Entre ses onze ans et ses dix-huit ans, un homme a le temps de changer.
L'éternelle bande n'échappait pas à cette règle. Si en sept ans, Eric, Kyle, Stan et Kenny avaient traversés maintes épreuves et maintes aventures –toujours ensemble, l'adolescence les avait transformés, pour le meilleur et pour le pire.
Il y avait d'abord Stanley, ou Stan. Du haut de son mètre-quatre-vingt, sa stature musclée et athlétique attirait plus d'une fille au lycée. Son visage régulier à la peau pâle et sans défaut, ses cheveux bruns soigneusement coiffés et son style de sportif chic jouait fortement en sa faveur. Il était considéré par ses camarades comme le petit ami idéal. Après tout… Plutôt bon élève, quater back dans l'équipe de foot, plutôt sympathique, il était généralement convoité. Il l'aurait sûrement encore plus été si Wendy Testaburger n'était pas encore et toujours en couple avec. Il semblait parfait sous tous les angles, si bien qu'on pouvait oublier son alcoolisme précoce.
Kenny n'était pas en reste non plus. Il n'était pas très grand, et atteignait difficilement le mètre soixante-dix. Plus fin que Stan, il restait néanmoins bien construit. Sa peau était de plus en plus bronzée et couverte de cicatrices et de bleus qu'il gagnait lors de combat après les cours. Ses cheveux blonds en bataille et son éternel anorak orange –quelques peu déchiré et personnalisé- lui donnaient un style qu'on pourrait aisément qualifier de bad-boy. Il avait un physique moins générique que Stan, avec des caractéristiques plus prononcées et moins usuelles. Mais il avait un fort charisme qui faisait toujours forte impression. Fumant, buvant, baisant, il n'était en rien un garçon sage, et c'est ce qui faisait sa marque de fabrique.
Eric, que tout le monde appelait encore Cartman, s'était aussi amélioré avec le temps. Plus grand que Stan, sa taille d'un mètre quatre-vingt-cinq lui donnait une stature plutôt impressionnante. S'il était toujours en surpoids, il n'était plus obèse. Le déclic ? Simple. Une profonde jalousie envers Stan et Kenny lorsque les filles ont commencé à s'intéresser à eux. Il refusait d'être encore considéré comme le petit gros de la bande, et encore moins être de côté. Alors, il a tenté désespérément de perdre du poids, avec succès. Certes, il avait toujours des kilos en trop, mais son look travaillé et son visage ironiquement angélique le rendait plutôt mignon.
Et ce matin, un matin comme un autre, ces trois garçons étaient adossés à leur casier, attendant leur cours de maths. Ils étaient plutôt en avance, et seuls quelques élèves étaient déjà là. Mais il était de leur routine quotidienne de venir plus tôt rien que pour partager un peu de temps communs.
Leur discussion était naturellement alimentée par le futur bal de promo qui arrivait à grands pas. Evènement important, tout le monde n'avait que ça en tête, oubliant les examens arrivant bientôt. Au fond, il était bien plus important de savoir qui on allait demander comme partenaire que de réussir sa dernière année. Cartman semblait être le plus intéressé par ce bal de promo, et pour une bonne raison : Bebe, l'une des filles les plus jolies de leur classe, venait tout juste de lui demander d'être son partenaire.
-Et c'est quand je suis sorti hier qu'elle m'attendait et m'a demandé "Eric, tu voudrais être mon partenaire pour le bal de promo ? Je ne pense qu'à toi depuis de longues années et-"
-Elle ne t'a jamais dit ça, Cartman.
-Ta gueule Stan, je te dis que si !
Kenny rigolait doucement à leur côté, et les deux garçons se tournèrent vers lui. Le blond baissa légèrement la fermeture éclair de son anorak et ricana doucement.
-Quatorze.
-Quatorze quoi … ? Demanda Stan.
-Quatorze demande de filles pour que je sois le partenaire au bal de promo.
Cartman grinça des dents par pure jalousie, alors que Stan semblait à la fois amusé et exaspéré.
-Et donc, tu vas prendre qui ?
-Toute, c'est possible ? Ironisa le blond.
Mais s'il le pouvait, il le ferait. Kenny retourna ensuite la question à Stan.
-J'imagine que tu vas demander à Wendy. D'ailleurs… Qu'est-ce que tu attends ? Parce que à force, elle va se faire chier, et moi je peux lui présenter un ami à moi…
Le geste obscène de Kenny était assez parlant, et Stan soupira.
-J'attends le bon moment, idiot.
-J'imagine que t'as pas envie de lui dégueuler dessus comme il y a deux ans.
-Hey, la ferme !
Mais Cartman avait raison. Stan avait effectivement vomit sur les pieds de sa dulcinée lorsqu'il voulait l'invité à danser. Ce moment fut terriblement gênant pour les deux, si bien qu'ils préfèreraient l'oublier.
