J'en rêve encore.

Lucius se figea un instant. Il venait de se réveiller en sursaut après un cauchemar. Or un Malefoy ne fait pas de cauchemars…Ou s'il en fait ça ne l'atteint pas. Il s'en moque. Après tout qu'est-ce qu'un cauchemar sinon une vague manifestation de l'inconscient ? Des angoisses vides de sens et que le matin dissipe vite dans les esprits ordonnés et forts.

Seulement ce cauchemar-ci revenait beaucoup trop souvent. Et l'atteignait beaucoup trop profondément. Sans doute parce que Lucius savait bien que ce n'était pas un cauchemar, c'était plutôt un souvenir…Une réminiscence. Rien n'est plus terrifiant que la réalité.

Quel âge avait-il à l'époque ? Ah oui, dix sept ans. Dix sept ans et plein d'ambitions, d'espoirs et, curieusement, d'amours. Bien sur nul n'en savait rien. A l'extérieur il était toujours égal à lui-même : froid, arrogant, un aristocrate intransigeant à l'intelligence aussi acérée que son port de tête était élégant.

Mais à l'intérieur, Lucius Malefoy était amoureux. Donc béat, ensorcelé, stupide. Et depuis si longtemps qu'il se plaisait à penser depuis toujours, comme si il était né directement avec ce hameçon planté dans son cœur. Et son pécheur avait des cheveux noirs et de magnifiques yeux bleu-vert. Lucius ne pouvait même pas se souvenir de la première fois qu'il l'avait vu, preuve qu'il devait être jeune. Mais dès ses premiers échos de mémoire le concernant il savait qu'il l'avait toujours fasciné. Aux réunions entre Sang-Pur où il le croisait, il était toujours distant, grognon, adorablement boudeur. Il donnait l'impression non seulement de s'ennuyer profondément, mais également que son envie de provoquer, de se distinguer, de chahuter était infiniment supérieur à la crainte respectueuse que tout enfant se doit, dans les familles nobles, d'avoir pour ces aînés. C'est cet aspect, son côté... indocile qui avait tout de suite plu au Serpentard tellement habitué à prendre comme indestructibles les avis de ses parents. Avec ce garçon, Sirius, il découvrait un univers différent, un échappatoire, un monde nouveau, dangereux et excitant qui existait en dehors des règles. Il lui avait fallut longtemps pour vaincre les réticences de Black à son égard d'ailleurs. Dur travail de toujours ménager le chou et la chèvre, ne pas déplaire à ses parents et pourtant faire comprendre au garçonnet que lui aussi rêvait d'être libre. Mais un Mlaefoy a toujours du talent et il y était parvenu. Et ne l'avait jamais regretté.

Avec un sourire, il se souvenait de leurs jeux, leurs rires… Il revoyait deux enfants qui jouaient dans la neige, un petit garçon blond qui poursuivait un brun, le rattrapait, le plaquait à terre et lui volait un baiser sous les yeux surpris de l'autre…

ARRG ! Lucius avait envie de se taper la tête dans les murs pour se punir de se rappeler encore tous ses détails. Ne s'était-il pourtant pas jurer de tout oublier ?

Encore un effort,

Quelques mois suffiront,

Je suis presque mort,

Quelques mois et c'est bon.

Le jeune garçon devenu un homme depuis longtemps se leva. Il faisait frais.

Tout avait faillit être brisé le jour de leur entré a Poudelard. Pourtant, tout se si présentait bien ! Ils allaient enfin pouvoir être ensemble, loin des regards et des commentaires de leurs familles. Bien sur ils ne formaient pas vraiment un couple à ce moment là. Ils étaient…comme des frères. Des frères qui aimaient se blottir l'un contre l'autre. Des frères qui s'embrassaient en riants quand leurs parents ne pouvaient les voir…

Mais il avait été envoyé à Serpentard comme convenu, alors que Sirius était allé à Gryffondor. Lequel a vraiment trahit l'autre ce jour là ? Les deux espéraient être ensemble…Mais a deux endroits différents.

Tout aurait pu se finir là, et au fond peut-être eusse-t-ils été plus heureux ainsi. Seulement, rien peu détruire un lien si fort. Et les anciens amis ne pouvaient se résigner à être séparer pour toujours. Alors ils se mettaient au diapason de l'ambiance prévu pour un couple comme le leur. C'est à dire qu'ils passaient leurs journées à s'agresser, s'insulter. Ils se battaient le plus souvent possible. Toutes les excuses étant bonnes pour être proche malgré tout…

Sirius avait ses amis. Il avait les siens. Rogue contre Potter. Nott contre Lupin. Petigrow qui regardait. Et Malefoy contre Black. Tout contre lui.

Sauf qu'à seize ans, les hormones se contrôlent difficilement…Et il y avait eu ce jour, cette dispute. Et ils c'étaient retrouvés à s'embrasser, se caresser, s'aimer.

Oui, songea amèrement Lucius, aimer… Mais d'un seul côté seulement.

