaulés ! Certains sont un peu trop baraqués à mon goût mais il y a de la belle bête. Regarde-moi ça ! » fit-il en lui montrant une page du calendrier.

Camus leva les yeux de son ouvrage et sourit sans répondre.

« Le Milo Miriakis, il est drôlement bien foutu. Il a de ces fesses ! » continua Sacha, tournant toujours les pages. « C'est ta photo préférée, je parie. »

Il arriva au dernier mois et reposa le calendrier sur l'étagère.

« Mais il n'est pas pour toi… »

Camus sourit plus largement. Comme s'il se croyait sur le coup !

« Mais on peut toujours rêver deux minutes…» termina Sacha avant de prendre la pile de CD et de la glisser dans un sac. « A propos, j'ai vu ta brillante prestation chez De Gaste au zapping ! Tu as fait fort. Si tu voulais te faire remarquer, c'est réussi ! »

Camus se renfrogna. Il était honteux à l'idée que d'autres puissent penser que c'était un coup médiatique de sa part.