Heureusement pour Stan, Cartman, avec un rictus inquiétant, changea rapidemment de sujet.
-Enfin… On sait tous qui va rester seul pour le bal de promo, en tout cas.
-Ta gueule, gros con !
Une voix se fit entendre derrière les garçons, et tous reconnurent la voix froide et dure de Kyle. Cartman ricana. Il avait envie d'ennuyer le jeune homme, c'était clair. Alors que Cartman s'adossa aux casiers, Kyle se fraya un chemin vers le sien et pris son livre de maths.
-Oh, salut mon joli, on parlait justement de toi. Alors, ça fait quoi d'être le seul à ne pas avoir réussi à se dégoter quelqu'un pour le bal ?
Kyle referma son casier et se retourna vers Cartman, lui faisant facilement face. Après tout, Kyle dépassait le mètre quatre-vingt-dix désormais, et devait être l'un des plus grands – si ce n'est le plus grand – de l'école.
-Tu as l'intention de me bloquer le passage encore longtemps avec ton gros cul ? Siffla le roux entre ses dents.
Sans même attendre la réponse de Cartman, Kyle le contourna et se rendit directement en classe, sans attendre qui que ce soit.
-Tss. Avant d'en pincer pour une fille, commence déjà par pincer tes boutons.
Kyle se paralysa sur place. Il se retourna et fixa Eric, comme s'il allait l'assassiner sur le champ. Eric venait juste de lui asséner un coup de poignard en plein cœur en attaquant ce qui le complexait le plus.
Son physique.
Contrairement aux trois autres garçons, Kyle était en mauvais terme avec la puberté, et on ne pouvait pas dire qu'il s'en sortait aussi bien que ses compatriotes. Chose qu'Eric adorait lui rappelé.
Après tout, il y avait tellement de chose qui pouvait prêter à la moquerie dans le physique du jeune homme. Sa taille, par exemple, déjà très grande pour son âge, et il grandissait encore. En plus de mesurer un mètre quatre-vingt-dix, il était aussi très maigre. Il n'y pouvait pas grand-chose, mais il avait une allure d'une brindille – un grand échalas qu'un coup de vent pouvait briser. Sa peau était très pâle, et tâchées d'une multitude de taches de rousseur qui s'étaient installées après de trop nombreux coup de soleil. Sur le nez, les joues, les épaules, le torse, le bras et les cuisses, il n'avait été guère épargné. Et si ce n'était que ça… La puberté l'avait gratifié d'une acné sévère. Certes, la situation était pire lorsqu'il avait quatorze ans. Mais même à dix-huit ans, il avait encore suffisamment de boutons pour que quelques élèves s'attaquent à ce défaut. Depuis quelques années désormais, ses yeux émeraude étaient encadrés d'une paire de lunettes noire, et depuis trois ans maintenant, il avait aussi un appareil dentaire. Il fallait bien avouer que Kyle avait le physique stéréotypé du premier de classe, du geek passant plus de temps en compagnie de ses cours que de ses amis. Son visage apparaissait maigre, assez long, aux traits marqués et très masculins. Son nez était un peu long, et la bosse qui s'était légèrement formée indiquait qu'il avait hérité de celui de sa mère. Au niveau vestimentaire, il avait un style qui aurait pu être très classe mais qui, dans son cas, ne faisait que renforcer l'idée du premier de classe. Il était vrai que les chemises et les cravates donnaient un air toujours très sérieux … En revanche, il ne portait plus sa chapka verte, laissant enfin ses cheveux libres. Enfin… Kyle ne le faisait que par dépit. Il détestait ses cheveux, cette importante masse de boucle rousse écarlate qui prenait une place trop importante et se remarquait de trop loin.
Il se détestait. Il peinait à se regarder dans un miroir, et était terriblement complexé. Et si en plus, un gros con venait pointer du doigt ce qu'il détestait le plus chez lui, il n'allait jamais reprendre confiance en lui.
Stan avait bien senti le malaise. Il avait d'abord pensé à frapper Eric, mais il ne voulait pas trop attirer l'attention sur la scène. Alors, nonchalamment, il alla rejoindre son ami –son meilleur ami- et poursuivit l'air de rien la conversation.
-Kyle ! Tu aurais pu m'attendre tout de même !
-Ah euh … Désolé. J'étais préoccupé, et un peu stressé. Les examens approchent, et je voudrais éviter de les rater.
Stan explosa de rire.
-Mec, les rater ? T'es premier de classe, et même premier de tout le lycée ! Arrête de t'en faire, tu vas évidemment les réussir.
-Mais même ! Faut que je reste premier, Stan !
Le brun soupira, et tapota l'épaule de son ami.
-Ok, ok. Mais ce soir, rien à faire, tu lâches tes bouquins, et tu viens chez moi.
-Pardon ? Fit Kyle en haussant un sourcil.