Résolument, il se dirigea vers une commode en bois précieux. Il l'ouvrit grâce à un sortilège unique, précis. Il renversa les images qui se trouvaient là, et une à une les jeta au feu. S'interdisant de s'émouvoir. Il était plus que temps de détruire les restes du passé. De son humiliation.

Supprimer les traces, la moindre trace,

Ce qui reste de candeur…

Un morceau de glace,

A la place, du cœur.

L'une d'entre elle retint son attention pourtant. C'était une photo qu'il avait prise à son insu pendant leur dernière année à Poudelard. Sirius souriait d'un air tellement tendre… Mais cette fois, au lieu de se laisser hypnotiser par le sourire, il regarda à l'extrême gauche du cadre. Se tenait un garçon. Ce garçon. Qui lisait, ses cheveux ébènes si épais qu'il paraissait gras cachant son visage…Et malgré lui, Lucius sentit la rage l'envahir. Comment avait il pu garder toute ces années un tel cliché ? Comment même alors que tant de temps c'était écoulé ne remarquait il que maintenant que cette image aussi était souillée, trompeuse ?

Combien de temps, songeait-il amèrement, combien de temps en réalité avait il rêvé seul en pensant qu'ils étaient deux ? Ah, il devait bien être en manque d'affection pour se créer ainsi une telle illusion. Et la colère dans sa bouche avait un goût de cendre.

Même si je m'améliore,

Oh, j'en rêve encore.

Même cassé, ivre mort,

Oh, j'en rêve encore, encore, encore, encore…

Il n'avait rien vu venir, même alors que ça aurait dû lui sauter aux yeux. Il vivait en plein rêve. Perdu entre la douceur de la peau dorée du jeune homme, l'éclat de ses yeux, son étroitesse, sa beauté et son sale caractère…Dominant mais totalement dominé, Lucius Malefoy avait le cœur réduit en esclavage par le ténébreux Sirius. Et il pensait que la réciproque était vrai. Pas besoin entre eux de déclarations mièvres ou de mots doux. C'était tacite… Un contrat entre deux âmes. Le silence parlait plus que les mots, et Lucius était sur que le brun savait lire derrière sa froideur, derrière son indifférence.

En voyant les dernières images se calciner puis disparaître, Lucius se força à continuer de se remémorer ses souvenirs. Jusqu'au bout cette fois. Bien se repasser la fin qu'il avait bien mérité a être si faible. Raviver la flamme de la douleur et cette fois l'exterminer une bonne fois pour toute. Se repasser le film et traiter par le mépris ce dérèglement hormonale, cette absurdité de gamin. Détruire tout ce qui pouvait rester de chaleur. Enfin devenir l'homme qu'il aurait dù être. Pour se prouver que, enfin, ça ne lui faisait plus rien. Que c'était du passé révolu. Qu'il avait oublié. Oui. Se souvenir pour oublier.

Ne plus rien sentir,

Inconscient, minéral.

Plus le moindre désir,

Plus de peur, ni de mal.

Mais alors pourquoi tremblait-il en se remémorant leurs étreintes ? A l'époque Lucius ne voulait pas penser au futur, pour lui devenir mangemort n'était qu'une formalité de plus pour ses parents lui fiche la paix. Un honneur de plus, un symbole de plus qu'il était un être a part, meilleur que les autres. Il n'avait réalisé qu'après l'esclave dans lequel cette marque l'entraînait. Et alors il était trop tard. Et il avait tué, avec indifférence et mépris, quitte a être un esclave, autant être le meilleur, le plus efficace, le préféré du maître. Et il y était parvenu non ? Alors pourquoi sentait-il encore aujourd'hui son cœur se racornir comme du papier en se rappelant ce jour ?

Même si je m'améliore,

Oh, j'en rêve encore.

Même en sachant que j'ai tord,

Oh, j'en rêve encore, encore, encore, encore…

FLASH BACK

Il faisait sa ronde de préfet comme tous les soirs. Il avait presque terminé lorsqu'en passant dans un couloir, il entendit des gémissements qui venaient d'une salle inutilisée. Quelqu'un s'amusait bien et avait oublié de mettre un sort de silence. Il eut un sourire sadique en s'imaginant la tête des amants lorsqu'il les surprendrait. En utilisant sa baguette, il débloqua avec facilité la porte qui s'ouvrit sans bruits. Et Lucius vit.

La salle avait été emménagée en une salle douillette comme seul un puissant métamorphe pouvait le faire. Et sur le lit, deux chevelures noires s'entremêlaient. Une peau dorée se frottait contre une peau blanche comme du lait. Des yeux bleu vert s'enflammaient pour des yeux couleur cendre. Leurs lèvres ne se quittaient que pour mieux se retrouver et leurs mains traçaient des caresses sensuelles sur le corps de l'autre. L'odeur chaude, voluptueuse si caractéristique de l'acte charnel envahissait la pièce. Et au milieu des soupirs, Lucius entendit la voix de Sirius qui répétait ces mots, comme une litanie, une prière, une promesse:

- Je t'aime Severus... Oh, je t'aime tellement...