-Ca fait des semaines, voire des mois qu'on ne s'est pas vu en dehors des cours, tout ça parce que monsieur travaille. On est vendredi, y'a pas cours de main, alors par pitié, laisse toi un peu aller et amuse toi !
Kyle soupira, et accepta la demande de son ami.
-Très bien, très bien. Après les cours, on s'attendant devant l'école alors.
Stan souri bêtement, voire faussement. Pourquoi faussement ? Il avait une idée derrière la tête….
Il avait envie de remonter le moral de Kyle. Il avait envie que le roux se confie à lui comme avant. Il avait envie de l'aider et de lui redonner confiance en lui. C'était son meilleur ami, et il tenait à lui plus que tout…. Et lui-même s'était déjà confié à Kyle pour de nombreuse chose. Il ne lui avait par exemple jamais caché sa bisexualité. Et Kyle l'avait toujours accepté sans problème.
Mais depuis quelques temps, Kyle semblait de plus en plus froid et distant. Il l'était toujours un peu, mais il semblait s'être renfermé sur lui-même. Stan avait réfléchi, et en avait déduit que les moqueries incessantes de Cartman y étaient pour quelque chose… Ainsi que le bal de promo approchant. Ils étaient un nombre impair, et il savait que Kyle redoutait d'être celui qui serait seul. Il savait que Kyle était plutôt impopulaire à cause de son manque de confiance, de sons sérieux et de son physique. Et il voulait changer ça.
Peu de temps après, la cloche sonna, et le cours de maths commença. Les garçons s'installèrent à leur place respective, et commencèrent à travailler. Chaque fois qu'une question était posé à l'oral, Kyle levait la main pour y répondre, et avait toujours juste. Stan tentait de prendre exemple sur lui. C'était un bon élève, mais il était mauvais en maths… Heureusement que Kyle le laissait copier à chaque interrogation.
Le reste de la journée se passa sans encombre. Kyle était toujours aussi sérieux, même lors des pauses. Jamais il ne semblait décrocher de ses livres et de ses cours. Stan était un peu admiratif de son ami, bien qu'il aimerait le voir un peu plus libre parfois.
Finalement, la fin des cours approcha plus rapidement que prévu, et ce fut Stan qui attendit Kyle devant la grille de l'école.
-T'en a mis du temps !
-Mec, le cours n'était pas complètement terminé quand tu es sorti…
-La cloche avait sonnée, mec.
-Je sais ! Mais …
-Oh, pitié… C'est le week-end, parlons d'autre chose !
Avant même que Kyle ne puisse répliquer, Stan le tira dans sa voiture et l'emmena devant sa maison. En chemin, ils écoutèrent de la musique, principalement du rock et du bon vieux rap. C'était facile, ils partageaient les mêmes goûts musicaux.
A peine arrivés chez Stan que le brun tira son ami dans sa chambre.
-Mes parents sont pas là, on a la maison pour nous.
-Mec, on dirait presque que t'as envie de moi, là.
Stan rougit légèrement avant d'exploser de rire. Dieu qu'il avait mal choisit ses mots…
-La discussion risque d'être un peu plus importante que la perte de ta virginité j'ai bien peur.
Kyle haussa un sourcil tout en s'installant sur le lit de Stan, juste en face de lui. Il n'avait aucune idée de ce que Stan avait en tête, et semblait s'inquiéter peu à peu.
Le brun prit une grande inspiration avant de se lancer. Il voulait aider Kyle, mais pour se faire, son ami devait déjà se confier. Rien qu'un peu.
-Kyle. Ca fait quelques temps que… Tu ne vas pas bien. Enfin, ça fait complètement con dit comme ça mais… Ca fait un bout de temps que tu sembles complètement triste. Genre, pas triste à en pleurer, mais déprimé. Ouais. C'est ça. T'es complètement déprimé.
Kyle fronça les sourcils et regarda ailleurs : Il avait vu juste.
-Tu sais, je t'ai déjà dit tout un tas de truc sur moi. La fois où j'ai pissé dans mon lit à douze ans, celle où j'ai vomi sur ma mère complètement bourré, mon orientation sexuelle, … T'as toujours été un super confident et un super ami. Alors pour une fois… Confies-toi à moi. T'en as clairement besoin, ça se voit.
L'expression faciale de Kyle se radoucit, mais il ne releva pas les yeux pour autant. D'une voix froide mais calme, il fit enfin le premier pas.
-Très bien, Stan, très bien. T'as gagné. Je vais te dire ce qu'il ne va pas. Mais… Promets-moi de ne pas te moquer.
-Sérieux… Evidemment que je ne vais rien dire. Quand bien même tu m'annonçais que tu étais amoureux de Cartman je ne me moquerais pas !
Les deux échangèrent un sourire complice avant de reprendre leur discussion sur un ton plus sérieux.