Il n'y a pas de mots pour décrire ce que ressentit Lucius à cet instant. Il ne hurla pas, ce que son âme mourrait d'envie de faire. Il ne pleura pas, pas encore. Il referma doucement la porte et retourna dans son dortoir. Et là, il conçut sa vengeance. Un plan parfait. Quelque chose qui pourrait atténuer au moins un brin la douleur atroce qui le déchirait en deux. Après quelques mots glissé à l'oreille du Lord sur les exceptionnels dons en potion de Severus Rogue, Lucius obtient qu'il soit lui aussi marqué.

Et tout se passa comme il l'avait prévu. Que ce soit parce que Sirius était horrifié d'avoir un mangemort pour amant, ou parce que Severus voulait le protéger, ils se séparèrent. Et pourtant Malefoy n'en ressentit aucune satisfaction. La trahison avait tout détruit, même le plaisir subtile de la vengeance. Même séparés pour toujours, les deux amants avaient partagé une chose dont il avait rêvé, rêvé de tout son être et qui était passé à coté de lui, l'ignorant comme s'il ne valait rien. Alors Il continua à servir le Mage Noir, épousa Narcissia Black et resta là a s'appliquer pour toujours à rester dans son rôle bien défini par ses parents...

Vivant mais mort.

N'être plus qu'un corps.

Que tout me soit égal.

Plus de mal...

Et le temps avait passé.

C'est ça le plus incroyable, au fond, avec le temps. Même dans les pires circonstances il continu sa route, imperturbable. La guerre avait été déclaré. Et Lucius c'était battu. Du mauvais côté certes mais... œuvrant dans l'ombre, il modifiait les plans, changeait les instructions, faisait exprès d'échouer... Manigançait pour ne pas être esclave. Il avait pris le virus de la liberté et adorait l'ivresse d'être en réalité le meilleur, le maître de la partie. Et protégeait Sirius. Enfin, comme un dommage collatéral quoi. Parce qu'il ne pouvait pas prendre des mesures qui protégeait tout le monde sauf lui. C'est du moins ce qu'il se répétait sans trop y croire. Après la mort du Lord, Lucius était là dans l'ombre, redoutant par un son pressentiment une action désespéré de Sirius devant la mort de ses meilleurs amis. Il avait dévié le sort de Petigrow pour que son "rayon mortel" ne touche pas Sirius. Black était allé en prison. Comment aurait-il pu se douter que Lucius avait mit sur lui une protection magique pour que les Détraqueurs se désintéressent vite de lui ? Bien entendu, le blond ne faisait ça que dans l'espoir que Sirius reste en vie, pour qu'un adversaire du Lord soit toujours là, au cas où. Bien sur.

Se glaçant un peu plus chaque jour de sa vie, Lucius regardait de ses yeux clairs les saisons défiler. Tout était théâtre, scène, rôles. Même ses pensés étaient conformes à ce qu'il était censé être. Il attendait. Il attendait désespérément le jour où il oublierait son double rôle, où tout s'effacerait, où son apparence deviendrait sa nature profonde. Où il deviendrait l'homme que ces parents désirait, quand enfin serait mort en lui l'enfant désobéissant qui avait causé tant de mal.

Mais elles s'accrochaient, ces étincelles, ces murmures assassins, ses rêves qui n'auraient pas du être. Les seules choses qui l'atteignaient encore parfois. Ce sursaut quand il avait vu dans un regard de son fils un peu de sa mauvaise humeur. Un éclair de rébellion qui lui faisait songer a ce qu'il avait pu lui passer exactement en lui donnant ses gênes. Ce frisson en apercevant un chien noir à la gare. Et tout ces mots qu'il taisait.

Car, comme ce jour là, parfois le matin venait le cueillir en sursaut, aux portes d'un cauchemar qui semblait ne jamais vouloir mourir.

Ton absence qui me mort...

Même si je m'améliore

Oh, j'en rêve encore...

Ton corps allait dans son corps!

Oh, j'en crève encore...

Longtemps...

Mais en ce jour précis, elle peut fondre la glace non ? Elle peut dégouliner un peu sur tes joues, pauvre Lucius. Tu peux bien laisser ta jalousie, ta haine se noyer dans cette eau, puisque aujourd'hui elles n'ont plus aucun sens. Plus de secret à cacher Lucius, plus de mystère. De nouveau tu peux songer à son visage, ses yeux, oh oui, de nouveau le rire de Sirius peut résonner à tes oreilles. Plus personne ne sait pour la trahison, plus personne ne respire en t'ayant abandonné. L'étoile noire est morte, Sirius a traversé le voile. Peut-être que ton maître va te tuer pour cet échec au Ministère, n'est-ce pas Lucius. Mais tu n'as plus peur, tu ne penses qu'à le rejoindre. Quelque part derrière le Voile, le monde sera peut-être plus juste. Si la vie continue, l'hameçon restera bien planté et peut-être mon cher, peut-être saura tu les lui dire enfin, ces mots qui auraient pu tout sauver.

Oui Lucius, lui murmurer enfin ces mots qui t'étouffent depuis si longtemps...